La Lettre de l’Infectiologue - Tome XVII - n
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RÉUNIONS
STRATÉGIE DE L'ANTIBIOTHÉRAPIE À TRAVERS L’EUROPE
(session coordonnée par G. Beaucaire)
En France
B. Schlemmer (Paris) a rapporté les conclusions de la Confé-
rence de consensus qui a été organisée sous l’égide de la SPILF,
le 6 mars 2002 à Paris, et consacrée à ce sujet si important. La
résistance bactérienne aux antibiotiques est une réalité drama-
tique qui présente une nouvelle menace pour l’avenir, puis-
qu’elle est responsable d’un nombre croissant d’échecs théra-
peutiques. L’usage excessif et désordonné des antibiotiques, tel
qu’il est habituellement répandu, en est une des causes. Pour
lutter contre ces résistances, un plan d’action doit être mis en
place avec deux objectifs :
!un objectif quantitatif de réduction de la consommation d’an-
tibiotiques,
!un objectif qualitatif d’optimisation du traitement antibiotique.
Trois freins perturbent la réalisation de ces objectifs. Le pre-
mier est lié à la banalisation du traitement antibiotique. Pour
contrecarrer cette banalisation, il faut rappeler que les antibio-
tiques sont des médicaments uniques et irremplaçables, et que
leur emploi inadéquat a un impact à la fois individuel et col-
lectif, avec une menace à terme de perte d’activité. Une infor-
mation mauvaise ou insuffisante des prescripteurs est un second
frein. Il est donc nécessaire de renforcer la formation, ainsi que
de faciliter l’accès à l’information. Enfin – troisième frein –,
l’organisation autour de la prescription antibiotique à l’hôpital
est insuffisante, tant au plan de la prescription que de la dis-
pensation ou du suivi de la stratégie thérapeutique adoptée.
Les recommandations émises par les experts sont des proposi-
tions de mobilisation, d’organisation et d’action, avec un seul
but:préserver l’intérêt collectif tout en garantissant la prise en
charge individuelle. Il est cependant nécessaire de tenir compte
à la fois de la diversité des unités de soins hospitalières, des ini-
tiatives locales, du fait que l’antibiothérapie hospitalière est une
responsabilité partagée entre le médecin prescripteur, le micro-
biologiste et le pharmacien assurant la dispensation du traite-
ment. De plus, l’antibiothérapie prescrite à l’hôpital entraîne
des conséquences sur l’antibiothérapie de ville à laquelle elle
ne peut être opposée. Des propositions ont été émises par les
experts :
!Une organisation de la stratégie antibiotique au niveau de
l’établissement. Une équipe opérationnelle en antibiothérapie
existe de fait, mais doit se structurer. Elle doit comprendre : le pres-
cripteur ayant la responsabilité thérapeutique ; le microbiologiste
qui donne l’alerte et assure le suivi épidémiologique ; le phar-
macien qui analyse la prescription et qui s’assure de la pertinence
de l’antibiotique ou des antibiotiques choisi(s), compte tenu des
propriétés pharmacologiques de la molécule et des caractéris-
tiques du patient qui la reçoit et enfin, qui gère sa dispensation.
Il doit y avoir un correspondant en antibiothérapie au sein de
chaque service. Ces acteurs de l’antibiothérapie travaillent en
étroite liaison avec la Commission des anti-infectieux chargée,
entre autres, d’élaborer la liste des antibiotiques disponibles au
sein des établissements de santé.
!Une aide à la prescription doit se généraliser au niveau des
établissements de santé, par la réalisation de référentiels et de
recommandations adaptés à la structure de l’établissement.
!L’encadrement de la prescription se fera à l’aide d’un
formulaire de prescription antibiotique, parmi une liste prééta-
blie par la Commission des anti-infectieux de l’établissement
et devra permettre une réévaluation de la prescription.
!Une politique d’évaluation doit être développée par la réali-
sation d’audits cliniques de prescription.
Journées nationales
d’infectiologie (JNI)*
(2epartie)
* Grenoble, 13 -14 juin 2002.
© Droits réservés
Grenoble : en arrière-plan, la chaîne de Belledone.
