Faire croisade à l’époque de Jeanne d’Arc
Crusading in Joan of Arc's Times
- projet de journée d’études -
S’intéresser au phénomène croisé à l’époque de Jeanne d’Arc semble d’emblée une
entreprise inutile. Pourtant, depuis les recherches de N. Iorga, Alphonse Dupront, Kenneth Setton
ou Norman Housley, il est admis que les « croisades tardives » représentent un phénomène qui
continue au moins jusqu’au XVIIe siècle. Or Jeanne d’Arc articule elle-même dans au moins deux
documents (les lettres aux Anglais et aux Hussites) une forte conscience de la croisade. Plus
éparpillés, des éléments du langage croisé sont parsemés dans ses autres écrits ou de ceux de ses
contemporains. L’analyse du lien entre Jeanne d’Arc et les croisades peut donc être envisagée sous
un angle synchronique et diachronique.
Concrètement, sur la durée de vie de la Pucelle d’Orléans (1412-1431) se déroulent les
croisades anti-hussites (1419–1434) qui ont posé des problèmes majeurs à la papauté et au Saint
Empire à la fois. Le front anti-ottoman enregistre à la même période les campagnes danubiennes de
Sigismond de Luxembourg, qui s’achèvent par la défaite de Golubac (1428) et la grande victoire
ottomane sur les Vénitiens à Thessalonique (1430). Il est par ailleurs connu que la guerre de 100 ans
a détourné les énergies normalement destinées aux croisades.
Mais a-t-on évalué ce que ce détournement a signifié ? Force est de constater que le rapport
renversé entre les deux phénomènes est considéré comme une évidence, et traité seulement de
manière fort générale
. Mais quelle conscience développaient les protagonistes de la guerre de cent
ans eux-mêmes des déroulements de la frontière hussite et ottomane de la croisade ? De l’autre
côté, quelles connaissances avaient les acteurs de la croisade du Danube ou de Vltava des
confrontations au cœur du monde occidental qui avaient dévié les énergies de la chevalerie qui
avaient jusqu’alors alimenté la frontière de la croisade ?
Problématiser la circularité causale inverse entre les deux n’est toutefois que la première
étape de la réflexion. Mettre en perspective diachronique Jeanne d’Arc permet de s’interroger sur
les raisons du scandale qu’elle créa à son époque : celle d’être une femme qui a osé porter les
armes. Epouser la vision de la Pucelle d’Orléans est donc la place privilégiée pour penser la
croisade tardive à la lumière des questions du genre (gendering the later crusades).
À la lumière des considérations précédentes, la problématique de cette journée d’études
s’articule selon deux axes étroitement liés.
I. À la recherche de la croisade perdue
Ce qui interpelle dans le discours de Jeanne d’Arc est justement la présence de l’idée de
croisade en plein combat pour la libération de la France
. L’étude plus attentive des textes et des
contextes de ces références peuvent donc constituer le point de départ d’une réflexion sur le rapport
inversé entre la Guerre de cent ans et les croisades.
Trois pistes d’analyse s’ouvrent. On peut tout d’abord s’interroger sur la présence de l'Orient
dans l'esprit des combattants engagés dans le combat entre les descendants français et anglais de
Saint Louis. Il suffit de penser à la participation française à Nicopolis et à la longue carrière de
Kelly DeVries, “The Lack of a Western European Military Response to the Ottoman Invasions of Eastern Europe from
Nicopolis (1396) to Mohács (1526),” Journal of Military History 63 (1999), 539-59.
Kelly DeVries, “Joan of Arc’s Call to Crusade.” In: The Spirituality of Joan of Arc. Ed. Ann W. Astell and
Bonnie Wheeler. New York: Palgrave Macmillan, 2003, pp. 111-26.