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La Lettre du Gynécologue - n° 282 - mai 2003
l’initiative du chef de l’État, une nouvelle orga-
nisation des soins et de la recherche en cancéro-
logie vient dêtre définie par le “plan cancer”.
Une véritable mobilisation nationale contre le cancer a été sou-
haitée.
De nombreuses propositions concernent la prévention, le dépis-
tage, les réseaux de soins, les équipements lourds, l’accompagne-
ment des patients, l’accès aux nouvelles molécules de chimiothéra-
pie, à la recherche et à la formation.
On se réjouit sans réserve de ces décisions en espérant qu’elles
puissent être appliquées et financées à la hauteur de leurs objectifs.
On peut à l’inverse regretter qu’une nouvelle fois, la chirurgie soit
peu évoquée et surtout que la chirurgie oncologique des spécialités
d’organes soit totalement occultée. Ne risque-t-on pas ainsi de se
priver encore de l’organisation des soins qui apporterait le plus de
guérisons sans surcoût financier ?
Comment pourrait-on ignorer que, pour les cancers habituellement
curables lors du diagnostic, les chances de guérisons sont dues
pour l’essentiel, au diagnostic précoce et au traitement locorégio-
nal par chirurgie et irradiation, appliqué de façon optimale dans un
cadre pluridisciplinaire.
La cancérologie (chirurgicale, radiothérapique et médicale) doit
étre déclinée par organe ou groupes d’organes.
On ne peut imaginer qu’un seul spécialiste puisse, dans chacun de
ces trois domaines, assurer une égale qualité de diagnostic et de
soins aux cancers mammaires, digestifs, gynécologiques, broncho-
pulmonaires, oto-rhino-laryngologiques, neurologiques, pédia-
triques.¶
De surcroît, le chirurgien est habituellement le premier spécialiste
consulté en cas de suspicion de cancer, le malade étant adressé par
son médecin traitant ou consultant de sa propre initiative. Il joue un
rôle prépondérant au sein de l’équipe pluridisciplinaire pour le dia-
gnostic et la décision opératoire.
Prenons l’exemple du cancer du sein pour objectiver les consé-
quences néfastes d’une prise en charge primaire inadéquate.
•Retard au diagnostic et au traitement : en moyenne 2% de
chances de guérison perdues chaque mois.
•Limites d’exérèse de la tumeur non saine : risque de récidive
locale induisant une fois sur deux des métastases.
•Préjudice esthétique mammaire : irrattrapable après irradiation.
•Évaluation axillaire imparfaite : incertitude du choix des traite-
ments complémentaires, séquelles invalidantes du membre supé-
rieur, risque de récidive.
•Étude anatomopathologique ou biologique inexacte : erreur de
stratégie par insuffisance ou excès thérapeutique.
En outre, le chirurgien participe au choix des traitements complé-
mentaires, informe la patiente et sa famille et assure en partie la
surveillance (prise en charge des complications et dépistage des
récidives).
Pour accomplir cette mission essentielle pour la guérison, avec un
minimum de séquelles, le chirurgien doit connaître la pathologie
bénigne, fonctionnelle et maligne de l’organe traité. Il doit maîtri-
ser les techniques d’exérèse et de reconstruction de cet organe et
des viscères voisins pouvant être concernés par l’extension du can-
cer. Il doit aussi connaître l’imagerie anatomie-pathologique, la
biologie, les protocoles d’irradiation et de chimiothérapie de ces
tumeurs non pas pour interpréter ou appliquer lui-même ces procé-
dures et traitements mais pour en connaître les indications et les
limites afin de les intégrer dans une stratégie optimale.
Il doit aussi avoir une activité oncologique non exclusive mais pré-
pondérante avec une masse critique de patients régulièrement opé-
rés. Il en est de même, à un degré peut-être moins contraignant, de
l’activité des radiothérapeutes, des oncologues médicaux et des
anatomocytopathologistes. Pourquoi de telles vérités ne sont-elles
pas prises en considérations par la communauté médicale et par les
décideurs ? Est-ce par ignorance des effets néfastes d’un premier
traitement inadéquat, qui se manifesteront des mois ou des années
plus tard souvent à l’insu du chirurgien responsable ? Est-ce pour
le praticien opérerant chaque année très peu de patients atteints
d’un cancer, la satisfaction de se prouver qu’il en est capable ? Est-ce
un préjugé corporatiste qui inciterait certains spécialistes à promou-
voir leurs agents thérapeutiques pour lesquels ils sollicitent plus de
moyens au détriment de la chirurgie dont le niveau de qualité hétéro-
gène ne leur semble pas compromettre leur propre efficacité ? Est-ce
enfin le pouvoir de conviction de certaines industries qui serait sus-
ceptible d’infléchir les méthodes d’exploration et de traitement ?
Pour notre part, nous restons convaincus que la segmentation de
l’activité cancérologique par spécialités d’organes avec formation
appropriée des chirurgiens, radiothérapeutes et oncologues médi-
caux permettrait à court terme de réduire la mortalité par cancer et
la morbidité thérapeutique.
Des pôles de référence publics et privés en cancérologie de
spécialité devraient être identifiés dans les réseaux de soins.
Réflexion à propos du “plan cancer”
La chirurgie d’organe toujours occultée
A
!L. Piana
* Professeur de gynécologie obstétrique. Faculté de médecine de Marseille.
Arcade, CHU Timone, rue Saint-Pierre 13385 Marseille Cedex 5.
ÉDITORIAL