!La formation à l’antibiothérapie doit se renforcer à tous les
niveaux avec des incitations fortes, qu’elles soient réglemen-
taires, humaines ou matérielles.
En Belgique
La politique antibiotique en Belgique a été décrite par H. Goo-
sens (ministère de la Santé publique belge).
Une Commission de coordination de la politique antibiotique a
été créée en juillet 1999 par quatre décrets royaux. Cependant,
dès octobre 1998, cette Commission pluridisciplinaire, tra-
vaillant sous l’égide des ministres de la Santé publique, de l’En-
vironnement et de l’Agriculture, a permis aux experts concer-
nés de trouver un lieu d’information sur l’antibiorésistance et
l’utilisation des antibiotiques dans les différents écosystèmes.
Le but de cette Commission de coordination est d’arriver à une
diminution équilibrée de la totalité des antibiotiques utilisés.
Pour ce faire, sont organisées une collecte d’informations sur
la consommation d’antibiotiques et sur la résistance aux anti-
biotiques, une campagne de sensibilisation et d’information des
professionnels et du grand public, ainsi que la publication de
recommandations. Ces recommandations concernent l’anti-
biothérapie en médecine humaine, mais également vétérinaire.
Pour mener à bien ces actions, la Commission s’est structurée
en plusieurs groupes de travail :
!Un groupe chargé d’élaborer des recommandations concer-
nant une série d’affections pour lesquelles la prescription anti-
biotique ne repose que sur des symptômes (mal de gorge, otite,
cystite, rhinite).
!Un groupe chargé de la campagne de sensibilisation aux pro-
blèmes de l’antibiorésistance et du bon usage des antibiotiques
à travers des spots télévisés, la création de deux sites Internet
et la distribution de brochures de sensibilisation. Comme l’im-
pact de chaque campagne est évalué, il a été possible de consta-
ter une diminution de 12 % de la consommation antibiotique.
!Un troisième groupe travaillant sur l’utilisation des antibio-
tiques en milieu hospitalier avec création de programmes de
surveillance des résistances bactériennes aux antibiotiques, sur
l’élaboration de recommandations pour l’antibiothérapie des
infections hospitalières, ainsi que sur la création, au sein
de chaque établissement, d’un Comité de gestion de l’antibio-
thérapie.
Un groupe de travail collabore avec les pouvoirs publics
afin d’adapter, quand cela est nécessaire, aux critères de rem-
boursement d’un antibiotique des données de santé publique.
Un dernier groupe tente d’exploiter les résumés cliniques et
financiers informatiques afin d’évaluer la stratégie antibiotique
adaptée au niveau hospitalier vis-à-vis des pathologies ren-
contrées.
En Suisse
P. Moreillon (Lausanne, Suisse) a décrit l’expérience menée
en Suisse pour le contrôle de la résistance bactérienne aux anti-
biotiques au sein des cinq CHU comprenant environ 1 000 lits,
dont des lits de greffes de moelle.
Dans ces établissements, il existe des recommandations inter-
actives et non coercitives d’utilisation des antibiotiques pour
des pathologies comme les pneumopathies, les sepsis et les
endocardites. La commission des antibiotiques de ces hôpitaux
élabore une liste dite de première intention d’antibiotiques dis-
ponibles immédiatement en stock et une liste de molécules de
deuxième intention, à commander. Le contrôle de la prescrip-
tion d’antibiotiques se fait grâce à un trio (microbiologistes,
infectiologues, hygiénistes), qui se réunit notamment dans les
services de soins intensifs de façon quotidienne, afin de discu-
ter de la prescription et des résultats cliniques obtenus. Un pro-
gramme de surveillance de la résistance permet, par exemple,
de suivre à travers les CHU le taux de staphylocoques résis-
tants à la méticilline.
En Italie
A. Pan (Brescia, Italie)a exposé la situation italienne en matière
de résistance bactérienne aux antibiotiques : un des taux les
plus élevés de staphylocoques résistants à la méticilline, des
taux élevés de résistance des staphylocoques aux macrolides.
Sur le plan financier, si la dépense médicamenteuse représente
11 % de la dépense pharmaceutique globale, les antibiotiques
sont le deuxième poste de dépenses médicamenteuses.
