24 mars 2003
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profondément attachée à
sa politique de parité fixe pour favoriser la désinfla-
tion.Il ne restait plus que l’arme budgétaire.La
Russie aurait pu éviter la crise en menant une poli-
tique budgétaire beaucoup plus rigoureuse,ce que le
FMI lui avait vivement conseillé, non seulement en
1998,mais dès le début de la décennie. C’était son
talon d’Achille.
LEBULLETIN : Si des mesures rationnelles pouvaient
être prises, pourquoi cela n’a-t-il pas été le cas?
M. ODLING-SMEE :Il faut se souvenir que dans les
années 90,la Russie,comme tous les pays de la CEI,
avait un État très faible,si bien que de puissants
groupes de pression étaient en mesure d’échapper à
l’impôt,et pouvaient s’abstenir de régler les salaires
de leurs employés et même leurs factures en général
si cela leur chantait.Un État plus fort aurait pu
recouvrer l’impôt et faire rendre gorge aux mauvais
payeurs. Mais en réalité rares sont ceux qui ont été
punis pour ne pas avoir payé leurs impôts.L’État
contribuait aussi à cette indiscipline budgétaire en ne
payant pas lui-même factures, salaires et retraites
lorsqu’il était à court d’argent. Résultat :un système
complexe de troc où les factures impayées de l’État
compensaient les impôts impayés, ce qui minait
encore plus l’édifice budgétaire.
LEBULLETIN : Si la communauté internationale était
passée outre et avait coupé les crédits, est-ce que cela
aurait changé quoi que ce soit?
M.ODLING-SMEE :Il est sûr qu’avec ces prêts de
l’étranger, il a été plus facile au gouvernement de ne
pas imposer une stricte discipline budgétaire.Mais je
ne suis pas certain qu’en leur absence la discipline
aurait été plus rigoureuse ou que les impôts seraient
mieux rentrés.Le nombre de factures impayées par
l’État aurait sans doute augmenté, ce qui aurait accru
les difficultés sociales et les perturbations écono-
miques.Ou bien la crise aurait éclaté plus tôt.
LEBULLETIN : L’État est-il maintenant suffisamment
fort pour imposer la rigueur budgétaire?
M.ODLING-SMEE :La situation a radicalement changé
depuis 1998,encore qu’il importe de ne pas établir
une distinction trop marquée entre les années d’avant
et d’après la crise. Il était de plus en plus clair avant la
crise que les choses devaient changer,or l’État n’a rien
fait en 1996–97 pour faire cesser le troc ou régler ses
arriérés de salaires et de retraites.
D’autre part,il est toujours plus aisé de mener une
bonne politique budgétaire lorsque l’économie va bien.
Et quand la croissance a redémarré en 1999, initiale-
ment sous l’effet de la hausse du prix du pétrole et de
la dépréciation du rouble,il était plus facile d’agir.De
plus,lorsque la dépréciation a gonflé les prix et donc
les revenus, le gouvernement a résisté à la tentation
d’augmenter de même les dépenses publiques.Du
coup, les dépenses réelles — notamment les salaires
réels — ont chuté,ce qui a dégagé un gros volant de
ressources budgétaires et fait retomber la charge sur les
employés de l’État.C’était une mesure très dure.Et
pendant quelque temps,au début de 1999,le FMI l’a
critiquée, la trouvant trop dure!
LEBULLETIN : Pendant une bonne partie des an-
nées 90,la Russie semblait se débattre avec une infla-
tion élevée, une croissance nulle,de graves problèmes
budgétaires,la corruption, que sais-je encore? Mais en
trois ou quatre ans,elle semble être sortie de l’ornière.
Est-ce dû aux bienfaits temporaires de la hausse du
prix du pétrole et de la dépréciation de 1998,ou il y a-
t-il d’autres raisons?
M.ODLING-SMEE :L’épreuve de vérité viendra lorsque
les cours chuteront et que son avantage concurrentiel
se sera évanoui. Je suis convaincu que la Russie ne
reviendra pas là où elle en était avant.Les récentes
années de croissance et la vigueur des prix du pétrole
lui ont donné confiance dans l’avenir et,grâce au
volant de liquidités disponible,il y a peu de chances
pour que la crise des impayés en chaîne réapparaisse.
Et tant les agents économiques que l’État ont compris
que les comportements d’avant la crise étaient une
aberration, et qu’il est impossible de construire la
prospérité économique sans discipline budgétaire. Et
les dirigeants sont bien plus d’accord sur la marche à
suivre qu’avant 1998,où la Douma passait son temps
à combattre l’action du gouvernement.
LEBULLETIN : Comment mesurer l’importance du rôle
du FMI dans ce retournement?
M.ODLING-SMEE :Il est toujours difficile de dire exac-
tement quel rôle le FMI joue.Je n’attache guère de
crédit à l’idée que nous ne faisons d’effet qu’en raison
des conditions dont nos prêts sont assortis.Primo, les
politiques économiques menées dans le cadre des pro-
grammes que le FMI appuie ne donnent guère de
résultats à moins que le gouvernement ne désire vrai-
ment les appliquer.Secundo, en Russie, le problème
tenait plus souvent à un défaut d’exécution qu’à un
manque d’attachement à une bonne idée.Donc, à
La Russie doit épargner la manne pétrolière
(suite de la première page)
Pour causer
de graves
problèmes
budgétaires, il
faudrait que le
brut tombe
très bas — en
dessous de
15 dollars le
baril — et y
reste assez
longtemps.
John Odling-Smee
Après le démantèlement de l’Union soviétique, la Fédération
de Russie a amorcé sa transition vers l’économie de marché et
rejoint le FMI le 1er juin 1992. Pendant sept ans,la Fédération
a emprunté 21 milliards de dollars au FMI,dont le dernier dé-
caissement est intervenu en 1999.La rigueur de la politique
économique a porté ses fruits, permettant à la Russie d’hono-
rer plus des deux tiers de ses obligations financières envers le
FMI, souvent avant leur échéance.
La Russie et le FMI