Médecine
& enfance
VUDEVILLE
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OBSERVATION
J’ai vu récemment un petit garçon de six
ans, Erwan, scolarisé en grande section
de maternelle, qui vient d’être opéré
d’une cataracte congénitale unilatérale
avec pose d’un cristallin artificiel. A plus
de trois mois de l’intervention, la vision
de l’œil opéré est encore très faible, infé-
rieure à 2/10, et le port d’un cache per-
manent sur l’œil sain met l’enfant dans
une situation effective de déficience vi-
suelle pour un temps indéterminé.
C’est la première fois que je dois établir
un projet personnalisé dans ce contexte.
Mon problème en tant que médecin sco-
laire est que l’enfant entre au CP dans
quelques mois, et, entre le souci légiti-
me de la prévention de la monophtal-
mie et le souci non moins légitime de la
prévention de l’échec scolaire, j’ai un
peu peur que nous ne naviguions entre
Charybde et Scylla.
Que cet état soit a priori transitoire
nous empêche, à cause des pesanteurs
institutionnelles, de profiter de l’aide du
Sessad déficients visuels, service qui
étaye toujours précieusement les ensei-
gnants. De plus, cette déficience lui
étant imposée, notre petit Erwan ne
peut pas bénéficier des mécanismes
adaptatifs psychologiques que les en-
fants réellement déficients mettent na-
turellement en place. Il est surexcité,
truande autant qu’il peut pour enlever
le cache, est irritable, dispersé. C’est
vrai que l’on voit cela avec toutes les
amblyopies, mais il me semble que sou-
vent la récupération est plus rapide et le
confort de l’enfant en occlusion plus vi-
te retrouvé… ou la contrainte thérapeu-
tique moins inflexible ?
Dans le cas de cet enfant, cette
contrainte est très mal vécue. De ce fait,
le CP risque d’être très difficile. Qu’est-
ce qui est négociable sur le plan de la
rééducation orthoptique ? A quel mo-
ment, à partir de combien de temps
peut-on retirer le cache pour des activi-
tés courtes autour de la lecture sans ris-
quer de compromettre le bénéfice de
l’occlusion ? Est-ce qu’on commence à
avoir une modélisation des capacités de
récupération de l’œil opéré avec cristal-
lin artificiel chez l’enfant ?
COMMENTAIRE
Les données récentes concernant le trai-
tement de l’amblyopie apportent un
éclairage nouveau concernant ce pro-
blème. Les méthodes de rééducation les
plus « agressives » évoquées dans l’ob-
servation gardent toujours un grand in-
térêt. Mais il semble possible de propo-
ser des protocoles de rééducation qui
préservent la vie sociale de l’enfant et li-
mitent les périodes durant lesquelles il
est handicapé par sa vision. De telles
techniques pourraient donc permettre
de concilier ce qui semble être deux ob-
jectifs opposés.
QUEL EST LE MOTIF DE CETTE
RÉÉDUCATION ?
Avant de présenter les différentes options
thérapeutiques, il convient de réfléchir
aux raisons qui ont motivé cette rééduca-
tion. En effet, la question peut se poser
de savoir si cet enfant de six ans, âge limi-
te de la plasticité cérébrale en matière
d’acuité visuelle, va pouvoir recouvrer un
certain degré de vision, ou si toute tenta-
tive de traitement de cette amblyopie de
privation est vouée à l’échec.
Bien que les antécédents ophtalmolo-
giques ne soient pas précisés dans l’ob-
servation, il est possible de suspecter le
type d’atteinte cristallinienne en cause.
En effet, il est exceptionnel qu’une cata-
racte congénitale unilatérale franche-
ment obturante d’apparition précoce ne
soit opérée qu’à l’âge de six ans en Fran-
ce. De plus, il faut noter que ces formes
strictement unilatérales correspondent
généralement à des anomalies embryo-
logiques oculaires appelées « persistance
du vitré primitif » et peuvent s’accompa-
gner d’autres anomalies oculaires. Il est
bien prouvé que de telles formes obtu-
rantes, surtout si elles sont unilatérales,
nécessitent une prise en charge vers
l’âge de un mois pour espérer récupérer
un certain degré d’acuité visuelle.
Amblyopie à six ans :
comment rééduquer efficacement
sans pénaliser la scolarité ?