Cependant, on ne dispose pas pour l’instant de données sur la
dépense globale hospitalière. Durant l’année 2001, la dépense
globale pour les antibiotiques a légèrement diminué (environ
1%), alors même que l’on assistait à une augmentation de 9 %
de la dépense pharmaceutique dans son ensemble.
Pour une meilleure organisation de la prescription des médi-
caments, ceux-ci sont répartis selon trois classes :
!la classe A, comprenant les médicaments essentiels rem-
boursés intégralement par le Système Sanitaire National (SSN) ;
!la classe B, comprenant les médicaments d’intérêt théra-
peutique important et intégralement remboursés ;
!la classe C, comprenant des molécules entièrement prises en
charge financièrement par le consommateur.
Il n’existe pas réellement de politique nationale en matière d’an-
tibiothérapie, la stratégie thérapeutique en antibiothérapie étant
organisée au niveau de chaque établissement.
Le contrôle de la prescription antibiotique à l’hôpital repose
sur l’utilisation d’une liste d’antibiotiques, avec la nécessité
d’une prescription motivée.
La mise en place d’une telle politique au sein d’un grand hôpi-
tal a permis de constater une diminution de l’utilisation des
antibiotiques de plus de 8 %, avec une réduction de plus de
75 % de la prescription des antibiotiques inscrits sur la liste de
prescription motivée.
Cependant, une grande différence de consommation antibiotique
persiste, notamment vis-à-vis des céphalosporines de troisième
génération, entre le Sud de l’Italie, gros consommateur, et le Nord.
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RÉUNIONS
BIOTERRORISME ET BACTÉRIES DU RISQUE BIOLOGIQUE
“A rme biologique
A. Jouan (Grenoble) nous a rappelé que l’histoire des agents
biologiques se confond avec celle des conflits. De façon très
générale, l’arme biologique consiste en l’utilisation d’orga-
nismes vivants ou de leurs toxines à des fins militaires ou ter-
roristes pour provoquer la mort ou des atteintes cliniques chez
l’homme et chez l’animal domestique, ou la destruction des
récoltes. Depuis l’Antiquité, les exemples abondent, montrant
l’utilisation d’agents biologiques à des fins militaires. Dès l’an
300 av. J.C., les Grecs polluaient les puits ou d’autres points
d’eau potable de leurs ennemis avec des cadavres d’animaux.
En 1155, Barberousse faisait de même. En 1346, lors du siège
de Coffa, comptoir génois, des cadavres de pestiférés ont été
catapultés sur la cité assiégée. Le retour en Italie des Génois
assiégés fut à l’origine de la deuxième pandémie de peste. En
1763, le colonel anglais Bouquet fit distribuer aux Indiens
d’Amérique du Nord, en Pennsylvanie, des couvertures infes-
tées de virus varioleux. Lors de la Première Guerre mondiale,
l’Allemagne fut accusée d’infester du bétail par le bacille du
charbon ou par la bactérie responsable de la morve, ainsi que
de tentative de propagation du choléra en Italie et de la peste
en Russie. Le protocole de Genève, signé en 1925, interdisait
l’emploi de l’arme chimique et bactériologique au cours des
conflits. Cependant, cette convention n’empêcha pas les forces
en présence lors de la Seconde Guerre mondiale de préparer
des armes bactériologiques. En 1972, 103 nations signèrent une
nouvelle convention, interdisant le développement, la produc-
tion, le stockage et l’acquisition des agents ou toxines d’ori-
gine bactériologique à des fins autres que prophylactiques ou
protectrices. Toutefois, cette limitation n’a été que théorique
puisque, le 3 avril 1979, une mystérieuse explosion se produi-
sit à Sverdlosk (URSS), entraînant la mort de 66 personnes dans
un tableau de détresse respiratoire par l’inhalation de Bacillus
anthracis sous forme d’aérosol. En 1992, le président Boris
Eltsine admit la fuite accidentelle de spores du charbon depuis
le complexe industriel de cette ville. Au lendemain de la guerre
du Golfe, les experts de l’ONU révélèrent au public l’existence
de stocks d’armes biologiques : 19 000 litres de toxine botu-
lique, 8 500 litres de charbon et 2 200 litres d’aflatoxines. L’uti-
lisation de ces agents à des fins terroristes a été également pra-
tiquée : tentative d’assassinat de transfuges bulgares avec des
projectiles imprégnés de la ricine, tentative infructueuse de l’uti-
lisation du bacille du charbon et de la toxine botulique par la
secte japonaise AUM avant l’attentat au gaz Sarin dans le métro
de Tokyo. Face à toutes ces menaces, les pays et leurs gouver-
nements se sont préparés.
