LA POLLUTION DES RIVIÈRES EN CHINE QUELLES CONSÉQUENCES ENVIRONNEMENTALES, SANITAIRES ET SOCIALES ? I. Des hydrosystèmes fortement affectés en zones rurales et urbaines La Chine connaît actuellement de nombreux problèmes liés à l’eau : dégradation des écosystèmes, pénurie d’eau, inondations. Le développement de l’économie s’est effectué à un coût, en termes de pollution et de santé publique, qui n’a pas été moins spectaculaire que les chiffres de la croissance. L’un des aspects les plus dramatiques est l’aggravation de la pollution des rivières. En effet, le gouvernement estimait en 2011 que 40 % des rivières chinoises étaient gravement polluées et 20 % à un niveau tel que leur eau a été jugée trop toxique pour permettre le moindre contact ! Pour cette même année c’est 75 milliards de tonnes d’eaux usées qui y ont été deversés. Au-delà des conséquences écologiques, ces pollutions ont de graves répercussions sanitaires (60 000 décès prématurés chaque année). Cartographie officielle des industries ayant des rejets aqueux polluants en Chine LES RÉGIONS RURALES FORTEMENT TOUCHÉES PAR LES POLLUTIONS INDUSTRIELLES N Les industries se sont multipliées dans les zones rurales, déchargeant ouvertement leurs eaux usées directement dans les divers milieux aquatiques. Le nombre d’usines pétrochimiques construites à proximité des rivières est d’environ 20 000 dont 10 000 le long du fleuve Yangzi et 4 000 près du Huang He. Confluence des fleuves Yangzi et Jialing dans la ville de Chongqing, la couleur rouge sang est due à une pollution causée par un accident chimique, minier ou industriel d’origine inconnue (source : ChinaFotoPress, septembre 2012). Rejets d’effluents pollués d’une usine de traitement de “terres rares” (village de Xinguang, Baotou, Mongolie-Intérieure, source China Daily) DES ZONES URBAINES SUBMERGÉES PAR LEURS EFFLUENTS Alors que la pollution était principalement d’origine industrielle, elle est également maintenant dominée par les rejets domestiques et urbains. Plus de 17 000 villes sont dépourvues de système de traitement des eaux usées, de sorte que les rejets de près d’un milliard d’habitants sont déversés directement dans les cours d’eau. Les donnée disponibles sur les qualités physico-chimiques des rivières et fleuves chinois et sur les types de rejets industriels, agricoles ou domestiques sont parcellaires et ne concernent que les grands cours d’eau et les principales sources des pollutions connues et datent souvent de plusieurs années. Bien que les autorités fassent aujourd’hui des efforts de transparence, la fiabilité des données est régulièrement remise en cause, plusieurs ONG dont Greenpeace estiment que la pollution de l’eau en Chine serait deux fois plus importante que les chiffres officiels. (source: Institut of Public & Environmental Affairs, 2013, http://www.ipe.org.cn/, et Google) II- Cadmium, chrome, mercure, plomb... le cas des rejets des industries textiles Ouvrier de Xintang cherchant dans les effluents toxiques les pierres utilisées pour user les jeans délavés (source: Lu Guang/Greenpeace, 2010). Eaux de lavage usées rejetées par une usine textile à Xintang (source: Lu Guang/Greenpeace, 2010). N XINTANG ET GURAO : CAPITALES DU BLUE JEANS LUOYANG: DES COLORANTS QUI ET DU SOUTIEN-GORGE FONT ROUGIR LES RIVIÈRES... La cité industrielle de Xintang a produit plus de 260 mil- En décembre 2011, la rivière Jianhe, lions de paires de jeans en 2008. Parmi les 3000 ateliers qui coule dans la ville industrielle de (en 2009) beaucoup rejettent leurs eaux usées, Luoyang a été fortement colorée en fortement chargées en métaux lourds (cadmium, rouge. Cette pollution provenait de chrome, mercure, plomb et cuivre), dans les cours deux usines textiles déchargeant illéd’eau locaux. Si les différentes étapes de lavage et de galement leurs eaux usées dans le coloration des pantalons ont un sévère impact sur réseau pluvial. Les responsables du l’environnement proche et sur les résidents, les bureau municipal de la protection de Luoyang au centre de la province de Henan conséquences sont encore plus importantes sur la santé l’environnement ont dû intervenir afin des 180 000 ouvriers immigrés présents qui subissent les de faire cesser ces activités. effets toxiques de manière directe. 