Normes relatives aux Bonnes Pratiques Cliniques dans l’Union européenne - 1

n projet de directive européenne se propose de don-
ner force juridique aux Bonnes Pratiques Cli -
niques dans la réalisation des essais cliniques de
médicaments à usage humain”.
Il s’agit là d’une directive, c’est-à-dire :
D'un texte “liant tout État membre destinataire quant au
résultat à atteindre tout en laissant aux instances nationales la
compétence quant à la forme et aux moyens (1)”.
D’un texte que chaque État membre aura à transposer
[1]
dans
son droit interne. En droit français, en général par un texte de
loi et non par des dispositions de nature réglementaire
[2]
.
D’un texte adressé aux seuls États membres. Les particuliers
ne peuvent pas se prévaloir d’une directive dans leurs conten-
tieux, mais seulement des mesures nationales d’application.
D’un texte normalement dépourvu d’applicabilité directe, à
l’exception des invocations de nature à permettre au citoyen de
faire valoir un droit à l’égard de l’État.
Ce projet de directive précise :
– Son champ d’application : les essais cliniques de médica-
ments, tels que définis par l’article 1 de la directive 65/65 EEC
du 26 janvier 1965.
Le vocabulaire technique dont il fera usage, au moyen d’un
glossaire et de mots-clés.
Le but qu’il revendique : la protection des personnes impli-
quées dans la recherche.
Les éléments conduisant (selon les concepteurs) à cette pro-
tection : rôle d’un “Comité d’éthique”, connaissances scienti-
fiques nécessaires en préalable à l’essai, modalités de l’inter-
vention des autorités administratives, déclaration des
événements indésirables survenant en cours d’essai, garantie
des produits soumis à l’essai, procédures d’inspection.
Les simplifications estimées utiles : standardisation de la
documentation à soumettre aux autorités et aux comités
d’éthique, harmonisation des procédures d’avis ou d’autorisa-
tion.
Ainsi qu’on peut le constater, il y a des poccupations
diverses, des problématiques de degré et de caractère diff é r e n t s
dont la solution, au niveau des États membres, peut ressortir de
compétences différentes.
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La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 3 - mars 1998
51
Normes relatives
aux Bonnes Pratiques Cliniques
dans l’Union européenne - 1re partie
J.P. Demarez*, J.M. Husson**
RÉSUMÉ.
Un projet de directive européenne vise à intégrer dans le droit communautaire les “Bonnes Pratiques Cliniques dans la réalisation
des essais cliniques de médicaments à usage humain”. L’existence de ces Bonnes Pratiques constitue, en soi, un progrès pour le développement
et la diffusion des futurs dicaments. Elles représentent également un élément de la protection des personnes impliquées dans les essais
cliniques. Ce n’est toutefois pas sans ambiguïtés, “non-dits” et confusions de genres. Le caractère de ces textes normatifs peut être éclairé par
certains rappels sur leurs origines. Ils font apparaître la nature et les motifs des contradictions rendant hétéroclites tant les Bonnes Pratiques
Cliniques que le projet de directive dont elles sont l’objet.
L’existence de ces textes ne saurait faire oublier au médecin investigateur les principes de sa déontologie professionnelle.
Mots-clés :
Bonnes Pratiques Cliniques - Éthique - Droit communautaire.
Qu’est-ce que vertu ?
Bienfaisance envers le prochain”
Voltaire – Dictionnaire philosophique
*Unité de pharmacologie clinique, Hôpital Saint-Antoine, Paris.
* * International Federation of the Associations of Pharmaceutical Physicians.
U
[1]
À moins que des dispositions existent déjà en droit interne, exemple : la direc-
tive européenne (n° 95/46/CE du 24 octobre 1995) concernant le traitement auto-
mati de données, qui reprend en fait les dispositions de la loi française
(n° 78-17 du 6 janvier 1978) dite Informatique et Libertés.
[ 2 ]
Excepté lorsque l'exécution de l'obligation peut découler de l'existence de
principes généraux.
Cette directive vise l’essai clinique, situation complexe faite
d’enjeux discordants, voire contradictoires, où se rencontrent
un instant des acteurs aux intérêts normalement divergents, où
s’affrontent des systèmes de valeurs opposés mais artificielle-
ment rendus compatibles, ainsi que nous l’allons démontrer.
