vers chez les jésuites; cette société, qui vouait aux lettres une sorte de culte, produisit un grand
nombre de poètes, dans une langue, à la vérité, qui n’est pas la notre. Parmi ces religieux,
adorateurs des muses anciennes, que le génie de Virgile et d’Horace semblait inspirer, se rang
avec distinction le Père Joseph Roger Boscowich, grand astronome, auteur du poème digne de
Lucrèce, intitulé : Les Eclipses. Mr de Barruel ne put résister à une tentation que Racine et
Boileau auraient certainement repoussée : il essaya d’abord de mettre en vers français ce chef-
d’œuvre, où l’art du poète a vaincu d’une manière si étonnante la sécheresse du sujet ; puis il le
traduisit définitivement en prose, et publia sa traduction en 1779. Elle eut quelque succès. A ces
tentatives, dans lesquelles il méconnaissait son génie, suivant l’expression de Despréaux, et
s’ignorait lui-même, il joignit des travaux plus conformes au caractère de son esprit, et plus
appropriés à la nature des circonstances : le zèle qui l’avait enflammé dès sa première jeunesse
lui fit rechercher avec ardeur et recevoir avec allégresse une part de coopération dans l’année
littéraire, dernier appui du goût déclinant, et dernier boulevard des saines doctrines dont le goût
suit là destinée. C’est là, c’est dans cette arène si convenable qu’il se préparait à des combats
plus directs, et qu’il préludait à des luttes plus éclatantes.
Il n’est rien d’absurde, dit Cicéron, qui n’ait été avancé par quelque philosophe. Cette assertion
d’un grand homme qui parlait en connaissance de cause n’empêche pas que la philosophie ne
soit en elle-même très respectable : elle honore la raison humaine; elle est le plus bel usage que
nous puissions faire de la plus sublime de nos facultés ; mais l’esprit philosophique touche à
beaucoup d’abus : il peut souvent nous égarer, soit par l’orgueilleuse fierté qui d’ordinaire
l’accompagne, soit par les fausses directions où quelquefois il se jette, soit par les affections
passionnées, et les partialités dangereuses dont il devient l’instrument. Le désir de se distinguer
par la nouveauté des découvertes, par la hardiesse des opinions, par la singularité des paradoxes
est encore une des sources les plus fécondes, comme les plus communes, de ses erreurs
quelquefois si déplorables : dans un siècle où il domine, on voit s’allumer et se répandre de
proche en proche, comme un vaste incendie, une fatale émulation de pensées extraordinaires et
de conceptions inouïes, qui semblent se disputer entre elles la palme du délire et le prix de la
témérité; la vraie philosophie s’en indigne, et la sagesse même la plus vulgaire en rougit. Mille
systèmes plus audacieux, plus extravagants les uns que les autres, sont les fruits empoisonnés
de cette rivalité malheureuse, qui corrompt même des cœurs naturellement honnêtes, et qui
précipite dans de honteux excès des esprits destinés aux plus nobles rôles. Ce tableau n’est
qu’une image trop fidèle du dix-huitième siècle ; mais, dans les temps antérieurs, l’esprit
philosophique manquait, pour ainsi dire, d’unité: nous l’avons vu dans le nôtre porter tous ses
efforts et diriger tous ses traits vers un même but ; nous l’avons vu former une immense
conspiration, dont le succès progressivement amené se déclara par des résultats si désastreux et
par des explosions si fulminantes, que les conspirateurs eux-mêmes en furent consternés, La
philosophie du siècle, dupe de ses intentions réformatrices, chercha dans ce désordre extrême
ses espérances évanouies, déplora ses illusions, et se repentit de ses vœux.
Mr l’abbé de Barruel travailla, pour sa pare à conjurer de tels maux : il tâcha d’ouvrir les yeux à
une génération séduite et aveuglée; dans le plus important et le mieux fait de ses ouvrages, les
Helviennes, ou Lettres Provinciales philosophiques, il attaqua par le ridicule et par le
raisonnement des théories qui n’avaient d’autre base que l’imagination échauffée de leurs
auteurs. En résumant ces théories avec autant d’adresse que de fidélité, en présentant sous un
même point de vue, et dans un même cadre, tous ces caprices d’une philosophie qui semble se
jouer des questions les plus graves, plutôt que s’étudier à les résoudre, il les mit, pour ainsi dire,
aux prises les uns avec les autres, et fit voir que, dans ce choc, ils se renversent et se détruisent
mutuellement, au lieu de se soutenir entre eux, et de se prêter un appui réciproque. Semblables,
en effet, aux soldats de Cadmns, ces systèmes s’entre combattent et s’entre dévorent. Chacun