La France et les Français face à la Guerre de Sécession Lorsqu’on parle de la guerre de Sécession, on pense rarement à regarder vers la France et plus largement vers l’Europe ; comme si l’Amérique et l’Europe s’ignoraient et que ce conflit n’avait concerné que les États-Unis. Il n’en est rien car les principales puissances européennes se sont intéressées ou ont été touchées par ce conflit, voire en ont été les acteurs en intervenant indirectement ou directement outre-Atlantique. C’est le cas de la France qui est intervenue diplomatiquement à plusieurs reprises mais qui a aussi envoyé des troupes sur le continent américain afin de mener à bien ses projets. Des Français ont également participé directement à cette guerre en se battant pour l’un des deux camps en présence : l’Union ou la Confédération. Cette participation de la France et des Français à la guerre de Sécession ainsi que ses multiples effets sur le Vieux-Continent méritent d’être mieux connus, d’autant plus que cette période constitue un épisode complexe et mouvementé des relations franco-américaines, longtemps resté méconnu malgré son importance à la fois pour la France et pour les ÉtatsUnis. I)La France face à la guerre : une politique ambiguë A-Une neutralité proclamée Malgré le début de la guerre de Sécession suite au bombardement de fort Sumter le 12 avril 1861, il fallut attendre plusieurs mois avant que la France annonce sa position dans ce conflit. Après s’être assuré de la sécession des États du Sud des États-Unis, Napoléon III choisit de maintenir une « neutralité » vis-à-vis de la Confédération et de l’Union lors d’une proclamation du 10 juin 1861. Cette politique de neutralité s’exprime par les propres mots de l’Empereur rapportés par son cousin le Prince Napoléon : « Si le Nord est victorieux, j’en serai heureux, mais si le Sud l’emporte, j’en serai enchanté ». Conformément à cette décision, l’Empereur rappela que selon l’article 21 du code Napoléon, tout Français qui s’enrôlerait dans une armée étrangère ou une corporation militaire étrangère sans l’autorisation de l’Empereur perdrait sa qualité de Français. Cette mesure dissuasive devait empêcher tout Français ou ressortissant français de prendre part au conflit sous peine de lourdes sanctions. Cette décision dissuada sans doute un certain nombre de Français à s’engager dans le conflit et permit aux Français d’Amérique d’éviter en partie un service contraignant dans les milices ou les armées belligérantes, au moins pour un temps. Surtout Napoléon III réussit à Napoléon III, Hippolyte Flandrin 1863 préserver la neutralité française. B-Des affinités avec le « roi coton » : une neutralité de façade Bien qu’officiellement neutre, la France impériale ne cachait pas ses sympathies pour le Sud si bien que la France (et la Grande-Bretagne) reconnut la Confédération comme un véritable État belligérant ce qui permit à cette dernière de bénéficier de certains droits : entre autres de contracter des emprunts auprès d’États neutres, d’acheter des armes et de posséder une marine en haute mer ayant la faculté de saisir et fouiller des navires ennemis. Différentes raisons ont conduit Napoléon III à soutenir le Sud : -Géopolitiques tout d’abord : la guerre permit de mettre un coup d’arrêt à l’expansion des États-Unis qui devenaient trop puissants aux yeux des puissances traditionnelles. Favoriser le Sud apparaissait comme un moyen d’établir un équilibre en Amérique du Nord, continent jusque-là dominé par les seuls États-Unis. La France voyait notamment d’un mauvais œil la mainmise des États-Unis sur l’ensemble du continent et du Golfe du Mexique. -Des raisons idéologiques pour une part. En effet, les États du Sud disaient se battre pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, principe cher à l’Empereur qui était intervenu en Grèce, en Pologne, en Belgique, en Hongrie et en Italie pour ce même motif. -Ce sont surtout des raisons économiques diverses qui ont poussé la France à soutenir le Sud. D’une part, la France acceptait mal la concurrence économique des États-Unis et la guerre tomba à point nommé pour affaiblir durablement la puissance économique américaine voire la rééquilibrer avec la Confédération. D’autre part, la France