La France et les Français face à la Guerre de...

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La France et les Français face à la Guerre de Sécession
Lorsqu’on parle de la guerre de Sécession, on pense rarement à regarder vers la France
et plus largement vers l’Europe ; comme si l’Amérique et l’Europe s’ignoraient et que ce
conflit n’avait concerné que les États-Unis. Il n’en est rien car les principales puissances
européennes se sont intéressées ou ont été touchées par ce conflit, voire en ont été les acteurs
en intervenant indirectement ou directement outre-Atlantique. C’est le cas de la France qui est
intervenue diplomatiquement à plusieurs reprises mais qui a aussi envoyé des troupes sur le
continent américain afin de mener à bien ses projets. Des Français ont également participé
directement à cette guerre en se battant pour l’un des deux camps en présence : l’Union ou la
Confédération.
Cette participation de la France et des Français à la guerre de Sécession ainsi que ses
multiples effets sur le Vieux-Continent méritent d’être mieux connus, d’autant plus que cette
période constitue un épisode complexe et mouvementé des relations franco-américaines,
longtemps resté méconnu malgré son importance à la fois pour la France et pour les ÉtatsUnis.
I)La France face à la guerre : une politique ambiguë
A-Une neutralité proclamée
Malgré le début de la guerre de Sécession suite au bombardement de fort Sumter le 12
avril 1861, il fallut attendre plusieurs mois avant que la France annonce sa position dans ce
conflit. Après s’être assuré de la sécession des États du Sud des États-Unis, Napoléon III
choisit de maintenir une « neutralité » vis-à-vis de la Confédération et de l’Union lors d’une
proclamation du 10 juin 1861. Cette politique de neutralité s’exprime par les
propres mots de l’Empereur rapportés par son cousin le Prince Napoléon :
« Si le Nord est victorieux, j’en serai heureux, mais si le Sud l’emporte, j’en
serai enchanté ».
Conformément à cette décision, l’Empereur rappela que selon l’article
21 du code Napoléon, tout Français qui s’enrôlerait dans une armée étrangère
ou une corporation militaire étrangère sans l’autorisation de l’Empereur
perdrait sa qualité de Français. Cette mesure dissuasive devait empêcher tout
Français ou ressortissant français de prendre part au conflit sous peine de
lourdes sanctions. Cette décision dissuada sans doute un certain nombre de
Français à s’engager dans le conflit et permit aux Français d’Amérique
d’éviter en partie un service contraignant dans les milices ou les armées
belligérantes, au moins pour un temps. Surtout Napoléon III réussit à
Napoléon III, Hippolyte
Flandrin 1863
préserver la neutralité française.
B-Des affinités avec le « roi coton » : une neutralité de façade
Bien qu’officiellement neutre, la France impériale ne cachait pas ses sympathies pour
le Sud si bien que la France (et la Grande-Bretagne) reconnut la Confédération comme un
véritable État belligérant ce qui permit à cette dernière de bénéficier de certains droits : entre
autres de contracter des emprunts auprès d’États neutres, d’acheter des armes et de posséder
une marine en haute mer ayant la faculté de saisir et fouiller des navires ennemis.
Différentes raisons ont conduit Napoléon III à soutenir le Sud :
-Géopolitiques tout d’abord : la guerre permit de mettre un coup d’arrêt à l’expansion des
États-Unis qui devenaient trop puissants aux yeux des puissances traditionnelles. Favoriser le
Sud apparaissait comme un moyen d’établir un équilibre en Amérique du Nord, continent
jusque-là dominé par les seuls États-Unis. La France voyait notamment d’un mauvais œil la
mainmise des États-Unis sur l’ensemble du continent et du Golfe du Mexique.
-Des raisons idéologiques pour une part. En effet, les États du Sud disaient se battre pour le
droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, principe cher à l’Empereur qui était intervenu en
Grèce, en Pologne, en Belgique, en Hongrie et en Italie pour ce même motif.
-Ce sont surtout des raisons économiques diverses qui ont poussé la France à soutenir le Sud.
