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La Lettre du Cardiologue - n° 338 - novembre 2000
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insuffisance cardiaque fut le thème d’une réunion inter-
nationale qui s’est tenue les 26 et 27 juin 2000 et qui
s’inscrit dans une série prestigieuse de conférences orga-
nisées par l’Institut Pasteur, les Eurconférences. Cela souligne
la reconnaissance accordée par la communauté scientifique à cette
pathologie en termes de santé publique, mais aussi d’avancées dans
la compréhension de ses mécanismes, et donc de potentiel théra-
peutique. Pendant deux jours, les conférenciers se sont succédé
pour faire le point sur divers aspects de l’insuffisance cardiaque
donnant une large part aux fondamentalistes, mais dans un souci
constant d’interface avec l’aspect thérapeutique. Au vu du nombre
et de la densité des exposés, qui étaient eux-mêmes souvent déjà
des synthèses, ce rapport sera parcellaire, volontiers centré sur les
aspects les plus novateurs et les perspectives thérapeutiques.
ÉPIDÉMIOLOGIE
Les données épidémiologiques, justifiant l’intitulé de cette
réunion, furent précisées par F. Zannad (Nancy). Le manque de
définition univoque et la fréquence des formes asymptomatiques
compliquent l’analyse épidémiologique. Néanmoins, son inci-
dence et sa prévalence croissent et sont actuellement estimées à
1-5 ‰ et 1,5-4 % respectivement, faisant de l’insuffisance car-
diaque la première cause d’hospitalisation après 60 ans et lui
conférant un énorme impact économique (15-30 billions de dol-
lars/an aux États-Unis). Son pronostic reste sombre, avec une
mortalité à un an variant actuellement de 10 % (études récentes
incluant des patients en stade II-III de la NYHA) à 22 % (étude
RALES incluant des patients en stade III-IV), voire 35 % (étude
EPICAL étudiant des patients en stade IV).
ANTAGONISME NEUROHORMONAL : PIERRE ANGULAIRE
DU TRAITEMENT DE L’INSUFFISANCE CARDIAQUE
P. Lechat (Paris) rappela la stratégie thérapeutique actuelle dans
l’insuffisance cardiaque chronique (diurétique, IEC, bêtabloquant
et antialdostérone). L’essentiel de cette stratégie, incluant les
développements en cours de l’industrie pharmaceutique, cible un
antagonisme maximal des systèmes neurohormonaux dont la sti-
mulation au cours de l’insuffisance cardiaque s’avère néfaste,
notamment sur le remodelage (tableau).
M. Clozel (Allschwil, Suisse) justifia et développa la thérapie
antiendothéline. Un antagonisme combiné des récepteurs ETA et
ETB (bosentan) serait préférable car les ETB, d’importance négli-
geable chez le sujet normal, sont “up-régulés” dans l’insuffisance
cardiaque. L’étude pilote REACH-1 a montré une amélioration
clinique sous bosentan, qui n’apparaissait qu’après le troisième
mois, suggérant bien un effet pas seulement hémo-
dynamique. L’action néfaste sur les transaminases justifie une
autre étude en cours à plus faible dose. Une forme intraveineuse,
le tezosentan, montre un effet hémodynamique aigu bénéfique
particulièrement marqué, et est donc à l’essai dans les formes
aiguës (OAP...).
CIRCUITS CELLULAIRES ET MOLÉCULAIRES ET REMODELAGE
(MYOCYTAIRE) DU VENTRICULE
La dissection de cette signalisation intracellulaire représente un
challenge important pour les chercheurs car elle est le lien entre
les signaux externes ou internes (augmentation des contraintes,
neurohormones...) et les modifications de l’expression de certains
gènes. Sa modulation est étroitement liée à l’hypertrophie et à la
balance survie-apoptose des myocytes, qui préludent à l’insuffi-
sance cardiaque et l’accompagnent. La connaissance dans ce
domaine est récente mais déjà “touffue” et, finalement, cette euro-
conférence lui fut consacrée en grande partie. En effet, c’est de
cette recherche que pourrait naître le développement des futurs
médicaments de l’insuffisance cardiaque. L’équipe de E.N. Olson
avait publié il y a deux ans un travail expérimental princeps mon-
trant le rôle central de la calcineurine dans la réponse hypertro-
phique ventriculaire, travail qui fit couler beaucoup d’encre, car
Insuffisance cardiaque :
une épidémie du XXIesiècle ?