En France, le Secrétariat Général à la Défense (SGDN) a mené
des travaux dans ce domaine dès 1991, avec la publication d’un
premier plan Biotox.
L’implication politique du bioterrorisme est réelle, car elle
entraîne une perte de la capacité opérationnelle des forces armées
en cas d’utilisation lors d’un conflit. De plus, l’emploi volon-
taire d’agents biologiques, qui n’entraîne pas forcément un
nombre important de victimes, a un impact énorme sur la popu-
lation, avec un effet de panique qui pourrait entraîner des diffi-
cultés logistiques : afflux massif de victimes, difficultés de trans-
port, etc. Pour servir d’arme, l’agent biologique doit satisfaire
un certain nombre de critères, définis par un bactériologiste amé-
ricain, T. Rosebury : pouvoir infectant élevé, possibilité d’être
dispersé par aérosols, contagiosité élevée, immunisation diffi-
cile et résistance habituelle aux antibiotiques. Une liste appelée
Australia, où sont données la définition des agents biologiques
potentiellement utilisables et leur classification allant de I à IV,
avec interdiction de circulation des souches des classes III et IV,
a été établie par les Anglo-Saxons. En France, les critères de
classification adoptés sont ceux du CDC, agents de classe A, B
et C avec la prise en compte du risque économique engendré
par une dissémination dans le monde animal ou végétal par
contamination des denrées alimentaires. La recherche de ce type
d’agents dans l’environnement doit être menée. Pour ce faire,
une concentration des échantillons est nécessaire, ainsi que l’uti-
lisation de techniques d’amplification génique (PCR) permet-
tant une détection de ces agents en moins d’une heure. Pour
l’instant, l’analyse quantitative n’est pas encore au point. Si des
travaux de recherche ont permis des progrès en matière de détec-
tion environnementale, la prévention de la population cible face
à de telles attaques est faible, voire nulle. En effet, il s’agit d’une
population tout-venant, menacée par un risque inconnu, dans un
contexte de pression médiatique forte. Les vaccins pour ces
agents sont inexistants ou inefficaces. Deux laboratoires mili-
taires, dits de référence, travaillent à la détection de ces risques,
mais ils peuvent être débordés par des demandes inconsidérées,
ainsi que l’a montré la gestion des enveloppes suspectes de
contenir de la poudre. De plus, l’identification des personnes
exposées est parfois difficile dans ce contexte. Les plans élabo-
rés pour répondre à ces attaques doivent prendre en compte la
gestion de l’effet de panique de la population, la prise en charge
des sujets contaminés, les mesures prophylactiques spécifiques,
ainsi que les mesures d’hygiène générale et de quarantaine.
Prévention contre le charbon
D. Vidal (Grenoble) a relaté la place des facteurs de virulence
de la spore du bacille de charbon dans la mise au point d’une
prévention de la maladie. Le bacille du charbon, B. anthracis,
répond parfaitement aux critères de T. Rosebury décrits précé-
demment. Depuis 1940, les Britanniques, sur l’île de Gruinard,
dont les sols sont aujourd’hui encore contaminés, puis les
Russes et enfin les Irakiens, ont utilisé cet agent bactérien
comme arme bactériologique.
En effet, ce bacille à Gram négatif anaérobie peut sporuler, et
sa spore a le pouvoir de survivre pendant plusieurs dizaines
Dans le cadre des Journées nationales d’infectiologie
se sont tenues les 2es Journées scientifiques du Centre
de Recherche du Service de Santé des Armées (CRSSA).
“Le résumé de ces interventions
aurait dû être relu par le professeur René Roué.
Sa disparition brutale l’en a empêché.
Que lui soit ici rendu hommage”.