D’une part, la France acceptait mal la concurrence économique des États-Unis et la guerre
tomba à point nommé pour affaiblir durablement la puissance économique américaine voire la
rééquilibrer avec la Confédération. D’autre part, la France favorisa le Sud car celui-ci
constituait un marché potentiel pour ses produits d’exportation dont les sudistes étaient
friands (cognac, vins de Bordeaux, soieries, dentelles, pendules comtoises, couteaux du
Jura…). Un marché d’autant plus intéressant que la Confédération était favorable au libreéchange et était prête à faire entrer les produits étrangers sans les taxer, à la différence du
Nord protectionniste qui n’avait cessé d’augmenter ses tarifs douaniers… Outre les produits
traditionnels d’exportation, la guerre offrait un débouché supplémentaire pour vendre armes,
munitions et navires. Surtout, la France était dépendante du coton de la Confédération pour
son industrie textile qui était un secteur économique de premier ordre et dont dépendaient
environ 700 000 personnes en France. Le Sud était alors le plus gros producteur de coton dans
la deuxième moitié du XIXe siècle mais aussi le plus gros fournisseur de coton en France. En
effet, 93% du coton utilisé dans l’industrie textile française du Nord, de l’Alsace et de la
Normandie venait du Sud des États-Unis. Ce coton à fibre courtes était alors particulièrement
prisé du fait de sa qualité supérieure. Le coton constituait une véritable arme diplomatique
s’incarnant dans l’expression King cotton (le coton est roi).
-De plus, la Confédération était prête à aider la France dans ses projets mexicains en échange
de son soutien et de sa reconnaissance diplomatique. Même sans le soutien du Sud, la France
profita de la guerre, de l’affaiblissement des États-Unis et de son incapacité à intervenir pour
contourner la doctrine Monroe (qui interdisait aux Européens d’intervenir dans les affaires du
continent américain ainsi que les celle des Américains dans les affaires européennes) et mener
à bien ses projets en Amérique.
Toutes ces raisons ont poussé Napoléon III, ses proches et la cour impériale à soutenir
le Sud bien qu’ils réprouvaient tous l’esclavage.
C-Une opinion publique divisée
Le conflit se répercuta en partie sur la scène politique française qui était largement
divisée sur la question. D’ailleurs le soutien à l’Union ou à la Confédération témoigne souvent
du degré d’adhésion ou de rejet du régime impérial (même s’il n’est pas exclusif) :
-La cour impériale, les proches de l’Empereur et les soutiens de l’Empire étaient plutôt
favorables au Sud conformément à la politique diplomatique de l’Empereur et considéraient
cette guerre comme l’échec de la démocratie et de la République fédérale américaine. On
trouve tout de même quelques bonapartistes libéraux favorables au Nord comme le propre
cousin de Napoléon III : le Prince Napoléon.
-Les légitimistes, pourtant opposants à l’Empire, étaient favorables au Sud avec qui ils
partageaient des valeurs communes. Paradoxalement, les légitimistes critiquaient
l’individualisme de la démocratie américaine.
-Les Orléanistes, opposants libéraux au régime, étaient favorable à l’Union tout au long du
conflit en tant qu’opposants à l’esclavage et en tant que courant favorable à la démocratie.
-Les Républicains soutenaient aussi le Nord avec qui ils partageaient les valeurs libérales et
l’idée de démocratie représentative.
Cette guerre était donc l’occasion pour les opposants à l’Empire de s’opposer au régime et de
réaffirmer l’attachement aux libertés confisquées et aux principes républicains.
Si le régime plaidait en faveur de la neutralité, les Français ne se sont pas tous conformés aux
décisions de l’Empereur et ont pris part au conflit pour différentes raisons, notamment
politiques.
II)Les Français en guerre
Malgré la neutralité et les interdictions qui pesaient sur les Français, certains n’ont pas
hésité à s’engager dans l’un des deux camps alors que d’autres ont été contraints par la force
des choses à se combattre. Cette participation témoigne de l’influence française sur cette
guerre malgré le petit nombre d’hommes engagés et constitue un moment important pour la
communauté française d’Amérique.
