M I S E A U P O I N T Les complications des piqûres de tiques Complications of tick bites ● B. Doudier1, P. Parola1, 2 RÉSUMÉ. À l’échelle mondiale, les tiques sont actuellement considérées comme le deuxième groupe de vecteurs de maladies infectieuses humaines, après les moustiques. Depuis l’identification de Borrelia burgdorferi comme l’agent de la maladie de Lyme en 1982, de nombreux pathogènes bactériens, parasitaires et viraux ont été décrits de par le monde. Cette revue illustre les différents aspects de la vie des tiques et des maladies transmises à l’homme ainsi que les méthodes du diagnostic et de la prévention. Mots-clés : Tiques - Maladies émergentes. ABSTRACT. Ticks are currently considered to be second only to mosquitoes as vectors of human infectious diseases in the world. Each tick species has preferred environmental conditions and biotopes that determine the geographic distribution of the ticks and, consequently, the risk areas for tick-born diseases. Since the identification of Borrelia burgdorferi as the agent of Lyme disease in 1982, bacterial, parasitic and viral pathogens have been described throughout the world, including Rickettsiae, Borreliae, Ehrlichiae, Babesiae and virus. This article reviews and illustrates various aspects of ticks and tick-born diseases. Advices are given on how tick-bites and tick-born diseases may be prevented. Keywords: Tick-born diseases - Emerging diseases. l’échelle mondiale, les tiques sont actuellement considérées comme le deuxième groupe de vecteurs de maladies infectieuses humaines, après les moustiques. Aux États-Unis et en Europe, elles sont au premier rang (1). Ces dernières années, de nombreuses maladies émergentes transmises par les tiques ont été rapportées. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer : l’augmentation du contact homme-tique (tourisme, activité de plein air, safari), l’amélioration des techniques de recherche et de diagnostic, l’intérêt accru de la communauté médicale et la sensibilisation du public. Dans cette revue, nous décrivons les tiques et les principales maladies qu’elles transmettent ainsi que les méthodes de diagnostic et de prévention. Nous insisterons sur les différents aspects de la vie des tiques qui ont des conséquences directes sur l’épidémiologie ou les signes cliniques des maladies transmises. À groupes principaux : d’une part, les Ixodidae ou “tiques dures”, ainsi nommées à cause de leur surface dorsale scléreuse (photo 1), d’autre part, les Argasidae ou “tiques molles” du fait de leur revêtement flexible (photo 2). Une troisième famille, celle des Nuttalliellidae, est composée d’une seule espèce, présente en Afrique du Sud. Les tiques ont trois stades de développement : larve, nymphe et adulte [mâle ou femelle] (photo 1). Les Ixodidae diffèrent des Argasidae par leur anatomie et leur cycle de développement (1). Les tiques dures mesurent de 2 à 30 mm de longueur. Leur repas, pendant lequel elles restent fermement attachées à leur LES TIQUES Les tiques sont des arthropodes hématophages obligatoires qui parasitent toutes les classes de vertébrés dans presque toutes les régions du monde (1). Ce sont des acariens, répartis en deux Service des maladies infectieuses et tropicales, hôpital Nord, Marseille ; 2 unités des Rickettsies, CNRS UMR 6020, IFR 48, université de la Méditerranée, faculté de médecine, Marseille. © Photos : Droits réservés. 1 162 Photo 1. Une “tique dure” : Rhipicephalus sanguineus, la tique brune du chien. De gauche à droite : mâle, femelle, nymphe et larve, toutes à jeun. Échelle 1 cm. La Lettre de l’Infectiologue - Tome XXI - n° 4 - juillet-août 2006 M I S E A U P O I N T Photo 2. Une tique molle, Ornithodoros moubata. Échelle 1 cm. Photo 3. Dermacentor variabilis “en embuscade” sur la végétation. hôte, peut durer plusieurs jours. De plus, leur piqûre est en règle générale indolore et peut passer inaperçue. La tique fait à chaque stade de son développement un seul repas de sang aux dépens d’un hôte. Une fois rassasiée, la tique se détache et tombe au sol. Elle commence la digestion de son repas de sang, puis mue et atteint le stade suivant ou entre dans une phase de diapause caractérisée par un métabolisme réduit et un développement ralenti. Certaines tiques sont spécifiques d’un hôte, comme R. sanguineus pour le chien. D’autres ont des hôtes variés allant des grands mammifères aux petits mammifères et aux oiseaux (I. ricinus). Les hôtes peuvent également varier d’un stade à l’autre. Des conditions environnementales optimales existent pour chaque espèce, ce qui explique que chacune ait une répartition géographique particulière. Par exemple, en Europe, Rhipicephalus sanguineus, la tique brune du chien, est adaptée au climat méditerranéen, même si elle peut survivre dans les maisons du nord de l’Europe où elle aurait été transportée par un chien. Par ailleurs, Ixodes ricinus, bien connue en Europe comme vecteur de la maladie de Lyme, vit dans les forêts ou les endroits où règne une humidité importante. Elle est donc absente du sud de la France, même si sa limite sud est mal connue. En conséquence, les maladies transmises par les tiques seront des maladies géographiques, et cela est d’autant plus vrai lorsque les tiques sont