ÉDITORIAL
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vant de contester, remercions.
Tout particulièrement, M.A. Bigard et son comité
de rédaction, qui m’ont spontanément ouvert les
colonnes de leur encore jeune mais déjà remarquable revue, afin
que j’y expose dans cet éditorial mon opinion personnelle — oh
combien hérétique ! — sur certaines des conclusions de la
Conférence de consensus sur les cancers du côlon des 29 et 30 jan-
vier 1998.
Avant de contester, félicitons.
Félicitons tous ceux qui ont participé à l’élaboration de ce consen-
sus, à savoir : 67 éminents collègues, 17 sociétés savantes, sous
l’ombrelle de l’ANAES et avec le support de 13 grands laboratoires
pharmaceutiques.
Le résultat de leur travail est impressionnant par son volume et par
sa qualité :
- un texte condensé de 37 pages, un numéro spécial de 300 pages
de notre vénérable Gastroentérologie clinique et biologique ;
- une réponse documentée et pertinente à presque toutes les ques-
tions que nous nous posons sur la prévention primaire, les explora-
tions nécessaires et suffisantes, les standards du traitement curatif,
la surveillance postopératoire, le traitement des cancers avancés et
métastatiques, etc.
Après ces “douceurs”, venons-en au fait, c’est-à-dire à ma contes-
tation !
Celle-ci porte exclusivement sur les réponses à la question n° 2 du
consensus, intitulée : “Le dépistage du cancer colique est-il pos-
sible et utile ?”
Pour la clarté du débat, il me paraît nécessaire que nous relisions
ensemble les recommandations du consensus sur cette question.
Les voici :
“Le dépistage du cancer colorectal est possible par la recherche de
saignement occulte dans les selles, dans le cadre de campagnes de
dépistage de masse soumises à des conditions strictes de réalisation.
Son efficacité pour les sujets à risque moyen ne pourra être défini-
tivement affirmée en France qu’après l’examen de l’étude bourgui-
gnonne et après démonstration de la faisabilité par des études
pilotes. Il est conseillé de les réaliser rapidement dans les départe-
ments aptes à respecter un cahier des charges précis, de préférence
là où existe un registre des cancers.
Le dépistage du cancer colorectal par ce test ne pouvant être pro-
posé à titre individuel par le médecin à son patient en dehors du
cadre de campagnes de dépistage organisées, la demande indivi-
duelle formulée par un patient doit être appréciée dans le cadre de
la relation médecin-malade en fonction du facteur de risque. Elle
ne relève en aucun cas du dépistage ”.
Je pense que le lecteur aura, en passant, noté les passages impor-
tants de la recommandation que l’on peut résumer ainsi :
- L’efficacité et la faisabilité du test Hémoccult®en France ne peu-
vent être encore définitivement affirmées. Continuons nos études.
- Seul le dépistage organisé de masse mérite d’être pris en considé-
ration dans des zones très limitées.
- Le test ne saurait être proposé à titre individuel par le médecin à
son patient en dehors de ces campagnes de dépistage de masse.
On ne peut être plus clair !
Pour être complet, je dois ajouter que ces recommandations
péremptoires, retirant pratiquement au médecin l’initiative de l’uti-
lisation de l’Hémoccult®, ont été précédées et suivies d’une véri-
table orchestration que je ne peux considérer autrement, en pesant
mes mots, que comme un boycott actif et passif de l’Hémoccult®.
C’est ainsi qu’on a vu une commission nommée par le ministre de
la Santé en 1997 parvenir aux mêmes conclusions que le jury du
consensus : “pas de dépistage individuel généralisé”, alors qu’une
autre commission ministérielle avait conclu, en 1994, que “le test
devait être proposé à l’ensemble de la population âgée de 50 à
75 ans”.
Mieux encore, pour les plus hautes autorités de la CNAM, le test
n’était “pas fiable” ; il faisait “courir des risques sérieux aux assu-
rés sociaux” et n’était pas recommandé dans les autres pays. Il
convenait donc de suspendre l’approvisionnement des centres qui
l’utilisaient.
Je conteste
J.P. Bader
*
A
* Ancien président de la Société nationale française de gastroentérologie
et de la Fondation française de cancérologie digestive.