Il ne nous appartient pas de juger du bien-fondé ou du non-
fondé de l’apparition de cette directive dans le paysage com-
munautaire. Il est, en revanche, intéressant de la replacer dans
son contexte et d’en définir les intérêts et les limites.
REMISE EN PERSPECTIVE DE LA DIRECTIVE
Depuis le milieu du XX
e
siècle, la decine occidentale
contemporaine a bouleversé ses connaissances (2), ses moyens
d’investigation et ses outils thérapeutiques par la pratique de
l’expérimentation, et tout particulièrement de l’expérimenta-
tion humaine réalisée sur des groupes d’individus avec le
recours aux biostatistiques.
Il n’est plus admis qu’un moyen diagnostique ou thérapeutique
soit proposé aux professionnels comme au public sans qu’il ait
fait l’objet précédemment d’une abondante expérimentation
humaine. Cette démonstration de l’existence d’une efficacité
et de l’absence de nocivité est considérée comme une assurance
de sécurité pour les futurs consommateurs et usagers.
Parallèlement, le médicament est sorti de l’artisanat pour deve-
nir une spécialité pharmaceutique dont le développement est
l’œuvre de sociétés commerciales. Les firmes pharmaceutiques
o r ganisent et financent les expérimentations dont elles se consti-
tuent promoteurs, et qui leur permettront d’enregistrer et de
vendre leurs spécialités sur des marchés transnationaux. Des
médecins mandatés par les firmes effectuent et surveillent ces
essais comme investigateurs, ce qui leur procure quatre choses
a p p r é c i a b l e s : expérience professionnelle, matière à commu-
nications scientifiques, subsides et honoraires. Les patients par-
ticipent aux essais, ce qui peut leur permettre de profiter avant
les autres du progrès thérapeutique et leur donner la satisfac-
tion d’aider la science à progresser. Cette relation trinitaire asso-
ciant firmes, médecins et patients est maintenant larg e m e n t
apparente et admise. De nos jours, l’exposition d’un homme à
une situation expérimentale ne choque plus, à la condition tou-
tefois qu’il y ait librement consenti.
Lopinion publique européenne n’aura pas d’état d’âme”
devant une directive intégrant promoteur, investigateur et sujet
d’expérimentation dans un même texte visant à réglementer la
situation d’essai.
Mais jusqu’à cette dernière décennie, chacun de ces acteurs
étant considéré séparément en fonction de sa situation “caté-
gorielle”, les activités normatives se sont adressées successi-
vement d’abord au médecin expérimentateur, puis à la firme
pharmaceutique promoteur, la personne sur qui était pratiqué
l’essai étant, du moins en Europe, notoirement peu informée
sinon consentante.
Des recommandations éthiques faites au chercheur
La situation du médecin chercheur est ambivalente. D’une part,
il est soignant, d’autre part et corrélativement, il est spécialiste
de la connaissance du normal et du pathologique de l’être
humain.
D’une part il est médecin, c’est-dire qu’il a à prendre en
charge la demande d’un patient dans l’intérêt exclusif de celui-
ci. C’est le sens de la morale hippocratique et des règles juri-
diques organisant la profession de médecin. La fonction du
médecin est de soigner des individus. Il est possible, au cours
des soins, d’acquérir des connaissances utiles au progrès de la
médecine. Mais l’acquisition de ces connaissances utiles ne
doit pas être la seule finalité, ni même la finalité première, de
l’intervention du médecin sur le corps d’autrui. Les règles gou-
vernant l’exercice de la médecine sont centrées sur la seule per-
sonne soignée précisément pour défendre celle-ci contre les
tentations de faire passer d’autres intérêts avant ou au détri-
ment des siens propres.
D’autre part, le médecin est chercheur. Parmi les patients qu’il
soigne, il sélectionne les sujets propres à la réalisation de son
protocole de recherche, dans la perspective d’intérêts autres
que celui de ces sujets, avec l’éventualité d’un bénéfice pos-
sible pour ces derniers, l’hypothèse de risques et l’existence de
contraintes spécifiques.
