recherche sur “ses” malades. Le modèle est celui du chercheur
travaillant en individuel, hérité du XIX
e
siècle.
Le caractère impératif des devoirs est absolu, mais le chercheur
est à la fois acteur et évaluateur de son action. Le caractère
impératif est, par conséquent, tempéré par les conditions d’ap-
plication, la conjoncture, les circonstances, le niveau de
conscience morale du chercheur, son degré d’adhésion aux
règles, la rigueur qu’il entend mettre dans l’observance du
devoir et l’absence de sanction en cas d’irrespect des règles.
Il s’agit là de règles éthiques, et il faut ici préciser les diffé-
rences fondamentales existant entre une règle éthique, une règle
déontologique et une règle juridique générale
[ 5 ]
. Une règle
éthique fixe des préceptes permettant d’agir bien et d’éviter de
faire le mal, que l’individu décide de suivre ou de ne pas suivre,
la règle déontologique permet au corps professionnel de sanc-
tionner un de ses membres qui ne respecte pas le code de mora-
lité de sa profession, la règle juridique organise des rapports
entre individus d’une même société ( 3 ) , s’imposant à tous,
ouvrant notamment des droits aux victimes de la méconnais-
sance de cette règle et la possibilité de contentieux. Le droit
n’existe qu’à partir du moment où la règle dont il s’agit est sus-
ceptible de sanction de la part des autorités, au nom de la volonté
générale. Ce qui importe, pour qu’il y ait droit, ce n’est pas que
le respect de la règle soit obtenu, c’est “qu’il existe un pou -
voir coercitif pour contraindre également tous les hommes à
l’exécution de leurs obligations” (4).
L’irrespect d’une règle éthique engendre le trouble de
conscience, l’irrespect d’une règle déontologique est soumis
au jugement des pairs, éventuellement constitués en instance
disciplinaire, l’irrespect d’une règle de droit relève des juri-
dictions civiles ou pénales.
Éthique et droit ne s’opposent pas mais se placent en des
espaces différents, la conscience morale étant par définition une
zone hors droit, où chaque individu définit pour lui et lui seul
ses propres règles. La règle éthique n’a donc, par définition,
aucune opposabilité à autrui.
La déclaration d’Helsinki est une règle éthique.
De ses cinq versions successives
[6]
, soulignons tout particuliè-
rement :
La pre m i è re (1964) qui prévoit, parallèlement aux
recherches “combined with professional care” l’existence de
“non therapeutic clinical re s e a rc h ” dont la pratique va à
l’encontre de la morale médicale traditionnelle, et le fait que,
dans l’une ou l’autre situation que “the doctor should obtain
the patient’s freely given consent after full explanation”.
La seconde (1975) qui fait apparaître, dans l’énoncé des
principes de base, le devoir de consulter, préalablement à la
mise en place de la recherche, “a specially appointed inde -
pendent committee for consideration, comment and guidance”
et précise en matière de consentement, “The doctor should then
(after providing an adequately information) obtain the subject’s
given informed consent, preferably in writing”.
La déclaration d’Helsinki consacre dès l’origine comme un
devoir du chercheur l’obtention du “freely given consent after
the patient has been given a full explanation”. Ce consente-
ment manifeste l’acceptation d’être exposé aux hasards et aux
contraintes d’une situation expérimentale, et est distinct du
consentement à recevoir des soins
[7]
.
Ce concept éthique du consentement
[8]
est à différencier de la
règle juridique énoncée au cours des procès médicaux de
Nuremberg
[9]
, où la notion de consentement était utilisée pour
définir à qui l’on pouvait proposer de participer à une
r e c h e r c h e : la personne juridiquement apte à manifester sa libre
volonté. La règle juridique permettait ainsi de qualifier le crime
commis par les médecins jugés, leurs expérimentations ayant
été pratiquées sur des prisonniers de guerre ou des civils dépor-
tés, par conséquent dans l’impossibilité de manifester leur libre
volonté.
Si la règle éthique et la règle juridique utilisent le même mot,
les conséquences diffèrent ; l’une montre au chercheur où est
son devoir, l’autre assure des droits au sujet et ouvre la possi-
bilité de sanctions.
Les difficultés d’interprétation rencontrées proviennent de la
confusion entre des règles de conduite proposées à l’individu
La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 3 - mars 1998
53
[5]
J.L. Bergel, Théorie Générale du Droit, Paris Dalloz, 1989 ; 49 :“Si l’on ajoute
(au droit) la morale et la religion, on constate que toutes ces règles répondent
à des phénomènes de psychologie sociale, résultant d’une pluralité de systèmes
normatifs au sein d’une société, dont les uns se produisent dans l’espace social
et les autres s’installent dans la conscience individuelle”.
[ 6 ]
Helsinki (19 6 4 ) ; To k yo (19 7 5 ) ; Venise (19 8 3 ) ; Hong Kong (19 8 9 ) ; So m e r s e t
West (1996).
[7]
Consentement à recevoir des soins souvent implicite et découlant du fait que
le malade consulte. Le médecin ne peut intervenir sur le corps de son patient
qu’avec l’accord de ce dernier, ce qui suppose une information préalable suffi-
sante.
[8]
American Medical Association, 10 décembre 1946 “In order to conform to the
ethics of the AMA, the voluntary consent of the person on whom the experi-
ment is to be performed must be obtained”. Supplementary report of the
Judicial Council, JAMA 1946 ; 132 : 1090.
[9]
Le Tribunal militaire énonce les "basic principles [that] must be observed in
order to satisfy moral, ethical and legal concepts [in] the practice of human
experimentation. Thus, principle 1 :
–The voluntary consent of the human subject is absolutely essential.
– This means that the person involved should have legal capacity to give consent;
should be so situated as to be able to exercise free power of choice, without the
intervention of any element of force, fraud, deceit, duress, ov e r- r e a ching, or other
ulterior form of constraint or coercion; and should have sufficient knowledge
and comprehension of the elements of the subject matter involved as to enable
him to make an understanding and enlightened decision. This latter element
requires that before the acceptance of an aff i r m a t i ve decision by the experi-
mental subject there should be made known to him the nature, duration, and
purpose of the experiment; the method and means by which it is to be conduc-
ted; all inconveniences and hazards reasonably to be expected; and the effects
upon his health or person which may possible come from his participation in
the experiment.
In :“Fifty years later : the signifiance of the Nuremberg Code”. E. Shuster. N Engl
J Med 1997 ; 337, 20 : 1436-40.