POINT DE VUE Bilan préopératoire du cancer du sein : quelle place pour l’IRM ? Preoperative staging of breast carcinomas: is there a role for breast MRI? R. Gilles*, C. Feger* L e cancer du sein est le plus fréquent des cancers de la femme dans les pays industrialisés. Chaque année, 45 000 nouveaux cas sont diagnostiqués en France, et l’on estime que 1 femme sur 8 en sera atteinte au cours de son existence. L’examen clinique, l’imagerie et l’échographie sont les pivots de l’exploration de la pathologie mammaire. L’excellente sensibilité et reproductibilité de la mammographie explique sa place prépondérante parmi les méthodes d’imagerie du parenchyme mammaire, notamment dans le dépistage du cancer du sein. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) du sein permet l’étude morphologique ainsi que fonctionnelle de la vascularisation tumorale des cancers du sein. Cette technique possède une excellente sensibilité, mais une spécificité moindre et variable selon les auteurs. Que nous apprend l’histologie ? De nombreuses séries ont montré qu’un cancer du sein était souvent associé à des lésions multifocales (dans le même quadrant) ou multicentriques (dans un autre quadrant). On observe aussi une augmentation de la fréquence des cancers du sein controlatéraux. Pour Holland et al. (1), l’analyse des pièces de mastectomie de 299 patientes atteintes d’un cancer du sein invasif a montré l’existence d’une atteinte multifocale dans 20 % des cas et multicentrique dans 16 % des cas. Pour Lagios (2), une atteinte multicentrique est présente chez 21 % des patientes ayant un cancer du sein invasif. Pour Egan (3), des corrélations cliniques, radiologiques et histologiques permettent de mettre en évidence une atteinte multifocale dans 15 % des cas. Ces différentes études nous montrent qu’un cancer invasif du sein présente une atteinte multifocale dans 15 à 20 % des cas, multicentrique dans 15 % des cas et controlatérale dans 3 à 5 % des cas. Analyse de la littérature Boetes et al. (4) en 1995 publie dans Radiology une série de 60 patientes ayant eu un bilan préopératoire comprenant mammographie, échographie et IRM. La mammographie et l’échographie sous-estiment d’environ 15 % la taille de la lésion alors que l’IRM est corrélée à l’analyse histologique. Par ailleurs, la mammographie et l’échographie ne retrouvent que 30 à 38 % des atteintes multifocales contre 100 % pour l’IRM. En 1999, Fischer et al. (5) publient une série de 405 patientes atteintes d’un cancer du sein ayant eu un bilan préopératoire avec mammographie, échographie et IRM. La sensibilité et la spécificité sont respectivement de 86 % et 32 % pour la mammographie, 75 % et 80 % pour l’échographie et 93 % et 35 % pour l’IRM. Une atteinte multifocale, multicentrique et controlatérale a été détectée par l’IRM dans 72 %, 48 % et 79 % des cas. Dans une méta-analyse de 19 séries publiées, Houssami et al. (6) ont évalué la détection d’une atteinte multifocale et multicentrique chez les patientes ayant un cancer du sein. L’IRM détecte des lésions multifocales ou multicentrique dans 16 % des * Clinique de Bordeaux Nord. La Lettre du Sénologue • n° 50 - octobre-novembre-décembre 2010 23 Séno50décembre2010 - ok.indd 23 13/12/10 08:21 Mots-clés Cancer du sein Stade IRM Points forts »» Une atteinte multifocale ou multicentrique n'est pas rare dans les cancers du sein. »» L'IRM du sein est supérieure à la mammographie et à l'échographie dans la détection des ces atteintes. »» Le bénéfice clinique en termes de récidive locale n'est pas démontré. »» Le rôle de l'IRM dans le bilan préopératoire des cancers du sein est actuellement un sujet de controverse. Keywords bilan préopératoire. Quinze patientes (8,2 %) avaient une lésion suspecte à l’IRM dont 7 (3,8 %) se sont révélées malignes lors d’une vérification histologique. L’IRM préopératoire permet donc la détection d’un nombre accru de lésions multifocales, multicentriques et controlatérales lors d’un bilan d’extension du cancer du sein. Breast