favorisa le Sud car celui-ci constituait un marché potentiel pour ses produits d’exportation dont les sudistes étaient friands (cognac, vins de Bordeaux, soieries, dentelles, pendules comtoises, couteaux du Jura…). Un marché d’autant plus intéressant que la Confédération était favorable au libreéchange et était prête à faire entrer les produits étrangers sans les taxer, à la différence du Nord protectionniste qui n’avait cessé d’augmenter ses tarifs douaniers… Outre les produits traditionnels d’exportation, la guerre offrait un débouché supplémentaire pour vendre armes, munitions et navires. Surtout, la France était dépendante du coton de la Confédération pour son industrie textile qui était un secteur économique de premier ordre et dont dépendaient environ 700 000 personnes en France. Le Sud était alors le plus gros producteur de coton dans la deuxième moitié du XIXe siècle mais aussi le plus gros fournisseur de coton en France. En effet, 93% du coton utilisé dans l’industrie textile française du Nord, de l’Alsace et de la Normandie venait du Sud des États-Unis. Ce coton à fibre courtes était alors particulièrement prisé du fait de sa qualité supérieure. Le coton constituait une véritable arme diplomatique s’incarnant dans l’expression King cotton (le coton est roi). -De plus, la Confédération était prête à aider la France dans ses projets mexicains en échange de son soutien et de sa reconnaissance diplomatique. Même sans le soutien du Sud, la France profita de la guerre, de l’affaiblissement des États-Unis et de son incapacité à intervenir pour contourner la doctrine Monroe (qui interdisait aux Européens d’intervenir dans les affaires du continent américain ainsi que les celle des Américains dans les affaires européennes) et mener à bien ses projets en Amérique. Toutes ces raisons ont poussé Napoléon III, ses proches et la cour impériale à soutenir le Sud bien qu’ils réprouvaient tous l’esclavage. C-Une opinion publique divisée Le conflit se répercuta en partie sur la scène politique française qui était largement divisée sur la question. D’ailleurs le soutien à l’Union ou à la Confédération témoigne souvent du degré d’adhésion ou de rejet du régime impérial (même s’il n’est pas exclusif) : -La cour impériale, les proches de l’Empereur et les soutiens de l’Empire étaient plutôt favorables au Sud conformément à la politique diplomatique de l’Empereur et considéraient cette guerre comme l’échec de la démocratie et de la République fédérale américaine. On trouve tout de même quelques bonapartistes libéraux favorables au Nord comme le propre cousin de Napoléon III : le Prince Napoléon. -Les légitimistes, pourtant opposants à l’Empire, étaient favorables au Sud avec qui ils partageaient des valeurs communes. Paradoxalement, les légitimistes critiquaient l’individualisme de la démocratie américaine. -Les Orléanistes, opposants libéraux au régime, étaient favorable à l’Union tout au long du conflit en tant qu’opposants à l’esclavage et en tant que courant favorable à la démocratie. -Les Républicains soutenaient aussi le Nord avec qui ils partageaient les valeurs libérales et l’idée de démocratie représentative. Cette guerre était donc l’occasion pour les opposants à l’Empire de s’opposer au régime et de réaffirmer l’attachement aux libertés confisquées et aux principes républicains. Si le régime plaidait en faveur de la neutralité, les Français ne se sont pas tous conformés aux décisions de l’Empereur et ont pris part au conflit pour différentes raisons, notamment politiques. II)Les Français en guerre Malgré la neutralité et les interdictions qui pesaient sur les Français, certains n’ont pas hésité à s’engager dans l’un des deux camps alors que d’autres ont été contraints par la force des choses à se combattre. Cette participation témoigne de l’influence française sur cette guerre malgré le petit nombre d’hommes engagés et constitue un moment important pour la communauté française d’Amérique. A-De nouveaux La Fayette : des Français traversent l’Atlantique Des volontaires français ont traversé l’Atlantique pour s’enrôler dans un des deux camps. Parmi eux on trouve de nombreux jeunes aristocrates français venus offrir leurs services aux deux armées qui avaient