C. Orssaud, consultation d’ophtalmologie,
hôpital européen Georges-Pompidou, Paris, et
service d’ophtalmologie, hôpital Necker-Enfants
Malades, Paris
E. Pino, médecin de l’Education nationale,
Pont-l’Abbé
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Lorsque ces cataractes congénitales uni-
latérales sont opérées à un âge plus
avancé, a fortiori à six ans, elles sont res-
ponsables d’une amblyopie de privation
généralement profondément ancrée.
Leur pronostic visuel est très défavo-
rable quel que soit le traitement envisa-
gé. Dans ces cas, la scolarisation de l’en-
fant doit primer sur une plus qu’hypo-
thétique récupération visuelle.
Mais l’âge auquel le geste chirurgical a
été programmé chez Erwan fait plutôt
évoquer une cataracte congénitale qui
s’est progressivement aggravée et qui
n’a entraîné un retentissement visuel
que quelques mois avant l’intervention.
Un tel cas est généralement beaucoup
plus favorable, car l’enfant a pu déve-
lopper l’acuité visuelle de chaque œil
avant que la cataracte empêche un œil
de voir. La durée de privation visuelle
après aggravation de la cataracte va
conditionner les possibilités de récupé-
ration visuelle. Plus cette privation est
de courte durée et/ou proche de la fin
de la période critique (ou période sen-
sible du développement visuel), vers
six-sept ans, plus rapide sera la réédu-
cation. A l’inverse, une privation pro-
longée et/ou précoce est responsable
d’une amblyopie plus profonde et qui
nécessitera une prise en charge plus
longue. Mais, l’âge d’apparition de la
gêne visuelle, et donc la durée de la pri-
vation sont souvent mal connus. C’est
en effet à l’occasion d’un fléchissement
scolaire, de l’apparition d’une maladres-
se ou d’un examen systématique avant
l’entrée en primaire qu’est retrouvée
cette cataracte, dont l’aspect à l’examen
permet d’affirmer qu’elle n’a pas empê-
ché l’enfant de développer la vision de
chaque œil. Dans notre cas, un délai un
peu long explique sans doute que l’acui-
té visuelle soit encore basse trois mois
après l’intervention mais ne préjuge pas
nécessairement du devenir final.
En effet, cette amblyopie de privation
« tardive » est alors nettement moins
profonde et tout à fait susceptible de ré-
cupération. La rééducation doit alors
être menée, car il est licite d’espérer re-
couvrer une bonne acuité visuelle finale.
Il faut bien faire comprendre aux pa-
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rents les enjeux visuels, mais aussi les
risques psychologiques et scolaires liés
au traitement, afin de pouvoir les préve-
nir. Il est rapporté par notre confrère
qu’Erwan commence déjà à être insup-
portable du fait de la présence du cache
et de la gêne ressentie.
MÉTHODES DE RÉÉDUCATION
La rééducation vise à forcer l’œil am-
blyope à travailler en empêchant l’œil
adelphe sain de regarder. Ce traitement
aboutit à une remontée de l’acuité vi-
suelle qu’il faut ensuite stabiliser. Théo-
riquement, cette rééducation est d’au-
tant plus rapide que l’enfant est plus jeu-
ne, donc que la plasticité cérébrale est
plus importante. Après l’âge de huit ans,
une rééducation peut être menée mais
elle prend du temps (environ un an !).
Compte tenu de l’âge d’Erwan, cette ré-
éducation doit être efficace rapidement.
Mais elle doit préserver la vision de l’en-
fant à l’école ou dans ses activités para-
scolaires. Les trois méthodes pouvant
être discutées doivent être détaillées
pour voir leurs avantages et inconvé-
nients respectifs.
Occlusion permanente
Le port permanent d’une occlusion de-
vant l’œil sain reste la méthode la plus
efficace pour favoriser l’œil dominé à
travailler. Elle permet la récupération
rapide d’une isoacuité visuelle au cours
des amblyopies fonctionnelles mais aus-
si d’améliorer la vision d’amblyopies or-
ganiques. Elle est particulièrement indi-
quée lorsqu’il est souhaitable de réaliser
un traitement rapide, notamment
lorsque l’amblyopie est prise en charge
tardivement, vers sept ans. Mais ce trai-
tement est très contraignant. Il ne peut
s’envisager que si la récupération vi-
suelle de l’œil amblyope doit être rapi-
de. Si la récupération semble devoir
être retardée, il est impossible de laisser
à cet enfant une acuité visuelle réduite
à 1/10. Comme le rapporte très bien
notre confrère, soit l’enfant devient irri-
table, soit il triche, enlève son panse-
ment ou regarde à côté pour pouvoir se
débrouiller. L’occlusion n’est alors plus
permanente ni efficace. De plus, cer-
tains auteurs ont évoqué le risque d’un
retentissement psychologique lié au
port du pansement oculaire pendant les
périodes de scolarité. Ce traitement est
également contraignant pour les pa-
rents puisqu’il nécessite une surveillan-
ce régulière, parfois bihebdomadaire,
pour éviter une bascule d’amblyopie.