Le traitement expérimental a longtemps été considéré comme
une modalité particulière de la thérapeutique, et l’acte expéri-
mental s’est conjugué à l’acte de soins, la recherche clinique
n’était acceptée ou tolérée qu’à cette condition, ce jusqu’en
1947. À partir de considérations émises par les juges du tribu-
nal américain des procès médicaux de Nuremberg
[3]
, des orga-
nisations médicales (notamment l’Association médicale mon-
diale, le Conseil des organisations internationales des Sciences
médicales, l’American Medical Association) ont produit des
t e x t e s
[ 4 ]
destinés à guider les médecins lorsque leur activi
devenait une recherche biomédicale, individualisant ainsi la
situation de recherche biomédicale en tant qu’activiauto-
nome.
Ces textes fixent des devoirs et recommandent les attitudes per-
mettant, dans la pratique, la bonne observance de ces devoirs.
Il s’agit d’éclairer la conscience du chercheur, de façon pure-
ment individuelle. Les organisations représentatives fixent uni-
latéralement le contenu des règles à l’usage des membres de la
profession médicale entreprenant des recherches cliniques,
règles qui ont la particularité de n’avoir pas de force contrai-
gnante (d’opposabilité juridique) et de ne pas créer corrélati-
vement de droits au bénéfice du sujet de recherche (qui ne peut
par conséquent pas s’en prévaloir directement). C’est au méde-
cin que le propos s’adresse puisque c’est lui qui pratique la
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La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 3 - mars 1998
[3]
United States of America versus Karl Brandt, Nuremberg 1947.
[4]
En premier lieu un texte dit "Code de Nuremberg" qui, en dépit de cette appel-
lation, n'a pas de nature juridique.
recherche sur “ses” malades. Le modèle est celui du chercheur
travaillant en individuel, hérité du XIX
e
siècle.
Le caractère impératif des devoirs est absolu, mais le chercheur
est à la fois acteur et évaluateur de son action. Le caractère
impératif est, par conséquent, tempéré par les conditions d’ap-
plication, la conjoncture, les circonstances, le niveau de
conscience morale du chercheur, son degd’adhésion aux
règles, la rigueur qu’il entend mettre dans l’observance du
devoir et l’absence de sanction en cas d’irrespect des règles.
Il s’agit de règles éthiques, et il faut ici préciser les diffé-
rences fondamentales existant entre une règle éthique, une règle
déontologique et une règle juridique générale
[ 5 ]
. Une règle
éthique fixe des préceptes permettant d’agir bien et d’éviter de
faire le mal, que l’individu décide de suivre ou de ne pas suivre,
la règle déontologique permet au corps professionnel de sanc-
tionner un de ses membres qui ne respecte pas le code de mora-
lité de sa profession, la règle juridique organise des rapports
entre individus d’une même socié( 3 ) , s’imposant à tous,
ouvrant notamment des droits aux victimes de la méconnais-
sance de cette règle et la possibilité de contentieux. Le droit
n’existe qu’à partir du moment où la règle dont il s’agit est sus-
ceptible de sanction de la part des autorités, au nom de la volonté
générale. Ce qui importe, pour qu’il y ait droit, ce n’est pas que
le respect de la règle soit obtenu, c’est “qu’il existe un pou -
voir coercitif pour contraindre également tous les hommes à
l’exécution de leurs obligations” (4).
Lirrespect d’une règle éthique engendre le trouble de
conscience, l’irrespect d’une règle déontologique est soumis
au jugement des pairs, éventuellement constitués en instance
disciplinaire, l’irrespect d’une règle de droit relève des juri-
dictions civiles ou pénales.
Éthique et droit ne s’opposent pas mais se placent en des
espaces différents, la conscience morale étant par définition une
zone hors droit, où chaque individu définit pour lui et lui seul
ses propres règles. La règle éthique n’a donc, par définition,
aucune opposabilité à autrui.
La déclaration d’Helsinki est une règle éthique.
De ses cinq versions successives
[6]
, soulignons tout particuliè-
rement :
La pre m i è re (1964) qui prévoit, parallèlement aux
recherches “combined with professional care” l’existence de
non therapeutic clinical re s e a rc h ” dont la pratique va à
l’encontre de la morale médicale traditionnelle, et le fait que,
dans l’une ou l’autre situation que “the doctor should obtain
the patient’s freely given consent after full explanation”.