cancer Staging MRI La controverse Figure. Femme de 52 ans avec une opacité spiculée de 15 mm à la mammographie classée BIRADS 2 (a). L’examen IRM (b-c) met en évidence deux lésions prenant le contraste après injection de gadolinium : l’une correspond à la lésion vue sur la mammographie, la seconde plus antérieure de 7 mm n’était pas retrouvée à l’examen mammographique préopératoire. cas et une atteinte controlatérale dans 3 à 8 % des cas, la valeur prédictive positive est de 66 %. Parmi les patientes ayant une atteinte multifocale ou multicentrique, 8 % ont eu une mastectomie et 11 % une chirurgie locale plus extensive. Lee et al. (7) ont étudié une population de 182 patientes ayant un cancer du sein avec un IRM dans le Cependant, la communauté médicale oncologique et chirurgicale est toujours septique sur la place de l’IRM dans le bilan d’extension préopératoire. En raison de la spécificité de l’IRM, de nombreuses lésions bénignes vont être découvertes à cette occasion et conduire à des investigations complémentaires agressives. Par ailleurs, dans toutes les études, le nombre de patientes ayant une mastectomie plutôt qu’un traitement conservateur augmente à contre-courant de l’évolution du traitement du cancer du sein depuis les années 1970. Depuis cette période, de nombreuses études tendent à montrer que la survie est identique entre les patientes ayant un traitement conservateur versus une mastectomie (8-10). Cependant, quelques auteurs viennent battre en brèche ce dogme. Ainsi, une étude de l’Early Breast Cancer Trialists’ Collaborative Group (EBCTCG) [11] sur plus de 42 000 patientes retrouve une diminution proportionnelle du taux de récidive locale et de la survie à 15 ans. Ainsi une diminution de 10 % du taux de récidive locale à 5 ans réduit la mortalité par cancer du sein de 1,6 % à 5 ans, 3,7 % à 10 ans et 4,9 % à 15 ans. A contrario, les études randomisées, rares sur les reprises chirurgicales, ne sont pas enthousiasmantes. Turnbull et al. (12) ont randomisé 1 628 patientes présentant une lésion unifocale lors du bilan initial, le taux de réinterventions pour marges envahies était de 18,8 % après IRM et de 19,3 % en l’absence d’IRM (p = 0,7691). Par ailleurs, le taux de récidive locale n’est pas réduit de manière significative. Pengell et al. (13), dans une autre série, observent 3 % de récidive locale avec IRM et 4 % de récidive locale sans IRM à 8 ans. Cette controverse, vive actuellement, semble difficile à résoudre, car des études prospectives permettant de répondre à toutes ces questions ne sont éthiquement pas acceptables. Elles sont difficiles si ce n’est 24 | La Lettre du Sénologue • n° 50 - octobre-novembre-décembre 2010 Séno50décembre2010 - ok.indd 24 13/12/10 08:21 POINT DE VUE impossibles à mettre en œuvre. Incontestablement, l’atteinte multifocale des cancers du sein est une réalité et si elle n’est pas le seul facteur de récidive locale, on ne peut contester une causalité certaine, voire même parcellaire. Il est également incontestable que la radiothérapie complémentaire ne traite malheureusement pas toutes les récidives locales. De même, il n’est pas contesté que l’IRM détecte toutes les atteintes multifocales. Il reste à se familiariser avec cette technique, c’est-à-dire mieux poser ces indications, acquérir l’expérience afin de permettre une gestion des anomalies et, enfin, l’améliorer. Son accès est actuellement diffi- cile compte tenu des contraintes économiques. Toutes les techniques nouvelles connaissent à leurs débuts des interrogations légitimes. Certaines sommités sénologiques, actuellement à la retraite, m'ont appris à mes débuts que la découverte de lésions visibles uniquement sur la mammographie, sans aucune lésion palpable, troublait nombre de chirurgiens au point que l'un d'entre eux affirmait : "Ces lésions mammographiques n'existent pas, je ne les palpe pas". Une prise en charge multidisciplinaire, notamment radiologique et chirurgicale, devrait nous permettre d'apprendre ensemble à mieux maîtriser cette technique afin de ne l'utiliser qu'à bon escient. ■ Références bibliographiques 1. Holland R, Veling SH, Mravunac M, Hendriks JH. Histologic multifocality of Tis, T1-2 breast carcinomas: implications for clinical trials of breast-conserving surgery. Cancer 1985;56:979-90. 