besoin d’officiers compétents, notamment au début du conflit. Les Français étaient alors renommés pour leur bonne tenue au combat à tel point que les deux camps cherchaient à obtenir les services des officiers français qui étaient particulièrement nombreux dans le corps des officiers… Différentes personnalités se sont distinguées lors de la guerre de Sécession que ce soit au Nord ou au Sud. Du côté nordiste on trouve les petits-fils de Louis-Philippe : le comte de Paris (Philippe d’Orléans) et le duc de Chartres (Robert d’Orléans) qui étaient des opposants au Second Empire et exilés en Angleterre. Ils ont servi pendant 9 mois dans l’état-major du général MacClellan. On trouve également leur oncle, le prince de Joinville [François d’Orléans) qui a servi en tant qu’observateur civil et conseiller militaire auprès du commandant de l’armée du Potomac. Le comte de Paris (à gauche de profil) et le duc de Chartres De droite à gauche sur les bouts de la table : le prince de Joinville et ses neveux le comte de Paris et le duc de Chartres en train de prendre à repas, Yorktown, mai 1862. Le prince de Joinville (à droite avec une casquette), le duc de Chartres (à gauche faisant face) et le comte de Paris (à gauche en arrière) jouent aux dominos avec des officiers nordistes, Yorktown, mai 1862. Autre personnalité notable, Régis de Keredern de Trobriand qui était le fils d’un légitimiste et qui émigra aux États-Unis où il devint journaliste avant de rejoindre le Nord et d’être élu colonel des Gardes La Fayette en 1861. Il se distingua lors de la campagne du Potomac jusqu’à commander une brigade lors de la bataille de Gettysburg et à être nommé général de division, grade que seul La Fayette avait atteint avant lui. Le général Régis de Keredern de Trobriand en uniforme de général de brigade On trouve également l’ex-lieutenant de cavalerie de l’armée française Alfred Duffié qui servit dans la cavalerie nordiste et se distingua lors de différentes batailles jusqu’à devenir lui aussi général de brigade. Alfred Duffié en uniforme de cavalier du 1st Rhode Island Cavalry, Bull Run, juillet 1862 Autre militaire de carrière, Gustave Cluseret, rayé des listes des officiers de la Légion d’Honneur pour ses opinions républicaines, s’exila aux États-Unis puis servit lors de l’expédition des Mille en Italie avant de prendre part à la guerre de Sécession entre 1862 et 1863. Il devint général de brigade avant de quitter l’armée américaine et de se rendre en Irlande en 1867 pour aider les Fenians. Il termina sa carrière en tant que général communard à Paris. Gustave Cluseret pris en photo durant la Guerre de Sécession dans son uniforme de brigadier nordiste. Il porte également la croix de la Légion d'Honneur et la médaille de Crimée. Du côté sudiste on trouve le prince Camille de Polignac, fils de l’ancien ministre de Charles X, qui s’illustra lui aussi dans la guerre. Il devint général de division et passa à la postérité pour être le « La Fayette du Sud ». Autre Français ayant servi le Sud : Victor Girardey. Il émigra de France avec sa famille en 1842. Au début de la guerre de Sécession il choisit le Sud et participa à de multiples batailles notamment Chancellorsville et Gettysburg. Il devint général de brigade avant de mourir en 1864 lors de la bataille de Petersburg. Le prince Camille de Polignac aussi surnommé le "La Fayette du Sud". L’engagement de ces officiers témoigne de l’implication des Français dans la guerre de Sécession même si la plupart des combattants sont restés anonymes. Victor Girardey. A peine nommé général il fut tué d’une balle dans la tête lors de la bataille de Petersburg le 16 août 1864. B-Les Français d’Amérique au combat : entre Ancien et Nouveau Monde A la veille de la guerre de Sécession, les French Born sont environ 100 000 à vivre aux États-Unis soit la cinquième minorité du pays c’est-à-dire la plus importante minorité après les immigrés allemands et anglo-saxons. Les Français n’ont pas été que des spectateurs passifs du conflit : ils en ont été les témoins, les acteurs et les victimes. La guerre de Sécession a été un événement fondateur pour les États-Unis et les Américains mais cette guerre a aussi été une expérience fondatrice pour la communauté