Précis d’anesthésie cardiaque 2015 – 28 Transfusions 1
CHAPITRE 28
INDICATIONS A LA TRANSFUSION
ET STRATEGIES
D’EPARGNE SANGUINE EN
ANESTHESIE CARDIAQUE
Mises à jour: Février 2014, Novembre 2015
Précis d’Anesthésie Cardiaque
PAC
Précis d’anesthésie cardiaque 2015 – 28 Transfusions 2
Table des matières
Introduction 2
Physiopathologie du transport d’O2
4
La transfusion sanguine 6
Risques liés aux produits sanguins 6
Effets de la due de conservation 9
Impact clinique de la transfusion 11
Risques liés à l’anémie 14
Critères de transfusion 19
Transfusion massive 23
Transfusion de produits dérivés 30
Recommandations 36
Stratégies globales de la gestion du sang 38
Phase préopératoire 40
Hémodilution isovolémique 45
Moyens techniques 48
Moyens pharmacologiques 50
Technique d’anesthésie 52
Cas particulier: Témoins de Jéhovah 55
Conclusions 59
Bibliographie 60
Auteurs 68
Introduction
L'attitude vis-à-vis des transfusions a considérablement évolué ces vingt dernières années suite à
plusieurs phénomènes.
La volonté sécuritaire de réduire tout risque lié aux pratiques médicales, basée en l'occurrence
sur la crainte de transmettre le virus HIV aux receveurs (affaire du sang contaminé en France);
L'observation de populations de malades tolérant des anémies profondes (Hb 50 - 60 g/L) sans
effets délétères, tels les dialysés ou les Témoins de Jéhovah;
L'expérience du déchocage extrahospitalier, prouvant que, en phase aiguë, le maintien de la
volémie est plus important que la correction de l'anémie;
La restriction du nombre des donneurs, notamment avec le risque récent de transmission de
maladies géographiquement localisées; en Grande-Bretagne, par exemple, ce nombre a chuté
de 22% entre 1999 et 2004 (épidémie de la "vache folle") [193] ;
Les coûts de production du sang en augmentation constante, notamment à cause des
investissements dans le dépistage des maladies transmissibles ;
Le fait que certaines idées se sont avérées infondées: l'anémie n'augmente pas les défauts de
cicatrisation, qui ne surviennent que pour des Ht < 15%, ni les infections postopératoires, qui
sont davantage liées aux transfusions elles-mes qu'à la baisse de l'hémoglobine. Sauf dans
les hémorragies aiguës, la transfusion n'améliore pas le pronostic des malades mais augmente
leur morbi-mortalité [32,218].
Simultanément, plusieurs facteurs ont contribà augmenter les besoins en transfusion érythrocytaire.
Interventions chirurgicales de plus en plus complexes et hémorragipares; les deux tiers des
transfusions ont lieu pendant la période opératoire ou postopératoire immédiate;
Polytraumatisés arrivant vivants au déchoquage grâce à la médicalisation pré-hospitalière;
Nombre accru de réopérations: saignement diffus et profus en raison des adhérences ou des
médications anticoagulantes/antiplaquettaires;
Patients âgés, débilités, ou enficience multi-organique;
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Interventions d'urgence sur des malades au bénéfice d'une anticoagulation, d’une anti-
agrégation ou d'une thrombolyse.
Au lieu d'être une thérapeutique en soi, la transfusion érythrocytaire est désormais considérée comme
un aspect particulier au sein d'une rie de mesures contribuant toutes à l'épargne sanguine (voir
Stratégies d’épargne sanguine). A la place d’être centrée sur un produit dont on cherche à améliorer
la production et la qualité, la vision thérapeutique s’est déplacée vers le receveur, dont la prise en
charge optimale suppose qu’on améliore le pronostic en traitant l’anémie, en freinant l’hémorragie et
en limitant l’usage du sang homologue [46]. Après avoir obtenu un très haut degré de sécuridans les
produits sanguins, on voit maintenant s’accumuler les études démontrant l’impact négatif de la
transfusion sur le devenir des patients hémodynamiquement stables et dépourvus de comorbidités
[91]. On arrive ainsi à une curieuse situation : l’anémie est un facteur pénalisant, mais son traitement
par la transfusion aggrave le pronostic au lieu de le corriger [174,187].