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d’années, de résister aux ultraviolets, à la dessiccation, à la
chaleur et aux agents désinfectants. Chez l’animal contaminé
par cette bactérie, les spores se disséminent dans le sol via
sa carcasse enterrée, d’où l’appellation de “champs maudits”
dans certaines régions. L’homme entre dans le cycle de cette
zoonose par contacts professionnels ou par ingestion de
viandes contaminées. Trois types de charbon sont décrits :
le charbon cutané, le charbon gastro-intestinal et le charbon
d’inhalation.
Les travaux de recherche à propos des facteurs de virulence de
cette bactérie ont permis d’identifier deux facteurs majeurs de
virulence, à savoir les plasmides pX01 et pX02, qui codent pour
des toxines. Le plasmide pX01 possède trois gènes distincts
qui codent respectivement pour le facteur “EF”, responsable de
l’œdème cellulaire, pour le facteur létal “LF”, libérant des inter-
leukines et des cytokines et, enfin, pour un antigène protecteur
“PA2”, servant aux Américains et aux Britanniques pour la mise
au point d’un vaccin acellulaire. Les Russes ont, pour leur part,
un vaccin (“Stepanov”) fait à partir d’une souche génétique-
ment modifiée via l’introduction d’un gène résistant aux
antibiotiques.
D’autres recherches sont menées sur une souche appelée Sterne
qui possède des mutations dans les gènes codant pour les
facteurs “EF” et “LF”. Enfin, des vaccins recombinants sont
actuellement à l’étude. En France, l’association d’une souche
inactivée par formaldéhyde et de l’antigène protecteur PA est
à l’étude avec la mise au point d’un modèle animal de charbon
pulmonaire par inhalation.
Bien choisir les antibiotiques
J.D. Cavallo (Saint-Mandé) a détaillé les critères de choix
d’une antibioprophylaxie et d’une antibiothérapie dans le
contexte du risque biologique agressif. Il a rappelé que les bac-
téries qui répondent le mieux aux critères de T. Rosebury appar-
tiennent la classe A de la classification du CDC : B. anthracis,
Yersinia pestis et Francisella tularensis. D’autres agents bac-
tériologiques appartenant à la classe B doivent également être
pris en compte : il s’agit de Pseudomonas pseudomallei et mal-
lei, agents responsables de la morve, de Coxiella burnetii et de
Brucella. De toutes ces bactéries, seule Yersinia pestis, res-
ponsable d’infection pulmonaire, présente une transmission
interhumaine. L’utilisation bioterroriste de tels agents, essen-
tiellement faite sous forme d’aérosol, n’entraînerait pas la forme
naturelle de la maladie dans la mesure où l’incubation serait
courte, la charge infectieuse massive et l’évolution rapide avec
une létalité élevée. La militarisation des spores, par exemple,
permet, dans le cas du charbon pulmonaire, d’obtenir des spores
de très petite taille pénétrant au fond des alvéoles. Les anti-
biotiques utilisés doivent tuer les bactéries qui sont susceptibles
de persister pendant près de cent jours dans les macrophages.
Cette persistance permet d’expliquer le charbon dit de revivis-
cence, qui peut se déclarer dix jours après l’arrêt de la cipro-
floxacine ou environ trois semaines après l’arrêt du traitement
des cyclines si la durée du traitement est trop courte (données
validées par le modèle animal).
Les critères de choix d’un traitement antibiotique reposent sur :
!Des critères microbiologiques : sensibilité aux antibiotiques
étudiée à partir d’un panel de souches de référence. En l’ab-
sence d’identification de l’agent bactérien, les fluoroquinolones,
les cyclines et le chloramphénicol peuvent être utilisés, car ils
sont actifs in vitro sur l’ensemble des agents bactériens possi-
blement en cause.
!Des critères pharmacologiques : bonne diffusion intracellu-
laire et tissulaire, effet postantibiotique et effet synergique entre
antibiotiques et utilisation orale possible.
!Des critères cliniques, en tenant de compte de la connais-
sance limitée de ces critères dans la mesure où les pathologies
dues à ces micro-organismes sont inexistantes ou rares dans
les conditions naturelles, le risque de récidive à B. anthracis
devant aussi être évalué.
!Des critères toxicologiques, en évaluant précisément le rap-
port bénéfice/risque.