vecteurs mais aussi réservoirs de la maladie. Les tiques dures sont très sensibles aux stimuli indiquant la présence d’un hôte comme le CO2, l’humidité, les vibrations ou la température corporelle des animaux à sang chaud. Il existe deux comportements de recherche d’un hôte. Certaines espèces attendent sur la végétation le passage d’un hôte pour s’accrocher à lui [I. ricinus en Europe, Dermacentor variabilis aux États-Unis] (photo 3). D’autres espèces ont un comportement d’attaque : elles vont détecter un hôte et aller vers lui pour s’y attacher (Amblyomma hebraeum et Amblyomma variegatum en Afrique). La Lettre de l’Infectiologue - Tome XXI - n° 4 - juillet-août 2006 Pendant les premières 24 à 36 heures d’attachement, les Ixodidae produisent un ciment qui les ancre dans la peau de l’hôte. Des enzymes, des substances vasodilatatrices, des substances anti-inflammatoires et hémostatiques présentes dans la salive facilitent le repas et rendent la piqûre indolore. La salive peut également comporter une toxine neurotrope responsable de la paralysie de l’hôte. Les tiques molles sont différentes. Leurs repas sont brefs et répétés. Elles parasitent en général un hôte d’une seule espèce dans un biotope spécifique comme un terrier ou une cabane. Entre les repas, on les retrouve préférentiellement dans des lieux abrités, dans les fentes et fissures du sol ou juste sous la terre. Toutes ces caractéristiques écologiques des tiques influencent l’épidémiologie et les aspects cliniques des maladies transmises par les tiques. Par exemple, en Europe, les adultes de l’espèce Dermacentor sont plus actives au printemps et à l’automne, et rarement l’hiver. Elles piquent de préférence les humains sur le cuir chevelu. Ainsi, l’infection à Rickettsia slovaca transmise par les Dermacentor est caractérisée par une escarre d’inoculation localisée au cuir chevelu (photo 4) et se voit essentiellement au printemps et en automne. À l’inverse, puisque le principal vecteur (R. sanguineus) de la fièvre boutonneuse méditerranéenne (FBM) est actif surtout l’été, les cas de FBM surviennent essentiellement l’été. 163 M I S E A U P O I N T Photo 4. Escarre du cuir chevelu dans l’infection à Rickettsia slovaca. MALADIES BACTÉRIENNES TRANSMISES PAR LES TIQUES Les rickettsioses Les rickettsioses à tiques sont causées par des bactéries intracellulaires obligatoires appartenant au genre Rickettsia et au groupe boutonneux. Depuis 1984, 11 espèces ou sous-espèces de rickettsies du groupe boutonneux transmises par les tiques ont été impliquées en pathologie humaine à travers le monde (tableau I). Généralement, les signes cliniques commencent 6 à 10 jours après la piqûre de tique et comportent de la fièvre, des céphalées, des myalgies, un exanthème (photo 5), des adénopathies et une ou plusieurs escarres d’inoculation (2). L’escarre peut cependant être absente dans certaines rickettsioses, comme dans la fièvre pourprée des montagnes Rocheuses aux ÉtatsUnis. La répartition géographique, le type et la sévérité des signes cliniques dépendent de l’espèce de rickettsie (tableau I). Photo 5. Éruption maculopapuleuse de la fièvre boutonneuse méditerranéenne. Sur le plan biologique, thrombopénie, leucopénie et cytolyse hépatique sont fréquentes. Le diagnostic de confirmation le plus accessible est la sérologie. On recherchera une séroconversion ou la présence d’IgM. Il faut savoir que la plupart des trousses commerciales ne tes- 164 tent que quelques espèces (en France : Rickettsia conorii et Rickettsia rickettsii). Or, il existe des réactions croisées entre les rickettsies, mais aussi entre les rickettsies et d’autres genres bactériens. Ainsi, la rickettsiose responsable de la maladie ne sera pas forcément testée en sérologie. Des techniques sérologiques spécifiques peuvent être utilisées pour identifier la rickettsie en cause en utilisant plusieurs antigènes, mais elles ne sont cependant disponibles qu’au Centre national de référence (CNR) à Marseille (tableau II). Le diagnostic de confirmation peut également reposer sur les méthodes d’amplification enzymatique par polymerase chain reaction (PCR) sur le sang ou l’escarre réalisées au CNR (3). La technique de la “PCR suicide”, qui utilise des amorces à usage unique ciblant un gène jamais amplifié jusqu’alors dans le laboratoire, permet d’éviter les contaminations verticales par des amplicons issus de manipulations précédentes (4). Enfin, la culture cellulaire n’est réalisée qu’en laboratoire P3 au CNR. Un traitement empirique précoce doit être prescrit devant toute suspicion clinique de rickettsiose avant la confirmation microbiologique. La doxycycline (200 mg/j) pendant 1 à 7 jours demeure le traitement de choix des rickettsioses transmises par les tiques. Pour certains, cette recommandation concerne aussi les jeunes enfants, comme dans le cadre de la fièvre pourprée des montagnes Rocheuses (2). Cette conduite doit s’appliquer aux autres rickettsioses compte tenu du risque d’évolution sévère. Dans les cas graves, la doxycycline peut être administrée en intraveineux jusqu’à 24 heures après apyrexie. Chez les femmes enceintes atteintes de FBM, on peut utiliser la josamycine à la dose de 3 g/j pendant 7 jours. Les nouveaux macrolides sont également une