La Lettre de L’Hépato-Gastroentérologue - n° 4 - août 1998
ÉDITORIAL
La Lettre de L’Hépato-Gastroentérologue - n° 4 - août 1998140
Ajoutons à cela le maintien, pour ce test, d’un statut (on devrait
plutôt dire : un non-statut) qui, depuis ses débuts en France, en a
fait successivement un TROC (ou Test Rapide d’Orientation
Clinique), puis un produit de parapharmacie. Il n’est pas rembour-
sé ; sa lecture (délicate) échappe à toute recommandation précise.
Alors que la population de 45 à 74 ans qui pourrait en bénéficier est
de l’ordre de 16 millions d’individus, son utilisation n’a jamais
dépassé quelques centaines de milliers d’unités par an. Comment
s’étonner dès lors qu’elle soit actuellement en chute libre, préalable
à sa disparition complète.
Autre preuve de ce boycott, plus anecdotique mais non moins affli-
geante : la lettre reçue, parmi tant d’autres, d’une personne lancée
dans le labyrinthe de la réalisation de ce test.
“Monsieur,
Désirant effectuer à titre préventif un test Hémoccult®, j’ai deman-
dé au centre anticancéreux de (... un des plus importants de
France) où je pouvais m’adresser. Après quelques difficultés pour
trouver une personne informée, on m’a indiqué qu’on ne le prati-
quait pas, mais que je pouvais m’adresser à tout laboratoire d’ana-
lyses médicales.
J’en ai contacté plusieurs. Aucun ne pratique la méthode
Hémoccult®. Il semble que dans une grande métropole, pourtant
réputée comme étant en pointe pour la médecine, le test
Hémoccult®ne soit pas pratiqué. Pouvez-vous m’indiquer comment
faire ?”
J’ai failli répondre : écrire au ministre.
Avant d’étayer ma contestation, et en prenant le risque d’être
accusé de dramatiser la situation, je voudrais insister sur l’état
d’urgence, sur la nécessité d’agir positivement dès maintenant
pour le plus grand nombre.
N’oublions pas — c’est le consensus qui le dit — que “le taux
de décès par cancer colorectal est resté stable au cours des vingt
dernières années”.
Nous sommes en face du chiffre impressionnant de 15 000 à
16 000 décès par an, soit 40 à 50 décès par jour, malgré la chirur-
gie la plus performante, malgré la chimiothérapie, malgré la
radiothérapie, malgré la coloscopie largement prescrite dans notre
pays. Et cela, parce que, lorsqu’on attend les symptômes signifi-
catifs pour explorer et pour opérer, il est souvent trop tard, et 59
% des patients meurent dans les cinq ans (toujours selon le
consensus). Et (dit le consensus) : “la recherche d’un saignement
occulte dans les selles est la seule méthode (souligné par moi)
potentiellement adéquate et la mieux évaluée” pour diminuer
cette hécatombe.
Essayons à présent de ne pas nous enliser dans un de ces intermi-
nables débats sur l’efficacité réelle du test Hémoccult®, comme le
consensus voudrait nous y inviter.
Est-il vraiment efficace ? S’il est efficace aux États-Unis, en
Grande-Bretagne et au Danemark, pourquoi ne l’est-il pas en
France ?
Qu’on m’autorise ici un rappel historique personnel, à savoir une
conférence quadriennale que les organisateurs du Congrès mon-
dial de gastroentérologie tenu à Sao Paulo en 1986 m’avaient
confiée sur le “Screening of cancer colorectal” (texte paru in
extenso dans Digestive Diseases and Sciences).
On parlait déjà, il y a douze ans, d’essais contrôlés sur
l’Hémoccult®, l’essai de Winawer au Memorial Sloan Kettering
Cancer Center, l’essai du Minnesota avec Gilbertsen mais surtout
démarrait alors le fameux essai de Hardcastle à Nottingham.