La seconde (1975) qui fait apparaître, dans l’énoncé des
principes de base, le devoir de consulter, préalablement à la
mise en place de la recherche, “a specially appointed inde -
pendent committee for consideration, comment and guidance”
et précise en matière de consentement, “The doctor should then
(after providing an adequately information) obtain the subject’s
given informed consent, preferably in writing”.
La déclaration d’Helsinki consacre dès l’origine comme un
devoir du chercheur l’obtention du “freely given consent after
the patient has been given a full explanation”. Ce consente-
ment manifeste l’acceptation d’être exposé aux hasards et aux
contraintes d’une situation expérimentale, et est distinct du
consentement à recevoir des soins
[7]
.
Ce concept éthique du consentement
[8]
est à différencier de la
règle juridique énoncée au cours des procès dicaux de
Nuremberg
[9]
, où la notion de consentement était utilisée pour
définir à qui l’on pouvait proposer de participer à une
r e c h e r c h e : la personne juridiquement apte à manifester sa libre
volonté. La règle juridique permettait ainsi de qualifier le crime
commis par les médecins jugés, leurs expérimentations ayant
été pratiquées sur des prisonniers de guerre ou des civils dépor-
tés, par conséquent dans l’impossibilité de manifester leur libre
volonté.
Si la règle éthique et la règle juridique utilisent le même mot,
les conséquences diffèrent ; l’une montre au chercheur où est
son devoir, l’autre assure des droits au sujet et ouvre la possi-
bilité de sanctions.
Les difficultés d’interprétation rencontrées proviennent de la
confusion entre des règles de conduite proposées à l’individu
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53
[5]
J.L. Bergel, Théorie Générale du Droit, Paris Dalloz, 1989 ; 49 :“Si l’on ajoute
(au droit) la morale et la religion, on constate que toutes ces règles répondent
à des phénomènes de psychologie sociale, résultant d’une pluralité de systèmes
normatifs au sein d’une société, dont les uns se produisent dans l’espace social
et les autres s’installent dans la conscience individuelle.
[ 6 ]
Helsinki (19 6 4 ) ; To k yo (19 7 5 ) ; Venise (19 8 3 ) ; Hong Kong (19 8 9 ) ; So m e r s e t
West (1996).
[7]
Consentement à recevoir des soins souvent implicite et découlant du fait que
le malade consulte. Le médecin ne peut intervenir sur le corps de son patient
qu’avec l’accord de ce dernier, ce qui suppose une information préalable suffi-
sante.
[8]
American Medical Association, 10 décembre 1946 “In order to conform to the
ethics of the AMA, the voluntary consent of the person on whom the experi-
ment is to be performed must be obtained”. Supplementary report of the
Judicial Council, JAMA 1946 ; 132 : 1090.
[9]
Le Tribunal militaire énonce les "basic principles [that] must be observed in
order to satisfy moral, ethical and legal concepts [in] the practice of human
experimentation. Thus, principle 1 :
The voluntary consent of the human subject is absolutely essential.
– This means that the person involved should have legal capacity to give consent;
should be so situated as to be able to exercise free power of choice, without the
intervention of any element of force, fraud, deceit, duress, ov e r- r e a ching, or other
ulterior form of constraint or coercion; and should have sufficient knowledge
and comprehension of the elements of the subject matter involved as to enable
him to make an understanding and enlightened decision. This latter element
requires that before the acceptance of an aff i r m a t i ve decision by the experi-
mental subject there should be made known to him the nature, duration, and
purpose of the experiment; the method and means by which it is to be conduc-
ted; all inconveniences and hazards reasonably to be expected; and the effects
upon his health or person which may possible come from his participation in
the experiment.
In :“Fifty years later : the signifiance of the Nuremberg Code. E. Shuster. N Engl
J Med 1997 ; 337, 20 : 1436-40.
pour lui permettre de bien agir (les règles éthiques) et des règles
générales et impersonnelles destinées à assurer le fonctionne-
ment équilibré de la société et le respect des droits de ses
membres (les règles juridiques).