A-De nouveaux La Fayette : des Français traversent l’Atlantique
Des volontaires français ont traversé l’Atlantique pour s’enrôler dans un des deux
camps. Parmi eux on trouve de nombreux jeunes aristocrates français venus offrir leurs
services aux deux armées qui avaient besoin d’officiers compétents, notamment au début du
conflit. Les Français étaient alors renommés pour leur bonne tenue au combat à tel point que
les deux camps cherchaient à obtenir les services des officiers français qui étaient
particulièrement nombreux dans le corps des officiers…
Différentes personnalités se sont distinguées lors de la guerre de
Sécession que ce soit au Nord ou au Sud. Du côté nordiste on trouve les
petits-fils de Louis-Philippe : le comte de Paris (Philippe d’Orléans) et le duc
de Chartres (Robert d’Orléans) qui étaient des opposants au Second Empire
et exilés en Angleterre. Ils ont servi pendant 9 mois dans l’état-major du
général MacClellan. On trouve également leur oncle, le prince de Joinville
[François d’Orléans) qui a servi en tant qu’observateur civil et conseiller
militaire auprès du commandant de l’armée du Potomac.
Le comte de Paris (à gauche de
profil) et le duc de Chartres
De droite à gauche sur les bouts de la table : le prince
de Joinville et ses neveux le comte de Paris et le duc de
Chartres en train de prendre à repas, Yorktown, mai
1862.
Le prince de Joinville (à droite avec une casquette), le
duc de Chartres (à gauche faisant face) et le comte de
Paris (à gauche en arrière) jouent aux dominos avec des
officiers nordistes, Yorktown, mai 1862.
Autre personnalité notable, Régis de Keredern de Trobriand qui était
le fils d’un légitimiste et qui émigra aux États-Unis où il devint journaliste
avant de rejoindre le Nord et d’être élu colonel des Gardes La Fayette en
1861. Il se distingua lors de la campagne du Potomac jusqu’à commander
une brigade lors de la bataille de Gettysburg et à être nommé général de
division, grade que seul La Fayette avait atteint avant lui.
Le général Régis de Keredern
de Trobriand en uniforme de
général de brigade
On trouve également l’ex-lieutenant de
cavalerie de l’armée française Alfred Duffié qui servit
dans la cavalerie nordiste et se distingua lors de
différentes batailles jusqu’à devenir lui aussi général de
brigade.
Alfred Duffié en uniforme de cavalier du
1st Rhode Island Cavalry, Bull Run,
juillet 1862
Autre militaire de carrière, Gustave Cluseret, rayé des listes des
officiers de la Légion d’Honneur pour ses opinions républicaines, s’exila aux
États-Unis puis servit lors de l’expédition des Mille en Italie avant de prendre
part à la guerre de Sécession entre 1862 et 1863. Il devint général de brigade
avant de quitter l’armée américaine et de se rendre en Irlande en 1867 pour
aider les Fenians. Il termina sa carrière en tant que général communard à
Paris.
Gustave Cluseret pris en
photo durant la Guerre de
Sécession dans son uniforme
de brigadier nordiste. Il porte
également la croix de la
Légion d'Honneur et la
médaille de Crimée.
Du côté sudiste on trouve le prince Camille de Polignac,
fils de l’ancien ministre de Charles X, qui s’illustra lui aussi dans
la guerre. Il devint général de division et passa à la postérité pour
être le « La Fayette du Sud ».
Autre Français ayant servi le Sud : Victor Girardey. Il
émigra de France avec sa famille en 1842. Au début de la guerre
de Sécession il choisit le Sud et participa à de multiples batailles
notamment Chancellorsville et Gettysburg. Il devint général de
brigade avant de mourir en 1864 lors de la bataille de Petersburg.
Le prince Camille de Polignac
aussi surnommé le "La Fayette
du Sud".
L’engagement de ces officiers témoigne de l’implication
des Français dans la guerre de Sécession même si la plupart des
combattants sont restés anonymes.
Victor Girardey. A
peine nommé général il
fut tué d’une balle dans
la tête lors de la bataille
de Petersburg le 16
août 1864.
