ÉDITORIAL Médecine des voyages : pathologies au retour de voyage Éric Caumes* L es maladies qui se déclarent au retour de voyage méritent une attention toute particulière. C’est pourquoi La Lettre de l’infectiologue a décidé, à la veille des vacances estivales, de leur consacrer un numéro spécial. Le spectre des maladies observées après un voyage sous les tropiques est mal connu, même si le phénomène est important, puisque 10 % des voyageurs vont consulter un médecin au retour (1). La plupart des études publiées dans ce domaine se focalisent en fait sur une maladie particulière (paludisme, leishmaniose, dengue, etc.) ou sur un groupe de maladies (respiratoires, cutanées, fébriles, etc.). Trois études “généralistes” ont été publiées sur les pathologies au retour de voyage (2-4) : quel que soit leur biais respectif (petit effectif pour l’une, recrutement hospitalier ou spécialisé pour les deux autres), ces études montrent que les causes de morbidité au retour de voyages sont dominées par la diarrhée, les dermatoses, les infections respiratoires et la fièvre. C’est la raison pour laquelle trois articles de ce numéro spécial sont consacrés à la diarrhée, aux dermatoses infectieuses et environnementales, et aux infections respiratoires se déclarant au retour d’un voyage. Certaines d’entre elles peuvent mettre en jeu le pronostic vital plus fréquemment que n’importe quelle maladie exotique. La plus large des études mentionnées ici, l’étude GeoSentinel, inclut ainsi parmi les causes de mortalité la pneumonie et l’embolie pulmonaire (4). Certaines pathologies observées au retour d’un voyage “exotique”, dites “maladies d’importation”, comme le paludisme, peuvent aussi mettre en jeu le pronostic vital très rapidement. Une vingtaine de décès environ sont encore observés chaque année en France du fait du paludisme, et ce sont toujours 20 décès de trop ! D’autres pathologies comme la bilharziose peuvent passer inaperçues lors de la phase invasive et se révéler des années plus tard par des complications urinaires, digestives ou hépatobiliaires (3). Certaines autres sont aussi dotées d’un potentiel de transmission individuelle, puis éventuellement communautaire, directement de personne à personne ou par l’intermédiaire d’arthropodes présents sur notre sol. L’épidémie d’infection par le virus chikungunya observée en Italie au cours de l’été 2007 en est un bon exemple (5). Ces maladies exotiques sont donc importantes à reconnaître. Nous avons pris le parti de consacrer deux articles aux deux plus fréquentes : le paludisme et la bilharziose invasive. En revanche, nous n’avons pas inclus les fièvres hémorragiques virales (FHV), qui restent exceptionnelles chez les voyageurs. En outre, nous ne souhaitions pas focaliser l’attention sur un risque réel, mais très mineur, au détriment de risques majeurs, plus fréquents et tout aussi graves, suivant en cela l’exemple et les recommandations d’autres auteurs (6). Toutefois, en cas de FHV, dans un contexte possible de transmission secondaire et d’exposition du personnel soignant, un certain nombre de messages importants sont à garder en tête (7) : ✓ Les causes non virales de fièvre hémorragique (FH) [infections à bacilles à Gram négatif et coques à Gram positif, paludisme...] doivent être évoquées en priorité, car elles relèvent souvent d’un traitement urgent et efficace. ✓ La principale FH tropicale, par ordre de fréquence, est la dengue, qui ne comporte aucun risque secondaire de transmission au personnel soignant (en dehors d’un accident d’exposition au sang) ; d’autres viroses tropicales et cosmopolites, également plus fréquentes, sont potentiellement hémorragiques, sans risque de transmission secondaire. ✓ Même en cas de FHV proprement dite, le risque de transmission au personnel soignant est quasiment nul quand on respecte les précautions classiques. ✓ Aucun cas humain d’infection par transmission respiratoire à partir d’un patient atteint de FHV n’a été documenté au cours