Conduite à tenir
T. Debord (Saint-Mandé) a posé à l’auditoire une série de
questions sur la mise en œuvre du traitement : qui, quand, où
et comment ?
Il nous a rappelé, dans son introduction, les classiques scéna-
rios du bioterrorisme : envoi de lettres piégées, épandage d’un
aérosol, contamination par le système de ventilation d’un bâti-
ment ou de réseaux d’eau. Parfois, l’alerte peut être donnée à
la suite du diagnostic d’un cas. La modélisation de tels scéna-
rios permet aux autorités de préparer des plans de prise en
charge des populations atteintes. L’épandage par avion de 50 kg
de spores de charbon sur un rayon de 2 km au-dessus d’une
ville de 500 000 habitants entraînerait 15 000 morts, et
125 000 personnes seraient frappées d’incapacité. Ces estima-
tions devraient être très certainement revues à la baisse, compte
tenu des conditions climatiques. En cas de contamination mas-
sive, toutes les structures de soins seraient concernées pour
prendre en charge les victimes. L’antibioprophylaxie devrait se
faire sans attendre le diagnostic précis. L’écouvillonnage nasal,
en cas d’inhalation, est sans intérêt sur le plan diagnostique,
mais garde un intérêt sur le plan épidémiologique. D’ailleurs,
le diagnostic clinique est parfois difficile (par exemple, diffé-
rencier la peste pulmonaire du charbon pulmonaire...).
Les protocoles de l’AFSSAPS ont distingué deux types de
situation, celle avant et celle après l’identification de l’agent
causal. Avant l’identification de l’agent bactériologique, on
utilisera une fluoroquinolone : ciprofloxacine, ofloxacine
ou lévofloxacine en première intention, l’alternative étant
l’emploi de la péfloxacine ou des cyclines. Une fois la bacté-
rie identifiée, l’adaptation thérapeutique se fera en fonction de
la sensibilité aux antibiotiques et au terrain (femmes enceintes,
enfants). La durée du traitement antibiotique dépend de l’agent
bactérien en cause (B. anthracis :8semaines de traitement,
Y. pestis :10jours de traitement et F. tularensis :14jours de
traitement).
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L’antibiothérapie curative avant l’identification de l’agent
étiologique fera appel à la ciprofloxacine en première inten-
tion. La voie d’administration dépendra de la gravité du tableau
clinique, et l’utilisation d’emblée d’une bithérapie à type de
fluoroquinolones et aminosides sera appréciée en fonction
de la gravité. Les durées de traitement antibiotique seront celles
données précédemment. L’analyse rétrospective des cas
américains récents a permis de voir que la mortalité avoisinait
les 40 % et non les 90 %, comme cela avait été auparavant
communément admis en cas de charbon d’inhalation. Cette
analyse a aussi permis de mettre en évidence la nécessité
d’utiliser une bithérapie : fluoroquinolones plus vancomycine,
rifampicine ou clindamycine, voire une trithérapie. La
surveillance des effets indésirables a permis de constater que
seuls 8 % des patients traités en prophylaxie ont dû arrêter le
traitement.
Conclusion
La prescription dans ce contexte très particulier se fait en dehors
de l’AMM. Des fiches thérapeutiques sont disponibles sur le
site Internet de l’AFSSAPS : www.afssaps.sante.fr. De plus,
ces protocoles font l’objet d’une coopération européenne avec
l’EMEA, agence européenne du médicament.
VARIOLE
Une session orale coordonnée par D. Garin (Grenoble) a entiè-
rement été consacrée à la variole, ce fléau de l’humanité, mala-
die néanmoins mal connue de nos jours compte tenu de sa quasi-
disparition à la surface du globe.
Un peu d’histoire
M. Merlin (Lyon)a exposé l’historique de l’éradication de cette
pathologie, en soulignant son pouvoir hautement immunisant.
Rappelant que, en 1798, E. Jenner pratiquait l’inoculation de
la variole de la vache aux humains, l’orateur a souligné que les
grands de ce monde n’avaient pas été épargnés, puisque
Louis XV en était mort en 1774. Louis XVI fit donc vacciner
toute sa famille.