Toutes ces études montraient déjà en 1986, de façon convergen-
te, que l’usage de l’Hémoccult®permettait le diagnostic de cancer
et de gros polypes à un stade précoce de leur développement, ce
qui était très encourageant. Et j’avais pu alors conclure ma confé-
rence en disant que “la méthode sélective de dépistage du cancer
colorectal dans la population était sans conteste la recherche de
sang occulte dans les selles réalisée par le test Hémoccult II®”.
En 1987, la Fondation française de cancérologie digestive, que je
présidais à l’époque, dans un communiqué, fondait les mêmes
espoirs sur les résultats attendus des cohortes britannique et
danoise (initiées peu après celle de Hardcastle) et notait qu’ “il
pouvait être recommandé valablement aux praticiens d’utiliser le
test Hémoccult®dans leur clientèle de plus de 45 ans sans symp-
tôme d’alerte”.
Finalement (finalement !), en 1997, les résultats de ces deux
études sur la mortalité sont publiés. Si on laisse de côté les autres
études qui vont dans le même sens, les nombreuses études cas-
témoins critiquées par les “experts” parce que non prospectives,
l’étude de Mandel critiquée par les “experts” car faite sur des
volontaires, etc., pour ne retenir que l’étude de Hardcastle et celle
de Kronborg, dont même les “super-experts” les plus sourcilleux
admettent la grande rigueur méthodologique, les résultats sont là,
patents.
Ils démontrent — dit le consensus — qu’“un programme basé sur
un Hémoccult®répété tous les deux ans chez des personnes de 45
à 74 ans, peut diminuer la mortalité par cancer colorectal de 15 à
18 %, huit à dix ans après sa mise en place”. Et l’éditorial du
Lancet qui accompagne les publications britannique et danoise,
ayant étudié respectivement 152 000 et 140 000 sujets, conclut
sans ambiguïté que “les responsables de santé publique sont en
face d’une évidence claire : le dépistage [par Hémoccult®] peut
réduire la mortalité du cancer colorectal, killer n° 2 en Europe et
aux États-Unis”.
Ajoutons que si l’on isole dans cette population ceux qui ont
effectué le test — en excluant ceux qui l’ont refusé — les béné-
fices de survie pour les participants atteint et dépasse 30 %.
Combien, parmi nos 40 à 50 morts quotidiens par cancer colorec-
tal, auraient pu bénéficier de ce résultat si le test avait pu leur être
proposé par leur généraliste, il y a plus de dix ans, comme nous le
recommandions dans le cadre de la Fondation française de cancé-
rologie digestive ?
Et comment peut-on encore aujourd’hui, devant ces preuves qui
s’accumulent, décourager l’utilisation de ce test par le plus grand
nombre avec des déclarations aussi restrictives que : “Le dépista-
ge par Hémoccult®ne saurait être proposé à titre individuel par un
médecin à son patient, en dehors d’une campagne organisée”.
Ne tombons pas à nouveau dans ces travers, voire ces erreurs de
jugement, qui nous ont été récemment si préjudiciables dans une
affaire dramatique — je veux dire : la recherche de la preuve par-
faite, le souci excessif de la spécificité nationale, la mauvaise
appréciation des risques relatifs de l’action et de l’inaction.
N’est-ce pas d’ailleurs le Haut comité de la santé publique qui a
fait officiellement entrer dans le champ de la iatrogénie “les effets
négatifs d’une absence d’acte, la non-décision étant une forme de
décision” ?
La Lettre de L’Hépato-Gastroentérologue - n° 4 - août 1998 141
N’est-ce pas également la voie dans laquelle s’engagent des tribu-
naux pour non-assistance à personne en danger ?
Mais essayons d’aller plus loin et de comprendre quelles raisons
pourraient justifier cet “ attentisme ”.
Un mot sur l’étude bourguignonne
Faut-il, comme le suggère le jury du consensus, d’ailleurs mis en
place par le promoteur de l’étude, attendre — combien de temps
encore ? — que ses résultats soient exploitables pour affirmer ou
infirmer que la stratégie de dépistage validée aux États-Unis, en
Grande-Bretagne et au Danemark est utilisable aussi en France ? Et
si les résultats sont moins convaincants — comme on le murmure
— cela se terminera-t-il par une méta-analyse qui devrait être
confirmative des résultats étrangers ? Ou d’autres experts ne criti-
queront-ils pas, à leur tour, l’étude française, non randomisée ? Et
quelle importance le même auteur accorde-t-il à sa propre étude
cas-témoin portant sur 178 cas de sujets décédés entre 1988 et
1995, concluant que le risque de décès par cancer colorectal est
diminué significativement durant les trois années qui suivent un test
de dépistage ?
