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ÉDITORIAL
n France, le cancer du sein est le cancer le plus fré-
quent chez la femme. Le nombre de nouveaux cas
annuels, estimé par le Réseau français des registres
des cancers, est d’environ 36 000 pour l’année 1995 en France
métropolitaine. Entre 1985 et 1995, le nombre de cancers a
augmenté de 42 %. Actuellement, toutes générations confon-
dues, une Française sur 10 risque d’être atteinte par cette mala-
die au cours de son existence (1).
Après une forte croissance dans les années 50, la mortalité par
cancer du sein reste stable depuis les années 80. Entre 1995 et
1997, le cancer du sein a tué 10 800 femmes chaque année
avec 4 décès sur 10 survenant avant l’âge de 65 ans. Le cancer
du sein fait partie des cancers pour lesquels la survie a aug-
menté au cours des dernières décennies, et les conditions de
son diagnostic et de son traitement ont considérablement évo-
lué pendant cette période (2).
L’efficacité du dépistage mammographique du cancer du sein
chez les femmes âgées de 50 à 70 ans n’est plus à démontrer
et, s’il y a eu une polémique récente, la réaction a été presque
unanime et les arguments avancés rapidement balayés (3). Un
article récent de L. Tabár dans Cancer (4) et le commentaire,
qui l’accompagne dans la même revue, de B. Cady (5) nous
indiquent clairement dans quel sens il faut aller, puisque la
réduction de mortalité que l’on peut espérer chez les femmes
suivant effectivement des examens de dépistage réguliers peut
atteindre, voire dépasser, 50 %.
En France, 32 départements font partie du programme national
de dépistage et concernent une population de plus de 2,5 mil-
lions de femmes de 50 à 69 ans. Récemment, la limite d’âge a
été repoussée à 74 ans et la loi de financement de la Sécurité
sociale pour 1999 a instauré la prise en charge à 100 % des
actes réalisés dans le cadre des programmes de dépistage orga-
nisé (6). Nous disposons également en France des recomman-
dations de l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation
en santé (ANAES) concernant le nombre d’incidences et le
délai entre deux examens.
Un programme de dépistage du cancer du sein n’est efficace
que si la qualité est présente à tous les niveaux. Il existe une
législation européenne concernant la radioprotection (directive
97-43 Euratom de 1997) et des recommandations particulières
pour le dépistage de masse du cancer du sein. En France, les
programmes d’assurance de qualité ont été développés dans le
cadre du programme national de dépistage du cancer du sein.
Au départ, le Groupe interdisciplinaire de mammographie
(GIM) a proposé un protocole très largement inspiré du docu-
ment européen. C’est ce protocole qui a ensuite servi de base
pour l’élaboration du premier cahier des charges de la
Direction générale de la santé.
Au-delà de la qualité photographique des clichés, il faut
s’assurer de la qualité du positionnement ainsi que de la qua-
lité de l’interprétation. L’expérience acquise dans les cam-
pagnes de dépistage a amplement démontré l’impact que pou-
vait avoir l’amélioration de la qualité sur l’efficacité du
dépistage ainsi que les effets délétères potentiels d’une prise en
compte insuffisante du facteur qualité.
Le diagnostic des petites tumeurs nécessite une très bonne tech-
nique mammographique. Celle-ci ne peut être obtenue que si
l’on met en place des programmes de contrôle et d’assurance de
qualité structurés. L’expérience en France et partout ailleurs
dans le monde montre qu’avant la mise en œuvre de tels pro-
grammes, de nombreuses installations de mammographie pré-
sentent des insuffisances et que des progrès substantiels sont
systématiquement obtenus à la mise en route de ces pro-
grammes. L’évolution constante des techniques nécessite de
revoir régulièrement le contenu des programmes et une forma-
tion continue des radiologues et des manipulateurs est indispen-
sable. L’information que le radiologue reçoit en retour des orga-
nismes de gestion lui permet de se situer par rapport à
l’ensemble des radiologues des campagnes de dépistage.
L’évolution logique des efforts entrepris depuis une vingtaine
d’années pour la promotion de l’assurance de qualité en mam-
mographie devrait, dans un avenir proche, s’appliquer à
l’ensemble de la pratique mammographique quels que soient les
motifs de l’examen (diagnostic ou dépistage). Les audits de qua-
lité sont le terme ultime de la démarche de qualité. Ils prennent
en compte tous les aspects techniques et organisationnels ainsi
que le résultat final en termes de prise en charge des patientes.
Depuis 1999, l’Institut national de veille sanitaire (INVS) est
chargé d’analyser les indicateurs des campagnes de dépistage ;
les résultats qui ont été publiés dans le Bulletin épidémiolo-
gique hebdomadaire montrent que, dans les nouveaux pro-
Le dépistage du cancer du sein :
un modèle pour l’évolution des pratiques
médicales dans la prochaine décennie ?
J. Stinès*
* Centre Alexis-Vautrin, 6, avenue de Bourgogne-Brabois, 54511 Vandœuvre-
lès-Nancy.
E
La Lettre du Sénologue - nos 13-14 - 3e-4etrimestres 2001
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La Lettre du Sénologue - nos 13-14 - 3e-4etrimestres 2001
grammes, les indicateurs de qualité sont d’emblée proches des
normes européennes (7).
Des publications montrent qu’un dépistage décentralisé, assuré
par des cabinets de radiologie et d’anatomo-cytopathologie, est
possible en France et qu’il permettra une baisse de mortalité
par cancer du sein si on le généralise (8). Des efforts considé-
rables ont été consentis par les radiologues qui, dans les dépar-
tements concernés, ont accepté la mise en œuvre du cahier des
charges de la Direction générale de la santé. D’importants
efforts ont également été consentis en termes de formation des
manipulateurs et des radiologues.