B-Les Français d’Amérique au combat : entre Ancien et Nouveau Monde
A la veille de la guerre de Sécession, les French Born sont environ 100 000 à vivre
aux États-Unis soit la cinquième minorité du pays c’est-à-dire la plus importante minorité
après les immigrés allemands et anglo-saxons. Les Français n’ont pas été que des spectateurs
passifs du conflit : ils en ont été les témoins, les acteurs et les victimes.
La guerre de Sécession a été un événement fondateur pour les États-Unis et les
Américains mais cette guerre a aussi été une expérience fondatrice pour la communauté
française d’Amérique et son assimilation à la nation américaine. La population française
n’était pas la mieux intégrée car elle était issue d’une immigration récente et ne disposait pas
d’attaches solides dans le pays. Surtout, les Français d’Amérique cultivaient fièrement leur
particularité et n’entendaient pas devenir Américains, mais retourner en France après avoir
assuré leur fortune en Amérique. Malgré ce refus de l’américanisation, les Français
d’Amérique se sont passionnés pour les événements et n’ont pas hésité à prendre parti sur les
questions pendantes au conflit. Situation paradoxale pour une communauté qui refusait
l’assimilation et semblait de ce fait indifférente aux affaires et au destin des États-Unis.
Cependant, la colonie française était loin d’être homogène et la plupart des Français se
préoccupaient avant tout de leurs affaires et leur réussite. Les faiblesses de la colonie
française (immigration récente, dispersion, mauvaise organisation, divisions politiques…)
l’ont entraîné dans le conflit.
En effet, malgré la politique ambiguë de Napoléon III en faveur de la neutralité, les
interdictions et la large diffusion des proclamations de neutralité, les Français d’Amérique
n’ont pas gardé la stricte neutralité qu’exigeait l’Empereur soit en exprimant leurs opinions,
soit en s’engageant dans une des deux armées. Dès avril 1861, les Français étaient nombreux
à s’engager soit sous la pression populaire, par goût de l’aventure, pour la défense d’une cause
idéologique qui leur tenait à cœur ou plus simplement pour échapper à la misère ou défendre
leurs biens. Concernant le choix du camp, c’est principalement le lieu de résidence des
Français et l’opinion des Américains qui les entouraient qui ont influencé leur choix
(ambiance générale, défense du lieu de résidence, volonté de ne pas contrarier les populations
alentours…).
Comme d’autres groupes nationaux, les Français ont tenté de se regrouper dans des
corps composés de Français afin d’exalter leur identité nationale et leur tradition militaires ce
qui est notamment visible dans les uniformes inspirés de l’armée française (capote bleue,
pantalon rouge garance, képi, pantalon de zouaves). Parmi les unités de volontaires français
on trouve du côté nordiste le 55e régiment de New-York (aussi appelé « Gardes La Fayette »),
le 53e régiment de NY (appelés « Zouaves d’Épineuil) et le bataillon des « Enfants Perdus ».
A côté de ces troupes intégrées à l’armée, les Français se sont également regroupés dans les
milices qui n’étaient en théorie pas destinées à combattre, mais chargées du service de
garnison, du maintien de l’ordre et plus généralement de missions de police même si certaines
milices ont pu être intégrées à des régiments de volontaires pour combattre, notamment du
côté sudiste. Ces milices se sont principalement constituées dans les grandes villes et zones
rurales dans le Nord et plus encore dans le Sud où les unités se concentraient à la NouvelleOrléans : la « Légion française », les « Volontaires français » et la « Garde française » sont les
unités les mieux connues et qui se sont distinguées pendant la guerre. Toutes ces unités ont eu
une existence éphémère car les Français s’engageaient isolément ou en petit groupe et les
divisions politiques de la colonie française ont contribué à diviser ces unités militaires.
Surtout, bien que commandées par des officiers français, ces unités ont été incapables de
renouveler les rangs avec d’autres soldats français et ont été contraints d’américaniser la
troupe pour se conformer aux effectifs réglementaires, faisant perdre par la même occasion
l’identité originelle de ces formations nationales.