des nombreuses épidémies de FHV en Afrique. ✓ Les infections graves avec signes hémorragiques relèvent plutôt d’une prise en charge en unité de soins intensifs qu’en unité de médecine. Ces remarques soulignent la nécessité de réviser les recommandations pour la prise Temple du Bayon, Angkor, Cambodge * Président de la Société de médecine des voyages ; professeur des universités, université Pierre-et-Marie-Curie ; praticien hospitalier, service des maladies infectieuses et tropicales, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris. La Lettre de l’Infectiologue • Vol. XXIII - n° 3 - mai-juin 2008 | 73 LI MAI-JUIN 2008.indd 73 3/07/08 17:12:50 ÉDITORIAL Avalokiteshvara, temple du Bayon, Angkor, Cambodge. en charge des FHV en France, recommandations considérées comme irréalistes par les principaux protagonistes de l’unique cas de FHV importée observé en France au cours des dernières années (8). Enfin, les données épidémiologiques montrent que, si ces maladies d’importation sont possibles, elles sont en fait, en dehors du paludisme, moins fréquentes que les pathologies cosmopolites, au sein desquelles les maladies infectieuses (digestives, cutanées, respiratoires, hépatiques, urinaires) tiennent la première place (7). Donc, si le paludisme doit rester l’une de nos principales préoccupations pour nos patients au retour de voyage, notamment chez les migrants, retour d’Afrique et en cas de fièvre, il convient de sensibiliser les médecins à la plus grande fréquence des infections cosmopolites plus banales. La notion de voyage récent ne doit pas égarer à tout prix vers une maladie tropicale ! Mais la connaissance des maladies exotiques reste indispensable pour qui veut prendre en charge les voyageurs revenant de pays tropicaux. Mieux vaut savoir reconnaître les signes de paludisme, de bilharziose, de typhoïde et de fièvre hémorragique virale. Sans compter le risque non négligeable de voir ces maladies exotiques s’implanter en Europe à l’occasion du réchauffement climatique (9) ! Dès lors, leur surveillance est nécessaire, et les médecins de terrain y contribuent en déclarant certaines d’entre elles (dengue, chikungunya, paludisme). Cette focalisation sur les pathologies au retour de voyages ne doit pas faire oublier que les principales causes de mortalité en voyage sont cardiovasculaires et accidentelles. Si les premières ne sont pas forcément imputables aux voyages, ce n’est pas le cas des secondes, pour lesquelles le lien est plus évident. Sont concernés les accidents de la voie publique, les noyades, les homicides et, dans une moindre mesure, les suicides. Nos efforts de prévention doivent désormais porter sur ces points. ■ Références bibliographiques 1. Ryan ET, Wilson ME, Kain KC. Illness after international travel. N Engl J Med 2002;347:505-16. 2. Hill DR. Health problems in a large cohort of Americans travelling to developing countries. J Travel Med 2000;7:259-66. 3. Ansart S, Perez L, Vergely O et al. Illnesses in travelers returning from the tropics: a prospective study of 622 patients. J Travel Med 2005;12:312-8. 6. Gushulak B, Funk M, Steffen R. Global changes related to travelers’ health. J Travel Med 2007;14:205-8. 7. Caumes E. Maladies observées au retour de voyages. Rev Prat 2007;57:84551. 8. Tattevin P, Tarantola A, Michelet C. Principale leçon du 1 er cas de fièvre 4. Freedman DO, Weld LH, Kozarsky PE et al. Spectrum of disease and relation to place of exposure among ill returned travellers. N Engl J Med 2006;354: 119-30. hémorragique virale (FHV) importé en France : la nécessité de disposer de 5. Rezza G, Nicoleti L, Angelini R et al. Infection with chikungunya virus in Italy: an outbreak in a temperate region. Lancet 2007;370:1840-6. 9. Chrétien JP, Linthicum KJ. Chikungunya in Europe: what’s next? Lancet recommandations réalistes. BEH 2006;n° 43-44:344. 2007; 370:1805-6. 74 | La Lettre de l’Infectiologue • Vol. XXIII - n° 3 - mai-juin 2008 LI MAI-JUIN 2008.indd 74 3/07/08 17:12:52