Tous les patients ne présentent pas le même risque d’être transfusé. La probabilité de recevoir une ou
plusieurs poches de sang varie selon les situations. Les facteurs qui sont le plus souvent associés à la
transfusion d’érythrocytes et de produits dérivés du sang sont les suivants [149]:
Anémie préopératoire;
Hémorragie peropératoire;
Traitement anticoagulant et/ou antiplaquettaire en cours;
Age avancé;
Insuffisance rénale.
Ces dernières années, de nombreuses études tendent à démontrer un lien de causalité entre la
transfusion et la morbi-mortalipostopératoire, poussant à définir des valeurs dHb beaucoup plus
restrictives comme seuils pour l’administration de globules rouges (GR) et incitant à corriger l’anémie
périopératoire par d’autres moyens. Car le but premier du traitement nest pas de rétablir un chiffre
d'Hb, mais d'améliorer le transport d'O2. Ceci a clairement été expridans les recommandations de
l'ASA: "Red blood cell transfusion should not be dictated by a single haemoglobin transfusion trigger,
but instead be based on the patient's risk of developping complications of inadequate oxygenation"
[154]. Il reste toutefois beaucoup de chemin à parcourir, puisqu'une revue de la littérature concernant
les transfusions dans les situations cliniquement stables révèle que 59% des indications sont
inappropriées [170]. D'autre part, au sein d'un même pital, le taux d'Hb considéré comme une
indication à la transfusion sanguine varie de 70 à 100 g/L, et le taux de perfusion plaquettaire dans une
proportion de 1 à 4 [57].
Si les références à la chirurgie cardiaque paraissent nombreuses dans ce document, c'est que
l'anesthésie cardiaque est le thème général de cet ouvrage et que ce type de chirurgie est le plus gros
consommateur de produits sanguins. De ce fait, une grande partie des études d'impact sur la
transfusion ont été conduite dans ce domaine. Pour avoir davantage de précisions sur la coagulation et
les produits sanguins dérivés, on pourra se référer au Chapitre 8 sur la Coagulation.
La transfusion sanguine
La transfusion n'est qu'un élément particulier au sein de la prise en charge globale du transport d'O2
et de la coagulation du patient.
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Physiopathologie du transport d'oxygène
Le DO2
Comme le but premier de la transfusion érythrocytaire est d'améliorer le transport d'O2, il est
intéressant de revoir les conditions d'équilibre entre le transport (DO2) et la demande (VO2) en
oxygène, et leurs mécanismes compensatoires [79]. Le transport d'O2 est fonction du contenu artériel
en O2 (CaO2) et du débit cardiaque (DC):
DO2 = CaO2 DC
où: CaO2 = (Hb • 1.34 • SaO2) + (0.003 PaO2)
Si le taux d'Hb est de 150 g/L et la saturation de celle-ci 100%, le contenu est de 200 ml O2 par litre de
sang (20 vol%); il est de 19.5 vol% à l'air ambiant. Pour un débit cardiaque de 5 L/min, le transport
d'O2 est de 1'000 mL/min. La consommation en O2 est évaluée par la différence de contenu entre le
sang artériel et le sang veineux mêlé:
VO2 = DC • (CaO2 - CvO2)
La valeur normale est de 5 vol% ou de 250 mL/min. Cette consommation est augmentée en cas de
sepsis, d'hyperthermie, de catabolisme accru (brûlés, hyperthyréose), d'effort physique ou de
stimulation sympathique. Chez le sujet sain, le transport d'O2 est donc quatre fois supérieur à la
consommation de base, ce qui donne une grande marge de curité. En effet, l'apport est encore
adéquat par rapport à la consommation au repos jusquun taux d'Hb de 45 g/L. Cependant, la VO2
n'est indépendante du transport (DO2) que jusqu'à un point critique en dessous duquel elle baisse
linéairement avec la diminution du transport (voir Chapitre 5, Figure 5.100).