Un soldat et un officier du 55e régiment de
volontaires de New-York portant la capote
bleue et le pantalon rouge garance dans la
pure tradition française. Le soldat porte un
pantalon marron en remplacement des
pantalons rouges alors en trop petit nombre
pour armer tous les hommes.
Zouave du 53e régiment de New-York
s'inspirant des uniformes des zouaves français
alors très en vogue aux-États-Unis.
Soldat du bataillon des "Enfants perdus". Le
terme enfant perdu désigne le rôle théorique
de ces troupes qui étaient chargées de faire
office
d’infanterie
légère
c’est-à-dire
d’effectuer des missions de reconnaissance et
de protection de l’armée. L’infanterie légère
est également chargée de mener la « petite
guerre » à ses adversaires en dehors des
champs de bataille ainsi que d'agir en avant
des lignes en tirailleur (dispersé) lors des
batailles. Cet uniforme emprunte les lignes de
la mode militaire européenne.
Au total, ce sont entre 10 à 15 000 soldats français qui ont participé à la guerre de
Sécession, nombre dérisoire comparé aux 3 millions d’hommes qui ont servi dans les deux
armées entre 1861 et 1865 et très peu comparé à l’engagement allemand et irlandais qui ont
respectivement fournis 200 000 et 175 000 soldats dans les deux camps pendant le conflit.
Malgré tout, les Français ont influencé le conflit de diverses manières. Tout d’abord au début
de la guerre, les deux armées en présence étaient pétries de l’influence militaire française que
ce soit les programmes des écoles militaires, la stratégie, la tactique, les uniformes, les
équipements et même les manuels d’instructions militaires. Outre cette influence initiale, il
existait, au moins pendant la première année du conflit, un véritable engouement pour les
Français (French craze) : les deux armées cherchaient les services des militaires français qui
étaient alors réputés pour leur efficacité au combat. Cette popularité reposait sur différents
critères, notamment la furia francese (autrement dit la propension quasi-inhérente aux
Français à être plus efficaces avec des armes blanches qu’avec des armes à feu ainsi que leur
inclination à partir à l’assaut avec impétuosité, conception héritée des Guerres d’Italie du
XVIe siècle ; le courage et la discipline palliant les défaillances matérielles ou le manque
d’entraînement), les récents succès des armées impériales (Crimée, Algérie, Indochine, Italie),
l’expérience des vétérans français et les tenues chamarrées des régiments français qui
faisaient grande impression auprès du public civil et militaire, notamment les zouaves dont le
style a été copié par de nombreuses unités tant du côté de l’Union ou que de la Confédération.
Malgré l’influence du modèle militaire français et les qualités prétendues des militaires
français, les unités françaises se sont assez peu distinguées au combat si l’on excepte les faits
d’armes individuels (ceux des officiers précédemment cités ou ceux de simples soldats restés
anonymes) et la participation des milices françaises à la protection de la Nouvelle-Orléans
menacée d’être détruite par des émeutiers avant la reddition de la ville aux nordistes en avrilmai 1862. Dans l’ensemble, les unités ainsi que les doctrines militaires en vigueur ont été
rapidement confrontées à la réalité d’une nouvelle forme de guerre, rendant ces dernières peu
efficaces sur le terrain.
Camp du 55e régiment de NY près de Tenleytown. On voit
le général Trobriand regarder dans les jumelles.
Officiers du 55e régiment de New-York posant à Fort Gaines en 1861. Derrière le
canon de marine se trouve le colonel Trobriand.
Groupe de soldats du 55e régiment de NY à Fort Gaines en 1861. A noter la présence
des zouaves présents dans le régiment.
Drapeau de parade du 55e régiment des volontaires de
New-York. Ce drapeau témoigne de la dimension
nationale de ce corps de volontaires et la volonté
d'afficher son appartenance à la France.
La participation française a surtout été symbolique, s’inscrivant dans le sillage de La
Fayette et des Français venus combattre avant eux aux côtés des Américains lors de la Guerre
d’Indépendance (1776-1783). Le mythe de La Fayette, de ce « Héros des deux mondes » a
constitué la base idéologique de l’engagement de nombre de Français lors de la guerre, même
si certains ont été contraints à prendre parti.