80 % de l’économie de la ville de Gurao est liée N à l’industrie des sous-vêtements. En 2009, plus de 200 milions de soutiens-gorges ont été produits par 75 000 ouvriers. Au sud se trouve le village de Ximei traversé par la rivière Xiao xi. D’un point de vue économique, Ximei a bénéficié de cette industrie alors que la rivière en est devenue une victime. Lorsque les eaux usées rejetées contiennent des colorants, elle prend différentes teintes allant du noire au bleu. Jeune femme prélevant un échantillon d’eau polluée par Elle n’est plus apte pour la boisson ou la lessive des colorants rouge dans la rivière Jianhe (ville de Luoyang, Gurao au nord de la province de Guangdong province de Henan, décembre 2011) (source: China Daily). Xintang au sud de la province de Guangdong et plus aucun organisme aquatique n’y vit. III- L’apparition d’une vraie conscience environnementale ? DES ACTIVISTES POPULAIRES De plus en plus de citoyens chinois comme Wei Dongying, qui dénonce depuis une décennie les taux de mortalité liés à la pollution dans les “villages du cancer”. ou comme le journaliste et bloggeur Deng Fei, qui défend la qualité de l’eau, sont écoutés par la population. Cependant, peu de ces “citoyens activistes” ont une formation scientifique solide et sont pas réellement des leaders. UNE MOBILISATION CROISSANTE DES RIVERAINS L’expression de l’inquiétude des populations riveraines ne se limite pas uniquement à internet. En effet, récemment, une série de protestations a été déclenchée par les craintes de la dégradation de l’environnement, dont se fait souvent échos la presse internationale. Par exemple, en juillet 2012, des milliers de personnes ont manifesté contre le gouvernement de la ville côtière de Qidong, dans la province de Jiangsu, afin d’empêcher la construction d’un centre de stockage pour des effluents industriels. Ils ont fini par avoir gain de cause. C’était la dernière d’une des nombreuses confrontations sociales dans un pays où trois décennies d’expansion économique rapide ont eu un énorme cout écologique. L’activiste Wei Dongying relevant des taux de pollution de l’eau à proximité d’une usine chimique. village de Wuli, Nanyang, ville de Hangzhou, province de Zhejiang (source Lu Guang/Greenpeace, 2013). Des riverains protestant contre le projet d’installation d’un site de stockage d’eaux usées par un groupe papetier dans la ville de Qidong, province du Jiangsu (source: AP). LES RÉSEAUX SOCIAUX CHINOIS COMME VECTEURS INATTENDUS DE LA CONTESTATION Au cours de l’hiver 2013, plusieurs évènements spectaculaires dont la découverte de 16 000 carcasses de porcs dans le fleuve Huangpu à Shanghaï ont fait vivement réagir les internautes chinois. Certains d’entre eux ont décidé, en utilisant le réseau social Weibo, de publier des photos de cas de pollution des cours d’eau. Cet usage militant de l’information participative à la chinoise, permet de disposer d’un état des lieux montrant l’acuité du problème. Après avoir lancé un appel, le journaliste d’investigation Deng Fei a commencé à recevoir sur son compte des images de la pollution d’une rivière de la province de Shandong, puis les envois se sont succédé venant autres endroits du pays, comme ici, dans le Jiangnan, au sud du Yangzi. On assiste aujourd’hui à une réelle prise de conscience en ce qui concerne la sécurité de l’eau en Chine. Le public étant de plus en plus sensible à ce sujet, le gouvernement a promis de mettre un terme à la pollution et d’assurer la qualité de l’eau potable. On estime que 500 milliards de yuans (79,1 milliards de dollars) seront dépensés entre 2011 et 2015 pour lutter contre la pollution dans les 10 principaux fleuves et lacs du pays. Aussi, l’utilisation de nouveaux indices, comme les niveaux de métaux lourds et de polluants organiques persistants, vont également être utilisés pour évaluer la qualité des rejets et des milieux aquatiques. D’après le Département de prévention de la pollution du Ministère de la Protection de l’Environnement, un total de 22 indicateurs sera désormais utilisé pour évaluer la qualité des cours d’eau pendant la période du 12e plan quinquennal (20112015). Par ailleurs, la Chine projette également de renforcer la surveillance de la pollution des nappes phréatiques et de mettre en œuvre des projets de traitement des eaux souterraines (aussi fortement contaminées par des rejets illégaux) avant fin 2020. (Source: capture d’écran, réseau social Weibo, mars 2013. Nicolas MAUGHAN, [email protected] LATP UMR-CNRS 7353, Aix-Marseille Université St Charles, case 18, 3 place V. Hugo, 13331 Marseille « La Chine une puissance mondiale » Festival International de Géographie de Saint-Dié-des-Vosges 3 - 6 octobre 2013