Mais il arrive que les règles éthiques soient utilisées en guise
de règles juridiques. En effet, les autorités nord-américaines
( 5 ) , en précisant les conditions d’acceptabilité d’études cli-
niques réalisées à l’étranger en dehors d’une procédure fédé-
rale (IND)
[10]
et présentées pour un enregistrement sur leur ter-
ritoire, ont hissé la déclaration d’Helsinki à un niveau quasi
réglementaire et donné au modèle anglo-saxon un caractère
dominant en matière d’utilisation de l’éthique :
“That it is in the interest of the public health, whenever pos -
sible, to have access to and to consider detailed information
resulting from those studies performed abroad which are well-
conceived, well-controlled, performed by qualified experts, and
conducted in accordance with ethical principles acceptable to
the world community... The investigator has conducted the stu -
dies in conformance with the Declaration of Helsinki or the
laws and regulations of the country in which the re s e a r ch is
conducted, wichever re p r esents the greater protection of the
individual. If the standards of the country are used, differences
from those of the Declaration of Helsinki which reads as fol -
lows, shall be stated in detail.”
Le raisonnement suivi par les autorités fédérales est clair.
L’Agence fédérale ne refuse pas a priori, et sous réserve d’exa-
men, les données scientifiques d’origine étrangère proposées
pour soutenir la demande de commercialisation d’un médica-
ment aux États-Unis, provenant d’essais n’ayant, par consé-
quent, pas suivi les procédures technico-administratives amé-
ricaines. Mais le proposant doit garantir, a priori, que ces
données n’ont pas été obtenues au détriment du droit des per-
sonnes. Les principes dégagés par la déclaration d’Helsinki
représentent alors le niveau minimal de garantie du respect de
ces droits. La sanction de ce préalable est qu’à défaut de la
garantie du respect des droits, les résultats ne sont pas pris en
considération, quels que soient leur qualité scientifique et leur
caractère démonstratif. Les autorités nord-américaines fixent
ainsi les premières, de façon réglementaire, dans la réalisation
d’essais cliniques destinés à garantir la sécurité des futurs usa-
gers d’un nouveau médicament ; il importe de protéger égale-
ment les sujets soumis à expérimentation. Une commission
nationale
[11]
a d’ailleurs été chargée de réfléchir sur ces condi-
tions de protection et a dégagé trois principes présidant à une
recherche “éthique” : principe du respect de la personne (mani-
festé par l’exigence du consentement préalable) ; principe de
bienfaisance (existence d’un ratio risque/bénéfice favorable à
l’individu) ; principe de justice (distinction entre risques com-
parables à ceux de la vie courante et risques sérieux, les sujets
vulnérables ne pouvant être exposés qu’aux premiers, les
deuxièmes ne pouvant être tentés que sous contrôle strict chez
des volontaires adultes très informés).
Lexigence du consentement ( 6 ) des sujets de recherche est
depuis 1962 (Kefauwer Harris amendment) un préalable dans
le développement des spécialités pharmaceutiques, “ e x c e p t
when investigator decided it infeasable or contrary to the best
i n t e rests of the patient”. Il s’agit bien d’un consentement
spécifique à être exposé à une situation expérimentale après
information sur ses modalités, ses risques, son caractère aléa-
toire, ses avantages et ses inconvénients, distinct du consente-
ment à être soigné.
Pour les autorités nord-américaines, ce consentement n’est pas
un simple prérequis administratif, une formalité parmi d’autres
(7) : “The concept of informed consent is not a narrow or tech -
nical concept, limited in application to this or that particular
kind of research on human subject. Rather, the concept has a
b road sweep, and like the concepts of “due process of law” and
“equal protection of the laws”. It reflects fundamental social
value judgments about how people should be treated”.
Au fil des textes, les précisions apportées sur les modalités de
recueil de ce consentement vont se développer jusqu’à prendre
un aspect très procédural. Les dispositions du Federal Register
concernant le consentement ouvrent des droits à la personne
découvrant qu’elle a participé à son insu à une recherche. Mais,
dans le cas d’une étude alisée à l’étranger, la probabilité
qu’elle fasse valoir ces droits devant une juridiction américaine
est nulle.