française d’Amérique et son assimilation à la nation américaine. La population française n’était pas la mieux intégrée car elle était issue d’une immigration récente et ne disposait pas d’attaches solides dans le pays. Surtout, les Français d’Amérique cultivaient fièrement leur particularité et n’entendaient pas devenir Américains, mais retourner en France après avoir assuré leur fortune en Amérique. Malgré ce refus de l’américanisation, les Français d’Amérique se sont passionnés pour les événements et n’ont pas hésité à prendre parti sur les questions pendantes au conflit. Situation paradoxale pour une communauté qui refusait l’assimilation et semblait de ce fait indifférente aux affaires et au destin des États-Unis. Cependant, la colonie française était loin d’être homogène et la plupart des Français se préoccupaient avant tout de leurs affaires et leur réussite. Les faiblesses de la colonie française (immigration récente, dispersion, mauvaise organisation, divisions politiques…) l’ont entraîné dans le conflit. En effet, malgré la politique ambiguë de Napoléon III en faveur de la neutralité, les interdictions et la large diffusion des proclamations de neutralité, les Français d’Amérique n’ont pas gardé la stricte neutralité qu’exigeait l’Empereur soit en exprimant leurs opinions, soit en s’engageant dans une des deux armées. Dès avril 1861, les Français étaient nombreux à s’engager soit sous la pression populaire, par goût de l’aventure, pour la défense d’une cause idéologique qui leur tenait à cœur ou plus simplement pour échapper à la misère ou défendre leurs biens. Concernant le choix du camp, c’est principalement le lieu de résidence des Français et l’opinion des Américains qui les entouraient qui ont influencé leur choix (ambiance générale, défense du lieu de résidence, volonté de ne pas contrarier les populations alentours…). Comme d’autres groupes nationaux, les Français ont tenté de se regrouper dans des corps composés de Français afin d’exalter leur identité nationale et leur tradition militaires ce qui est notamment visible dans les uniformes inspirés de l’armée française (capote bleue, pantalon rouge garance, képi, pantalon de zouaves). Parmi les unités de volontaires français on trouve du côté nordiste le 55e régiment de New-York (aussi appelé « Gardes La Fayette »), le 53e régiment de NY (appelés « Zouaves d’Épineuil) et le bataillon des « Enfants Perdus ». A côté de ces troupes intégrées à l’armée, les Français se sont également regroupés dans les milices qui n’étaient en théorie pas destinées à combattre, mais chargées du service de garnison, du maintien de l’ordre et plus généralement de missions de police même si certaines milices ont pu être intégrées à des régiments de volontaires pour combattre, notamment du côté sudiste. Ces milices se sont principalement constituées dans les grandes villes et zones rurales dans le Nord et plus encore dans le Sud où les unités se concentraient à la NouvelleOrléans : la « Légion française », les « Volontaires français » et la « Garde française » sont les unités les mieux connues et qui se sont distinguées pendant la guerre. Toutes ces unités ont eu une existence éphémère car les Français s’engageaient isolément ou en petit groupe et les divisions politiques de la colonie française ont contribué à diviser ces unités militaires. Surtout, bien que commandées par des officiers français, ces unités ont été incapables de renouveler les rangs avec d’autres soldats français et ont été contraints d’américaniser la troupe pour se conformer aux effectifs réglementaires, faisant perdre par la même occasion l’identité originelle de ces formations nationales. Un soldat et un officier du 55e régiment de volontaires de New-York portant la capote bleue et le pantalon rouge garance dans la pure tradition française. Le soldat porte un pantalon marron en remplacement des pantalons rouges alors en trop petit nombre pour armer tous les hommes. Zouave du 53e régiment de New-York s'inspirant des uniformes des zouaves français alors très en vogue aux-États-Unis. Soldat du bataillon des "Enfants perdus". Le terme enfant perdu désigne le rôle théorique de ces troupes qui étaient chargées de faire office d’infanterie