Occlusion discontinue
Toutes ces contraintes ont amené à étu-
dier l’apport d’autres techniques dans la
rééducation de l’amblyopie, et en pre-
mier l’occlusion discontinue. Le panse-
ment oculaire n’est porté que quelques
heures par jour, par exemple après la
fin de l’école. Cette durée peut être mo-
dulée en fonction du mode de vie de
chacun et de l’effet attendu. Pendant
cette période, la réalisation d’une tâche
visuelle (devoir, jeu vidéo, etc.) aug-
menterait l’efficacité de l’occlusion.
L’œil dominant n’étant pas occlus pen-
dant le temps de l’école, l’enfant peut
avoir une scolarité normale et ne pas
être vu par ses copains avec un panse-
ment oculaire, ce qui réduit les risques
de moqueries et de retentissement psy-
chologique. De plus, la compliance au
traitement peut plus facilement être
contrôlée pendant cette courte période
d’occlusion, ce qui réduit les risques de
« tricherie ». Enfin, le risque de bascule
d’amblyopie étant faible, la surveillance
peut être allégée, ce qui est pratique
pour les parents.
Il a longtemps été considéré que ces
courtes périodes journalières d’occlu-
sion de l’œil dominant ne pouvaient pas
permettre de « débloquer » une amblyo-
pie profonde. Cependant, des études ré-
centes n’ont pas mis en évidence de dif-
férence d’efficacité entre une occlusion
permanente et une occlusion disconti-
nue chez des enfants ayant une amblyo-
pie sévère. La seule différence observée
porte sur la durée du traitement néces-
saire pour obtenir une isoacuité visuel-
le, celle-ci étant de cinq semaines envi-
ron en cas d’occlusion permanente
contre quatre mois en moyenne lors de
l’occlusion discontinue. Augmenter la
durée d’occlusion ne modifie quasiment
pas l’acuité visuelle finale, mais réduit
le temps nécessaire à la récupération vi-
suelle. Une occlusion limitée à deux
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heures mais accompagnée par une heu-
re de travail de près serait aussi efficace
qu’une occlusion de six heures. Enfin, la
périodicité de l’occlusion peut être mo-
difiée si nécessaire sans retentissement
sur les résultats ; il n’y aurait ainsi pas
de différence, tant dans la vitesse de ré-
cupération que dans l’acuité visuelle fi-
nale, que l’occlusion soit effectuée un
jour sur deux ou six jours sur sept chez
des enfants de quatre-cinq ans. En pra-
tique, la modulation de la durée d’oc-
clusion doit être guidée par l’évolution
de l’acuité visuelle.
L’efficacité globalement identique entre
occlusion permanente et discontinue, et
les moindres contraintes de cette derniè-
re technique ont conduit de nombreux
auteurs à la recommander, associée à un
travail de près, lors de la prise en charge
d’amblyopies quelle que soit leur sévéri-
té. Elle peut donc être proposée chez des
enfants scolarisés quelles que soient la
cause et la profondeur de l’amblyopie.
Elle est indiquée chez Erwan, ce d’au-
tant que la rééducation de son amblyo-
pie ne semble pas évoluer rapidement.
Pénalisation pharmacologique
Cette technique consiste à instiller deux
fois par semaine en moyenne une goutte
d’atropine collyre (0,3 % avant deux ans
et 0,5 % entre deux et dix ans) dans l’œil
dominant, qui alors ne peut plus voir,
non seulement en vision rapprochée,
mais aussi en vision de loin s’il est hy-
permétrope, ce qui est la règle à cet âge.
De plus, du fait de la présence d’une my-
driase aréactive, l’œil dominant devient
plus sensible aux aberrations optiques et
aux phénomènes d’éblouissement, ce
qui participe à sa dégradation visuelle.
