Claude BOYER
Ulysse dans l’île de Circé
ou
Euryloche Foudroyé
TRAGI-COMÉDIE
1660
Édition critique établie par
Pauline Debienne
Mémoire de master 1 réalisé sous la direction de M. le Professeur
Georges FORESTIER
Université Paris-IV Sorbonne
2007
Commentaire critique
Introduction
Au début de l’épître d’Ulysse dans l’isle de Circé, ou Euriloche foudroyé qu’il dédicace au
Prince de Conti, Claude Boyer déclare :
Cet Ulysse que je presente à vostre Altesse, est bien different de celuy que le Prince des
Poëtes a fait le heros de la prudence, & la parfaite idée d’une constance invincible: s’il
avoit conservé entre mes mains toutes les beautez de son original, il seroit asseuré de la
bonne fortune, l’estant depuis tant de siecles de son merite & de sa reputation.
C’est mettre en avant l’originalité de sa pièce qui propose une interprétation tout à fait
nouvelle de l’épisode homérique, mais c’est aussi suggérer quelques craintes quant à
sa « bonne fortune ». Face à l’œuvre d’Homère son ambition peut paraître grande,
d’autant plus qu’avec Ulysse, Boyer s’essaie à un genre nouveau : le théâtre à machines,
encore peu courant en 1648 et pas même reconnu comme genre. Ulysse dans l’isle de
Circé fait partie des pièces de Boyer les plus méconnues et pourtant, elle fait aussi
partie de ces œuvres qui éclairent la postérité sur ce qu’appréciait le public au théâtre.
Boyer est un auteur qui savait s’adapter aux attentes du public, et Ulysse reste une
pièce destinée à séduire le goût du spectacle de la plupart de ses contemporains. Ulysse
est la première pièce à machines de Claude Boyer mais aussi la première d’un genre
qui va peu à peu se définir jusqu’à ce que Corneille le théorise en 1650 avec
Andromède. L’histoire du théâtre à machines est brève, le genre est rapidement
supplanté par l’opéra dont il avait fini par intégrer les différentes composantes. Mais il
sera aussi rapidement évincé par la tragédie dite régulière au point que, dès le dernier
quart du XVIIe siècle aucune pièce à machines, mise à part Andromède rejouée en
1693, n’est plus représentée. C’était condamner un genre qui puisait toute sa force
dans la représentation. Molière dans le « Au lecteur » de l’Amour médecin ne
recommandait ses pièces « qu’aux personnes qui ont des yeux pour découvrir dans la
lecture tout le jeu du théâtre ».
Ce précepte vaut d’autant plus pour les pièces à machines et, c’est en l’ayant toujours
à l’esprit que nous allons tenter d’étudier au mieux Ulysse dont la « simple » lecture
permet néanmoins de révéler la richesse d’une pièce qui n’a pas pour seule finalité le
spectacle.
Biographie de Claude Boyer
Claude Boyer est à Albi en 1618. Il est élevé dans le collège jésuite de la ville il
se perfectionna en rhétorique. On dispose de peu d’informations sur ses études mais
on le sait bachelier en théologie, voie qu’il n’a pas poursuivie pour se consacrer à la
dramaturgie. C’est ce qui donne l’occasion à Furetière, l’un de ses nombreux
détracteurs, de le railler :
Il [Boyer] n’a pas été assez heureux pour faire dormir personne à ses sermons, car il n’a
point trouvé de lieux pour prêcher. La nécessité l’a donc réduit à prêcher sur les
Théâtres des Marais et de l’Hôtel de Bourgogne; mais il leur a porté malheur1.
De nombreuses biographies affirment qu’en 1645, alors qu’il avait 27 ans, Claude
Boyer quitta Albi en compagnie de son ami Michel Leclerc pour rejoindre la capitale
ils pouvaient espérer faire représenter leur première tragédie : Porcie romaine pour
Boyer et Virginie romaine pour Leclerc. Or il existait peu de villes l’on pouvait
étudier la théologie, si bien que Boyer se serait rendu à Paris bien plus tôt pour y faire
ses états. Il s’y serait fait connaître quelques années plus tard avec ses premières
pièces et son entrée dans les salons littéraires. Il fut d’abord admis dans le plus
influent des salons : celui de l’Hôtel de Rambouillet. D’après Clara Brody, il y serait
parvenu grâce à l’entremise de Gaspar Daillon du Lude, un évêque d’Albi et homme
de lettres reconnu, et de l’abbé Boileau, le successeur de Boyer à l’Académie
Française, parle de cette admission comme une preuve de ses qualités :
Dans ses tendres années, il [Boyer] trouva l’appui d’une noble famille, dont le nom nous
sera toujours cher, qui sembla l’adopter, parce que tous les gens d’esprits paraissaient
naturellement en être…
La Marquise de Rambouillet accepta même d’être la dédicataire de sa Porcie romaine, et
Boyer lui rendit un hommage des plus élogieux. La pièce fut représentée au Théâtre
de l’Hôtel de Bourgogne et d’après l’abbé Genest, elle « enleva tout Paris.». Boyer
reçut alors l’amitié et l’estime de personnes importantes dans le monde des lettres,
parmi lesquelles Chapelain qu’il côtoyait dans le salon de la Marquise de Rambouillet.
