L'Afrique : stigmatisée, colonisée
Sans doute faut-il aussi rappeler que la stigmatisation des Africains remonte à des temps
très anciens : au XVIè siècle, les Indiens d'Amérique furent reconnus comme « êtres
humains » par le monde chrétien lors de la controverse de Valladolid, mais non les Africains,
qui gardèrent leur statut « infra-humain » propre à en faire des esclaves, statut qui était
d'ailleurs déjà le leur aux yeux des européens mais aussi des musulmans de l'époque. Le
continent lui-même pratiquait l'esclavage, du moins dans les sociétés à organisation sociale
hiérarchisées : domestique « de case », des champs, pour le portage, pour tous les travaux
rebutants. Il fournissait déjà des esclaves dans l'Antiquité, mais il fut conforté dans cette
« spécialisation », tant par le monde arabo-islamique et turc que par les puissances
européennes. L'esclavage fut officiellement aboli par celles-ci au cours du XIXè siècle, mais
il continua d'exister sous des formes directes (monde arabe et maure, monde africain : la
République islamique de Mauritanie n'a officiellement interdit l'esclavage qu'en...1981) et
indirectes, comme le travail forcé de la colonisation européenne. En effet, « l'entreprise
coloniale » usa et abusa de « corvées » (travail forcé, obligatoire) aux effets dévastateurs
pour réaliser ses projets d'infrastructures et de mise en valeur : par exemple, la seule
construction du chemin de fer Congo-Océan coûta 20 000 vies humaines « indigènes ». Elle
obligeait les paysans aux corvées de construction de routes et chemin de fer, de ports, mais
aussi de plantations de coton, de café, d'hévéa. Le Portugal, après avoir interdit,
tardivement, l'esclavage dans ses colonies et provinces d'outre-mer (comme le Cap-Vert),
organisa et développa l'émigration forcée pour la mise en valeur des plantations de cacao et
de café en Angola et à Sao Tomé et Principe : conditions de vie extrêmement dures, presque
carcérales, dans les plantations, salaires dérisoires, paludisme endémique et hyperhumidité
équatoriale, éloignement de la famille sans retour régulier possible : plusieurs dizaines de
milliers de Cap-Verdiens quittèrent ainsi l'archipel entre 1930 et 1970, pour échapper
notamment aux crises de sécheresse et aux famines en résultant, famines qui frappaient les
îles où l'Estado Novo portugais, dirigé par le dictateur Salazar, ne fit jamais rien,
préventivement, qui puisse les atténuer !
L'entreprise coloniale utilisa aussi les Africains pour des « usages » qui ne les concernaient
pas : la guerre en Europe. Elle le fit, pendant la Grande guerre (1914-1918), de manière très
insidieuse sous forme de contingents militaires toujours envoyés en première ligne (30 000
morts pendant la Grande Guerre parmi les 189 000 « tirailleurs sénégalais » réquisitionnés
au service de la France). Cette exploitation continuera pour la Seconde Guerre Mondiale,
puis (ô paradoxe), pour les guerres coloniales « d'arrière-garde » menées par la France en