alternative (2). Les borrélioses ● La maladie de Lyme. La maladie de Lyme est la maladie infectieuse à transmission vectorielle la plus fréquente aux États-Unis (5). Elle est aussi largement répandue en Europe, en Russie, en Chine, au Japon, en Australie. Elle est transmise par les tiques du genre Ixodes : Ixodes scapularis aux ÉtatsUnis, I. ricinus en Europe de l’Ouest (5). Il existe plusieurs bactéries responsables de la maladie de Lyme du genre Borrelia. Ce sont des spirochètes à Gram négatif microaérophiles mobiles. Borrelia burgdorferi sensu stricto, Borrelia garinii et Borrelia afzelii, appartenant au complexe Borrelia burgdorferi sensu lato, sont les trois principaux agents de la maladie de Lyme en Europe (6). B. burgdorferi sensu stricto est le seul pathogène connu aux États-Unis (6). Au Portugal, une autre Borrelia, Borrelia lusitaniae, a été mise en évidence par culture d’une biopsie cutanée d’une patiente présentant un érythème chronique migrant (7). Récemment, Borrelia valaisiana a été mise en évidence par PCR dans le liquide céphalo-rachidien d’un patient présentant une paraparésie spastique (8). Enfin, Borrelia spielmanii a été détectée dans la biopsie d’un La Lettre de l’Infectiologue - Tome XXI - n° 4 - juillet-août 2006 M I S E A U P O I N T Tableau I. Caractéristiques des rickettsioses transmises par les tiques (3). Rickettsia sp Tiques vectrices reconnues ou potentielles Nom de la maladie Caractéristiques cliniques Localisation Rickettsia rickettsii Dermacentor andersoni, Dermacentor variabilis, Rhipicephalus sanguineus, Amblyomma cajennense, Amblyomma aureolatum Fièvre pourprée des montagnes Printemps et été, pas d’escarre, États-Unis, Rocheuses fièvre élevée, céphalées, Amérique du Sud pétéchies, douleurs abdominales, défaillance multiviscérale possible Rickettsia conorii subsp conorii Rhipicephalus sanguineus FBM Maladie urbaine et rurale, exanthème dans 97 % des cas, une seule escarre : formes sévères 1-5 % Sud de l’Europe, Afrique du Nord Rickettsia conorii subsp israelensis Rhipicephalus sanguineus Fièvre boutonneuse d’Israël Escarre plus rare que dans la FBM (7 %), maladie pouvant être sévère Israël Rickettsia sibirica subsp sibirica Dermacentor nuttalli, Dermacentor marginatus, Dermacentor silvarum, Haemaphysalis concinna Typhus à tiques de Sibérie Maladie rurale, printemps et été, exanthème (100 %), escarre (77 %), ADP Sibérie Rickettsia australis Ixodes holocyclus, Ixodes tasmani Typhus du Queensland Maladie rurale, de juin à novembre, exanthème vésiculeux (100 %), escarre (65 %), ADP (71 %) Australie Rickettsia japonica Ixodes ovatus, Dermacentor taiwanensis, Haemophysalis longicornis, Haemophysalis flava Fièvre boutonneuse japonaise Maladie rurale, cultures de bambous, avril à octobre, peut être sévère Japon Rickettsia conorii subsp caspia Rhipicephalus sanguineus, Rhipicephalus pumilio Fièvre boutonneuse d’Astrakan Maladie rurale, escarre (23%), exanthème maculo-papuleux (94 %), conjonctivite (34 %) Astrakan, Tchad Afrique subsaharienne, Inde Rickettsia africae Amblyomma hebraeum, Amblyomma variegatum Fièvre à tiques africaine Voyageurs, cas groupés, fièvre (88 %), escarres multiples, ADP Afrique, Antilles Rickettsia honei Aponomma hydrosauri, Amblyomma cajennense, Ixodes granulatus Fièvre boutonneuse des îles Flinders Maladie rurale, décembre et janvier, exanthème (85 %), escarre (25 %), ADP (55 %) Australie, îles Flinders, Thaïlande Rickettsia sibirica subsp mongolotimonae Hyalomma asiaticum, Hyalomma truncatum Rickettsia slovaca Dermacentor marginatus, Dermacentor reticulates TIBOLA Rickettsia heilongjiangensis Dermacentor silvarum Fièvre boutonneuse du Far West Exanthème, escarre, ADP Rickettsia aeschlimannii Hyalomma marginatum, Hyalomma rufipes, Rhipicephalus appendiculatus Escarre et exanthème maculopapuleux Maroc, Afrique du Sud, Corse, Espagne Rickettsia parkeri Amblyomma maculatum, Amblyomma americanum, Amblyomma triste Escarres multiples, fièvre, exanthème États-Unis, Amérique du Sud Rickettsia massiliae Rhipicephalus sanguineus, Rhipicephalus turanicus, Rhipicephalus muhsamae Escarre et exanthème maculopapuleux Europe du Sud, Afrique Rickettsia marmionii Harpyopsis novaguineae, Ixodes holocyclus Rickettsia helvetica Ixodes ricinus, Ixodes ovatus, Ixodes persulcatus, Ixodes monospinus Peu de cas décrits en France et Asie du Nord-Est, en Afrique du Sud, mars à juillet, France, Afrique escarre (75 %), exanthème (63 %), ADP (25 %), lymphangite Fièvre et exanthème rares, escarre sur le cuir chevelu, ADP cervicales Fièvre boutonneuse d’Australie Février à juin, escarre et/ou exanthème maculopapuleux Europe Est de l’Asie Australie Serait impliqué dans des Thaïlande, myopéricardites, cas documentés France, Espagne, Italie, par sérologies Europe de l’Est ADP : adénopathies, FBM : fièvre boutonneuse méditerranéenne. La Lettre de l’Infectiologue - Tome XXI - n° 4 - juillet-août 2006 165 M I S E A U P O I N T Tableau II. Méthodes de diagnostic et Centre national de référence des maladies bactériennes transmises par les tiques. Rickettsioses Maladie de Lyme Centre national de référence Prélèvements Examens Unité des Rickettsies, CNRS UMR 6020, IFR 48, faculté de médecine, boulevard Jean-Moulin, 13385 Marseille Cedex 5 1 