Ce dernier loua la Porcie romaine et peu à peu Boyer devint son protégé. Après ce
premier succès, Boyer créa plusieurs autres pièces dont La Sœur généreuse (une tragi-
comédie de 1646) puis deux tragédies en 1647 : Porus ou la Générosité d’Alexandre et
Aristodème. En 1648 il écrivit une dernière tragédie, Tyridate, avant de s’essayer à la
1 Furetière, Antoine, Recueil des Factums d’Antoine Furetière, éd. Charles Asselineau, Paris, Poulet-
Malassis et de Boise, 1859 (2 vol.), in-16, d’après l’édition de 1694, p. 172.
tragi-comédie « à machines » avec Ulysse dans l’isle de Circé ou Euriloche foudroyé, qui
s’inscrivait dans les goûts de l’époque et pouvait garantir un certain succès. Après
cette pièce, Boyer ne revint pas au théâtre avant 1659 avec une nouvelle tragédie,
Clotilde, dédiée à Fouquet, qui faisait figure de mécène. Cette longue absence peut être
expliquée par les évènements de la Fronde, qui interrompirent la carrière de
nombreux dramaturges. Peu de documents nous informent sur les activités précises
de Boyer tout au long de ces onze années. D’après les archives notariales d’Albi,
Boyer vécut quelque temps chez Gédéon Tallemant des Réaux, décrit comme le
patron des gens de lettres. Ce dernier grâce à des liens familiaux, puisqu’il était
l’époux d’Elisabeth de Rambouillet, était lui aussi admis à l’Hôtel de la Marquise, et
fut nommé en 1637 conseiller au Parlement de Paris puis maître des requêtes en
1640. Un document officiel évoque sa présence le 2 décembre 1656 à une cérémonie
d’émancipation Boyer fut appelé « à la suitte de Monsieur de Taleman » dont il
était au service. C’est afin d’éviter que sa fortune ne soit dilapidée, du moins
éparpillée, par ses frères que Boyer s’est fait émanciper :
[Boyer] a profitté de certaines sommes asses notables et est en estat de profiter
davantage ; pour l’encourager à continuer son travail et qu’il n’y puisse estre frustré par
ses frères, le d. sieur Boyer père desire icellui esmanciper et sortir de la puissance
paternelle pour ce chef tant seulement2.
Si ce document fait allusion à « son travail », il ne précise rien sur sa nature et aucun
autre document ne permet de connaître précisément les fonctions qu’avait Boyer
auprès de Gédéon Tallemant. Il est alors probable que Boyer, au service de Gédéon
Tallemant, qui a été intendant de la province de Guyenne, ait vécu quelques années
loin de Paris. Cet éloignement et ses autres activités, consacrées à Gédéon Tallemant,
expliquent en partie ce long silence de Boyer. Durant sa vie, il a conservé de bonnes
relations avec la famille Tallemant au point que, lorsqu’il fit un voyage à Albi en 1667,
il était accompagné du fils de son bienfaiteur, Paul. Il revint donc au théâtre en 1659
et, comme à ses débuts, il écrivit en moyenne deux pièces par an. Certains
s’accordèrent pour dire que ses pièces n’eurent pas de succès, mais il faut noter que
Boyer évoquait souvent dans ses préfaces la satisfaction du public et que plusieurs de
ses pièces étaient parfois jouées en même temps dans des théâtres différents. Le
succès, s’il n’était pas retentissant existait bel et bien et il faut imputer la rumeur de
son insuccès à ses détracteurs. D’autant plus que dans les années 1660, il reçoit les
2 Archives notariales de M.Malphettes d’Albi, n° 359 de l’Inventaire fo 416 Vo, cité par Clara Brody.
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