L G y n é c o e t ... é

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Gynéco et société
G ynéco et société
Femme et laïcité à l’hôpital
IP S. Saint Léger*
L
aïque et universelle, la médecine est et le restera. Le
code de déontologie médicale précise dans son article 7
que : “Le médecin doit écouter, examiner, conseiller ou
soigner avec la même conscience toutes les personnes quels
que soient leur origine, leurs mœurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance à une
ethnie, une nation ou une religion déterminée, leur handicap
ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu’il
peut éprouver à leur égard. Il doit leur apporter son concours
en toutes circonstances.”
La Charte de la laïcité (2007) confirme les valeurs de la République française qui “assure l’égalité devant la loi de tous les
citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion et
garantit des droits égaux aux hommes et aux femmes et respecte les croyances”.
Les femmes, les hommes, par leurs différences personnelles,
nous enrichissent et rendent l’art de la médecine passionnant.
Mais dès qu’interviennent des notions extérieures comme les
coutumes, rituels, traditions ou religions, les différences de chacun s’effacent derrière des rigidités, des carcans unicistes, voire
ostracistes, qui rendent la pratique de la médecine non plus un
art mais un exercice périlleux où souvent le soin et la volonté de
porter assistance ne sont relégués qu’au second plan.
Régulièrement, notamment dans les hôpitaux publics des
banlieues migrantes comme Aulnay-sous-Bois, ces principes,
redéfinis par le Haut Conseil à l’intégration, sont écornés par
des comportements traditionnels ou religieux ostensibles de
patients qui mettent à mal les consciences, les volontés et pratiques des soignants et médecins.
Plusieurs cas peuvent se présenter sous la forme d’exemples :
 En consultation : la population, très différenciée et multiculturelle, appartenant souvent à des catégories sociales précaires et donc vulnérables, est relativement souple. Cependant,
l’irruption de patientes en habits ostentatoirement confessionnels (pour le plus, l’abaya ou la hijab masquant les yeux),
accompagnées, escortées par un homme en djellabah récitant
à voix haute le Coran, introduit parfois, au-delà de la provocation perçue, des malaises au sein de la salle d’attente à type
de gêne, d’interrogation ou de déplacement de patients allant
s’asseoir ailleurs. L’identitovigilance est un réel problème au
moment du recueil des données administratives. Bien que ces
patientes aient le droit de choisir et choisissent des praticiens
femmes, la consultation est souvent biaisée : l’examen clinique
ne peut se dérouler de la même façon ; le mari, très rigoriste
est la plupart du temps présent, répondant aux questions à la
* Responsable Pôle Femme-Enfant, Centre hospitalier Robert-Ballenger, 93602 Aulnay-sousBois.
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place de la femme ; il est impossible d’utiliser les modifications
comportementales (les sens cliniques) lors du dialogue au travers du voile, rendant la base de l’examen clinique délicat.
L’examen clinique physique proprement dit est souvent réduit
devant les réticences. Les prélèvements sanguins sont également souvent impossibles devant l’obligation de ne pas dévoiler le bras et l’avant-bras. Au total, le colloque praticien-patient
est perturbé et rarement singulier. Le climat de confiance qui
prévaut à toute médecine n’est pas complet, n’autorisant pas
une démarche diagnostique et donc thérapeutique optimale.
 En urgence : les situations les plus délicates s’y rencontrent. Les soignants et les médecins sont mixtes. Les exigences deviennent de plus en plus fréquentes et plus précises : le
mari demande que sa femme soit exclusivement interrogée,
examinée et soignée par une autre femme. Dans l’impossibilité évidente de dédoubler les listes de garde, une féminine,
une masculine, la pression est importante sur les personnels
d’urgence. Un dialogue nécessaire s’installe, calmement de la
part des soignants, ceux-ci étant désormais rompus à ce type
d’exercice. Ces moments d’informations, d’explications et
de persuasion se font la plupart du temps uniquement avec
le mari, la femme, derrière son voile, n’ayant pas le droit à la
parole. Ces moments sont extrêmement chronophages, pouvant être délétères pour la patiente elle-même ou son bébé à
naître, mais aussi pour les autres patients en salle d’attente
dont la patience a des limites. Ils sont sources quelquefois de
violences verbales, voire physiques (gifle, coup de poing, coup
de couteau), mais surtout de pression psychologique insupportable pour le personnel soignant, malgré leur dévouement
et leur formation pour faire face à ces situations. De plus, lors
des soins ou de l’accouchement, le mari, toujours présent sur
les talons de l’infirmière ou de la sage-femme, regarde tous les
gestes avec un air scrutateur, voire inquisiteur, perturbant le
bon déroulement des soins.