tube hépariné avec au moins 5 ml de sang Culture 1 tube EDTA Escarre dans 1 tube sec Biologie moléculaire Tube hépariné (10 ml de sang) Si délai > 24 h : à conserver à - 70 °C pour la culture ou à - 20 °C pour la biologie moléculaire Sérologies Tube sec Liquide synovial Sérologie Unité de bactériologie moléculaire et médicale, CNR des Borrelia, Institut Pasteur, 25-28, rue du Docteur-Roux, 75724 Paris Cedex 15 PCR Biopsie cutanée Culture, PCR Liquide céphalo-rachidien Culture, PCR Fièvres récurrentes à tiques Unité de bactériologie moléculaire et médicale, CNR des Borrelia, Institut Pasteur, 25-28, rue du Docteur-Roux, 75724 Paris Cedex 15 Prélèvement sanguin Examen direct, culture Tularémie AFSSA, unités des zoonoses bactériennes, 22, rue Pierre-Curie, BP67, 94703 Maisons-Alfort Biopsie cutanée Culture Biopsie ganglionnaire Prélèvement pharyngé Anaplasmoses, ehrlichioses Unité des Rickettsies, CNRS UMR 6020, IFR 48, faculté de médecine, boulevard Jean-Moulin, 13385 Marseille Cedex 5 Prélèvement sanguin Sérologies Tube EDTA à température ambiante pendant moins de 48 h sinon à - 20 °C Sérum conservé à + 4 °C Culture, PCR Sérologie CNR : Centre national de référence. La maladie de Lyme évolue en trois stades (6). ✓ Le premier stade correspond à l’érythème migrant (EM), manifestation clinique essentielle de cette phase. Il débute 3 à 30 jours après l’inoculation par une macule ou une papule au site de morsure, qui s’étend progressivement sous la forme d’une plaque érythémateuse évoluant pendant plusieurs semaines de manière centrifuge (photo 6). En d’autres endroits, il se manifeste par un lymphocytome cutané bénin : nodule de 1 à 2 cm de diamètre, rouge violacé, indolore et touchant plutôt le lobule de l’oreille, la région aréolaire ou le scrotum. ✓ Le deuxième stade correspond à la dissémination de l’infection. Il survient plusieurs semaines ou plusieurs mois après la piqûre. La description de lésions cutanées annulaires multiples, plus petites que l’EM initial et présentes sur l’ensemble du tégument, a surtout été faite au États-Unis. D’autres manifestations typiques de la phase secondaire sont classiques. Des atteintes cardiaques (troubles de la conduction, myocardite, péricardite), rhumatologiques (arthrite) ou neurologiques 166 © Éric Caumes érythème chronique migrant d’une patiente hongroise (9). De nombreux mammifères, notamment les rongeurs, sont des réservoirs de Borrelia, ainsi que de nombreuses espèces d’oiseaux (5). Photo 6. Érythème migrant de la maladie de Lyme. (méningite lymphocytaire, paralysie faciale, polyradiculonévrite), une altération de l’état général et des polyadénopathies peuvent compléter le tableau de la phase secondaire. ✓ Le troisième stade correspond à la phase chronique de l’infection. Il survient des mois, voire des années après la piqûre. Les symptômes sont cutanés (acrodermatite chronique atro- La Lettre de l’Infectiologue - Tome XXI - n° 4 - juillet-août 2006 M phiante), neurologiques (encéphalomyélite chronique, polyneuropathie axonale, troubles cognitifs), rhumatologiques (arthrite chronique, enthésopathies) ou ophtalmologiques (kératites). L’état général est altéré. Les manifestations cliniques peuvent varier selon qu’on se trouve aux États-Unis ou en Europe, ce qui sous-entend que les différentes Borrelia ont un tropisme d’organe différent. B. afzelii est associée à une maladie peu sévère avec une prédominance des signes cutanés. B. garinii est associée aux formes neurologiques alors que B. burgdorferi sensu stricto est associé aux formes rhumatologiques (1). Le diagnostic de la maladie de Lyme est fondé sur le contexte épidémiologique, l’examen clinique et la sérologie. Des anticorps spécifiques de Borrelia peuvent être détectés par la méthode ELISA ou par immunofluorescence ; les tests seront ensuite confirmés par Western Blot. Au stade précoce de l’infection, la sérologie est souvent négative, si bien que ce test diagnostique n’est pas nécessaire en cas d’EM. La bactérie peut être détectée dans le sang ou le liquide céphalorachidien (LCR) à l’examen direct au microscope à fond noir, mais cette technique n’est ni sensible ni spécifique. La bactérie peut être détectée dans les lésions cutanées, le LCR, le liquide articulaire, les urines par culture sur milieu spécifique ou par PCR quantitative (3, 6). Les prélèvements peuvent être adressés au CNR des Borrelia à l’Institut Pasteur, à Paris (tableau II). Le traitement de la phase primaire repose sur l’administration de doxycycline (200 mg/j) ou d’amoxicilline (500 mg x 3/j) pendant 14 à 21 jours. Les formes cardiaques et neurologiques relèvent de la ceftriaxone (2 g/j), admnistrée pendant 14 à 28 jours (5). L’efficacité du traitement préventif de la maladie de Lyme par une dose unique de doxycycline de 200 mg après piqûre de tique a été prouvée, s’il est administré dans les 72 heures qui suivent la piqûre (10). Cette recommandation n’a cependant été validée que pour les zones hyperendémiques aux ÉtatsUnis. Les fièvres récurrentes à tiques. Les bactéries responsables de fièvres récurrentes à tiques appartiennent également au genre Borrelia. Elles sont transmises dans le monde entier par des tiques molles du genre Ornithodoros appartenant à la famille des Argasidae (1) [photo 2]. Durant les récurrences, la Borrelia détectée est antigéniquement différente de la souche infestante. En effet, ces Borrelia sont caractérisées par des variations antigéniques de lipoprotéines membranaires de la membrane externe qui sont à l’origine de populations différentes appelées sérotypes. On estime qu’il existe 40 sérotypes différents dans la descendance d’une bactérie. À chaque I S E A U P O I N T rechute, c’est un sérotype différent qui prédomine, et la fièvre persiste jusqu’à la production d’anticorps dirigé contre lui. La fièvre va resurgir avec l’apparition d’un nouveau sérotype. Le réservoir des Borrelia responsables des fièvres récurrentes à tiques est représenté par de nombreux petits mammifères et rongeurs (sauf pour Borrelia duttonii, dont le réservoir est l’homme) (11). Les vecteurs s’infestent durant un repas sur un vertébré bactériémique. Une transmission transovarienne des Borrelia aux générations suivantes a été démontrée dans certains cas où les tiques sont donc à la fois vecteurs et réservoirs (12). Chez l’homme, les Borrelia sont séquestrées dans les organes profonds pendant les phases asymptomatiques, puis apparaissent pendant les périodes fébriles (bactériémies) avec des modifications antigéniques. Pour être infecté par ces Borrelia, il faut que l’homme pénètre l’habitat des tiques (cabanes dans la région des montagnes Rocheuses aux États-Unis, par exemple). La fièvre récurrente à tiques débute brutalement par une fièvre très élevée avec frissons. D’autres symptômes peuvent survenir, comme des céphalées, des myalgies, des arthralgies, une toux, une diarrhée, des vomissements, des hémorragies digestives (13). Une iridocyclite, une hépatosplénomégalie ou un ictère peuvent se voir dans ce contexte. Des symptômes neurologiques sont fréquents dans les cas d’infection à Borrelia turicatae aux ÉtatsUnis ou à B. duttonii en Afrique : méningite, paralysie faciale, hémiplégie, coma, troubles du comportement… En général, le premier épisode dure 3 jours, suivi par un deuxième épisode plus court une semaine plus tard. La maladie se termine le plus souvent en crise et la défervescence thermique s’associe à une recrudescence des signes généraux, avec parfois une évolution fatale. La caractéristique de ces borrélioses est la récurrence de la fièvre après un intervalle libre de 7 jours (extrêmes de 1 à 63 jours). Du point de vue biologique, une thrombopénie, une cytolyse hépatique et des troubles de la coagulation sont fréquents. Une méningite lymphocytaire peut être retrouvée en cas de forme neurologique. ● La Lettre de l’Infectiologue - Tome XXI - n° 4 - juillet-août 2006 Le diagnostic est porté après mise en évidence de Borrelia dans le sang périphérique des patients à l’examen au microscope à fond noir ou après coloration de Giemsa, Wright ou Diff-Quick (1, 12). La sensibilité de ces examens peut être augmentée en utilisant des méthodes de fluorescence avec l’acridine orange et en concentrant les érythrocytes comme le quantitative buffy coat (QBC) (12). Les méthodes sérologiques sont peu contributives en raison de la grande variabilité antigénique des Borrelia. Les méthodes de biologie moléculaire peuvent être utilisées sur les prélèvements sanguins ou sur les tiques (11). 167 M I S E A U P O I N T Le traitement des fièvres récurrentes à tiques repose sur la doxycycline, à la dose de 200 mg/j pendant 5 à 10 jours (14). L’érythromycine est une alternative. Une réaction de Jarisch-Herxheimer est possible dans les 2 heures suivant la prise du traitement. La tularémie La tularémie est une zoonose de l’hémisphère Nord, largement répandue en Amérique du Nord, en Asie du Nord et en Europe (15). Elle est absente du Royaume-Uni. La tularémie est due à Francisella tularensis, coccobacille à Gram négatif intra- et extracellulaire. Il existe quatre biovars différents : F. tularensis biogroupe tularensis (biovar A), le plus virulent, est présent en Amérique du Nord ; F. tularensis biogroupe holarctica (biovar B) est présent en Europe, en Asie et en Amérique du Nord ; F. tularensis biogroupe novicida (biovar C), présent aux États-Unis, est de moindre virulence ; F. tularensis biogroupe mediasiatica (biovar D). Récemment, l’étude de la diversité génétique des souches isolées aux ÉtatsUnis a permis de montrer leur regroupement en deux souspopulations distinctes localisées en fonction de leur environnement, donc de leurs hôtes et vecteurs (16). F. tularensis a été détectée chez plus de 250 espèces animales, mammifères ou invertébrés. Les lapins et autres rongeurs semblent être les mammifères les plus importants dans l’écologie de la maladie. La bactérie a également été détectée dans des arthropodes (tiques, moustiques), des aérosols et eaux contaminés, des liquides biologiques animaux. La maladie peut être contractée par inhalation, par ingestion de viande mal cuite ou d’eau contaminée, par passage transcutané ou par piqûre de tiques (14, 15). Les modes de contamination diffèrent selon la saison et le lieu. En été, les contaminations sont essentiellement liées aux piqûres de tique. En revanche, l’hiver, aux États-Unis, les chasseurs se contaminent en manipulant les animaux (14). L’incubation dure de 4 à 5 jours (extrêmes de un à 21 