Cette pénalisation pharmacologique est
indiquée dans la prise en charge initiale
d’amblyopies sévères, pour initier la ré-
cupération de l’acuité visuelle de près.
Mais elle peut être proposée dans les
formes rebelles ou lorsqu’aucune com-
pliance au port d’un pansement n’a pu
être obtenue. Il s’agit là d’un traitement
« de la dernière chance » avant de déci-
der d’arrêter toute rééducation. La seule
contrainte est de penser à protéger les
yeux par des verres teintés en cas d’ex-
position solaire.
CONCLUSION
Le type de cataracte de l’enfant de notre
confrère laisse espérer la récupération
d’une acuité visuelle, puisqu’il y a de
fortes chances qu’il ait déjà développé
sa vision avant que la cataracte ne s’ag-
grave. Mais la profondeur de l’amblyo-
pie reste inconnue, de même que la du-
rée de la privation visuelle avant la chi-
rurgie. Il faut donc proposer un traite-
ment « agressif » chez cet enfant de six
ans…
Il est difficile d’envisager de laisser cet
enfant plus longtemps avec une occlu-
sion permanente de l’œil dominant qui
limite sa vision à 1/10. Les consé-
quences psychologiques risquent d’être
trop importantes, même en dehors de la
période scolaire. De plus, comme il est
rapporté, il triche, ce qui rend moins
utile un tel traitement.
L’occlusion discontinue associée à un
travail de près apparaît comme une
bonne alternative. Les données récentes
de la littérature tendent à démontrer
qu’elle a la même efficacité que l’occlu-
sion permanente, y compris face à des
amblyopies par privation et/ou chez de
grands enfants. Par contre, elle n’en a
pas les contraintes. Elle laisse l’enfant
mener une scolarité normale, ce qui est
le but attendu.
Néanmoins, il faut surveiller que cette
occlusion discontinue est bien réalisée.
L’éducation des parents reste essentielle
pour leur faire comprendre l’importan-
ce de ce traitement, qui paraît parfois
accessoire par rapport à la chirurgie.
Imposer un pansement oculaire à un
enfant qui n’en veut pas ou plus est par-
fois difficile…
Il faut savoir arrêter une rééducation
qui est vouée à l’échec, soit du fait des
données ophtalmologiques, soit du fait
d’un non-engagement de la famille.
Mais avant de baisser les bras, une pé-
nalisation pharmacologique peut être
discutée. Bien sûr, cette dernière handi-
cape l’enfant d’une manière peu diffé-
rente de l’occlusion permanente, mais
elle offre la possibilité de surveiller la
compliance au traitement. L’absence de
mydriase, ou une mydriase réactive,
permet d’affirmer que les parents n’ont
pas instillé le collyre, et probablement
qu’ils n’ont pas effectué correctement
tous les traitements précédents. La si-
tuation est alors sans issue. Par contre,
si le collyre à l’atropine est bien instillé,
la situation peut se débloquer puisque
l’enfant n’a aucun moyen de tricher.
13eCOLLOQUE DE LA SOCIÉTÉ MÉDECINE ET PSYCHANALYSE
Entre autorité et incertitude : moments critiques
13-15 JANVIER 2012
La multiplicité des instances qui, aujourd’hui, prétendent réguler la pratique médicale et, à plus d’un titre, la pratique psychanalytique, fait
contraste avec l’incertitude inhérente à l’exercice clinique. Au-delà des progrès du savoir et d’un consensus idéalisé, les acteurs de la santé sont
confrontés à la complexité des situations, côté soignants et côté soignés. Les conférences de consensus, les recommandations de bonnes
pratiques, les démarches d’évaluation se présentent comme des entraves à la pensée et à la prise en compte de la singularité. Aussi, le temps
indispensable à la relation devient-il dévalorisé et délaissé. Si l’incertitude côtoie souvent la technicité et la scientificité de la médecine, n’est-elle
pas la contrepartie inattendue des demandes de performance et des preuves d’efficience adressées à la psychanalyse et à la médecine ?
Un champ de réflexions balisé par l’autorité et l’incertitude nourrira ce 13ecolloque pluridisciplinaire de la SMP.
Renseignements : Agnès Cousin, tél. 09 52 10 39 54, [email protected], et sur le site de la SMPwww.medpsycha.org
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