8 | La Lettre du Rhumatologue • No 368 - janvier 2011
DOSSIER ACR 2010 Polyarthrite rhumatoïde
Pathogénie et clinique
Pathogeny and clinical aspects
Jacques Morel*
Rôle des bactéries
dans la citrullination
Porphyromonas gingivalis est une bactérie présente
dans la sphère buccale qui possède une enzyme
impliquée dans la glycolyse : l’énolase. Les anticorps
humains spécifi ques de l’énolase humaine citrullinée
obtenus à partir de patients atteints de polyarthrite
rhumatoïde (PR) sont également capables de recon-
naître l’énolase de P. gingivalis. Cette réaction croisée
suggère un rôle déclenchant d’une infection gingi-
vale par cette bactérie, ce qui pourrait expliquer une
prévalence plus élevée des parodontites dans la PR.
Les infections induisent la citrullination de protéines
et pourraient donc favoriser le développement des
ACPA puis d’une PR. La relation entre la colonisation
bactérienne avec la production d’ACPA et le déve-
loppement d’une PR a été étudiée en utilisant une
méthodologie en 2 étapes (J. Scher, 1390) : dans une
étude transversale, la fl ore bactérienne de la bouche
et des intestins de 22 patients atteints de PR a été
comparée à celle de 10 sujets sains en utilisant une
méthode de biologie moléculaire par séquençage de
l’ARN 16s. Après la mise en évidence dans les selles
d’une fl ore intestinale plus abondante en bactéries
anaérobies Gram – de la famille des Prevotellaceae,
une étude prospective a été réalisée pour tester
l’effet d’une décolonisation bactérienne par anti-
biotique sur la réponse clinique et immunologique
Th1, Th17, T-régulatrice et humorale en dosant le titre
des ACPA. La comparaison des fl ores bactériennes
buccales et intestinales confi rme, chez les patients
atteints de PR, une colonisation de la bouche par
P. gingivalis associée à une prévalence plus élevée
de parodontites et montre, pour la première fois,
une présence de bactéries de la famille des Prevo-
tellaceae plus abondante dans l’intestin que chez les
sujets témoins. Cette colonisation est encore plus
signifi cative dans les cas de PR récente, soulignant
l’implication de ces bactéries dans le développement
* Service d’immuno-rhumatologie,
hôpital Lapeyronie, CHU de Mont-
pellier.
de la maladie (fi gure 1). Dans la partie prospective
de l’étude, l’effet d’une décolonisation de l’intestin
par vancomycine orale pendant 2 semaines a été
comparé à celui d’un traitement standard par métho-
trexate (MTX) + corticoïdes ou à une antiobiothé-
rapie par doxycycline pendant 8 semaines. Le titre
des ACPA mais aussi l’activation des voies Th1, Th17
et T-régulatrice ont été étudiés à différents temps
(J0, J15, S4 et S8). Une diminution du titre des ACPA
entre J0 et S8 n’est observée que chez les patients
ayant une PR traitée par vancomycine (fi gure 2).
Comme P. gingivalis, les bactéries de la famille des
Prevotellaceae ont des enzymes de type peptidyl
arginine déiminase (PAD) capables d’induire une
citrullination des peptides. La décolonisation bac-
térienne par la vancomycine pourrait donc réduire la
production de protéines citrullinées et expliquer ainsi
une moindre réponse immunologique et la baisse
du titre des ACPA. Cet effet de la vancomycine a
également été observé sur la réponse immunitaire
médiée par les lymphocytes T, avec une diminution
de la réponse Th17 et une restauration de la fonc-
tion T-régulatrice chez les patients traités par cet
antibiotique. Ces résultats sont importants, car ils
confortent l’hypothèse de l’implication des bacté-
ries dans le déclenchement de la PR et évoquent la
possibilité d’un traitement préventif par antibiotique
chez des sujets prédisposés à développer une PR.
Rôle de la citrullination
dans la PR
La citrullination est un phénomène physiologique
normal et ubiquitaire, mais plus fréquent dans
des situations pathologiques comme les maladies
infl ammatoires ou les cancers. Cependant, le rôle
fonctionnel de la citrullination n’est pas connu :
a-t-elle un effet protecteur ou délétère ? Dans ce
travail, les auteurs ont étudié l’effet de la citrulli-