Même si la participation des Français a pu paraître anecdotique, la guerre de Sécession
n’en a pas moins constitué un événement important pour les Français d’Amérique. Les
Français d’Amérique n’ont pas échappé à ce conflit duquel ils croyaient être protégés en vertu
de la neutralité française. Ainsi, les Français, aussi bien les civils que les militaires, ont
partagé les mêmes souffrances et les mêmes inquiétudes que les Américains notamment dans
le Sud avec l’augmentation des prix, l’appauvrissement et l’insécurité. La guerre s’est
immiscée jusque dans la communauté française ce qui est notamment visible avec la
conscription forcée des populations étrangères, dont les Français, dans les armées des deux
camps à partir de 1862. Ce passage dans l’armée a conduit des hommes de diverses origines à
partager les mêmes souffrances et a aussi contribué à lever les barrières entre les
communautés en gommant les préjugés entre communautés. De plus, tous les soldats
étrangers qui avaient servi dans les rangs de l’Union ont reçu la citoyenneté américaine et une
allocation du gouvernement fédéral. Les combattants étrangers du Sud quant à eux
bénéficièrent au même titre que les autres sudistes de l’aura et du respect dû aux soldats de la
cause perdue, renforçant encore leur intégration. Ainsi, tous ces éléments ont conduit les
Français sur la voie de l’assimilation en prenant conscience du destin commun qui les liait aux
Américains et aux autres immigrés de leur pays d’adoption. Cette prise de conscience a
également été accompagnée d’un détournement de regard de la part des Français d’Amérique.
Ceux-ci ont parfois été confrontés au sentiment anti-français des Américains (du fait des
projets de Napoléon III en Amérique) qui ont pu conduire à des vexations et déprédations.
Surtout, les Français d’Amérique se sont sentis trahis par l’Empereur et la Patrie plus
préoccupés du coton et de ses intérêts en Amérique que de la protection de ses concitoyens,
particulièrement dans le Sud où l’immobilisme français et la défaite ajoutent à
l’incompréhension et à la rancœur.
La guerre a fait détourner le regard à ces Français d’Amérique qui étaient jusque-là
réticents à se fondre dans le moule américain et à choisir la voie de l’assimilation.
Photo du bataillon des "Enfant perdus". A noter la disparité des uniformes de ces hommes.
Photo d'un soldat du 55e régiment de NewYork.
C-Des répliques jusque sur le Vieux Continent
Le Combat du Kearsarge et de l’Alabama, Édouard
Manet, 1864. Il a immortalisé le combat naval de
Cherbourg, bien qu'il n'ait pas assisté à la bataille.
Les Français d’Amérique n’ont pas été les seuls à
avoir assistés aux combats. Quelques Français ont pu
assister à une bataille depuis les côtes normandes entre
une corvette nordiste, l’USS Kearsarge, et une corvette
sudiste, le CSS Alabama, navire corsaire depuis 1862. Le
11 juin 1864, le CSS Alabama attendait devant le port de
Cherbourg afin d’effectuer des réparations en cale sèche.
Cependant, le bateau fut bloqué quelques jours plus tard
devant le port par la corvette nordiste informée de sa
présence. Le commandant de l’Alabama proposa alors un
duel au commandant adverse après avoir rempli ses cales
en charbon. Le combat eut lieu le 19 juin 1864 au large de
Cherbourg sous les yeux des autorités françaises et des
curieux informés du combat. Après, une heure de
canonnade, l’Alabama fut coulé et les occupants sauvés
par les nordistes, des Anglais et des Français. Cet
événement anecdotique inspira le peintre Édouard Manet
qui immortalisa ce combat avec son tableau : Le Combat
du Kearsarge et de l’Alabama.