Le recours à l’approbation préalable du protocole de recherche
par un “review committee” est préconisé dès avril 1975 par le
Federal Register
[12, 13].
La notion de “comité indépendant” a p p a -
raît dans la déclaration d’Helsinki, lors de l’Assemblée de l’As-
sociation médicale mondiale de Tokyo (octobre 1975). Il y a,
à n’en pas douter, des concordances entre l’administration nord-
américaine et la direction de l’Assemblée médicale mondiale.
À partir de 1981, l’examen par un comité indépendant ( 8 )
s’ajoute aux conditions de protection attendues dans les études
réalisées à l’étranger et présentées aux autorités américaines.
L’obligation de justifier la réglementation locale au regard de
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La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 3 - mars 1998
[10]
Investigational Exemption for a New Drug.
[11]
National Commission for the Protection of Human Subjects of Biomedical
and Behavioral Research 1974-1978. Rapport Belmont.
[12]
Fed. Register 1975 ; 40.69 : 16053-7. "If the investigator's study was conduc-
ted on institutionalized subjects, or was conducted on non institutionalized
subjects through an institution which assumed responsability for the study,
either the study has been reviewed for scientific and ethical considerations and
approved by a review committee prior to initiation of the study or the study
has been conducted in conformance with the laws regulations, and scientific
and ethical standards of clinical research of the country in which the research
was conducted. A review committee composed of individuals who are scien-
tists and, where practicable, individuals who are otherwise qualified; in this
regard, the addition of other health professionals or laymen to the committee
is not required but is desirable."
[13]
Le premier comité indépendant appelé à émettre un avis, préalablement à
la mise en place d’une recherche, dont il est fait mention dans la littérature
scientifique, est ce comité constitué par le gouverneur de l’Illinois pour se pro-
noncer sur les essais impliquant des prisonniers, et comportant des remises de
peine. JAMA 1948 ; 136 (7) : 457-8.
la déclaration d’Helsinki passe désormais de l’investigateur au
p r o m o t e u r. Les règles éthiques
[14]
internationalement recom-
mandées à la conscience des chercheurs deviennent également
un minimum réglementairement opposé aux firmes pharma-
ceutiques étrangères souhaitant commercialiser un médicament
aux États-Unis, si leur réglementation nationale n’est pas aussi
protectrice des sujets de recherche que la déclaration d’Hel-
sinki.
Des règles de fonctionnement pour le promoteur
Dans la réalisation d’expérimentations des médicaments, le
modèle du chercheur autonome n’est plus valide. L’investiga-
teur ne travaille pas seul et son promoteur est, dans la grande
majorité des cas, une firme pharmaceutique. Les règles
éthiques, si elles peuvent s’imposer au chercheur en raison de
son appartenance à la communauté scientifique ou de son haut
degré de conscience morale, n’ont pas pour objet direct l’en-
treprise commanditaire.
La conscience morale est, en effet, l’apanage de l’être humain
et n’est pas attribuée par les philosophes aux firmes ou aux
États. Certes, les chercheurs collaborateurs d’une entreprise
sont pourvus d’une conscience morale, et peuvent être sensibles
aux interrogations pour lesquelles la déclaration d’Helsinki for-
mule des recommandations.
Mais, d’une part, ce ne sont pas eux qui sont en situation de
pratiquer les actes sur les sujets d’expérimentation et, d’autre
part, les pratiques d’une entreprise ne sont pas la conséquence
du sens moral de ses salariés.
On se s’adresse pas à une entreprise
[15]
par des recommanda-
tions de l’ordre de la moralité mais par des obligations juri-
diques ou réglementaires. Les entreprises commerciales sont
également tenues à “des guides de bonne conduite”, usages sup-
plétifs aux usages de droit, dont la valeur juridique est incer-
taine (parfois preater legem
[16]
, voire contra legem) mais dont
la violation peut être considérée comme fautive. Ces “pseudo-
normes ne sont applicables qu’entre professionnels du
domaine considéré, seuls susceptibles de les connaître et de les
appliquer dans leur activité.
