Les trois oreilles
Posons l’hypothèse d’une oreille à trois focales :
1- L’écoute microphonique . L’oreille fonctionne comme un micro relié à un
magnétophone qui enregistre les sons perçus. On l’associe généralement à la
reconnaissance des intervalles et des harmonies, à l’identification d’un caractère musical,
à la reproduction de figures rythmiques…C’est une oreille analytique, proche du son (pris
en tant qu’objet sonore), directement connectée à une mémoire dite de reconnaissance
ou mémoire positive : « j’ai déjà entendu ça, je peux donc l’identifier et le reproduire ».
Généralement, les programmes classiques de formation musicale, à ce niveau,
remplissent assez bien leur rôle.
2- L’écoute mésophonique. C’est une écoute ou l’autre entre en jeu. A ce niveau, il est
davantage question de parvenir à échanger des fragments musicaux avec un ou des
partenaires extérieurs. C’est un peu l’équivalent d’une conversation en petit groupe.
« Quel est le thème de la discussion ? », « Que dit-il ? », « Que puis-je répondre ? », « Quel
est le sens général de sa phrase ? », « Comment réagir ? ». Ce travail est plus abordé au
sein d’ateliers de pratiques collectives (orchestre, musique de chambre, jazz,…).
3- L’écoute macrophonique. L’oreille parvient à une écoute globale de la musique
produite, tout en s’attachant aux différents échanges qui la composent. Elle suit les
mouvements, entend les questions, les réponses, identifie le rôle de chaque pupitre,
anticipe les directions, prévoit les changements. C’est – lorsqu’elle est associée aux deux
autres types d’écoute - l’oreille du chef d’orchestre ou du compositeur. Elle inclut aussi
« tout ce qui est de l’ordre de la référence, tout ce qui est immédiatement identifiable par
chacun…que cela vienne de sa culture ordinaire ou de sa culture cultivée » (Alain
SAVOURET).
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On peut maintenant aborder le sujet de l’improvisation générative (issue du son, une
improvisation qui nait de la matière sonore) par cette question fondamentale : quels sont
les liens – et de quelles natures sont-ils - entre les développements respectifs de l’oreille
et le travail de l’improvisation libre et non idiomatique ?
Cette question en amène d’autres : Qu’est-ce qu’écouter dans un contexte
d’improvisation ? Comment appréhender une musique dont je sais que je ne l’entendrai
jamais plus ? Quelle oreille vais je travailler et comment la travailler ? Puis-je développer
mon oreille analytique sans support écrit ou enregistré ? Où se rencontrent création
instantanée et musique construite ? Y a-t-il un rapport quelconque entre créativité et
développement de l’oreille ? Comment improviser sans faire n’importe quoi (qui n'a aucun
sens) ?
Puis, dans un autre registre : Qu’est-ce qu’un son ? Qu’est-ce qu’un bruit ? Qu’entend-on
par matière sonore ? Le son est-il palpable ?
Ces questions sont rarement posées en cours de formation musicale.