La Lettre de l’Infectiologue - Tome XVII - n
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8 - novembre-décembre 2002
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RÉUNIONS
BIOTERRORISME ET BACTÉRIES DU RISQUE BIOLOGIQUE
“A rme biologique”
A. Jouan (Grenoble) nous a rappelé que l’histoire des agents
biologiques se confond avec celle des conflits. De façon très
générale, l’arme biologique consiste en l’utilisation d’orga-
nismes vivants ou de leurs toxines à des fins militaires ou ter-
roristes pour provoquer la mort ou des atteintes cliniques chez
l’homme et chez l’animal domestique, ou la destruction des
récoltes. Depuis l’Antiquité, les exemples abondent, montrant
l’utilisation d’agents biologiques à des fins militaires. Dès l’an
300 av. J.C., les Grecs polluaient les puits ou d’autres points
d’eau potable de leurs ennemis avec des cadavres d’animaux.
En 1155, Barberousse faisait de même. En 1346, lors du siège
de Coffa, comptoir génois, des cadavres de pestiférés ont été
catapultés sur la cité assiégée. Le retour en Italie des Génois
assiégés fut à l’origine de la deuxième pandémie de peste. En
1763, le colonel anglais Bouquet fit distribuer aux Indiens
d’Amérique du Nord, en Pennsylvanie, des couvertures infes-
tées de virus varioleux. Lors de la Première Guerre mondiale,
l’Allemagne fut accusée d’infester du bétail par le bacille du
charbon ou par la bactérie responsable de la morve, ainsi que
de tentative de propagation du choléra en Italie et de la peste
en Russie. Le protocole de Genève, signé en 1925, interdisait
l’emploi de l’arme chimique et bactériologique au cours des
conflits. Cependant, cette convention n’empêcha pas les forces
en présence lors de la Seconde Guerre mondiale de préparer
des armes bactériologiques. En 1972, 103 nations signèrent une
nouvelle convention, interdisant le développement, la produc-
tion, le stockage et l’acquisition des agents ou toxines d’ori-
gine bactériologique à des fins autres que prophylactiques ou
protectrices. Toutefois, cette limitation n’a été que théorique
puisque, le 3 avril 1979, une mystérieuse explosion se produi-
sit à Sverdlosk (URSS), entraînant la mort de 66 personnes dans
un tableau de détresse respiratoire par l’inhalation de Bacillus
anthracis sous forme d’aérosol. En 1992, le président Boris
Eltsine admit la fuite accidentelle de spores du charbon depuis
le complexe industriel de cette ville. Au lendemain de la guerre
du Golfe, les experts de l’ONU révélèrent au public l’existence
de stocks d’armes biologiques : 19 000 litres de toxine botu-
lique, 8 500 litres de charbon et 2 200 litres d’aflatoxines. L’uti-
lisation de ces agents à des fins terroristes a été également pra-
tiquée : tentative d’assassinat de transfuges bulgares avec des
projectiles imprégnés de la ricine, tentative infructueuse de l’uti-
lisation du bacille du charbon et de la toxine botulique par la
secte japonaise AUM avant l’attentat au gaz Sarin dans le métro
de Tokyo. Face à toutes ces menaces, les pays et leurs gouver-
nements se sont préparés.
En France, le Secrétariat Général à la Défense (SGDN) a mené
des travaux dans ce domaine dès 1991, avec la publication d’un
premier plan Biotox.
L’implication politique du bioterrorisme est réelle, car elle
entraîne une perte de la capacité opérationnelle des forces armées
en cas d’utilisation lors d’un conflit. De plus, l’emploi volon-
taire d’agents biologiques, qui n’entraîne pas forcément un
nombre important de victimes, a un impact énorme sur la popu-
lation, avec un effet de panique qui pourrait entraîner des diffi-
cultés logistiques : afflux massif de victimes, difficultés de trans-
port, etc. Pour servir d’arme, l’agent biologique doit satisfaire
un certain nombre de critères, définis par un bactériologiste amé-
ricain, T. Rosebury : pouvoir infectant élevé, possibilité d’être
dispersé par aérosols, contagiosité élevée, immunisation diffi-
cile et résistance habituelle aux antibiotiques. Une liste appelée
Australia, où sont données la définition des agents biologiques
potentiellement utilisables et leur classification allant de I à IV,
avec interdiction de circulation des souches des classes III et IV,
a été établie par les Anglo-Saxons. En France, les critères de
classification adoptés sont ceux du CDC, agents de classe A, B
et C avec la prise en compte du risque économique engendré
par une dissémination dans le monde animal ou végétal par
contamination des denrées alimentaires. La recherche de ce type
d’agents dans l’environnement doit être menée. Pour ce faire,
une concentration des échantillons est nécessaire, ainsi que l’uti-
lisation de techniques d’amplification génique (PCR) permet-
tant une détection de ces agents en moins d’une heure. Pour
l’instant, l’analyse quantitative n’est pas encore au point. Si des
travaux de recherche ont permis des progrès en matière de détec-
tion environnementale, la prévention de la population cible face
à de telles attaques est faible, voire nulle. En effet, il s’agit d’une
population tout-venant, menacée par un risque inconnu, dans un
contexte de pression médiatique forte. Les vaccins pour ces
agents sont inexistants ou inefficaces. Deux laboratoires mili-
taires, dits de référence, travaillent à la détection de ces risques,
mais ils peuvent être débordés par des demandes inconsidérées,
ainsi que l’a montré la gestion des enveloppes suspectes de
contenir de la poudre. De plus, l’identification des personnes
exposées est parfois difficile dans ce contexte. Les plans élabo-
rés pour répondre à ces attaques doivent prendre en compte la
gestion de l’effet de panique de la population, la prise en charge
des sujets contaminés, les mesures prophylactiques spécifiques,
ainsi que les mesures d’hygiène générale et de quarantaine.
Prévention contre le charbon
D. Vidal (Grenoble) a relaté la place des facteurs de virulence
de la spore du bacille de charbon dans la mise au point d’une
prévention de la maladie. Le bacille du charbon, B. anthracis,
répond parfaitement aux critères de T. Rosebury décrits précé-
demment. Depuis 1940, les Britanniques, sur l’île de Gruinard,
dont les sols sont aujourd’hui encore contaminés, puis les
Russes et enfin les Irakiens, ont utilisé cet agent bactérien
comme arme bactériologique.
En effet, ce bacille à Gram négatif anaérobie peut sporuler, et
sa spore a le pouvoir de survivre pendant plusieurs dizaines
Dans le cadre des Journées nationales d’infectiologie
se sont tenues les 2es Journées scientifiques du Centre
de Recherche du Service de Santé des Armées (CRSSA).
“Le résumé de ces interventions
aurait dû être relu par le professeur René Roué.
Sa disparition brutale l’en a empêché.
Que lui soit ici rendu hommage”.