légère c’est-à-dire d’effectuer des missions de reconnaissance et de protection de l’armée. L’infanterie légère est également chargée de mener la « petite guerre » à ses adversaires en dehors des champs de bataille ainsi que d'agir en avant des lignes en tirailleur (dispersé) lors des batailles. Cet uniforme emprunte les lignes de la mode militaire européenne. Au total, ce sont entre 10 à 15 000 soldats français qui ont participé à la guerre de Sécession, nombre dérisoire comparé aux 3 millions d’hommes qui ont servi dans les deux armées entre 1861 et 1865 et très peu comparé à l’engagement allemand et irlandais qui ont respectivement fournis 200 000 et 175 000 soldats dans les deux camps pendant le conflit. Malgré tout, les Français ont influencé le conflit de diverses manières. Tout d’abord au début de la guerre, les deux armées en présence étaient pétries de l’influence militaire française que ce soit les programmes des écoles militaires, la stratégie, la tactique, les uniformes, les équipements et même les manuels d’instructions militaires. Outre cette influence initiale, il existait, au moins pendant la première année du conflit, un véritable engouement pour les Français (French craze) : les deux armées cherchaient les services des militaires français qui étaient alors réputés pour leur efficacité au combat. Cette popularité reposait sur différents critères, notamment la furia francese (autrement dit la propension quasi-inhérente aux Français à être plus efficaces avec des armes blanches qu’avec des armes à feu ainsi que leur inclination à partir à l’assaut avec impétuosité, conception héritée des Guerres d’Italie du XVIe siècle ; le courage et la discipline palliant les défaillances matérielles ou le manque d’entraînement), les récents succès des armées impériales (Crimée, Algérie, Indochine, Italie), l’expérience des vétérans français et les tenues chamarrées des régiments français qui faisaient grande impression auprès du public civil et militaire, notamment les zouaves dont le style a été copié par de nombreuses unités tant du côté de l’Union ou que de la Confédération. Malgré l’influence du modèle militaire français et les qualités prétendues des militaires français, les unités françaises se sont assez peu distinguées au combat si l’on excepte les faits d’armes individuels (ceux des officiers précédemment cités ou ceux de simples soldats restés anonymes) et la participation des milices françaises à la protection de la Nouvelle-Orléans menacée d’être détruite par des émeutiers avant la reddition de la ville aux nordistes en avrilmai 1862. Dans l’ensemble, les unités ainsi que les doctrines militaires en vigueur ont été rapidement confrontées à la réalité d’une nouvelle forme de guerre, rendant ces dernières peu efficaces sur le terrain. Camp du 55e régiment de NY près de Tenleytown. On voit le général Trobriand regarder dans les jumelles. Officiers du 55e régiment de New-York posant à Fort Gaines en 1861. Derrière le canon de marine se trouve le colonel Trobriand. Groupe de soldats du 55e régiment de NY à Fort Gaines en 1861. A noter la présence des zouaves présents dans le régiment. Drapeau de parade du 55e régiment des volontaires de New-York. Ce drapeau témoigne de la dimension nationale de ce corps de volontaires et la volonté d'afficher son appartenance à la France. La participation française a surtout été symbolique, s’inscrivant dans le sillage de La Fayette et des Français venus combattre avant eux aux côtés des Américains lors de la Guerre d’Indépendance (1776-1783). Le mythe de La Fayette, de ce « Héros des deux mondes » a constitué la base idéologique de l’engagement de nombre de Français lors de la guerre, même si certains ont été contraints à prendre parti. Même si la participation des Français a pu paraître anecdotique, la guerre de Sécession n’en a pas moins constitué un événement important pour les Français d’Amérique. Les Français d’Amérique n’ont pas échappé à ce conflit duquel ils croyaient être protégés en vertu de la neutralité française. Ainsi, les Français, aussi bien les civils que les militaires, ont partagé les mêmes souffrances et les mêmes inquiétudes que les Américains notamment dans le Sud avec l’augmentation