Une participation d’au moins 50 %
Un autre argument revient fréquemment sous la plume du rédacteur
du consensus. Il concerne le taux de participation à une campagne
de dépistage. Il est ainsi dit et répété que, pour considérer que le
dépistage est utile et entraîne une réduction de la mortalité, “il faut
que la participation de la population soit d’au moins 50 %” (dans le
consensus).
De fait, dans les études britannique, danoise et bourguignonne, un
tel niveau de participation a été atteint ou dépassé au prix de grands
efforts, alors que dans de nombreuses expériences entreprises par la
CNAM dans différents départements dans des conditions méthodo-
logiques très discutables, on a rarement dépassé des taux de parti-
cipation de 20 à 30 %. Mais n’y a-t-il pas là, dans la recherche d’un
taux immédiat de participation à 50 % (50 % ou pas de dépistage !)
une vraie confusion des genres, une sorte de sophisme ?
Un bon taux de participation, comme une bonne observance dans
un essai de médicament, est indispensable pour démontrer l’effica-
cité d’une technique ou d’un médicament, pour des raisons statis-
tiques. Mais une fois l’efficacité démontrée, et nous sommes avec
l’Hémoccult®dans ce cas, ce chiffre mythique, 50 % ou un autre,
n’est plus requis. A-t-on déconseillé aux conducteurs d’attacher
leur ceinture de sécurité tant que ce pourcentage magique de 50 %
“d’obéissants” n’était pas atteint ?
Le bénéfice individuel reste acquis pour qui fait le dépistage,
et, à l’inverse, le préjudice apparaît pour qui en est exclu. Dès qu’un
essai thérapeutique devient significatif, on l’interrompt pour ne pas
faire subir une perte de chance au preneur de placebo. Ce qui
d’ailleurs ne signifie nullement qu’il ne faille pas tendre vers une
extension progressive du nombre de ceux qui accepteront le test
dans l’avenir.
Un coût excessif
Mais — objectera-t-on — si le taux d’acceptation demeure faible,
le rapport coût-efficacité va devenir défavorable : une campagne
coûteuse, peu de tests effectués, peu de vies gagnées !
Faux : car dans notre cas, le test lui-même est très peu coûteux. Les
coûts importants se situent dans l’information-formation qui
demeure d’un intérêt majeur, et la coloscopie qui ne sera pas faite,
donc sans conséquence sur le plan économique, si le test n’est pas
réalisé par le sujet.
Un test de qualité
Abordons à présent le problème de la qualité du dépistage et de son
environnement.
Un des arguments que sous-tend à l’évidence la recommandation,
forte de ne pas confier au généraliste la prise en charge de ce dépis-
tage, en dehors d’un lourd programme organisé à un échelon loco-
régional, est la nécessité de faire un dépistage de qualité, ce qui est,
à mon avis, un peu méprisant vis-à-vis des praticiens à qui l’on
confie de plus en plus de tâches autrement plus complexes, telles
que le traitement ambulatoire des sidéens. Mais enfin !...
Le consensus évoque constamment les problèmes de qualité, de
respect du cahier des charges, etc. J’ai parcouru avec un effroi res-
pectueux un projet de cahier des charges pour un dépistage dépar-
temental : 22 pages denses, avec comités de pilotage nationaux et
départementaux, groupes permanents, groupes de gestion, structu-
re externe d’évaluation, responsables de formation, de communica-
tion, représentants à différents niveaux des caisses d’assurance
maladie, de la DGS, du conseil général, des mutuelles, du conseil
de l’Ordre, des associations professionnelles, responsables de l’as-
surance qualité, des tests, des coloscopies, des histologies, des
relances, etc.
