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ses dynamiques propres, ses « règles
de reproduction » ; le mouvement
historique est le produit, non pas de
lois transhistoriques et universelles,
mais plutôt de l’action humaine telle
qu’elle s’exerce dans le contexte de
formes sociales spéciques qui im-
posent leurs propres conditions de
survie et d’autoreproduction spéci-
ques. En ce sens, le « marxisme po-
litique » s’oppose aux vieilles formes
de marxisme « déterministe » et à
l’« économicisme » réductionniste.
Mais il ne rejette pas la causalité his-
torique pour autant, non plus qu’il
nie la possibilité d’expliquer les pro-
cessus historiques. Au contraire, il
prend la causalité historique très
au sérieux et insiste sur la nécessité
d’examiner les dynamiques propres
de formes sociales spéciques.
Il ne faut pas croire non plus
que le marxisme politique remplace
la théorie par un plus grand souci
du détail empirique. Je crois plu-
tôt qu’il fait ce que le matérialisme
historique devrait faire, c’est-à-dire
élaborer une méthode théorique
visant à saisir les spécicités et les
processus historiques. En d’autres
termes, le marxisme politique re-
jette toute téléologie et la remplace
par l’histoire. Il n’est pourtant pas
seulement une manière d’étudier
l’histoire. Il nous permet également
d’approcher les réalités sociales
contemporaines avec une sensibili-
té plus grande envers les principes
opératoires spéciques du sys-
tème dans lequel nous vivons. Par
exemple, les vieilles formes de dé-
terminisme technologique marxiste
avaient tendance à voir à l’œuvre les
lois du mouvement du capitalisme
dans toute l’histoire ; ils y décelaient
à rebours la compulsion constante
à améliorer les forces productives
à l’aide de moyens techniques, qui
est pourtant spécique au capita-
lisme et à ses impératifs de compé-
tition. Le marxisme politique est
beaucoup plus conscient des spéci-
cités du capitalisme et il peut donc
mettre davantage en lumière son
mode d’opération contemporain :
pourquoi fait-il ce qu’il fait ? Pour-
quoi ses crises prennent-elles telles
formes plutôt que d’autres ? Quelles
sont les possibilités pour le futur ?
Le marxisme politique a un pro-
gramme de recherche très étendu. Il
a produit des études extrêmement
importantes sur certains processus
historiques, des travaux de Brenner
lui-même sur la transition du féoda-
lisme au capitalisme jusqu’aux tra-
vaux de George Comninel sur le
féodalisme ou la Révolution fran-
çaise3. Il a permis de grandes avan-
cées dans l’étude des relations
internationales et de l’économie po-
litique internationale, notamment
grâce aux travaux d’Hannes Lacher
et de Benno Teschke4. Je pense éga-
lement, bien entendu, aux contri-
3. Sur Brenner, voir T.H. Alston and C.H.E. Philpin, The Brenner
Debate, op. cit. ; sur Comninel, voir George Comninel, Rethin-
king the French Revolution, Londres/New York, Verso, 1987 ;
George Comninel, « English Feudalism and the Origins of
Capitalism », Journal of Peasant Studies, vol. 27, n° 4, 2000.
4. Voir, entre autres, Hannes Lacher, Beyond Globalization, Ca-
pitalism, Territoriality and the International Relations of Mo-
dernity, Londres/New York, Routledge, 2006 ; Benno Teschke,
The Myth of 1648, Class. Geopolitics and the Making of Mo-
dern International Relations, Londres/New York, Verso, 2003.
Entretien de F.-G. DUFOUR et J. MARTINEAU avec E. Meiksins WOOD, Le Marxisme politique et ses débats
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Concordia University - - 132.205.7.55 - 18/05/2015 14h28. © Presses Universitaires de France
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