Un programme mondial d’éradication de la variole a été mis
en place vers 1967. Madagascar fut, dès 1914, le premier pays
du monde à éradiquer la variole (vaccin fabriqué à partir de
génisses de zébus par l’Institut Pasteur). Pour la France, il a été
ainsi possible d’abroger (30 mai 1994) l’obligation légale natio-
nale de vaccination. Cependant, le monkey pox pourrait repré-
senter, à l’avenir, une nouvelle forme de variole, malgré son
pouvoir pathogène peu important. Ce virus pourrait être en voie
d’adaptation chez l’homme du fait de la disparition de la cou-
verture vaccinale. Ces derniers faits soulignent la nécessité de
maintenir un réseau de laboratoires de type P 3, avec, au niveau
national, un laboratoire de référence P 4.
Variole et terrorisme
O. Lepick (Paris) a rappelé que le virus de la variole est un
candidat de choix pour une utilisation à des fins terroristes :
transmission par aérosol, maladie avec une forte morbi-
mortalité, et une transmission interhumaine importante dans
une population incomplètement immunisée. De plus, il a
déjà été utilisé en tant qu’arme par les Britanniques contre
les Amérindiens au XVIIIesiècle. En 1972, la convention
de Washington a interdit le stockage des armes biologiques.
Cependant, des souches clandestines semblent exister en
Corée du Nord et en Irak. Un exercice de simulation appelé
“Dark Winter” a été effectué par les États-Unis en
juin 2001.
Clinique de la maladie
P. Hovette (Marseille) a rappelé le tableau clinique de cette
infection. La période d’incubation, d’environ dix à dix-neuf
jours, est suivie d’une période d’invasion de deux à quatre
jours avec un syndrome pseudo-grippal. L’énanthème oro-
pharyngé s’installe avec un exanthème prédominant à la face
et aux membres, n’épargnant ni les paumes ni les plantes des
pieds. Plusieurs formes cliniques coexistent : la forme hémor-
ragique qui accompagne l’énanthème et entraîne une
défaillance multiviscérale, de survenue fréquente chez la
femme enceinte ; la forme maligne avec encéphalite, néphrite
ou hépatite. Les complications de la variole sont la survenue
d’une cécité, d’une pneumopathie, d’un syndrome de détresse
respiratoire aiguë, d’une encéphalite et d’une myélite. Chez
la femme enceinte, les complications se traduisent par un avor-
tement. Deux diagnostics différentiels sont à évoquer : la vari-
celle, dont les lésions épargnent paume des mains et plante
des pieds, et le monkey pox, avec des lésions plus étendues.
Sur le plan du traitement, le cidofovir semble efficace (acti-
vité antivirale), mais son emploi restera limité du fait de sa
néphrotoxicité et de son utilisation exclusivement parentérale.
Un espoir, le HDP cidofovir, d’utilisation orale. Les gamma-
globulines spécifiques peuvent être utilisées, mais le problème
de leur disponibilité se pose. Ce traitement symptomatique
doit être administré dans un hôpital spécialisé, où seront iso-
lés les patients pris en charge par un personnel médical vac-
ciné. En outre, il serait préférable d’isoler chaque malade dans
une chambre à pression négative, avec crémation du matériel
utilisé.
Monkey pox
F. Merouze (Marseille) s’est attaché à décrire le monkey pox,
orthopoxvirus dont le réservoir animal semble être les écureuils
arboricoles. Il provoque une maladie éruptive fébrile qui a été
décrite en 1958 et qui est proche de celle de la variole, bien que
les lésions cutanées n’aient pas l’aspect de “perles enchâssées”
et que le syndrome respiratoire soit plus marqué. Le premier
cas humain a été diagnostiqué au Congo chez un jeune garçon
d’une dizaine d’années. Parmi les cas identifiés par la suite au
Zaïre, en Côte d’Ivoire, en Sierra Leone et au Nigeria, 85 %
avaient moins de quinze ans. Cependant, l’épidémie apparue
de février 1996 à février 1997 au Kansaï oriental a touché
762 sujets appartenant à des classes d’âge plus avancé. Chez
ces sujets, le taux de la létalité a été faible, d’environ 1,5 %, et
76 % des cas ont été des cas secondaires. L’âge de survenue
semble s’être élevé du fait de la perte d’immunité croisée
conférée par la vaccination antivariolique.
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