Eurconférence
de l’Institut Pasteur
D. Logeart*
L
*Hôpital Beaujon, Clichy.
Adaptation d’une aquarelle de Paul Klee (1922)
Tableau. Stratégies thérapeutiques (médicamenteuses) actuelles et en
développement dans l’insuffisance cardiaque chronique.
Traitement actuel En cours de développement (court terme)
Diurétiques Antagonistes des récepteurs à l’angiotensine II
IEC Antagonistes des récepteurs de l’endothéline
Bêtabloquants Inhibiteurs de l’endopeptidase neutre
Antialdostérone
Digitaliques
cela pouvait représenter un bel exemple de ces nouvelles cibles
thérapeutiques. Néanmoins, l’absence d’effet de la ciclosporine
(inhibiteur de la calcineurine) chez l’homme vis-à-vis de l’HVG
calma les ardeurs, suggérant que la calcineurine, bien que suffi-
sante pour médier une réponse hypertrophique, n’était peut-être
pas toujours nécessaire. E.N. Olson(Dallas, États-Unis) présenta
ainsi un nouveau travail (PNAS, avril 2000) dans lequel la réponse
hypertrophique des myocytes est médiée par une autre voie éga-
lement “suffisante”, une calcium-calmoduline kinase régulant
l’activité de MEF2, qui contrôle l’expression de gènes muscu-
laires notamment (figure 1).
S. Izumo (Boston, États-Unis) montra les avantages d’une utili-
sation extensive des souris transgéniques dans la dissection de
ces voies, mais sans doute aussi l’importance d’une large ouver-
ture sur les résultats obtenus dans d’autres domaines : exemple
de la dernière voie étudiée par cette équipe, la PI3K, mise en évi-
dence par des spécialistes du développement de la drosophile,
et dont la surexpression constitutive ou mutée dans le cœur de
souris transgéniques montra son rôle pivot dans le contrôle de la
taille du cœur.
Une autre voie de signalisation issue d’échanges interdiscipli-
naires fut rapportée par S.J. Stewart (San Francisco, États-Unis) :
un large essai clinique a récemment montré l’efficacité de l’her-
ceptin (anticorps dirigé contre le récepteur membranaire HER2,
de la famille des human epidermal growth factor receptor, et
impliqué dans des processus tumoraux) comme traitement adju-
vant du cancer du sein métastasé, mais avec un taux d’insuffi-
sance cardiaque inaugurale de 11% (!), atteignant 27 % en cas de
traitement préalable par anthracyclines. Ces récepteurs HER2
étaient jusque-là parfaitement inconnus des cardiologues. En fait,
des souris transgéniques n’exprimant plus ce récepteur au niveau
cardiaque grandissent normalement, mais développent à l’âge
adulte des cardiomyopathies dilatées très sensibles au moindre
stress surajouté. Ce récepteur constituerait donc un circuit néces-
saire au maintien de la survie du myocyte adulte.
L’existence d’une fine balance entre processus pro- et antiapop-
totiques fut abordée par J.J. Mercadier (Paris), qui montra des
résultats où un effet protecteur contre l’induction d’apoptose est
obtenu avec de faibles concentrations de catécholamines, contras-
tant avec l’effet délétère de fortes concentrations.
Enfin, le calcium et sa signalisation occupent une place primor-
diale dans la plupart des processus cellulaires du myocyte. Or, s’il
est bien connu que de nombreux modèles d’insuffisance cardiaque
exhibent une dysrégulation de l’homéostasie calcique via un dys-
fonctionnement du réticulum sarcoplasmique, ce n’est que récem-
ment que des éléments expérimentaux ont montré qu’une action
directe sur le réticulum sarcoplasmique pourrait prévenir l’insuf-
fisance cardiaque, comme par exemple l’inhibition de
l’interaction Serca2-phospholamban (le phospholamban non phos-
phorylé inhibe la CaATPase, et donc le recaptage du calcium).
I. Berrebi-Bertrand (SmithKline Beecham, Saint-Grégoire) a
identifié et précisé les protéines impliquées dans le processus de
phosphorylation-déphosphorylation du phospholamban.