jours). La sévérité de la maladie est variable. Le début est brutal, avec des frissons, de la fièvre, des vomissements, une fatigue et une anorexie. La dissociation pouls-température est classique. La forme la plus fréquente est la forme ulcéroganglionnaire associant au site d’inoculation une papule qui devient pustule, puis ulcère et des adénopathies douloureuses de drainage lymphatique. D’autres formes cliniques existent : oculaires, pharyngées, typhoid-like, pleuropulmonaires sévères. Sans traitement, la maladie dure 2 à 3 mois. La mortalité atteint 7 %. Des anomalies biologiques peuvent s’associer au tableau clinique : hyperleucocytose, présence de lymphocytes atypiques, cytolyse hépatique. L’examen du LCR peut révéler la présence de cellules mononuclées, une hyperprotéinorachie, une hypoglycorachie. 168 Une sérologie par immunofluorescence est disponible. Les bactéries peuvent être isolées des prélèvements sanguins, du LCR, des ganglions ou des lésions cutanées par la méthode shell vial (17), la culture, la PCR en temps réel (3, 15). L’identification par séquençage de l’ADNr 16S semble utile dans les régions où F. tularensis n’a jamais été détectée (hémisphère Sud) (15). Enfin, il faut savoir que l’isolement par culture de F. tularensis nécessite un laboratoire de type P3. C’est un agent potentiel de bioterrorisme. Le traitement repose sur l’administration de fluoroquinolones pendant 14 jours. La gentamicine (5 mg/kg/8 heures en intraveineux) est recommandée dans les formes septicémiques pendant 7 à 14 jours et les cyclines à un moindre degré dans les formes pulmonaires (14). Les ehrlichioses et anaplasmoses Les ehrlichioses et anaplasmoses sont dues à des bactéries intracellulaires de la famille des Anaplasmataceae (au sein des Rickettsiales), dont les membres sont bien connus en pathologie vétérinaire et dont la classification a été récemment modifiée (18). Trois pathogènes émergents ont été décrits ces dernières années chez l’homme : Ehrlichia chaffeensis, l’agent de l’ehrlichiose monocytique humaine, Ehrlichia ewingii et enfin Anaplasma phagocytophilum, agent de l’anaplasmose granulocytique humaine (tableau III). E. chaffeensis et E. ewingii n’ont été isolées à ce jour qu’aux États-Unis. L’anaplasmose à A. phagocytophilum a été décrite aux États-Unis en 1996, puis en Europe à partir de 1997. Le premier cas français a été rapporté en 2003 (19). Les anaplasmoses et ehrlichioses sont des zoonoses. Le cycle de transmission nécessite la présence des animaux vertébrés et des tiques. Les mammifères semblent avoir un rôle dans le maintien et la propagation de la maladie, tandis que les tiques ne sont pas réservoirs (20). Les bactéries ont un tropisme médullaire et infectent notamment les leucocytes, où elles se divisent pour former une morula. Les caractéristiques cliniques de l’ehrlichiose monocytique humaine (HME) et de l’anaplasmose granulocytique humaine (HGA) sont similaires. Elles commencent par une fièvre aspécifique, après une période d’incubation de 7 à 10 jours pour l’HGA et de 2 à 4 semaines pour l’HME. Des céphalées, des myalgies, une anorexie, des signes respiratoires, digestifs (hémorragies) et neurologiques peuvent s’y associer (20). L’HME peut s’accompagner de signes cutanéo-muqueux à type de purpura, exanthème maculo-papuleux ou érythème diffus. À l’inverse, l’HGA n’a pas de signes dermatologiques d’appel, et notamment pas d’escarre d’inoculation. La Lettre de l’Infectiologue - Tome XXI - n° 4 - juillet-août 2006 M I S E A U P O I N T Tableau III. Agents des ehrlichioses et anaplasmoses (6). Bactéries Tropisme Ehrlichia chaffeensis Monocytes Ehrlichia ewingii Vecteur Animaux infectés Maladie Symptômes Amblyomma americanum Homme Cerf, chien, coyote, souris, chèvre, raton-laveur Ehrlichiose monocytique humaine Fièvre, Sud-est et Sud-Ouest céphalées, des États-Unis myalgies, (Virginie, Oklahoma) exanthème, toux, manifestations neurologiques, leucothrombopénie Chiens Ehrlichiose granulocytique canine Ehrlichiose granulocytique humaine Fièvre, polyarthrite, manifestations neurologiques, thrombopénie, lymphocytes atypiques Anaplasmose humaine Maladie fébrile États-Unis, Californie, survenant en été Europe du Nord ou au printemps, et Europe centrale anorexie, arthralgies, nausées, toux, pneumonie atypique Polynucléaires Amblyomma americanum neutrophiles Homme Anaplasma phagocytophilum Polynucléaires États-Unis : Ixodes Homme neutrophiles scapularis, Ixodes pacificus Europe : Ixodes ricinus Localisation géographique Sud-Est et Sud-Ouest des États-Unis Chien, cerf, lapin, souris, oiseau L’évolution peut être sévère et fatale, particulièrement chez les immunodéprimés ou les personnes âgées chez qui le diagnostic est porté tardivement. nectomisés (21). La transmission des parasites se fait par piqûre de tiques, par transfusion de concentrés globulaires (23) ou par transfert transplacentaire ou périnatal (14). Du point de vue biologique, une leucopénie (lymphopénie et neutropénie) associée à une thrombopénie ainsi qu’une cytolyse hépatique sont fréquentes. L’incubation de la maladie dure une à trois semaines. Les manifestations cliniques sont le plus souvent silencieuses. Parfois brutal, le début peut facilement être confondu avec un accès