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Tabac et maladies
parodontales
Fumer des cigarettes traditionnelles, mais
aussi du cannabis, a un impact certain sur la
santé bucco-dentaire, en particulier sur les
maladies des gencives et le chaussement
dentaire (maladies parodontales). La consom-
mation excessive de cannabis peut donc en-
traîner des hyperplasies gingivales, des gin-
givites, voire des maladies parodontales plus
sévères (1). Plusieurs étiologies sont évoquées,
dont la principale est la xérostomie. La prise
en compte de ce facteur de risque, aujourd’hui
encore absent du questionnaire médical, est
pourtant indispensable au traitement. De plus,
le cannabis est la plupart du temps mélangé au
tabac, dont les problèmes parodontaux déjà
largement décrits se surajoutent aux effets du
cannabis.
L’influence du tabagisme sur la santé est
connue depuis longtemps (10). En particulier,
la plus sérieuse, le cancer des poumons, de la
vessie ou de la bouche, est bien documentée.
En revanche, les problèmes de santé buccale
sont plus difficiles à détecter du fait de l’effet
vasoconstricteur de la nicotine : le tabac mas-
quant l’inflammation, les gencives ont donc
moins tendance à saigner, ce qui supprime un
Les effets déléres du cannabis
sur la santé bucco-dentaire
Noxious effects of the cannabis on oral health
F. Cohen*, M. Lowenstein**
Le cannabis est la substance illicite la plus consome dans le monde. Son usage, sou-
vent chronique, concerne des centaines de millions de personnes, avec un pic de pdi-
lection pour la population des 15-25 ans.
La France compte en 2010 plus de 1,2 million de consommateurs réguliers. Cette
constante augmentation de la consommation doit nous conduire à poser la question de
ses effets sur la santé de la sphère orale, en particulier sur le parodonte.
The cannabis is the illicit substance most consumed in the world. Its use, often chronic, relates to hun-
dreds of million people, with a peak of predilection for the population of the 15-25 years.
France counts in 2010 more than 1,2 million regular consumers. This constant increase in consump-
tion, must lead us to raise the question of its effects about health of the oral cavity, in particular on the
parodontium.
Mots-clés :
Cannabis, Tabac,
Xérostomie, Hyposialie, Mauvaise hygiène
bucco-dentaire, Hyperplasies gingivales,
Gingivites, Déchaussements dentaires,
Stomatites, Cancers des VADS.
Keywords :
Cannabis, Tobacco,
Xerostomia, Hyposialosis, Bad oral hy-
giene, Hypertrophic gingivitis, Parodontitis,
Stomatites, Oral cancers.
signe utile pour détecter les problèmes bucco-
dentaires.
Enfin, le traitement des maladies bucco-den-
taires montre dans la majorité des cas de moins
bons résultats chez les fumeurs que chez les
non-fumeurs, du fait de cette vasoconstriction
et des retards de cicatrisation qu’elle induit.
cannabis : mauvais pour
les dents et les gencives
Des études scientifiques se sont penchées
sur le lien spécifique entre cannabis et mala-
dies parodontales. Une étude o-zélandaise
récente, réalisée chez 903 patients nés entre
1972 et 1973 à Dunedin et suivis à 18, 21, 26
et 32 ans, est la première à montrer une re-
lation de cause à effet entre consommation
chronique de cannabis et maladie parodontale
(9). Elle s’est penchée plus spécifiquement sur
les problèmes posés par l’utilisation de can-
nabis chez les jeunes. Les résultats indiquent
que l’âge auquel les maladies parodontales se
déclenchent est beaucoup plus bas pour les
personnes qui consommeraient le plus de can-
nabis.