Le coefficient d'extraction d'O2 est la fraction de l'O2 distribué qui est effectivement consompar les
tissus: CeO2 = (CaO2 - CvO2) / CaO2. La valeur normale est de 25%, ce qui signifie que le sang
veineux central a un contenu en O2 de 15 vol% et une saturation de 75%. Il s'agit d'une valeur
globale de l'organisme; certains organes comme le coeur ou le cerveau sont plus dispendieux en
oxygène que la moyenne; ils extraient donc davantage: 60-70% pour le coeur, 50% pour le cerveau,
mais 7-10% pour les reins [204]. Comme il possède le coefficient d'extraction le plus élevé, le coeur
est l'organe qui court le plus de risque en cas d'anémie aiguë. Ces données concernent évidemment
une perte d'érythrocytes sans perte associée de volume circulant (anémie isovolémique).
Mécanismes compensatoires
En cas d'anémie isovolémique, par exemple lors d'hémodilution peropératoire, plusieurs canismes
compensatoires se mettent en place pour maintenir adéquat le DO2 jusqu'aux cellules.
Augmentation du débit cardiaque essentiellement par élévation du volume systolique; comme
le sang est un liquide non-newtonien, la baisse de la viscosité qui accompagne la chute de l'Ht
affecte davantage le flux où il est le plus lent, c'est-à-dire dans les veinules postcapillaires;
de ce fait, le retour veineux est amélioré, la précharge ventriculaire augmente (augmentation
de la PVC et du volume télédiastolique) et le volume systolique est plus élevé [122]. La
baisse de la viscosité induit aussi une diminution des résistances périphériques, qui facilite la
vidange ventriculaire. Ainsi le DO2 reste constant lorsque l'Ht varie de 45% à 30% [204]; le
débit cardiaque est doublé pour un Ht de 20%.
Augmentation du débit cardiaque par tachycardie; celle-ci est surtout liée à l'hypovolémie,
mais elle survient également en normovolémie lors d'hémodilution aiguë; son ampleur est
variable selon les espèces. Elle est peu marquée, voir nulle, lors d'hémodilution sous
anesthésie générale, l'augmentation du débit cardiaque dépend essentiellement de
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l'accroissement du volume systolique [186]. La contractilité et la fonction diastolique ne sont
pas modifiées pas l'hémodilution à un Ht de 28% [121].
Redistribution du débit sanguin: l'autorégulation des organes à haute extraction (cerveau,
coeur) leur fournit davantage de débit qu'aux organes à basse extraction (muscle, peau). Le
CeO2 du coeur étant déjà voisin de 60% au repos, le débit coronaire doit augmenter de 400-
600% pour répondre à la demande; la limite de l'modilution isovolémique est atteinte
lorsque le coeur ne peut plus accroître son débit ou son flux coronaire. La dilution améliorant
les propriétés rhéologiques du sang, le flux est en général augmenté aux travers des sténoses
vasculaires, ce qui compense partiellement la baisse du DO2.
Augmentation de l'extraction d'O2: lorsque l'Ht est inférieur à 25%, les tissus extraient
davantage d'O2 (jusqu'à 60%) et la saturation veineuse centrale en O2 s'abaisse à 50% ou au
dessous.
Modification de l'affinide l'Hb pour l'O2: le déplacement de la courbe de dissociation de
l'Hb vers la droite diminue son affinipour l'O2 et lui permet de le libérer plus facilement.
Ceci survient en acidose, en hyperthermie, et en fonction d'une augmentation du taux de 2,3-
DPG; la synthèse de ce dernier augmente dès que l'Hb descend en dessous de 90 g/L pendant
plus de 36 heures [192].
Une perte de sang aiguë s'accompagne d'une hypovolémie, avec tous les canismes qui y sont
associés: tachycardie, vasoconstriction, stimulation sympathique, etc. Dans ce document, on
n'envisagera que les effets de l'anémie proprement dite, et on considérera que la normovolémie est
maintenue. Dans l'anémie chronique, le déplacement de la courbe de dissociation de l'Hb par le 2,3-
DPG est le premier mécanisme mis en place, alors que le débit cardiaque ne se modifie pas avant que
l'Hb soit inférieure à 80 g/L [204].
Transport d’oxygène
DO2 = CaO2 DC
CaO2 = (Hb • 1.34 SaO2) + (0.003 • PaO2)
VO2 = DC • (CaO2 CvO2)
Mécanismes compensatoires en cas d’anémie :
- extraction tissulaire d’O2
- 2,3 DPG
- DC parmodilution
- Redistribution du DC
- DC par tachycardie (lié à l’hypovolémie)
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