palustre : il s’agit d’une fièvre brutale associée à des frissons, un ictère, des sueurs profuses, une hépatosplénomégalie. L’évolution peut être sévère, vers une défaillance multiviscérale. Sur le plan biologique, il existe une anémie hémolytique, une cytolyse hépatique, une hémoglobinurie. Le diagnostic d’anaplasmose repose essentiellement sur la sérologie avec immunofluorescence indirecte ou sur la PCR (20). Cependant, le frottis sanguin peut également aider au diagnostic en révélant des morulas dans les leucocytes après coloration de Giemsa ou de Wright. Enfin, l’immunodétection sur une biopsie ou la culture de A. phagocytophilum ou de E. chaffeensis sur un échantillon sanguin ou tissulaire sont des arguments pour le diagnostic positif. En pratique, ces techniques diagnostiques ne sont effectuées en routine qu’au CNR à Marseille (tableau II). Le traitement des anaplasmoses et erhlichioses repose sur les cyclines. La doxycycline à 200 mg/j pendant 7 à 14 jours est le schéma classique (20). Le diagnostic repose d’une part sur le frottis sanguin, après coloration de Giemsa ou de Wright, qui révèle les parasites intraérythrocytaires et permet de mesurer la parasitémie, et, d’autre part, sur les sérologies et la PCR (24) (tableau II). Le traitement associe l’atovaquone (750 mg x 2/j per os) à l’azithromycine (500 mg le premier jour, puis 250 mg/j) pendant 7 jours (25). Une alternative associe la clindamycine à la quinine (26). Les cas sévères peuvent requérir des exsanguinotransfusions (22). LES MALADIES PARASITAIRES TRANSMISES PAR LES TIQUES : LES BABESIA LES MALADIES VIRALES TRANSMISES PAR LES TIQUES Il existe deux pathogènes humains du genre Babesia : Babesia microti, isolé aux États-Unis et récemment en Europe (21), et Babesia divergens, connu en Europe (22). Les membres du genre Babesia sont des parasites protozoaires intraérythrocytaires. La quasi-totalité des cas européens concernent les splé- La Lettre de l’Infectiologue - Tome XXI - n° 4 - juillet-août 2006 Les tiques sont les vecteurs de plusieurs virus dont certains appartiennent à la famille des Flavivirus (27). Ils sont à l’origine de plusieurs pathologies humaines, notamment en Europe. 169 M I S E A U P O I N T L’encéphalite à tiques (tick-borne encephalitis) L’encéphalite à tiques est une zoonose causée par le sous-type européen du tick-borne encephalitis virus (TBE). I. ricinus et Ixodes persulcatus en Europe ainsi que Haemaphysalis concinna en Russie sont les tiques vectrices. En France, les régions du Nord-Est et de l’Est sont les plus concernées. Les réservoirs sont les petits rongeurs. L’homme, les chevaux, les cerfs, les vaches et les chiens sont des hôtes accidentels. Les activités extérieures professionnelles ou de loisirs sont des facteurs de risque en zone d’endémie. Autres viroses transmises par les tiques La fièvre hémorragique d’Omsk (Omsk haemorrhagic fever) et la fièvre hémorragique Crimée-Congo (Crimean-Congo haemorrhagic fever [CCHFV]) sont des pathologies humaines qui ne comportent pas de signes neurologiques mais des signes hémorragiques. L’Eyach virus (EYAV) et le Colorado tick fever virus ont une symptomatologie à type de syndrome pseudogrippal. Leur évolution est en général bénigne. Le Powassan virus (POWV) et le Louping ill virus (LIV) ont une expression clinique semblable à celle de l’encéphalite à tiques. La maladie survient entre avril et novembre et évolue en deux phases : tout d’abord une phase virémique, qui succède à une incubation de 7 à 14 jours, caractérisée par un syndrome pseudo-grippal avec nausées, vomissements, céphalées. Après un intervalle libre de 8 jours apparaît la phase neurologique, pendant laquelle peuvent survenir une méningite lymphocytaire, une méningoencéphalite ou une méningoencéphalomyélite. Des séquelles neuropsychiatriques sont fréquentes (28). Cependant, il existe des cas asymptomatiques. Chaque maladie présente des spécificités cliniques, géographiques et évolutives (tableau IV). Des anomalies biologiques existent, comme une leucopénie, une thrombopénie. Les virus de la fièvre hémorragique d’Omsk et de la fièvre hémorragique Crimée-Congo nécessitent des précautions en laboratoire P4. Le diagnostic repose sur la détection du virus par RTPCR dans le sang (27). La prise en charge clinique des patients atteints de fièvre hémorragique de Crimée-Congo nécessite des précautions d’isolement, car il s’agit d’une fièvre hémorragique virale potentiellement transmissible au personnel soignant. Le diagnostic relève de la détection du virus par RT-PCR dans le sang ou le LCR. Cependant, la sérologie est utile au diagnostic malgré les réactions croisées avec les autres Flavivirus. L’isolement du virus dans le sang, le LCR ou les tissus doit être effectué en laboratoire de type P3. LES MANIFESTATIONS NON INFECTIEUSES APRÈS PIQÛRE DE TIQUE : LA PARALYSIE À TIQUES Le traitement est symptomatique. L’hospitalisation est nécessaire quand survient une atteinte neurologique. Deux vaccins inactivés sont disponibles en Europe de l’Ouest (27). La paralysie à tiques est un syndrome clinique que l’on confond fréquemment avec les autres déficits neurologiques aigus d’étiologie variée. La paralysie à tiques est due à la libération Tableau IV. Virus transmis