Ils montrent que les grands consommateurs
de marijuana (définis comme les personnes fu-
mant de la marijuana en moyenne 40 fois par
an, soit moins d’un joint de cannabis par se-
maine) ont été 1,6 fois plus susceptibles d’être
atteints au moins d’une maladie parodontale
bénigne et 3 fois plus susceptibles de présenter
une maladie parodontale grave isolée que les
jeunes qui n’avaient jamais fumé de marijuana.
De plus, un nombre important de personnes
consommant régulièrement de la marijuana
ont présenté des maladies parodontales à un
âge plus jeune que celui auquel on s’attendrait
qu’ils en aient. Les effets de la consommation
de marijuana ont été observés indépendam-
ment d’autres facteurs de risque, comme le
tabagisme et la fréquence des visites chez le
dentiste (11, 12).
Ainsi, à 32 ans, plus de la moitié des plus
grands consommateurs de cannabis testés
dans l’étude présentaient une parodontite pro-
noncée. Le cannabis en lui-même serait donc
mauvais pour la santé des dents et des gen-
cives. La vérité des lésions parodontales re-
trouvées chez quelques consommateurs chro-
niques de cannabis (14) pourrait s’expliquer
par le fait que, le cannabis modulant la réponse
immunitaire, la réponse de l’hôte comporterait
de nombreuses altérations.
Par ailleurs, comme les fumeurs de canna-
bis ont aussi de plus fortes probabilités de
consommer du tabac, il devient évident que
fumer du cannabis ne peut qu’altérer la santé
buccale du patient "addict".
Autre facteur de risque : l’hygiène bucco-den-
taire, plus négligée chez les fumeurs que chez
les non-fumeurs, est objectivée (indice de
plaque, indice gingival) par certaines études,
comme celle de Darling et al. publiée en 1992
(1). Une négligence habituelle de l’hygiène est
aggravée par l’effet le plus important du can-
nabis, la xérostomie (2, 3). Cette diminution
du débit salivaire est présente chez la majorité
des consommateurs chroniques. Elle survient
quelques minutes après avoir fumé le cannabis
et persiste plusieurs heures, ce que connaissent
les spécialistes de la sécurité routière qui dé-
tectent avec une certaine précision la présence
de la substance psycho-active du cannabis, le
THC (delta-9-tétrahydrocannabinol), dans la
salive, essentiellement due au phénomène de
séquestration bucco-dentaire lors de l’inha-
lation. En effet, les concentrations y sont très
élevées dans les minutes suivant l’absorption,
variant entre 50 et 1 000 ng/ml, mais décli-
nent ensuite très rapidement dans les 2 heures
qui suivent, restant détectables pendant 4 à 6
* Chef du service dentaire du CMS d’Ivry et du service de
promotion de la santé bucco-dentaire du Conseil général
du Val-de-Marne.
** Assistant hospitalo-universitaire à l’université Paris-V,
diplômée universitaire en parodontologie.
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heures en moyenne. Le projet européen RO-
SITA a comparé la fiabilité des prélèvements
dans les urines, la sueur et la salive par rapport
au sang. La salive est de loin le milieu le plus
fiable, démontrant une corrélation exacte dans
91 % des cas (13).
Cest le THC, avec ses propriétés parasym-
patholitiques, qui semble être responsable de
cette hyposialie. Cela implique une modifica-
tion de la consistance de la plaque dentaire:
elle devient plus adhérente, moins fluide, donc
plus résistante à son élimination par le bros-
sage (4).
Une stomatite cannabique a été crite par
Nessi en 1992. Cette dernière se caractérise
par des micro- et macro-changements de l’épi-
thélium et se manifeste par différents signes
comme une irritation, une anesthésie superfi-
cielle et une stase salivaire.
De plus, les signes chroniques suivants sont
observés : une inflammation de la muqueuse
buccale et des leucoplasies pouvant éventuel-
lement évoluer vers des néoplasies (1) ; des
gingivites sévères, très inflammatoires, dou-
loureuses, mais sans ulcération, ont aussi été
constatées chez les fumeurs de cannabis. Et il
arrive que cette gencive se couvre de quelques
aires blanches. Une hyperplasie gingivale gé-
néralisée a été observée dans certains cas. Le
traitement ne pourra se faire qu’avec un ar-
rêt total du cannabis et grâce à un traitement
chirurgical de type gingivectomie (5).