des prix, l’appauvrissement et l’insécurité. La guerre s’est immiscée jusque dans la communauté française ce qui est notamment visible avec la conscription forcée des populations étrangères, dont les Français, dans les armées des deux camps à partir de 1862. Ce passage dans l’armée a conduit des hommes de diverses origines à partager les mêmes souffrances et a aussi contribué à lever les barrières entre les communautés en gommant les préjugés entre communautés. De plus, tous les soldats étrangers qui avaient servi dans les rangs de l’Union ont reçu la citoyenneté américaine et une allocation du gouvernement fédéral. Les combattants étrangers du Sud quant à eux bénéficièrent au même titre que les autres sudistes de l’aura et du respect dû aux soldats de la cause perdue, renforçant encore leur intégration. Ainsi, tous ces éléments ont conduit les Français sur la voie de l’assimilation en prenant conscience du destin commun qui les liait aux Américains et aux autres immigrés de leur pays d’adoption. Cette prise de conscience a également été accompagnée d’un détournement de regard de la part des Français d’Amérique. Ceux-ci ont parfois été confrontés au sentiment anti-français des Américains (du fait des projets de Napoléon III en Amérique) qui ont pu conduire à des vexations et déprédations. Surtout, les Français d’Amérique se sont sentis trahis par l’Empereur et la Patrie plus préoccupés du coton et de ses intérêts en Amérique que de la protection de ses concitoyens, particulièrement dans le Sud où l’immobilisme français et la défaite ajoutent à l’incompréhension et à la rancœur. La guerre a fait détourner le regard à ces Français d’Amérique qui étaient jusque-là réticents à se fondre dans le moule américain et à choisir la voie de l’assimilation. Photo du bataillon des "Enfant perdus". A noter la disparité des uniformes de ces hommes. Photo d'un soldat du 55e régiment de NewYork. C-Des répliques jusque sur le Vieux Continent Le Combat du Kearsarge et de l’Alabama, Édouard Manet, 1864. Il a immortalisé le combat naval de Cherbourg, bien qu'il n'ait pas assisté à la bataille. Les Français d’Amérique n’ont pas été les seuls à avoir assistés aux combats. Quelques Français ont pu assister à une bataille depuis les côtes normandes entre une corvette nordiste, l’USS Kearsarge, et une corvette sudiste, le CSS Alabama, navire corsaire depuis 1862. Le 11 juin 1864, le CSS Alabama attendait devant le port de Cherbourg afin d’effectuer des réparations en cale sèche. Cependant, le bateau fut bloqué quelques jours plus tard devant le port par la corvette nordiste informée de sa présence. Le commandant de l’Alabama proposa alors un duel au commandant adverse après avoir rempli ses cales en charbon. Le combat eut lieu le 19 juin 1864 au large de Cherbourg sous les yeux des autorités françaises et des curieux informés du combat. Après, une heure de canonnade, l’Alabama fut coulé et les occupants sauvés par les nordistes, des Anglais et des Français. Cet événement anecdotique inspira le peintre Édouard Manet qui immortalisa ce combat avec son tableau : Le Combat du Kearsarge et de l’Alabama. III)Désengagement et sortie de guerre A-Une victoire de plus en plus improbable de la Confédération : la France lâche le Sud Le « Plan Anaconda » lancé par Lincoln le 19 avril 1861, qui consistait en un blocus des côtes confédérées afin d’asphyxier son économie et ses forces vives, porta un coup dur aux intérêts français car la France, en plus de ne pas pouvoir exporter ses produits, ne recevait plus le coton de la Confédération. Le blocus provoqua une forte diminution des importations de coton mais la politique sudiste était aussi à l’origine de la pénurie puisqu’elle consistait à bloquer ses exportations afin de créer une « famine de coton » et amener les États neutres à intervenir contre l’Union pour rouvrir le commerce du coton, serait-ce par le biais d’une intervention militaire. Ainsi, les stocks de coton diminuèrent, le prix du coton augmenta fortement (il doubla en 1862 en France) si bien que les industries textiles durent diminuer, voire arrêter leur production conduisant un grand nombre d’ouvriers au chômage : 55% de chômeurs à Rouen et au Havre. De plus, l’augmentation