 En hospitalisation : les mises en situation sont moins conflictuelles. Seules persistent les exigences de chambre seule afin
d’éviter de se retrouver en fâcheuse posture avec des familles
de confession différente. Auprès des couples fondamentalistes, les soins ne peuvent être prodigués que par des soignantes
féminines, les internes masculins n’ayant plus accès notamment lors des visites de sortie le week-end. L’examen de sortie
n’est alors pas effectué et il est demandé au couple de revenir
le lendemain, souvent en vain. Les soins au bébé ne sont faits
qu’en présence du mari, les cours de puériculture à plusieurs
sont rarement délivrés auprès de ces parturientes.
Les demandes de chirurgie à visée traditionnelle ou religieuse
sont de plus en plus fréquentes dans les hôpitaux de banlieues,
riches en populations migrantes. Comment y répondre pose le
La Lettre du Gynécologue - n° 335 - octobre 2008
plus souvent un dilemme entre un principe collectif laïc et républicain et le principe individuel de protection. Ainsi, devant une
demande d’hyménéoplastie, la première réponse est de s’opposer à ces actes humiliants et attentatoires à la dignité de la
femme et de refuser au nom du principe républicain de liberté
individuelle et d’égalité et de non-discrimination entre les femmes et les hommes, au nom du refus du pouvoir machiste de
l’homme sur la femme. Il s’agit d’une véritable aliénation selon
Le Trésor de la langue française : “Privation de libertés, de droits
humains essentiels éprouvée par une personne ou un groupe
social sous la pression d’acteurs permanents”.
Cependant, quand le praticien se retrouve en colloque singulier avec une jeune femme qui se voit obliger par sa famille,
son frère, sa religion de parvenir vierge au mariage (alors que
le livre n’y fait pas obligation aux femmes), au risque, dans le
cas contraire, d’être humiliée, répudiée, battue, voire égorgée
par le “tribunal d’honneur des frères”, comment doit-il agir
entre conscience intangible et réalité quotidienne ?
La santé, selon l’OMS, n’est pas seulement physique, elle est aussi
psychique et sociale. C’est pourquoi, dans un second temps,
selon un principe de réalité de protection de la jeune femme,
il peut être légitime d’accéder à sa demande, mais uniquement
après un long entretien d’explications, de dialogue mutuel, d’accompagnement, éventuellement avec une conseillère conjugale.
Ce n’est pas tant contribuer à perpétuer ce système d’inféodation de la femme, que de parler, d’informer, voire d’éduquer pour
dénoncer cette barbarie et faire évoluer la condition féminine
dans les mentalités et dans la réalité. De toute façon, dans les
familles, dans les communautés, le changement n’interviendra
que par les femmes elles-mêmes !
En tant que médecin gynécologue, il ne faut pas oublier et continuer le véritable combat, soutenu par le Collège national des
gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), qui consiste à
défendre la liberté des femmes à se déterminer sur la contraception, l’avortement, la stérilisation sans l’avis de leur mari, bref le
libre choix de leur corps. Un médecin doit refuser de faire des
certificats humiliants de virginité, ne pouvant soit faire un faux,
soit attester de la “qualité” de l’hymen, comme un objet. A contrario, demande-t-on ainsi à un homme un certificat de virginité
avant son mariage ?
Toute religion confondant temporalité et spiritualité, comme
le Coran, est certes un “code de vie”, certains diront statique,
mais il doit rester personnel et non pas supplanter le code
de vie républicain et collectif (Code Napoléon) qui structure
durablement et de manière évolutive notre société française.
