La Lettre de L’Hépato-Gastroentérologue - n° 4 - août 1998 141
N’est-ce pas également la voie dans laquelle s’engagent des tribu-
naux pour non-assistance à personne en danger ?
Mais essayons d’aller plus loin et de comprendre quelles raisons
pourraient justifier cet “ attentisme ”.
■“Un mot sur l’étude bourguignonne”
Faut-il, comme le suggère le jury du consensus, d’ailleurs mis en
place par le promoteur de l’étude, attendre — combien de temps
encore ? — que ses résultats soient exploitables pour affirmer ou
infirmer que la stratégie de dépistage validée aux États-Unis, en
Grande-Bretagne et au Danemark est utilisable aussi en France ? Et
si les résultats sont moins convaincants — comme on le murmure
— cela se terminera-t-il par une méta-analyse qui devrait être
confirmative des résultats étrangers ? Ou d’autres experts ne criti-
queront-ils pas, à leur tour, l’étude française, non randomisée ? Et
quelle importance le même auteur accorde-t-il à sa propre étude
cas-témoin portant sur 178 cas de sujets décédés entre 1988 et
1995, concluant que le risque de décès par cancer colorectal est
diminué significativement durant les trois années qui suivent un test
de dépistage ?
■ “Une participation d’au moins 50 %”
Un autre argument revient fréquemment sous la plume du rédacteur
du consensus. Il concerne le taux de participation à une campagne
de dépistage. Il est ainsi dit et répété que, pour considérer que le
dépistage est utile et entraîne une réduction de la mortalité, “il faut
que la participation de la population soit d’au moins 50 %” (dans le
consensus).
De fait, dans les études britannique, danoise et bourguignonne, un
tel niveau de participation a été atteint ou dépassé au prix de grands
efforts, alors que dans de nombreuses expériences entreprises par la
CNAM dans différents départements dans des conditions méthodo-
logiques très discutables, on a rarement dépassé des taux de parti-
cipation de 20 à 30 %. Mais n’y a-t-il pas là, dans la recherche d’un
taux immédiat de participation à 50 % (50 % ou pas de dépistage !)
une vraie confusion des genres, une sorte de sophisme ?
Un bon taux de participation, comme une bonne observance dans
un essai de médicament, est indispensable pour démontrer l’effica-
cité d’une technique ou d’un médicament, pour des raisons statis-
tiques. Mais une fois l’efficacité démontrée, et nous sommes avec
l’Hémoccult®dans ce cas, ce chiffre mythique, 50 % ou un autre,
n’est plus requis. A-t-on déconseillé aux conducteurs d’attacher
leur ceinture de sécurité tant que ce pourcentage magique de 50 %
“d’obéissants” n’était pas atteint ?
■Le bénéfice individuel reste acquis pour qui fait le dépistage,
et, à l’inverse, le préjudice apparaît pour qui en est exclu. Dès qu’un
essai thérapeutique devient significatif, on l’interrompt pour ne pas
faire subir une perte de chance au preneur de placebo. Ce qui
d’ailleurs ne signifie nullement qu’il ne faille pas tendre vers une
extension progressive du nombre de ceux qui accepteront le test
dans l’avenir.
■“Un coût excessif”
Mais — objectera-t-on — si le taux d’acceptation demeure faible,
le rapport coût-efficacité va devenir défavorable : une campagne
coûteuse, peu de tests effectués, peu de vies gagnées !
Faux : car dans notre cas, le test lui-même est très peu coûteux. Les
coûts importants se situent dans l’information-formation qui
demeure d’un intérêt majeur, et la coloscopie qui ne sera pas faite,
donc sans conséquence sur le plan économique, si le test n’est pas
réalisé par le sujet.
■“Un test de qualité”
Abordons à présent le problème de la qualité du dépistage et de son
environnement.
Un des arguments que sous-tend à l’évidence la recommandation,
forte de ne pas confier au généraliste la prise en charge de ce dépis-
tage, en dehors d’un lourd programme organisé à un échelon loco-
régional, est la nécessité de faire un dépistage de qualité, ce qui est,
à mon avis, un peu méprisant vis-à-vis des praticiens à qui l’on
confie de plus en plus de tâches autrement plus complexes, telles
que le traitement ambulatoire des sidéens. Mais enfin !...
Le consensus évoque constamment les problèmes de qualité, de
respect du cahier des charges, etc. J’ai parcouru avec un effroi res-
pectueux un projet de cahier des charges pour un dépistage dépar-
temental : 22 pages denses, avec comités de pilotage nationaux et
départementaux, groupes permanents, groupes de gestion, structu-
re externe d’évaluation, responsables de formation, de communica-
tion, représentants à différents niveaux des caisses d’assurance
maladie, de la DGS, du conseil général, des mutuelles, du conseil
de l’Ordre, des associations professionnelles, responsables de l’as-
surance qualité, des tests, des coloscopies, des histologies, des
relances, etc.
Je n’ai rien inventé dans ce catalogue à la Prévert. J’évoque sim-
plement le souvenir effaré d’un des organisateurs d’une des cam-
pagnes de dépistage mises en place par la CNAM en Nord-Picardie,
au début des années 90, quand il s’était retrouvé avec un comité de
pilotage hypertrophique où siégeaient, entre autres, les représen-
tants de 18 caisses et de 7 organismes divers.
Résultat : participation infime des éligibles et fiasco quasi complet.
■En réalité, de quoi s’agit-il pour le médecin prescripteur ?
- de proposer le test avec un minimum d’explications et de com-
mentaires aux personnes figurant dans la cible : 45 à 75 ans, sans
examen récent de ce type, sans facteur de risque élevé justifiant une
coloscopie de première intention, sans pathologie lourde,
- de leur prescrire une consultation pour coloscopie si le test est
positif,
- de les avertir qu’il faudra refaire le test dans un à deux ans s’il est
négatif.
Qu’y a-t-il de si extraordinaire dans cette stratégie qui soit hors de
portée d’un médecin, qu’il soit généraliste, spécialiste ou médecin
du travail ? Et en quoi nécessite-t-elle une immense structure médi-
co-administrative, comme notre Sécurité sociale prétend les créer,
sans savoir les faire fonctionner ?
Cependant, toujours à propos de la qualité, un point demeure capi-
tal : la lecture du test.
Il est à présent parfaitement démontré que la lecture du test est déli-
cate, que le lecteur doit être très entraîné pour éviter en particulier
les faux positifs qui augmenteraient fortement le nombre des colo-
scopies inutiles. D’où la nécessité de mettre en place des centres de
lecture, où les tests seront envoyés par poste et d’où les résultats
seront envoyés au médecin prescripteur (et au patient ?). D’où la
nécessité de donner à l’Hémoccult®un vrai statut.
Que dire des autres critères de la qualité du dépistage :
- la coloscopie pour tous les Hémoccult®positifs,
- la qualité de la coloscopie,
- la qualité de l’examen anatomopathologique,
- la qualité du suivi des Hémoccult®positifs et négatifs,
- la qualité des dossiers patients,
- l’existence et la qualité des registres de cancers, etc.