É D I T O R I A L Réflexion à propos du “plan cancer” La chirurgie d’organe toujours occultée ! L. Piana A l’initiative du chef de l’État, une nouvelle organisation des soins et de la recherche en cancérologie vient dêtre définie par le “plan cancer”. Une véritable mobilisation nationale contre le cancer a été souhaitée. De nombreuses propositions concernent la prévention, le dépistage, les réseaux de soins, les équipements lourds, l’accompagnement des patients, l’accès aux nouvelles molécules de chimiothérapie, à la recherche et à la formation. On se réjouit sans réserve de ces décisions en espérant qu’elles puissent être appliquées et financées à la hauteur de leurs objectifs. On peut à l’inverse regretter qu’une nouvelle fois, la chirurgie soit peu évoquée et surtout que la chirurgie oncologique des spécialités d’organes soit totalement occultée. Ne risque-t-on pas ainsi de se priver encore de l’organisation des soins qui apporterait le plus de guérisons sans surcoût financier ? Comment pourrait-on ignorer que, pour les cancers habituellement curables lors du diagnostic, les chances de guérisons sont dues pour l’essentiel, au diagnostic précoce et au traitement locorégional par chirurgie et irradiation, appliqué de façon optimale dans un cadre pluridisciplinaire. La cancérologie (chirurgicale, radiothérapique et médicale) doit étre déclinée par organe ou groupes d’organes. On ne peut imaginer qu’un seul spécialiste puisse, dans chacun de ces trois domaines, assurer une égale qualité de diagnostic et de soins aux cancers mammaires, digestifs, gynécologiques, bronchopulmonaires, oto-rhino-laryngologiques, neurologiques, pédiatriques.¶ De surcroît, le chirurgien est habituellement le premier spécialiste consulté en cas de suspicion de cancer, le malade étant adressé par son médecin traitant ou consultant de sa propre initiative. Il joue un rôle prépondérant au sein de l’équipe pluridisciplinaire pour le diagnostic et la décision opératoire. Prenons l’exemple du cancer du sein pour objectiver les conséquences néfastes d’une prise en charge primaire inadéquate. • Retard au diagnostic et au traitement : en moyenne 2 % de chances de guérison perdues chaque mois. • Limites d’exérèse de la tumeur non saine : risque de récidive locale induisant une fois sur deux des métastases. • Préjudice esthétique mammaire : irrattrapable après irradiation. * Professeur de gynécologie obstétrique. Faculté de médecine de Marseille. Arcade, CHU Timone, rue Saint-Pierre 13385 Marseille Cedex 5. La Lettre du Gynécologue - n° 282 - mai 2003 • Évaluation axillaire imparfaite : incertitude du choix des traitements complémentaires, séquelles invalidantes du membre supérieur, risque de récidive. • Étude anatomopathologique ou biologique inexacte : erreur de stratégie par insuffisance ou excès thérapeutique. En outre, le chirurgien participe au choix des traitements complémentaires, informe la patiente et sa famille et assure en partie la surveillance (prise en charge des complications et dépistage des récidives). Pour accomplir cette mission essentielle pour la guérison, avec un minimum de séquelles, le chirurgien doit connaître la pathologie bénigne, fonctionnelle et maligne de l’organe traité. Il doit maîtriser les techniques d’exérèse et de reconstruction de cet organe et des viscères voisins pouvant être concernés par l’extension du cancer. Il doit aussi connaître l’imagerie anatomie-pathologique, la biologie, les protocoles d’irradiation et de chimiothérapie de ces tumeurs non pas pour interpréter ou appliquer lui-même ces procédures et traitements mais pour en connaître les indications et les limites afin de les intégrer dans une stratégie optimale. Il doit aussi avoir une activité oncologique non exclusive mais prépondérante avec une masse critique de patients régulièrement opérés. Il en est de même, à un degré peut-être moins contraignant, de l’activité des radiothérapeutes, des oncologues médicaux et des anatomocytopathologistes. Pourquoi de telles vérités ne sont-elles pas prises en considérations par la communauté médicale et par les décideurs ? Est-ce par ignorance des effets néfastes d’un premier traitement inadéquat, qui se manifesteront des mois ou des années plus tard souvent à l’insu du chirurgien responsable ? Est-ce pour le praticien opérerant chaque année très peu de patients atteints d’un cancer, la satisfaction de se prouver qu’il en est capable ? Est-ce un préjugé corporatiste qui inciterait certains spécialistes à promouvoir leurs agents thérapeutiques pour lesquels ils sollicitent plus de moyens au détriment de la chirurgie dont le niveau de qualité hétérogène ne leur semble pas compromettre leur propre efficacité ? Est-ce enfin le pouvoir de conviction de certaines industries qui serait susceptible d’infléchir les méthodes d’exploration et de traitement ? Pour notre part, nous restons convaincus que la segmentation de l’activité cancérologique par spécialités d’organes avec formation appropriée des chirurgiens, radiothérapeutes et oncologues médicaux permettrait à court terme de réduire la mortalité par cancer et la morbidité thérapeutique. Des pôles de référence publics et privés en cancérologie de spécialité devraient être identifiés dans les réseaux de soins. 13