Dans les mois et les années à venir, le dépistage mammogra-
phique du cancer du sein doit être généralisé avec une mise en
place progressive sur trois ans. Cela nécessite des efforts
financiers de la Caisse nationale d’assurance maladie ainsi que
des contreparties importantes de la part des radiologues, qui
devront accepter une restructuration de l’offre avec des pla-
teaux d’imagerie de mieux en mieux équipés et qui devront
prendre en charge à la fois le diagnostic et le dépistage.
Le nouveau cahier des charges de la Direction générale de la
santé jette les bases d’un dépistage “à la française”. Il sera
organisé plus dans l’optique d’un diagnostic précoce de cancer
du sein que d’un dépistage comme on le conçoit habituelle-
ment. Les coûts seront probablement élevés comparés à ceux
des autres programmes européens, mais, si le système fonc-
tionne avec les normes de qualité requises, on peut espérer que
lorsqu’on l’aura généralisé, l’objectif de diminuer de moitié la
mortalité par cancer du sein dans la tranche d’âge où le dépis-
tage est organisé pourrait être atteint.
Le nouveau cahier des charges est basé sur les propositions de
l’ANAES avec deux incidences (la face et l’oblique externe)
tous les deux ans pour toutes les femmes de 50 à 69 ans, qui
pourront ensuite poursuivre leur dépistage jusqu’à 74 ans. Il
comporte trois sections : la première concerne l’organisation
générale et définit la place des différents acteurs (médecins,
Assurance maladie, collectivités locales, associations, État) ainsi
que les modalités de la coordination nationale et régionale des
programmes ; la deuxième s’adresse aux structures de gestion
des programmes et la troisième est destinée aux radiologues
qui participent aux campagnes (9). Il envisage aussi bien les
notions d’information des personnes, la formation préalable des
intervenants, le contrôle de qualité et le suivi des actes et des
soins complémentaires, avec la transmission régulière des don-
nées nécessaires à l’évaluation. Le médecin traitant apparaît
comme un acteur essentiel du système, chargé à la fois d’inciter
les femmes à participer au dépistage et d’en assurer le suivi.
L’ensemble du système sera coordonné au niveau national
(Comité national de pilotage du dépistage sous l’égide de la
Direction générale de la santé) et, à l’échelon régional, sera sous
la responsabilité du DRASS (Directeur régional de l’action sani-
taire et sociale). C’est l’Assurance maladie qui remboursera les
actes, gérera les fichiers des personnes et établira les conventions
avec les professionnels de santé. Dans le comité de pilotage
régional, seront associés les services de l’Assurance maladie, les
collectivités locales, les professionnels et des représentants des
usagers. L’ANAES sera chargée de la détermination des règles
d’accréditation de qualité et de fonctionnement ainsi que de la
veille scientifique. L’Agence française de la sécurité sanitaire et
des produits de santé (AFSSAPS) veillera à la qualité de tous les
dispositifs utilisés tandis que l’Institut de veille sanitaire centrali-
sera les résultats et les analyses.
Le dépistage mammographique du cancer du sein est une occa-
sion unique de démontrer que des professionnels de santé peu-
vent se mobiliser pour un objectif de qualité et que, pour
l’atteindre, ils acceptent de faire évoluer les pratiques. La prise
en charge de plus en plus complexe du diagnostic et des traite-
ments du cancer du sein ne pourra, dans l’avenir, se concevoir
qu’au sein de structures spécialisées équipées de matériels per-
formants et disposant de personnels médical et paramédical
dont la compétence sera garantie par des efforts de formations
initiale et continue.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Réseau français des registres des cancers (FRANCIM). Incidence du cancer
en France : estimations régionales 1985-1995. Francim 1999.
2. Fédération nationale des observatoires régionaux de la santé (FNORS). Le
cancer du sein. La santé observée dans les régions de France 2000 ; chapitre 7.7.
3. Le dépistage du cancer du sein remis en question. Commentaire de l’article :
Gotzsche PC, Olsen O. Is screening for breast cancer with mammography justi-
fiable ? Lancet 2000 ; 355 : 129-34. La Lettre du Sénologue 2000 ; 7 : 25.
4. Tabár L, Vitak B, Chen HHT, Yen MF, Duffy SW, Smith RA. Beyond rando-
mized controlled trials. Organized mammographic screening substantially
reduces breast carcinoma mortality. Cancer 2001, 91 : 1724-31.
5. Cady B, Michaelson JS. The life-sparing potential of mammographic scree-
ning. Cancer 2001 ; 91 : 1699-703.
6. Coulomb S. Où en est le dépistage systématique du cancer du sein en
France ? Réseaux Cancer 2001 ; 6 : 16-8.
7. Ancelle-Park R, Nicolau J et les coordinateurs des centres de dépistage dépar-
tementaux du cancer du sein. Bulletin épidémiologique hebdomadaire 52/1999.
8. Schaffer P, Gairard B, Guldenfels C, Haehnel P, Dale G, Bellocq JP,
Renaud R. Un système décentralisé de dépistage du cancer du sein : l’exemple
du Bas-Rhin en France. J Radiol 2000 ; 81 : 845-57.
9. Direction générale de la santé. Cahier des charges : 1. Organisation des
programmes de dépistage des cancers, 16 mai 2001. 2. Cahier des charges des
“structures de gestion” des programmes de dépistage des cancers, 29 juin
2001. 3. Cahier des charges pour les radiologues participant au dépistage du
cancer du sein, 29 juin 2001.
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