Jean Jaurès disait déjà dans son discours de Castres, le 30 juillet
1904 : “Il n’y a pas égalité des droits si l’attachement de tel ou
tel citoyen à telle ou telle croyance, à telle ou telle religion, est
pour lui une cause de privilège.” La loi de 1905, dite “loi de
séparation des Églises et de l’État”, énonce un principe fort :
“La République assure la liberté de conscience”. Ce message
soutient ses principes fondateurs : la laïcité, source première
de la Liberté (de penser, de croire, de choisir) et de l’Égalité
(celle vertueuse des citoyens devant la loi), et la Fraternité, lien
positif d’échanges, de rencontres, de débats entre les hommes.
La Lettre du Gynécologue - n° 335 - octobre 2008
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Le “droit à la différence”, au cœur de cette loi, ne doit pas être
perverti, subrepticement, pour aboutir à la “différence des
droits”, restaurant le clanisme, le communautarisme, voire la
néoféodalité !
Dans un ouvrage récent, André Comte-Sponville complète ces
notions en stipulant qu’il n’y a pas de contradiction entre spiritualité et laïcité : “Un athée a besoin aussi d’une vie spirituelle
autant qu’un croyant. La spiritualité, qui n’est pas une doctrine
mais une dimension de la condition humaine, c’est la vie de l’esprit.” La spiritualité “n’est pas obligatoirement vécue dans la religion”, mais dans les deux cas, elles sont dans une autre dimension
que la notion sociétale qu’est la démocratie, surtout celle “laïque,
respectueuse des droits de l’homme”. (L’esprit de l’athéisme. Introduction à la spiritualité sans Dieu. Albin Michel, 2006).
Paradoxalement, en Occident, ne répondons-nous pas aussi, dans
une certaine mesure, à une religion oppressante et très médiatisée du people et de la “perfection corporelle” bimboesque ! Ne
contribuons-nous pas aussi à la mise en œuvre de valeurs différentes pour les femmes et les hommes, les femmes devant devenir
toujours plus belles (pour qui ? pour l’homme ?) et les hommes
toujours plus riches (pour quoi ? les voitures, les bijoux ?) !
Comme dans toute société, à l’hôpital, il y a des droits et devoirs.
Il est étonnant que la charte du patient hospitalisé et ses 11 articles (circulaire du 2 mars), apposée sur toutes les façades des
établissements de santé, ne comporte que des droits du patient.
Notamment, l’article 8 stipule que la personne hospitalisée “est
traitée avec égard. Ses croyances sont respectées”. L’hôpital
prend soin du corps de chacun, touchant, ce faisant, à l’intimité, la pudeur, l’espace privé que chaque individu s’est assigné,
conformément à ses convictions, réflexions ou sa religion.
Cependant, à l’hôpital tout n’est pas possible. Si “la liberté
consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui” (article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen), le
respect des convictions religieuses, surtout quand les exigences sont exorbitantes, ne doit pas interférer sur les principes
constitutionnels et les fonctionnements des services, comme
le souligne la circulaire Castex du 2 février 2005.
Existe-t-il, en retour, des devoirs de respecter le travail, le dialogue avec les soignants et le fonctionnement et l’esprit du service
public en général ? D’autant que l’article 1 de cette même charte
précise que “toute personne est libre de choisir l’établissement
de santé qui la prendra en charge” et donc tous les devoirs et
contraintes pour peu qu’ils aient été formalisés ! Seule la Charte
de la laïcité, pas assez connue et expliquée, confirme que “la
liberté de religion ou de conviction ne rencontre que des limites
nécessaires au respect du pluralisme religieux, à la protection
des droits et libertés d’autrui […], dans les limites du respect de
la neutralité du service public et […] pourvu que leurs manifestations ne troublent pas l’ordre public établi par la loi”.
L’hôpital doit être fier d’être un espace public, image d’une
République française indivisible, universelle, laïque et démocratique, devant favoriser le “vivre ensemble” et l’égalité. Tout
en respectant la dignité de chacun, son espace privé au sein
d’un domaine public, il n’est pas là pour favoriser le communautarisme et organiser la ségrégation des sexes.
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