REMODELAGE DE LA MATRICE EXTRACELLULAIRE, MÉTAL-
LOPROTÉINASES DE LA MATRICE ET ACTIVATEURS DU PLAS-
MINOGÈNE
Ce remodelage a un rôle essentiel qui n’a été complètement
reconnu que récemment, à la lumière des effets bénéfiques exer-
cés par les IEC, bêtabloquants ou antialdostérones. À noter éga-
lement des formes familiales de cardiomyopathie dilatée liées à
des anomalies de gènes codant pour des protéines-liens entre la
matrice extracellulaire et le cytosquelette du myocyte. Les métal-
loprotéinases de la matrice (MMP) et les activateurs du plasmi-
nogène (PA) semblent jouer un rôle important dans ce processus
de remodelage.
S. Heymans, de l’équipe de P. Carmeliet (Louvain, Belgique),
illustra ce rôle avec les résultats obtenus à partir d’un modèle
d’infarctus chez la souris. L’activateur du plasminogène u-PA,
produit en abondance par les leucocytes présents dans tout infarc-
tus aigu, y joue un rôle pivot et ambivalent dans le temps (figure 2,
p. 8).
Par définition, il active la transformation du plasminogène en
plasmine qui dégrade des protéines essentielles de la matrice au
niveau de l’infarctus, telles la laminine, la fibrinonectine et la
fibrine, favorisant ainsi le risque de rupture ventriculaire. Par
ailleurs, la plasmine active les MMP également produites par les
leucocytes, qui dégradent alors les protéines de la matrice, col-
lagène, élastine et autres glycoprotéines, qui forment la cicatrice
“post-infarctus” ; l’u-PA y inhibe alors la cicatrisation, favorisant
l’ischémie résiduelle et l’insuffisance cardiaque. Cela est très inté-
ressant, car les possibilités pharmacologiques d’inhiber ces sys-
tèmes existent, et il semblerait ainsi qu’une inhibition du système
u-PA/MMP préviendrait le risque précoce de rupture mais,
ensuite, favoriserait ischémie et insuffisance cardiaque.
La Lettre du Cardiologue - n° 338 - novembre 2000
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Figure 1. Voies de signalisation de l’hypertrophie cardiaque liée à la
calmoduline.
THÉRAPIES ANTICYTOKINES
L’accumulation de preuves quant au rôle délétère de certaines
cytokines pro-inflammatoires (TNF, IL6...) dans la progression
de l’insuffisance cardiaque et le développement parallèle de thé-
rapeutiques spécifiques anticytokines stimulent la réalisation d’es-
sais thérapeutiques. D.L. Mann(Houston, États-Unis) a rapporté
ses résultats obtenus avec un anticorps soluble dirigé contre le
récepteur au TNF (etanercept), et notamment ceux d’une étude
de phase III, incluant un petit groupe de patients sévèrement
atteints en classe III/IV avec fraction d’éjection basse. Une amé-
lioration fonctionnelle et du remodelage était rapportée, motivant
des études à grande échelle (études RENAISSANCE et RECO-
VER).
STRATÉGIES ANTITHROMBOTIQUES AU COURS DE L’INSUF-
FISANCE CARDIAQUE
Ce point thérapeutique particulièrement pratique fut abordé par
J.G.F. Cleland (Hull, Royaume-Uni). L’occlusion d’une coro-
naire est la cause la plus fréquente d’insuffisance cardiaque, mais
pourrait être aussi la cause d’un grand nombre de morts subites
chez l’insuffisant cardiaque avéré, de même que les accidents
emboliques grèvent leur morbidité. Néanmoins, le plus grand flou
thérapeutique règne, comme en témoigne l’absence de toute
recommandation des sociétés savantes. La première raison est
qu’aucune étude n’a montré de bénéfice de l’aspirine à long terme
dans le post-infarctus. De plus certaines études, telle SOLVD, ont
suggéré une interférence négative de l’aspirine avec les IEC. Les
AVK n’induisent pas ce genre d’interférence et tendent à amé-
liorer le pronostic, mais exposent aux complications hémorra-
giques. La récente étude WASH, d’effectif assez limité, confor-
tait encore cette impression selon laquelle les AVK seuls
sembleraient bénéfiques. Cela justifie la nécessité de larges études
spécifiquement conçues pour répondre à cette question, telle
l’étude WATCH.
