La Lettre du Gynécologue - n° 335 - octobre 2008
Gynéco et société
Gynéco et société
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plus souvent un dilemme entre un principe collectif laïc et répu-
blicain et le principe individuel de protection. Ainsi, devant une
demande d’hyménéoplastie, la première réponse est de s’op-
poser à ces actes humiliants et attentatoires à la dignité de la
femme et de refuser au nom du principe républicain de liberté
individuelle et d’égalité et de non-discrimination entre les fem-
mes et les hommes, au nom du refus du pouvoir machiste de
l’homme sur la femme. Il s’agit d’une véritable aliénation selon
Le Trésor de la langue française : “Privation de libertés, de droits
humains essentiels éprouvée par une personne ou un groupe
social sous la pression d’acteurs permanents”.
Cependant, quand le praticien se retrouve en colloque singu-
lier avec une jeune femme qui se voit obliger par sa famille,
son frère, sa religion de parvenir vierge au mariage (alors que
le livre n’y fait pas obligation aux femmes), au risque, dans le
cas contraire, d’être humiliée, répudiée, battue, voire égorgée
par le “tribunal d’honneur des frères”, comment doit-il agir
entre conscience intangible et réalité quotidienne ?
La santé, selon l’OMS, n’est pas seulement physique, elle est aussi
psychique et sociale. C’est pourquoi, dans un second temps,
selon un principe de réalité de protection de la jeune femme,
il peut être légitime d’accéder à sa demande, mais uniquement
après un long entretien d’explications, de dialogue mutuel, d’ac-
compagnement, éventuellement avec une conseillère conjugale.
Ce n’est pas tant contribuer à perpétuer ce système d’inféoda-
tion de la femme, que de parler, d’informer, voire d’éduquer pour
dénoncer cette barbarie et faire évoluer la condition féminine
dans les mentalités et dans la réalité. De toute façon, dans les
familles, dans les communautés, le changement n’interviendra
que par les femmes elles-mêmes !
En tant que médecin gynécologue, il ne faut pas oublier et conti-
nuer le véritable combat, soutenu par le Collège national des
gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), qui consiste à
défendre la liberté des femmes à se déterminer sur la contracep-
tion, l’avortement, la stérilisation sans l’avis de leur mari, bref le
libre choix de leur corps. Un médecin doit refuser de faire des
certificats humiliants de virginité, ne pouvant soit faire un faux,
soit attester de la “qualité” de l’hymen, comme un objet. A contra-
rio, demande-t-on ainsi à un homme un certificat de virginité
avant son mariage ?
Toute religion confondant temporalité et spiritualité, comme
le Coran, est certes un “code de vie”, certains diront statique,
mais il doit rester personnel et non pas supplanter le code
de vie républicain et collectif (Code Napoléon) qui structure
durablement et de manière évolutive notre société française.
Jean Jaurès disait déjà dans son discours de Castres, le 30 juillet
1904 : “Il n’y a pas égalité des droits si l’attachement de tel ou
tel citoyen à telle ou telle croyance, à telle ou telle religion, est
pour lui une cause de privilège.” La loi de 1905, dite “loi de
séparation des Églises et de l’État”, énonce un principe fort :
“La République assure la liberté de conscience”. Ce message
soutient ses principes fondateurs : la laïcité, source première
de la Liberté (de penser, de croire, de choisir) et de l’Égalité
(celle vertueuse des citoyens devant la loi), et la Fraternité, lien
positif d’échanges, de rencontres, de débats entre les hommes.
Le “droit à la différence”, au cœur de cette loi, ne doit pas être
perverti, subrepticement, pour aboutir à la “différence des
droits”, restaurant le clanisme, le communautarisme, voire la
néoféodalité !
Dans un ouvrage récent, André Comte-Sponville complète ces
notions en stipulant qu’il n’y a pas de contradiction entre spiri-
tualité et laïcité : “Un athée a besoin aussi d’une vie spirituelle
autant qu’un croyant. La spiritualité, qui n’est pas une doctrine
mais une dimension de la condition humaine, c’est la vie de l’es-
prit.” La spiritualité “n’est pas obligatoirement vécue dans la reli-
gion”, mais dans les deux cas, elles sont dans une autre dimension
que la notion sociétale qu’est la démocratie, surtout celle “laïque,
respectueuse des droits de l’homme”. (L’esprit de l’athéisme. Intro-
duction à la spiritualité sans Dieu. Albin Michel, 2006).
Paradoxalement, en Occident, ne répondons-nous pas aussi, dans
une certaine mesure, à une religion oppressante et très médiati-
sée du people et de la “perfection corporelle” bimboesque ! Ne
contribuons-nous pas aussi à la mise en œuvre de valeurs diffé-
rentes pour les femmes et les hommes, les femmes devant devenir
toujours plus belles (pour qui ? pour l’homme ?) et les hommes
toujours plus riches (pour quoi ? les voitures, les bijoux ?) !
Comme dans toute société, à l’hôpital, il y a des droits et devoirs.
Il est étonnant que la charte du patient hospitalisé et ses 11 arti-
cles (circulaire du 2 mars), apposée sur toutes les façades des
établissements de santé, ne comporte que des droits du patient.
Notamment, l’article 8 stipule que la personne hospitalisée “est
traitée avec égard. Ses croyances sont respectées”. L’hôpital
prend soin du corps de chacun, touchant, ce faisant, à l’inti-
mité, la pudeur, l’espace privé que chaque individu s’est assigné,
conformément à ses convictions, réflexions ou sa religion.
Cependant, à l’hôpital tout n’est pas possible. Si “la liberté
consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui” (arti-
cle 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen), le
respect des convictions religieuses, surtout quand les exigen-
ces sont exorbitantes, ne doit pas interférer sur les principes
constitutionnels et les fonctionnements des services, comme
le souligne la circulaire Castex du 2 février 2005.
Existe-t-il, en retour, des devoirs de respecter le travail, le dialo-
gue avec les soignants et le fonctionnement et l’esprit du service
public en général ? D’autant que l’article 1 de cette même charte
précise que “toute personne est libre de choisir l’établissement
de santé qui la prendra en charge” et donc tous les devoirs et
contraintes pour peu qu’ils aient été formalisés ! Seule la Charte
de la laïcité, pas assez connue et expliquée, confirme que “la
liberté de religion ou de conviction ne rencontre que des limites
nécessaires au respect du pluralisme religieux, à la protection
des droits et libertés d’autrui […], dans les limites du respect de
la neutralité du service public et […] pourvu que leurs manifes-
tations ne troublent pas l’ordre public établi par la loi”.
L’hôpital doit être fier d’être un espace public, image d’une
République française indivisible, universelle, laïque et démo-
cratique, devant favoriser le “vivre ensemble” et l’égalité. Tout
en respectant la dignité de chacun, son espace privé au sein
d’un domaine public, il n’est pas là pour favoriser le commu-
nautarisme et organiser la ségrégation des sexes.
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