III)Désengagement et sortie de guerre
A-Une victoire de plus en plus improbable de la Confédération : la France lâche le Sud
Le « Plan Anaconda » lancé par Lincoln le 19 avril 1861, qui consistait en un blocus
des côtes confédérées afin d’asphyxier son économie et ses forces vives, porta un coup dur
aux intérêts français car la France, en plus de ne pas pouvoir exporter ses produits, ne recevait
plus le coton de la Confédération. Le blocus provoqua une forte diminution des importations
de coton mais la politique sudiste était aussi à l’origine de la pénurie puisqu’elle consistait à
bloquer ses exportations afin de créer une « famine de coton » et amener les États neutres à
intervenir contre l’Union pour rouvrir le commerce du coton, serait-ce par le biais d’une
intervention militaire. Ainsi, les stocks de coton diminuèrent, le prix du coton augmenta
fortement (il doubla en 1862 en France) si bien que les industries textiles durent diminuer,
voire arrêter leur production conduisant un grand nombre d’ouvriers au chômage : 55% de
chômeurs à Rouen et au Havre. De plus, l’augmentation des tarifs
douaniers du Nord provoqua encore une baisse des exportations
françaises et étendit la crise à d’autres secteurs comme la soierie
lyonnaise, la rubanerie stéphanoise et la broderie lorraine qui
dépendaient du marché américain.
La proclamation d’émancipation des esclaves prononcée par
Lincoln le 22 septembre 1862 affaiblit encore plus la cause du Sud qui
se battait désormais ouvertement pour l’esclavage. La France était de
moins en moins encline à soutenir la Confédération d’autant plus que la
Grande-Bretagne, fermement opposée à l’esclavage, n’entendait plus
aider le Sud esclavagiste. Cette situation conduisit Napoléon III à
intervenir diplomatiquement afin de mettre fin à ce conflit qui nuisait
gravement à ses intérêts. Il tenta d’abord d’atténuer le blocus, en vain,
puis en novembre 1862 de convaincre l’Angleterre et la Russie d’établir
Photgraphie
1863.
d'Abraham
Lincoln,
un armistice de six mois basé sur la séparation en deux États (favorable au Sud) consacré à
des négociations de paix. Ce projet échoua car le Nord voyait cet armistice comme un moyen
pour les Français de s’emparer des riches terres à coton du Mexique. Il proposa une dernière
médiation amicale en janvier-février 1863 qui fut de nouveau repoussée par les belligérants.
A partir de 1863, la France arrêta d’intervenir diplomatiquement dans la guerre de
Sécession et s’intéressa de moins en moins à la Confédération car elle remédia à sa « faim de
coton » en diversifiant ses sources d’approvisionnement (Égypte, Indes britanniques et
colonies françaises notamment l’Algérie). De plus, la France était plus préoccupée par les
affaires européennes (conséquences de la campagne d’Italie, agissements de la Prusse…) et
par son expédition au Mexique que par le Sud dont la victoire apparaissait de moins en moins
probable.
B-Désillusions impériales et françaises en Amérique
Outre les échecs de la Confédération face à l’Union, les projets de Napoléon III en
Amérique sont tour à tour déçus. La « grande pensée » du règne de Napoléon III, à savoir
l’installation d’une monarchie au Mexique, s’enlisa dans le siège de Puebla et la lutte contre
les forces juaristes soutenues par les Américains. L’expédition du Mexique avait surtout eu
pour effet d’alimenter la méfiance de l’Union à l’égard des Français. Cette expédition était
perçue par l’Union comme un moyen pour les Français de s’accaparer les riches terres en
coton du Mexique.
L’Empereur aurait aussi eu quelques espoirs au Texas, en Louisiane et en Floride au
moment des premiers revers des Confédérés à l’été 1862 et des débuts prometteurs de
l’expédition du Mexique. Les Français étaient intéressés depuis les années 1840 par les riches
terres du Texas et il n’est pas exclu que Napoléon III se soit intéressé à ce territoire ainsi qu’à
la Louisiane (anciennement française) et à la Floride. Ces territoires auraient entre autre
permis de faire contrepoids à l’hégémonie anglo-saxonne en Amérique, d’éviter la domination
du Golfe du Mexique par les Américains au profit de la France et auraient constitués de
possibles débouchés pour le commerce français ainsi que de bons fournisseurs de matières
premières. Ce projet semblait d’autant plus crédible que la Confédération sombrait lentement
dans la défaite et que les Français étaient capables d’intervenir au Texas où la population
semblait prête à les accueillir et favorable à la recréation de la République du Texas en tant
qu’État indépendant. Cependant, l’enlisement de l’expédition du Mexique rendit ces projets
chimériques.