Il est attendu des entreprises pharmaceutiques qu’elles assu-
rent la qualité et l’authenticité des données scientifiques qu’elles
présentent pour lenregistrement des médicaments qu’elles
entendent commercialiser : If a study is not performed in
accordance with the good clinical practice or the data cannot
be verified, then the study will not be accepted as part of a re g u -
latory submission (9)”.
Il est également demandé non seulement que ces entreprises
tiennent compte des principes dont s’inspire le chercheur, pour
le respect des personnes impliquées dans les essais, mais encore
qu’elles mettent en place les dispositions nécessaires à la garan-
tie de ce respect, notamment par la répartition des rôles et tâches
de chacun, et l’exercice de contrôles réguliers “Will the good
clinical practice re q u i rements help us to obtain better tre a t -
ments ? They probably will, but on two conditions : the trial
regulations should not interfere induly with the doctor patient
relationship, and progress must not be made at the expense of
the integrity and welfare of existing patients (10)”.
Ces deux considérations sont ici complémentaires. Les Bonnes
Pratiques Cliniques ont donc constitué, à partir de 1987, sous
forme de projets dans la Communauté européenne, un ensemble
de recommandations s’adressant aux firmes
[17]
, à charge pour
elles d’en assurer la connaissance et le respect par les investi-
gateurs, sous l’invocation rituelle de la déclaration d’Helsinki,
et la référence aux Directives européennes relatives à l’enre-
gistrement des spécialités pharmaceutiques.
Les Bonnes Pratiques Cliniques comportent deux types de dis-
positions, les unes définissant les différentes opérations tech-
niques à organiser lors de la mise en place, la conduite et l’ana-
lyse d’un essai (Chap. II, III, IV,V), et assurant le partage des
tâches entre l’investigateur et les personnels du promoteur, les
autres précisant les modalités du recueil du consentement des
sujets de recherche (Chap. I 1.8 à 1.15), l’intervention d’un
comité indépendant (Chap. I 1.3 à 1.7), et la nécessité de pro-
tection de la vie privée des sujets de recherche (Chap. II 5.9).
Ces dernières considérations concordent avec les recomman-
dations de la déclaration d’Helsinki dans sa version la plus
récente.
Il est aisé de retrouver, sous cette articulation, les chapitres 50,
56 et 312 du tome 21 du Code of Federal Regulation ( c h a-
pitre 50 ou Protection of Human Subjects, Informed Consent,
chapitre 56 ou Institutional Review Boards, et le chapitre 312
ou Investigational New Drug A p p l i c a t i o n), couramment ras-
semblés, à l’intention de leurs personnels et des investigateurs
par certaines firmes pharmaceutiques, en un petit fascicule sous
le titre général “Good Clinical Practice”, et distribués dans le
monde industrialisé.
Mais à la différence des principes d’éthique présidant ou devant
présider aux activités des chercheurs, ces recommandations
s’adressant au promoteur ne sont pas conçues et autoprocla-
mées par les professionnels de l’industrie pour les profession-
nels de l’industrie. Elles ont été rédigées par les autorités d’en-
registrement, en concertation avec des représentants ou des
experts des firmes pharmaceutiques, en premier lieu selon des
initiatives nationales (11), puis au niveau du Comité des spé-
cialités pharmaceutiques de la Communauté européenne (12)
enfin dans le mouvement de la Conférence internationale d’har-
La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 3 - mars 1998
55
[14]
Selon The Oxford Dictionary of Current English, Clarendon Press (1964) :
Ethic : relating to moral ; Moral : concerned with the distinction between right
and wrong.
[15]
Dont l’appellation juridique est paradoxalement “personne morale, ainsi
nommée comme entité distincte des personnes physiques qui la composent.
[16]
Expression signifiant “au-delà de la loi”, utilisée pour caractériser un usage
qui s’établit, à défaut de texte pour combler une lacune de la loi écrite.
[17]
Avant-propos, note explicative du groupe de travail du Comité européen
des spécialités pharmaceutiques sur l'efficacité des médicaments, juillet 1990 :
“Ces principes concernent essentiellement l’industrie pharmaceutique, mais
aussi toutes les parties qui contribuent à produire des données cliniques en
vue de l’enregistrement des médicaments. De plus elles peuvent être appli-
quées plus largement par toute personne entreprenant des études expérimen-
tales chez l’homme.
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