Je n’ai rien inventé dans ce catalogue à la Prévert. J’évoque sim-
plement le souvenir effaré d’un des organisateurs d’une des cam-
pagnes de dépistage mises en place par la CNAM en Nord-Picardie,
au début des années 90, quand il s’était retrouvé avec un comité de
pilotage hypertrophique où siégeaient, entre autres, les représen-
tants de 18 caisses et de 7 organismes divers.
Résultat : participation infime des éligibles et fiasco quasi complet.
En réalité, de quoi s’agit-il pour le médecin prescripteur ?
- de proposer le test avec un minimum d’explications et de com-
mentaires aux personnes figurant dans la cible : 45 à 75 ans, sans
examen récent de ce type, sans facteur de risque élevé justifiant une
coloscopie de première intention, sans pathologie lourde,
- de leur prescrire une consultation pour coloscopie si le test est
positif,
- de les avertir qu’il faudra refaire le test dans un à deux ans s’il est
négatif.
Qu’y a-t-il de si extraordinaire dans cette stratégie qui soit hors de
portée d’un médecin, qu’il soit généraliste, spécialiste ou médecin
du travail ? Et en quoi nécessite-t-elle une immense structure médi-
co-administrative, comme notre Sécurité sociale prétend les créer,
sans savoir les faire fonctionner ?
Cependant, toujours à propos de la qualité, un point demeure capi-
tal : la lecture du test.
Il est à présent parfaitement démontré que la lecture du test est déli-
cate, que le lecteur doit être très entraîné pour éviter en particulier
les faux positifs qui augmenteraient fortement le nombre des colo-
scopies inutiles. D’où la nécessité de mettre en place des centres de
lecture, où les tests seront envoyés par poste et d’où les résultats
seront envoyés au médecin prescripteur (et au patient ?). D’où la
nécessité de donner à l’Hémoccult®un vrai statut.
Que dire des autres critères de la qualité du dépistage :
- la coloscopie pour tous les Hémoccult®positifs,
- la qualité de la coloscopie,
- la qualité de l’examen anatomopathologique,
- la qualité du suivi des Hémoccult®positifs et négatifs,
- la qualité des dossiers patients,
- l’existence et la qualité des registres de cancers, etc.
MES CONCLUSIONS
D’urgence,et sans plus attendre,il faut
promouvoir l’utilisation la plus large
du test Hémoccult®et donner à nos
concitoyens cette CHANCE d’un tiers
de décès en moins,au prix d’efforts très
considérables,je le reconnais.
Informer les médecins généralistes
du travail que les débats houleux et
contradictoires sur ce thème depuis plus
de dix ans ont rendus sceptiques et indif-
férents.
Informer le public de cette chance
qui lui est offerte.
Intégrer le dépistage du cancer
colorectal dans une stratégie de dépis-
tage et de prévention de santé publique,
devant devenir une responsabilité essen-
tielle des généralistes, probablement
avec une rémunération spécifique forfai-
taire.
Donner une existence réelle à ce
test, en lui procurant un statut, un prix,
un remboursement,une lecture centrali-
sée dans des centres reconnus.
Développer,comme pour toutes les
autres stratégies de dépistage et de
soins, une évaluation nationale,avec
des banques de données régionales,sous
la responsabilité des médecins, sans en
faire un préalable à l’utilisation du
test à grande échelle.
La Lettre de L’Hépato-Gastroentérologue - n° 4 - août 1998142
Qui niera que ces objectifs sont respectables, désirables et qu’il faut
tout faire pour les atteindre. Mais gardons-nous d’en faire, comme
certains le voudraient, des préalables à la généralisation du test car
il s’agit d’ouvrages de longue haleine.
Et d’ailleurs, ce subit intérêt pour la qualité des coloscopies, des
examens histologiques, du suivi des patients, des registres de can-
cers, l’a-t-on manifesté jusqu’à présent pour ces centaines de mil-
liers de coloscopies et autres examens effectués sur des indications
souvent moins impératives que la coloscopie pour Hémoccult®
positif ? Rappelons en effet que chez un Hémoccult®positif, la
valeur prédictive positive — c’est-à-dire la chance que l’examen
trouve une lésion manifeste ou potentiellement maligne (adénome
de plus d’un centimètre) — est de 30 à 40 %. Ces chiffres sont évi-
demment sans commune mesure avec la valeur prédictive positi-
ve faible, voire nulle, de symptômes variés déclenchant trop sou-
vent, une coloscopie : malade anxieux, saignement hémorroïdaire,
exérèse antérieure d’un polype de 2 mm, cancer chez un cousin
éloigné...
