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Le Courrier de l’Arcol (2), n° 3, septembre 2000
montrent que hypertendus et diabétiques
bénéficient incontestablement de la stratégie
ramipril, et notamment en termes d’insuffi-
sance cardiaque incidente (risque relatif de
0,77 ; p < 0,001 ; IC à 95 % : 0,67-0,87).
Une hypothèse logique à la lecture de l’en-
semble de ces données est que le traitement
IEC apporte un bénéfice dans toutes les
formes de dysfonction ventriculaire gauche,
quel que soit le degré d’atteinte de la frac-
tion d’éjection. En attendant que des essais
spécifiques permettent de mieux définir la
stratégie optimale dans l’insuffisance car-
diaque à fonction systolique conservée, il
semble raisonnable aujourd’hui d’élargir les
indications de traitement IEC à toutes les
insuffisances cardiaques, quelle que soit la
fraction d’éjection ventriculaire gauche.
Doutes levés sur la prévention de l’AVC
par les IEC
Depuis les années 1980, les IEC sont large-
ment prescrits comme traitement de fond
de l’hypertension artérielle, dont on sait
qu’elle est un facteur de risque majeur d’ac-
cident vasculaire cérébral. Le premier essai
de grande envergure sur l’efficacité clinique
d’un IEC, CAPPP, a comparé une stratégie
fondée sur le captopril à une stratégie fon-
dée sur diurétiques ou bêtabloquants. Sa
publication a jeté un profond malaise car un
des seuls résultats significatifs était le sur-
croît d’AVC dans le groupe captopril (14).
On sait aussi que les résultats de l’essai
CAPPP sont décrédibilisés par le déséqui-
libre de randomisation grave portant notam-
ment sur le niveau de pression artérielle.
HOPE vient, en résonance avec l’essai
STOP2, nous rassurer sur l’effet préventif des
IEC vis-à-vis de l’accident vasculaire céré-
bral. Dans STOP2, une stratégie fondée sur
des IEC était comparée à une stratégie fondée
sur des antagonistes calciques, ces deux stra-
tégies étant elles-mêmes comparées à une
stratégie classique (diurétiques ou bêtablo-
quants), chez des hypertendus âgés. L’essai a
échoué à démontrer la supériorité des “nou-
veaux” sur les “anciens” (hypothèse initiale),
mais suggère néanmoins que si une supériori-
té des “anciens” existe, elle ne dépasse par
4% en termes relatifs (borne supérieure de
l’intervalle de confiance à 95 % du risque
relatif “nouveaux”/“anciens” pour l’accident
vasculaire cérébral), le risque d’AVC étant
équivalent sous IEC et antagoniste calcique
dans cette étude. Dans HOPE, le bénéfice de
la stratégie ramipril porte aussi sur les AVC,
avec une proportion d’accidents évités dépas-
sant en moyenne 30 % (p < 0,001).
Remise en question des règles
classiques
L’hyperactivation du SRAA étant un méca-
nisme de régulation naturellement mis en
jeu dans l’insuffisance cardiaque et dans les
suites de l’infarctus du myocarde, ces deux
situations étaient des terrains privilégiés
d’expérimentation des effets cliniques des
IEC. Dans HOPE, les participants de l’essai
ont été sélectionnés sans référence directe
au mécanisme d’action du médicament
testé, à moins de considérer que l’ensemble
des sujets à risque cardiovasculaire élevé
ont une hyperactivation du SRAA.
L’hypothèse la plus classique à la base de la
commercialisation initiale des IEC, et res-
ponsable de la majorité des indications, est
celle de l’effet antihypertenseur. Les limites
du niveau de pression artérielle comme
déterminant obligatoire et unique du béné-
fice clinique des médicaments de l’hyper-
tension avaient déjà pu être soulignées (15) :
•La correspondance entre la réduction du
risque et la baisse de pression artérielle
(hypothèse d’isotropie)1n’est pas la même
selon la nature de l’accident cardiovascu-
laire auquel on s’intéresse, cérébrovascu-
laire ou coronarien.
•L’intensification de la baisse de pression
artérielle ne s’accompagne pas du bénéfice
escompté, comme l’ont montré les essais
HOT et BBB.
HOPE nous apporte encore un argument
contre cette hypothèse d’isotropie, avec la
démonstration d’un bénéfice en grande partie
indépendant de la baisse de pression artériel-
le, puisque 70 % de la réduction du risque ne
serait pas expliquée par la différence de pres-
sion artérielle entre les groupes.
Une explication simple de la faillite du
modèle d’isotropie réside dans l’impact
multifactoriel de la thérapeutique, et la limi-
tation de notre aptitude à comprendre et pré-
voir l’effet clinique à travers des modèles
simplistes comme celui de l’hypertension.
Les conséquences de la remise en question
de ces modèles simplistes sont lourdes :
•La plus grande prudence devrait s’imposer
quant à l’utilisation des critères intermé-
diaires dits de substitution pour l’autorisa-
tion de mise sur le marché des nouveaux
médicaments. La notion d’effet classe ne
devrait pas résister à cette remise en ques-
tion, et l’on pourrait imaginer à terme la
nécessité de preuves d’efficacité clinique
pour chaque nouvelle molécule. Se pose
alors le vaste problème des essais de
démonstration d’équivalence.
•La place des critères d’efficacité comme la
baisse de pression artérielle ou de la choles-
térolémie comme guide pour le bon usage
des interventions préventives apparaît moins
clairement. Nous disposons à la fois d’élé-
ments pour remettre en question l’intérêt de
la poursuite systématique de la cible la plus
basse de pression artérielle (essais HOT et
BBB), et de preuves de l’efficacité de straté-
gies plus simples comme le recours à des
doses fixes non adaptées. Cette stratégie
simple a été utilisée avec succès dans HOPE,
mais aussi naturellement dans des situations
où l’adaptation posologique n’était pas appli-
cable faute de disponibilité de critère ad hoc
(cas des antiagrégants plaquettaires), ou
encore dans le cas de l’hypercholestérolémie
où, comme dans l’hypertension artérielle, il
est d’usage d’adapter la dose à la réponse :
les grands essais montrant l’intérêt de la pra-
vastatine (WOSCOPS, CARE et LIPID) ont
tous été réalisés avec une dose fixe de 40 mg.
L’impression générale est qu’il existerait un
certain bénéfice à ajuster la posologie, mais
que la cible n’est pas univoque, et le bénéfi-
ce en question ne serait pas à la hauteur des
investissements nécessaires.
Les questions restant
à résoudre après HOPE
Quelle place pour le calcul du risque
individuel ?
La simplicité des règles d’inclusion de
HOPE fait naturellement mettre en doute
l’intérêt d’un calcul du risque prédit pour un
individu, dans la pratique quotidienne. Il
serait probablement prématuré d’abandon-
Mise
au point
1. Selon l’hypothèse d’isotropie, une seule et
même relation définit la correspondance entre les
différents niveaux de pression artérielle et les
variations relatives de risques, que l’on examine
cette correspondance au plan interindividuel (épi-
démiologie) ou au plan individuel (thérapeutique).