2. Lagios MD. Multicentricity of breast carcinoma demonstrated by routine correlated serial subgross and radiographic examination. Cancer 1977;40: 1726-34. 3. Egan RL. Multicentric breast carcinomas: clinicalradiographic-pathologic whole organ studies and 10-year survival. Cancer 1982;49:1123-30. 4. Boetes C, Mus RD, Holland R et al. Breast tumors: comparative accuracy of MR imaging relative to mammography and US for demonstrating extent. Radiology 1995;197(3):743-7. 5. Fischer 6. Houssami N, Ciatto S, Macaskill P. Accuracy and surgical impact of magnetic resonance imaging in breast cancer staging: systematic review and meta-analysis in detection of multifocal and multicentric cancer. J Clin Oncol 2008;26:3248-58. 7. Lee SG, Orel SG, Woo IJ et al. MR imaging screening of the contralateral breast in patients with newly diagnosed breast cancer:preliminary results. Radiology 2003;226:773-8. 8. Brooks JP, Danforth DN, Albert P et al. Early ipsilateral breast tumor recurrences after breast conservation affect survival: an analysis of the National Cancer Institute randomized trial. Int J Radiat Oncol Biol Phys 2005;62(3):785-9. 9. Poggi MM, Danforth DN, Sciuto LC et al. Eighteenyear results in the treatment of early breast carcinoma with mastectomy versus breast conservation therapy: the National Cancer Institute Randomized Trial. Cancer 2003;98(4):697-702. 10. Doyle T, Schultz DJ, Peters C et al. Long-term results of local recurrence after breast conservation treatment for invasive breast cancer. Int J Radiat Oncol Biol Phys 2001;51(1):74-80. 11. Clarke M, Collins R, Darby S et al. Effects of radiotherapy and of differences in the extent of surgery for early breast cancer on local recurrence and 15-year survival: an overview of the randomised trials. Lancet 2005;366:2087-106. 12. Turnbull LW, Brown SR, Olivier C et al. Multicentre randomised controlled trial examining the cost effectiveness of contrast-enhanced high field magnetic resonance imaging in women with primary breast cancer scheduled for wide local excision. Health Technol Assess 2010;14(1):1-182. 13. Pengel KE, Loo CE, Teertstra HJ et al. The impact of preoperative MRI on breast-conserving surgery of invasive cancer: a comparative cohort study. Breast Cancer Res Treat 2009;116:161-9. 14. Kuhl CK. Current status of breast MR imaging. Part 2. Clinical applications. Radiology 2007;244:672-91. Rapport d’évaluation technologique Place de l’IRM mammaire dans le bilan d’extension locorégionale préthérapeutique du cancer du sein Service d'évaluation de la Haute Autorité de santé (mars 2010)* L es conclusions du rapport de la Haute autorité de Santé sont les suivantes : "Le recours à l’IRM mammaire dans le bilan d’extension locorégionale du cancer du sein, réfléchi et non systématique, devrait être réservé à des situations cliniques bien identifiées. Notamment sur le sein homolatéral : ➤➤ En cas de discordance entre la clinique, la mammographie et * http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_936419/place-de-lirm-mammaire-dans-lebilan-dextension-locoregional-pretherapeutique-du-cancer-du-sein l’échographie pouvant entraîner une modification de la prise en charge thérapeutique. ➤➤ En cas de choix thérapeutiques difficiles (chirurgie oncoplastique, traitement conservateur ou mastectomie, traitement néoadjuvant). ➤➤ Chez des femmes de moins de 40 ans. ➤➤ Chez les femmes à haut risque familial de cancer du sein. En ce qui concerne le sein controlatéral, aucune donnée ne nous permet d’affirmer ni d’infirmer l’utilité de la réalisation d’une IRM mammaire pour l’étude du sein controlatéral." ■ La Lettre du Sénologue • n° 50 - octobre-novembre-décembre 2010 25 Séno50décembre2010 - ok.indd 25 13/12/10 08:21