Lorsque ces cataractes congénitales uni-
latérales sont opérées à un âge plus
avancé, a fortiori à six ans, elles sont res-
ponsables d’une amblyopie de privation
généralement profondément ancrée.
Leur pronostic visuel est très défavo-
rable quel que soit le traitement envisa-
gé. Dans ces cas, la scolarisation de l’en-
fant doit primer sur une plus qu’hypo-
thétique récupération visuelle.
Mais l’âge auquel le geste chirurgical a
été programmé chez Erwan fait plutôt
évoquer une cataracte congénitale qui
s’est progressivement aggravée et qui
n’a entraîné un retentissement visuel
que quelques mois avant l’intervention.
Un tel cas est généralement beaucoup
plus favorable, car l’enfant a pu déve-
lopper l’acuité visuelle de chaque œil
avant que la cataracte empêche un œil
de voir. La durée de privation visuelle
après aggravation de la cataracte va
conditionner les possibilités de récupé-
ration visuelle. Plus cette privation est
de courte durée et/ou proche de la fin
de la période critique (ou période sen-
sible du développement visuel), vers
six-sept ans, plus rapide sera la réédu-
cation. A l’inverse, une privation pro-
longée et/ou précoce est responsable
d’une amblyopie plus profonde et qui
nécessitera une prise en charge plus
longue. Mais, l’âge d’apparition de la
gêne visuelle, et donc la durée de la pri-
vation sont souvent mal connus. C’est
en effet à l’occasion d’un fléchissement
scolaire, de l’apparition d’une maladres-
se ou d’un examen systématique avant
l’entrée en primaire qu’est retrouvée
cette cataracte, dont l’aspect à l’examen
permet d’affirmer qu’elle n’a pas empê-
ché l’enfant de développer la vision de
chaque œil. Dans notre cas, un délai un
peu long explique sans doute que l’acui-
té visuelle soit encore basse trois mois
après l’intervention mais ne préjuge pas
nécessairement du devenir final.
En effet, cette amblyopie de privation
« tardive » est alors nettement moins
profonde et tout à fait susceptible de ré-
cupération. La rééducation doit alors
être menée, car il est licite d’espérer re-
couvrer une bonne acuité visuelle finale.
Il faut bien faire comprendre aux pa-
Médecine
& enfance
septembre 2011
page 303
rents les enjeux visuels, mais aussi les
risques psychologiques et scolaires liés
au traitement, afin de pouvoir les préve-
nir. Il est rapporté par notre confrère
qu’Erwan commence déjà à être insup-
portable du fait de la présence du cache
et de la gêne ressentie.
MÉTHODES DE RÉÉDUCATION
La rééducation vise à forcer l’œil am-
blyope à travailler en empêchant l’œil
adelphe sain de regarder. Ce traitement
aboutit à une remontée de l’acuité vi-
suelle qu’il faut ensuite stabiliser. Théo-
riquement, cette rééducation est d’au-
tant plus rapide que l’enfant est plus jeu-
ne, donc que la plasticité cérébrale est
plus importante. Après l’âge de huit ans,
une rééducation peut être menée mais
elle prend du temps (environ un an !).
Compte tenu de l’âge d’Erwan, cette ré-
éducation doit être efficace rapidement.
Mais elle doit préserver la vision de l’en-
fant à l’école ou dans ses activités para-
scolaires. Les trois méthodes pouvant
être discutées doivent être détaillées
pour voir leurs avantages et inconvé-
nients respectifs.
Occlusion permanente
Le port permanent d’une occlusion de-
vant l’œil sain reste la méthode la plus
efficace pour favoriser l’œil dominé à
travailler. Elle permet la récupération
rapide d’une isoacuité visuelle au cours
des amblyopies fonctionnelles mais aus-
si d’améliorer la vision d’amblyopies or-
ganiques. Elle est particulièrement indi-
quée lorsqu’il est souhaitable de réaliser
un traitement rapide, notamment
lorsque l’amblyopie est prise en charge
tardivement, vers sept ans. Mais ce trai-
tement est très contraignant. Il ne peut
s’envisager que si la récupération vi-
suelle de l’œil amblyope doit être rapi-
de. Si la récupération semble devoir
être retardée, il est impossible de laisser
à cet enfant une acuité visuelle réduite
à 1/10. Comme le rapporte très bien
notre confrère, soit l’enfant devient irri-
table, soit il triche, enlève son panse-
ment ou regarde à côté pour pouvoir se
débrouiller. L’occlusion n’est alors plus
permanente ni efficace. De plus, cer-
tains auteurs ont évoqué le risque d’un
retentissement psychologique lié au
port du pansement oculaire pendant les
périodes de scolarité. Ce traitement est
également contraignant pour les pa-
rents puisqu’il nécessite une surveillan-
ce régulière, parfois bihebdomadaire,
pour éviter une bascule d’amblyopie.
Occlusion discontinue
Toutes ces contraintes ont amené à étu-
dier l’apport d’autres techniques dans la
rééducation de l’amblyopie, et en pre-
mier l’occlusion discontinue. Le panse-
ment oculaire n’est porté que quelques
heures par jour, par exemple après la
fin de l’école. Cette durée peut être mo-
dulée en fonction du mode de vie de
chacun et de l’effet attendu. Pendant
cette période, la réalisation d’une tâche
visuelle (devoir, jeu vidéo, etc.) aug-
menterait l’efficacité de l’occlusion.
L’œil dominant n’étant pas occlus pen-
dant le temps de l’école, l’enfant peut
avoir une scolarité normale et ne pas
être vu par ses copains avec un panse-
ment oculaire, ce qui réduit les risques
de moqueries et de retentissement psy-
chologique. De plus, la compliance au
traitement peut plus facilement être
contrôlée pendant cette courte période
d’occlusion, ce qui réduit les risques de
« tricherie ». Enfin, le risque de bascule
d’amblyopie étant faible, la surveillance
peut être allégée, ce qui est pratique
pour les parents.
Il a longtemps été considéré que ces
courtes périodes journalières d’occlu-
sion de l’œil dominant ne pouvaient pas
permettre de « débloquer » une amblyo-
pie profonde. Cependant, des études ré-
centes n’ont pas mis en évidence de dif-
férence d’efficacité entre une occlusion
permanente et une occlusion disconti-
nue chez des enfants ayant une amblyo-
pie sévère. La seule différence observée
porte sur la durée du traitement néces-
saire pour obtenir une isoacuité visuel-
le, celle-ci étant de cinq semaines envi-
ron en cas d’occlusion permanente
contre quatre mois en moyenne lors de
l’occlusion discontinue. Augmenter la
durée d’occlusion ne modifie quasiment
pas l’acuité visuelle finale, mais réduit
le temps nécessaire à la récupération vi-
suelle. Une occlusion limitée à deux
140552 302-304 14/09/11 23:31 Page303