des tarifs douaniers du Nord provoqua encore une baisse des exportations françaises et étendit la crise à d’autres secteurs comme la soierie lyonnaise, la rubanerie stéphanoise et la broderie lorraine qui dépendaient du marché américain. La proclamation d’émancipation des esclaves prononcée par Lincoln le 22 septembre 1862 affaiblit encore plus la cause du Sud qui se battait désormais ouvertement pour l’esclavage. La France était de moins en moins encline à soutenir la Confédération d’autant plus que la Grande-Bretagne, fermement opposée à l’esclavage, n’entendait plus aider le Sud esclavagiste. Cette situation conduisit Napoléon III à intervenir diplomatiquement afin de mettre fin à ce conflit qui nuisait gravement à ses intérêts. Il tenta d’abord d’atténuer le blocus, en vain, puis en novembre 1862 de convaincre l’Angleterre et la Russie d’établir Photgraphie 1863. d'Abraham Lincoln, un armistice de six mois basé sur la séparation en deux États (favorable au Sud) consacré à des négociations de paix. Ce projet échoua car le Nord voyait cet armistice comme un moyen pour les Français de s’emparer des riches terres à coton du Mexique. Il proposa une dernière médiation amicale en janvier-février 1863 qui fut de nouveau repoussée par les belligérants. A partir de 1863, la France arrêta d’intervenir diplomatiquement dans la guerre de Sécession et s’intéressa de moins en moins à la Confédération car elle remédia à sa « faim de coton » en diversifiant ses sources d’approvisionnement (Égypte, Indes britanniques et colonies françaises notamment l’Algérie). De plus, la France était plus préoccupée par les affaires européennes (conséquences de la campagne d’Italie, agissements de la Prusse…) et par son expédition au Mexique que par le Sud dont la victoire apparaissait de moins en moins probable. B-Désillusions impériales et françaises en Amérique Outre les échecs de la Confédération face à l’Union, les projets de Napoléon III en Amérique sont tour à tour déçus. La « grande pensée » du règne de Napoléon III, à savoir l’installation d’une monarchie au Mexique, s’enlisa dans le siège de Puebla et la lutte contre les forces juaristes soutenues par les Américains. L’expédition du Mexique avait surtout eu pour effet d’alimenter la méfiance de l’Union à l’égard des Français. Cette expédition était perçue par l’Union comme un moyen pour les Français de s’accaparer les riches terres en coton du Mexique. L’Empereur aurait aussi eu quelques espoirs au Texas, en Louisiane et en Floride au moment des premiers revers des Confédérés à l’été 1862 et des débuts prometteurs de l’expédition du Mexique. Les Français étaient intéressés depuis les années 1840 par les riches terres du Texas et il n’est pas exclu que Napoléon III se soit intéressé à ce territoire ainsi qu’à la Louisiane (anciennement française) et à la Floride. Ces territoires auraient entre autre permis de faire contrepoids à l’hégémonie anglo-saxonne en Amérique, d’éviter la domination du Golfe du Mexique par les Américains au profit de la France et auraient constitués de possibles débouchés pour le commerce français ainsi que de bons fournisseurs de matières premières. Ce projet semblait d’autant plus crédible que la Confédération sombrait lentement dans la défaite et que les Français étaient capables d’intervenir au Texas où la population semblait prête à les accueillir et favorable à la recréation de la République du Texas en tant qu’État indépendant. Cependant, l’enlisement de l’expédition du Mexique rendit ces projets chimériques. La crainte de voir l’influence française s’étendre en Amérique était partagée par les Américains, notamment Lincoln qui organisa quatre expéditions militaires en direction du Texas en 1863-1864 afin d’occuper le territoire et de faire barrage aux Français alors présents le long du Rio Grande aux côtés des Confédérés. Les échecs des Français au Mexique et la dégradation de la situation européenne mirent un terme aux craintes américaines qui envoyèrent tout de même des troupes occuper le Texas en 1865 pour garantir l’intégrité du territoire américain. Malgré les démentis français, les relations franco-américaines restèrent tendues jusqu’en 1867, date de l’échec final de l’Empire du