Le dépistage est dangereux
Encore un argument évoqué pour freiner la généralisation du test : la
dangerosité de la coloscopie. On estime en effet le risque à deux per-
forations pour 1 000 examens et à un décès pour 10 000 examens.
Cette donnée est évidemment à prendre en considération chaque
fois que l’on propose une coloscopie et le sujet doit en être informé.
Mais comme nous venons de le voir plus haut, la coloscopie pour
Hémoccult®positif étant l’indication de choix de cette endoscopie,
cet argument et la comparaison du nombre des décès liés au dépis-
tage et du nombre des décès évités par le dépistage, sont sans com-
mune mesure (rapport de 1 à 100) et doivent permettre de rejeter cet
argument comme non pertinent.
N’oublions pas les marginaux
Autre argument, à notre avis non recevable : le dépistage laissé à
l’initiative du médecin et ne s’intégrant pas dans ce fameux dépis-
tage de masse à lourde structure médico-administrative sur fichier,
serait bénéfique pour les personnes les plus médicalisées des
couches socio-économiques supérieures et laisserait de côté les
populations marginales les moins médicalisées. Je pense que c’est
la couverture généralisée de tous les individus qui résoudra ce pro-
blème, et non pas le dépistage de masse du cancer colorectal sur
fichier. Et d’ailleurs, le projet de restreindre l’utilisation exhausti-
ve du test à quelques départements pilotes n’exclut-il pas beau-
coup de monde du bénéfice du test ?
Un dépistage inconnu à l’étranger
Terminons-en avec un dernier argument tiré d’informations hors de
nos frontières.
Les grands pays étrangers ne font pas la promotion de ce dépistage :
pourquoi le ferions-nous ? Seuls ?
Faux ! Aux États-Unis, l’American Cancer Society recommande à
tous les individus de plus de 50 ans un dépistage du cancer colo-
rectal par une ou deux méthodes, parmi lesquelles la recherche
chaque année du sang occulte dans les selles figure en bonne place
(à côté de la sigmoïdoscopie tous les cinq ans et de la coloscopie
tous les dix ans, non validées en Europe).
Plus récemment, le Président Clinton a décidé que, dans le cadre
du Medicare (prise en charge fédérale des personnes de plus de 65
ans), le dépistage régulier du cancer colorectal serait, pour la pre-
mière fois, remboursé.
Voyons l’Allemagne maintenant, qui a organisé ce dépistage
depuis de nombreuses années en Allemagne de l’Ouest, et qui y
voit la raison probable d’une baisse progressive de mortalité par
cancer colorectal, non constatée dans les provinces de l’ex-
Allemagne de l’Est où le même dépistage n’avait pas été initié.
Quant à la Grande-Bretagne et au Danemark, s’ils ne tirent pas
immédiatement les conséquences de leurs superbes études, ce n’est
pas, comme on le dit parfois, pour des doutes sur la qualité de leurs
résultats mais parce qu’ils ont à faire face à des problèmes logis-
tiques concernant le nombre des coloscopies requises par une géné-
ralisation du dépistage, ce qui est loin d’être un problème français !
Voilà, j’en ai presque fini.
Ai-je mis dans mon exposé suffisamment de logique, suffisamment
de rigueur ?
J’ai toujours été fasciné, dans ma vie professionnelle, par la diffi-
culté de l’expertise et de la validation des données, non seulement
dans mon activité strictement médicale, mais aussi à l’INSERM,
dont j’ai été le directeur scientifique, et au ministère de la Santé,
dans les instances réglementaires du médicament où je me suis
investi.
Depuis plus de dix ans que je “ferraille” en faveur de l’extension
de l’usage de l’Hémoccult
®
, n’y ai-je pas mis un peu trop de pas-
sion, toujours mauvaise conseillère ? Le lecteur appréciera.
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