Conséquence des changements climatiques sur les oiseaux
et les mammifères marins
Les déplacements à grandes distances des oiseaux et mammifères marins ainsi que
leur situation en fin de chaîne alimentaire laisse supposer que ces animaux intègrent
potentiellement les modifications physiques et trophiques de l’océan. Ces dernières
décennies ce potentiel bio-indicateur s’est vérifié dans plusieurs écosystèmes marins
sur de larges échelles spatio-temporelles en rapport avec les changements
climatiques influençant de façon passagère ou durable l’environnement océanique.
Les conséquences des changements climatiques sur les écosystèmes marins et les
communautés animales qui en dépendent restent une interrogation majeure, malgré un effort
de recherche croissant sur le plan international. Cet enjeu concerne particulièrement l'océan
Austral. Plus vaste océan du globe, celui ci abrite des biomasses animales parmi les plus
importantes existantes, encore peu exploitées (krill, poissons pélagiques, céphalopodes).
Des populations considérables d'oiseaux marins (manchots, pétrels, albatros) se nourrissent
à leurs dépens, totalisant au minimum 190 millions d'individus reproducteurs et consommant
annuellement quelque 56 millions de tonnes de ressources marines.
L'environnement océanique physique dans lequel évoluent les oiseaux et mammifères
marins a présenté des fluctuations considérables au cours des précédents millénaires. Les
études démographiques à long terme et les suivis de leur écologie en mer montrent que les
oiseaux réagissent directement aux anomalies climatiques. Ces réactions diffèrent selon les
espèces et l'échelle spatio-temporelle considérée. Deux grands types de changements non
exclusifs des populations de prédateurs de l’océan Austral en réponse aux changements
climatiques existent : 1) variations cycliques liées à des anomalies climatiques ou une
anomalie à long terme, et 2) changement de l’aire de distribution des espèces. Au vu de la
rapidité des changements observés dans certaines régions de l'océan Austral, et tout
spécialement la Péninsule Antarctique, certaines populations semblent incapables de
s'adapter. On peut malheureusement craindre que cette tendance concerne la majorité
des manchots, pétrels et albatros, du fait de leur alimentation relativement
spécialisée.
Par ailleurs la chasse baleinière, hier, et le développement rapide de pêcheries, aujourd’hui,
induisent aussi une importante mortalité d’oiseaux marins et modifient le fonctionnement des
écosystèmes.
Les oiseaux et mammifères marins constituent ainsi des modèles uniques pour l’étude des
conséquences biologiques des changements climatiques et les changements d’usage sur
les écosystèmes marins, grâce à la valeur inestimable des suivis démographiques à long
terme combinés aux études télémétriques.
Impact des anomalies thermiques dans l'océan Austral
Parmi les études démographiques à long terme les plus complètes sur les prédateurs
marins, celles de l'océan Austral proviennent des Terres Australes et Antarctiques
Françaises, où des suivis de populations permanents existent depuis parfois plus de 50 ans
(Terre Adélie) grâce au soutien de l’Institut polaire français, Paul Emile Victor. Dans le sud
de l'océan Indien, ces études concernent des îles sub-antarctiques (Crozet-Kerguelen-
Amsterdam), où les différentes communautés de pétrels, albatros et manchots se
répartissent selon un gradient de conditions hydrologiques très contrastées.
Les études démographiques réalisées dans ces localités sont basées sur des
dénombrements des populations, les contrôles par baguage dans les colonies d'étude et le
suivi de la réussite de la reproduction à l'échelle des couples individualisés. Ces suivis
démographiques ont permis d'établir que la reproduction de ces prédateurs supérieurs était
affectée sur le long terme par les perturbations climatiques mais que les réponses différaient
selon les espèces. Tous les 4-5 ans, soit à des intervalles plus ou moins réguliers, des
vagues d’anomalies thermiques (le réchauffement de la surface de la mer et le changement
de l’étendue de la glace de mer) liées au phénomène El Niño, traversent cette région de
l’océan Austral (Onde Circumpolaire Antarctique, OCA). Pour les espèces exploitant les
eaux antarctiques localisées au sud du Front Polaire, l’apparition de températures de surface
anormalement chaudes se traduit par une mauvaise reproduction.
Sur le long terme, on peut penser que le réchauffement global va entraîner une
augmentation de la fréquence ou de l’intensité des événements chauds dans l’océan
Austral, qui aurait des effets très contrastés sur la communauté des prédateurs
supérieurs. Ainsi certaines espèces seront favorisées et pourraient voir leurs effectifs
augmenter, alors que d’autres tendraient à disparaître des îles sub-antarctiques.
Manchots et glace de mer
L'étude des écosystèmes polaires a décelé dans ces régions des signaux parmi les plus forts
du changement climatique, avec en particulier une augmentation très sensible de la
température et une fonte des calottes glaciaires et de la banquise.