par les tiques. Virus Vecteur Localisation Manifestations cliniques Tick-borne encephalitis virus (TBE) Ixodes ricinus, Ixodes persulcatus, Haemaphylasis concinna Europe et Russie Syndrome pseudo-grippal, puis méningite lymphocytaire, méningoencéphalite ou méningoencéphalomyélite, séquelles neuropsychiatriques fréquentes Omsk haemorrhagic fever virus (OHFV) Dermacentor reticulatus Sibérie Fièvre élevée, toux, myalgies, puis hémorragies (cutanéomuqueuses, digestives), méningisme isolé Évolution longue, séquelles rares Crimean-Congo haemorrhagic fever (CCHFV) Hyalomma Afrique, Moyen-Orient, Asie centrale et Asie du Sud-Ouest Fièvre, frissons, céphalées, photophobie, douleurs rétro-orbitaires, douleurs abdominales, puis syndrome hémorragique (hématomes, hématémèse, méléna) Décès par hémorragie incohercible Eyach virus (EYAV) Ixodes ventalloi , Ixodes ricinus France, Europe de l’Est Symptômes proches de ceux de l’encéphalite à tiques Colorado tick fever virus Dermatocentor andersoni États-Unis, montagnes Rocheuses, sierra Nevada Fièvre, arthromyalgies, nausées, vomissements, hépatite Powassan virus (POWV) Ixodes persulcatus, Hyalomma Russie Fièvre, céphalées, photophobie, léthargie, convulsions, déficits neurologiques focaux Louping-ill virus (LIV) Ixodes ricinus Royaume-Uni, Écosse, Turquie, Espagne Symptômes proches de ceux de l’encéphalite à tiques 170 La Lettre de l’Infectiologue - Tome XXI - n° 4 - juillet-août 2006 M I S E A U P O I N T d’une neurotoxine produite par une tique gorgée de sang et attachée à l’hôte (2). L’ablation de la tique permet une résolution complète et rapide des signes déficitaires. La paralysie à tiques est typiquement une paralysie ascendante touchant souvent les enfants, avec initialement une faiblesse et des paresthésies des membres inférieurs sans contexte fébrile. Dans les 24 à 48 premières heures, la faiblesse musculaire atteint le tronc, empêchant le maintien sans aide de la position debout ou assise. Par la suite s’installent une hyporéflexie, puis une aréflexie, une faiblesse des membres supérieurs ; puis survient l’atteinte des centres bulbaires, avec des difficultés à parler, avaler, voire respirer. Si la tique n’est pas enlevée à ce stade, le pronostic peut être fatal, car l’évolution se fait vers le coma, puis l’arrêt respiratoire. Le diagnostic différentiel est le syndrome de Guillain-Barré ou les autres causes de paralysie ascendante (poliomyélite et lésion spinale). Cependant, la paralysie à tiques est caractérisée par un LCR normal et par une évolution en quelques heures ou quelques jours, ce qui la distingue des autres pathologies susmentionnées. Les tiques en cause sont les D. variabilis ou les Dermacentor andersoni aux États-Unis, les Ixodes hexagonus en France, les Dermacentor marginatus en Italie (2). En Australie, Ixodes holocyclus est à l’origine d’une atteinte neurologique encore plus sévère, car s’étendant dans les 24 à 48 heures après l’ablation de la tique. De plus, la résolution des signes est beaucoup plus lente et nécessite une surveillance vigilante en milieu spécialisé. Photo 7. Comment retirer une tique ? vent présomptif. Selon les différents diagnostics et micro-organismes soupçonnés, on peut envoyer les prélèvements sanguins et tissulaires dans les centres nationaux de référence (tableau II). La seule prophylaxie préconisée à ce jour concerne la maladie de Lyme en zone d’hyperendémie aux États-Unis et repose sur une prise unique de doxycycline (200 mg) dans les 72 heures après la morsure. ■ R EN PRATIQUE Les tiques sont présentes dans le monde entier et transmettent des infections nombreuses et variées, bactériennes, virales ou parasitaires, voire plusieurs pathogènes en même temps (28-30). La transmission de l’agent pathogène nécessitant plusieurs heures d’attachement, il est préconisé de rechercher attentivement les tiques après exposition professionnelle ou de loisirs en zone d’endémie. Une tique attachée s’enlève à l’aide d’une pince de type pince à épiler (en sachant qu’il existe des pinces spécifiques) appliquée au plus près de la peau, et en tirant dans l’axe (photo 7). L’utilisation de vêtements longs et imprégnés est préconisée lors de promenades en zone à risque. La meilleure façon de se protéger est d’associer répulsifs cutanés à base de DEET 20-30 % et imprégnation des vêtements par des insecticides acaricides à base de perméthrine. Il existe de nombreuses formules dans le commerce. Le diagnostic des maladies transmises par les tiques repose sur un faisceau d’arguments non seulement microbiologiques, mais aussi épidémiologiques et cliniques. Il est le plus sou- La Lettre de l’Infectiologue - Tome XXI - n° 4 - juillet-août 2006 É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Parola P, Raoult D. Ticks and tickborne bacterial diseases in humans: an emerging infectious threat. Clin Infect Dis 2001;32(6):897-928. 2. Parola P, Paddock CD, Raoult D. Tick-born rickettsioses around the world: emerging diseases challenging old concepts. Clin Microbiol Rev 2005;18(4):719-56. 3. Brouqui P, Bacellar G, Baranton G et al. Guidelines for the diagnostic of tickborn bacterial diseases in Europe. Clin Microbiol Inf 2004;10:1108-32. 4. 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