La crainte de voir l’influence française s’étendre en Amérique était partagée par les
Américains, notamment Lincoln qui organisa quatre expéditions militaires en direction du
Texas en 1863-1864 afin d’occuper le territoire et de faire barrage aux Français alors présents
le long du Rio Grande aux côtés des Confédérés. Les échecs des Français au Mexique et la
dégradation de la situation européenne mirent un terme aux craintes américaines qui
envoyèrent tout de même des troupes occuper le Texas en 1865 pour garantir l’intégrité du
territoire américain. Malgré les démentis français, les relations franco-américaines restèrent
tendues jusqu’en 1867, date de l’échec final de l’Empire du Mexique.
Tous ces échecs et la victoire finale de l’Union ont conduit l’Empereur à détourner le
regard de l’Amérique et à se concentrer sur les affaires européennes qui devenaient de plus en
plus préoccupantes : guerre des Duchés (au Danemark en 1864), guerre austro-prussienne
(1866) qui voyaient la Prusse s’imposer peu à peu.
C-Le regard intransigeant des militaires français sur le conflit
La guerre de Sécession a impressionné les contemporains de par l’acharnement des
combats, la taille des champs d’opération et l’ampleur des moyens déployés durant le conflit.
L’amélioration des techniques et l’innovation ont aussi marqué les observateurs de l’époque,
y compris les Français qui n’ont envoyé qu’une seule mission d’observation officielle de huit
mois entre avril et décembre 1864. Les officiers envoyés en observation ont évoqué dans leurs
rapports les progrès en matière d’artillerie et surtout les nouveautés du conflit et leurs
éventuelles implications dans les futurs conflits, notamment en matière de transport, de
communications et d’armement.
Les militaires européens reconnaissent les caractères originaux de la guerre mais ils
considèrent ce conflit comme une « guerre étrange ». Ils avaient tendance à juger sévèrement
cette guerre qu’ils considéraient comme une guerre de volontaires indisciplinés et de coups de
mains sans envergures sur des terrains non-conventionnels (bois). En bref, aux yeux des
militaires européens cette guerre ne pouvait pas s’imposer dans le futur et ne préfigurait en
rien les conflits à venir. Les militaires français étaient repliés sur leur ethnocentrisme militaire
car les Américains s’inspiraient du modèle français tant pour la doctrine que pour
l’organisation des armées. Surtout, les officiers français étaient sûrs de leur puissance et
galvanisés par les récents succès de l’armée française sur différents fronts : Crimée, Italie,
Algérie, Indochine et au Mexique qui en faisaient la meilleure armée de l’époque. Les
préjugés sur la tradition militaire américaine, le poids écrasant des conceptions
napoléoniennes et les succès de l’armée française ont nourri un certain conservatisme
militaire qui a empêché toute réforme de l’institution sur les plans stratégiques, tactiques et en
matière d’équipement. Les militaires français n’ont donc tiré aucune leçon tactique de la
guerre de Sécession et ont plutôt cherché dans ce conflit une confirmation des principes déjà
reconnus que des leçons pratiques sur les potentiels conflits à venir… En témoignent les
charges des Français contre les Prussiens en 1870, c’est-à-dire l’importance accordée à
l’offensive alors que la guerre de Sécession avait montré l’importance de la défensive, jugée
en contradiction avec l’esprit de la furia francese. De plus, les conceptions militaires
françaises voulaient que la force morale et la discipline soient supérieures, ou au moins
suppléent, aux armées de masses et à la supériorité matérielle d’un adversaire. Le
conservatisme militaire et les insuffisances d’un appareil militaire français vieillissant ont
conduit à la lourde défaite de 1870 face à une armée prussienne initiée aux techniques de la
guerre moderne. Cette date marque l’entrée de l’Europe dans l’ère de la guerre moderne.
Bibliographie :
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