ASPECTS GÉNÉTIQUES : COMPLEXITÉ CROISSANTE, RÔLE DE
GÈNES DE SUSCEPTIBILITÉ, PHARMACOGÉNÉTIQUE
Une complexité croissante prévaut dans le démembrement des
anomalies génétiques liées à l’insuffisance cardiaque
(K. Schwartz, Paris). Si neuf gènes, porteurs de mutations, ont
déjà été identifiés comme responsables de formes familiales de
cardiomyopathie hypertrophique (CMH), il existe a posteriori
une cohérence physiopathologique, car il s’agit toujours de gènes
codant pour des protéines (anormales) du sarcomère causant une
dysfonction contractile avec hypertrophie compensatrice. Dans
les formes familiales de cardiomyopathie dilatée, d’étude plus
récente, une grande hétérogénéité semble prévaloir avec des gènes
malades codant pour des protéines du sarcolemme et du sarco-
mère, mais aussi pour l’enveloppe nucléaire et les filaments inter-
médiaires. Enfin, un rôle majeur pour des gènes de “susceptibi-
lité” émerge actuellement et pourrait expliquer l’hétérogénéité
clinique des formes familiales (exemple des porteurs “sains”...),
mais aussi des formes non familiales de cardiomyopathie dilatée
(par exemple dilatation ventriculaire très variable d’un individu
à l’autre...) : exemple de variants pour les gènes codant pour le
récepteur ß2-adrénergique ou l’enzyme de conversion de l’an-
giotensine associés à un plus mauvais pronostic.
Le syndrome du QT long congénital résulte aussi de différentes
anomalies génétiques, puisque des mutations ont été identifiées
sur au moins quatre gènes différents, avec également une certaine
cohérence, puisqu’il s’agit toujours de courants ioniques. Dans
cette pathologie, les progrès de la “génétique réverse” (du gène
à la physiologie) non seulement ont permis de mieux en saisir les
subtilités physiopathologiques comme pour la CMH, mais pour-
raient permettre d’aller plus loin, vers une thérapeutique spéci-
fique adaptée à l’anomalie génique en cause (S. Priori, Pavie,
Italie) : ainsi les patients LQT3 (mutation causant un excès de
courant sodique entrant) pourraient bénéficier préférentiellement
de bloqueurs des canaux sodiques plutôt que du classique traite-
ment bêtabloquant, alors que les patients LQT2 (dysfonction d’un
courant potassique s’améliorant par augmentation du potassium
extracellulaire) pourraient bénéficier d’une supplémentation
potassique. L’identification et la compréhension la plus large pos-
sible des variants géniques impliqués dans les pathologies
cardiovasculaires devraient ainsi être la source de progrès
thérapeutiques.
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Figure 2. Rôle pivot et ambivalent de l’activateur du plasminogène
(u-PA) et des métalloprotéases de la matrice (MMP) dans le remodelage
ventriculaire (modèle du post-infarctus).
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Une approche originale de cette pharmacogénétique fut proposée
par la société pharmaceutique Artemis (Tübingen, Allemagne),
qui vise à identifier tous les gènes importants impliqués dans le
système cardiovasculaire du poisson-zèbre et à obtenir un grand
nombre de mutants. L’intérêt de ce petit poisson est multiple : éle-
vage aisé avec obtention rapide de mutants, système
cardiovasculaire rudimentaire mais nombreuses similitudes avec
les mammifères, transparence permettant son analyse morpholo-
gique et fonctionnelle directement in vivo. Après clonage et iden-
tification des gènes mutés causant des anomalies cardiaques jugées
pertinentes, de nouvelles cibles thérapeutiques sont espérées.
THÉRAPIE GÉNIQUE
À côté de cette pharmacogénétique, la thérapie génique vise à
injecter dans l’organisme la partie codante de gènes qui expri-
meront ou surexprimeront une protéine susceptible de modifier
un processus physiopathologique. Divers obstacles méthodo-
logiques importants ont été rappelés (problème des vecteurs, de
la modulation in vivo de l’expression du transgène...).
R. Crystal (Boston, États-Unis) a aussi montré certains résultats
encourageants obtenus par son équipe dans le champ de l’angio-
genèse thérapeutique. Cette stratégie fait actuellement l’objet
d’investigations largement médiatisées, et ayant déjà quitté le
laboratoire pour des essais cliniques de phase II dans le cadre de
l’angor réfractaire non revascularisable ; de façon moins atten-
due, une amélioration de différents paramètres fonctionnels ven-
triculaires était obtenue après injection intramyocardique d’adéno-
virus codant pour le VEGF 121 dans un modèle d’insuffisance
cardiaque “non ischémique” obtenue par stimulation cardiaque
rapide.
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