Mexique. Tous ces échecs et la victoire finale de l’Union ont conduit l’Empereur à détourner le regard de l’Amérique et à se concentrer sur les affaires européennes qui devenaient de plus en plus préoccupantes : guerre des Duchés (au Danemark en 1864), guerre austro-prussienne (1866) qui voyaient la Prusse s’imposer peu à peu. C-Le regard intransigeant des militaires français sur le conflit La guerre de Sécession a impressionné les contemporains de par l’acharnement des combats, la taille des champs d’opération et l’ampleur des moyens déployés durant le conflit. L’amélioration des techniques et l’innovation ont aussi marqué les observateurs de l’époque, y compris les Français qui n’ont envoyé qu’une seule mission d’observation officielle de huit mois entre avril et décembre 1864. Les officiers envoyés en observation ont évoqué dans leurs rapports les progrès en matière d’artillerie et surtout les nouveautés du conflit et leurs éventuelles implications dans les futurs conflits, notamment en matière de transport, de communications et d’armement. Les militaires européens reconnaissent les caractères originaux de la guerre mais ils considèrent ce conflit comme une « guerre étrange ». Ils avaient tendance à juger sévèrement cette guerre qu’ils considéraient comme une guerre de volontaires indisciplinés et de coups de mains sans envergures sur des terrains non-conventionnels (bois). En bref, aux yeux des militaires européens cette guerre ne pouvait pas s’imposer dans le futur et ne préfigurait en rien les conflits à venir. Les militaires français étaient repliés sur leur ethnocentrisme militaire car les Américains s’inspiraient du modèle français tant pour la doctrine que pour l’organisation des armées. Surtout, les officiers français étaient sûrs de leur puissance et galvanisés par les récents succès de l’armée française sur différents fronts : Crimée, Italie, Algérie, Indochine et au Mexique qui en faisaient la meilleure armée de l’époque. Les préjugés sur la tradition militaire américaine, le poids écrasant des conceptions napoléoniennes et les succès de l’armée française ont nourri un certain conservatisme militaire qui a empêché toute réforme de l’institution sur les plans stratégiques, tactiques et en matière d’équipement. Les militaires français n’ont donc tiré aucune leçon tactique de la guerre de Sécession et ont plutôt cherché dans ce conflit une confirmation des principes déjà reconnus que des leçons pratiques sur les potentiels conflits à venir… En témoignent les charges des Français contre les Prussiens en 1870, c’est-à-dire l’importance accordée à l’offensive alors que la guerre de Sécession avait montré l’importance de la défensive, jugée en contradiction avec l’esprit de la furia francese. De plus, les conceptions militaires françaises voulaient que la force morale et la discipline soient supérieures, ou au moins suppléent, aux armées de masses et à la supériorité matérielle d’un adversaire. Le conservatisme militaire et les insuffisances d’un appareil militaire français vieillissant ont conduit à la lourde défaite de 1870 face à une armée prussienne initiée aux techniques de la guerre moderne. Cette date marque l’entrée de l’Europe dans l’ère de la guerre moderne. 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[en ligne] URL : https://www.univ-paris1.fr/autres-structures-derecherche/ipr/les-revues/bulletin/tous-les-bulletins/bulletin-n-28-minorites-et-relations- internationales/farid-ameur-au-nom-de-la-france-restons-unis-les-milices-francaises-de-lanouvelle-orleans-pendant-la-guerre-de-secession/ AMEUR Farid, Les Français dans la guerre de Sécession, Thèse de doctorat en Histoire contemporaine, université Paris I, 2010 [consultation du résumé de la thèse en ligne] URL : http://www.theses.fr/2010PA010557. AMEUR Farid, « Les Français dans la Guerre de Sécession », Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin, n°33, janvier 2011. [en ligne] URL : http://www.cairn.info/revue-bulletin-de-linstitut-pierre-renouvin1-2011-1-page-129.htm SAADE Jo, « La Guerre de Sécession vue par les journaux français », Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin, n° 39, janvier 2014. 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