En Antarctique, les effets du changement climatique à long terme ont concerné tout
particulièrement trois espèces : le manchot empereur, le manchot Adélie et le pétrel des
neiges. Ces espèces présentent une particularité commune : elles sont étroitement
dépendantes de la glace de mer pour leur alimentation. En effet la réproduction du krill,
l’élément clé de l’écosystème antarctique, dépend de l’étendue de la glace de mer : plus
celle-ci est réduite moins il y a de krill disponible pour les prédateurs.
© CNRS – V.Bretagnolle
La population de manchots empereurs de
Pointe Géologie, en Terre Adélie, est la seule
pour laquelle on dispose de données
démographiques à très long terme (près de 50
ans). Dans les années 70, la colonie a perdu
brutalement 50 % de ses effectifs et est restée
stable depuis, sans signe d'augmentation. En
fait, dans les années 1970, un épisode
anormalement chaud et durable est intervenu,
associé à une faible étendue de la glace de mer.
Ces anomalies prolongées ont alors provoqué
une baisse de la survie, qui a elle-même entraîné la chute de la population de manchots
empereurs de Terre Adélie. Si la population ne s’est pas reconstituée depuis, ses effectifs
fluctuent avec une périodicité de 4-5 ans, c’est-à-dire celle de l’Onde Antarctique
Circumpolaire. Ces anomalies, qui se propagent sur tout le pourtour du continent
antarctique, résultent de l'effet El Niño à grande échelle. Elles concernent la température de
l'eau, l'étendue de la banquise et la hauteur du niveau de la mer. L’utilisation de modèles
démographiques montre que la fluctuation cyclique de la population est le résultat de la
chute cyclique tous les 4-5 ans de la survie des manchots empereurs adultes lors de l’arrivée
d’eaux chaudes et de la rétraction consécutive de l’étendue de la glace de mer.
Cet exemple démontre que des anomalies climatiques prolongées peuvent affecter
directement la survie adulte d’un oiseau marin et, en conséquence, ses populations.
Ces exemples montrent que les communautés de prédateurs, placés au sommet des
réseaux trophiques, changent continuellement en réponse aux modifications à court et à long
terme du climat et de l’environnement marin.
Ce type d’approche interdisciplinaire est novateur dans la mesure où il met en relation des
équipes d’océanographes, de biologistes marins et d’écologistes pour confronter des séries
de données environnementales, physiques et biologiques, aux séries démographiques
provenant des suivis à long terme des populations de prédateurs marins supérieurs.
Intérêt des nouvelles approches télémétriques
Si les populations d’oiseaux marins fluctuent, c’est en particulier parce que les individus
éprouvent plus de difficulté à trouver de la nourriture, soit parce qu’elle est moins abondante,
soit parce qu’elle se trouve à de plus grandes distances des sites de reproduction ou à de
plus grandes profondeurs. Pour comprendre comment les changements climatiques
affectent les populations, il est donc indispensable de pouvoir étudier ces animaux en mer.
Ceci est devenu possible depuis une quinzaine d’année grâce aux suivis télémétriques des
oiseaux dont le laboratoire de Chizé a été l’un des pionniers. Cette nouvelle approche vise à
évaluer, via le suivi télémétrique inter-annuel des voyages en mer des oiseaux, l’impact de la
variabilité climatique sur leur distribution en mer et le coût énergétique associé à une
diminution des ressources. Ces suivis télémétriques sont menés à partir de balises Argos ou
GPS et reconstituent les déplacements en surface, des capteurs miniaturisés de plongée et
d'accélération permettant de suivre les déplacements en profondeur. Dans certains cas, il est
possible d'associer l'utilisation d'une microsonde ingérée par l'oiseau et déterminant le
nombre de captures de proies par unité de temps et d'un enregistreur de la fréquence
cardiaque, permettant de connaître la dépense énergétique. Un des grands avantages de
cette approche est qu’il est possible de mesurer aussi et in situ des paramètres physiques
« clés » de l’écosystème marin concerné, comme la température et la salinité, ceci
simultanément au suivi en continu du comportement de pêche du prédateur. Celui-ci devient
à son insu un bio-échantillonneur original et performant de la disponibilité des ressources
dont il dépend directement pour sa survie. Cette approche est actuellement développée sur
des éléphant de mer austraux par notre équipe, notamment en bordure de glace de mer et
sur le plateau péri-antarctique au cous de l’hivers austral, période de l’année ou
pratiquement aucune information n’est disponible.
© CNRS - C.Guinet
Eléphant de mer
Contacts chercheurs :
Christophe Barbraud, tél : 05 49 09 96 09, mél : [email protected]
Charles-André Bost, tél : 05 49 09 96 09, mél : [email protected]
Olivier Chastel, tél : 05 49 09 78 37, mél : chastel@cebc.cnrs.fr
Yves Cherel, tél : 05 49 09 78 35, mél : [email protected]
Christophe Guinet, tél : 05 49 09 78 39, mél : [email protected]rs.fr
Henri Weimerskirch, tél : 05 49 09 78 15, mél : [email protected]
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