On peut également associer à ces manifesta-
tions des pertes d’os alvéolaire (1), des leuco-
œdèmes, des hyperkératoses. On a obser
des papillomes oraux bénins, mais avec une
fréquence plus importante que dans la po-
pulation générale qui pourrait s’expliquer par
l’action du THC sur les cellules de la mem-
brane et son action sur le système immuni-
taire (6). On a constaté également des modi-
fications cytologiques caractérisées par une
augmentation du nombre de cellules squa-
meuses anucléées et immatures localisées sur
la muqueuse buccale et la gencive attachée
(1). Enfin, les patients peuvent ressentir des
troubles sensoriels. Ils se plaignent alors d’une
sensation d’épaississement de la langue ou
bien de fourmillements sur la langue, la gorge
et les lèvres (6).
risque de cancer
Par ailleurs, selon le type de consommation
du cannabis (fumé), il existe un risque non
négligeable, voire majoré, d’apparition de
cancers des voies aéro-digestives supérieures
(VADS). En effet, la fumée du cannabis serait
3 à 5 fois plus irritante et cancérigène que celle
du tabac (7). Un usage important de canna-
bis pourrait donc entraîner des modifications
précancéreuses au sein du tractus respiratoire
et de la cavité buccale. Ce risque est majoré
par la prise d’alcool et de tabac (5). De plus,
des cancers de la sphère oro-faciale, chez de
jeunes patients, ont été rapportés par Donald
(1). Selon le même auteur, on retrouve dans la
fumée de cannabis une concentration impor-
tante en naphtalène, dont la cancérogénicité
est 70 % plus importante que les substances
cancérigènes du tabac. Autres cancérigènes
présents en abondance : le benzopyrène et
de nombreux irritants comme l’ammoniac, le
benzène, l’acide hydrocyanique ou le toluène
en plus grande quantité dans la fumée de can-
nabis que dans celle de la cigarette (1).
À la fumée du seul cannabis, il faut donc asso-
cier celle du tabac, car comme le montre une
étude de 60 millions de Consommateurs (8), la
toxicité de 3 joints de cannabis fumés avec du
tabac et un filtre en carton correspond à celle
d’un paquet de cigarettes. Un consommateur
chronique fumant 10 joints par jour a donc
une consommation équivalente à plus de 3 pa-
quets de cigarettes par jour.
Cette étude compare le taux de monoxyde de
carbone, nicotine, goudron, benzène et to-
luène entre cannabis associé au tabac et tabac
seul.
Un autre paramètre intervient, celui de la tem-
pérature de combustion d’un joint par rapport
à une cigarette. Effectivement, les fumeurs de
joints ont tendance à prendre de plus grosses
bouffées, imposant au tabac une température
de combustion plus élevée. Par ailleurs, on
observe la présence de candidoses buccales
de façon plus fréquente chez les fumeurs de
cannabis par rapport à la population générale,
notamment à cause de l’hyposialie, voire de la
xérostomie et de l’immunodépression induites
par le THC.
Conclusion
L’augmentation très importante de la préva-
lence et les conséquences d’une consomma-
tion chronique sur la sanparodontale nous
imposent de faire évoluer le questionnaire
médical des chirurgiens dentistes en intro-
duisant un chapitre sur les addictions afin de
mieux comprendre l’influence de ce facteur de
risque.
v
Références bibliographiques
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1992;42(1):19-22.
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comité spécial du Sénat sur les drogues illicites, vol.
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14. Friedman H, Newton C, Klein TW. Microbial
infections, immunomodulation, and drugs of abuse.
Clin Microbiol Rev 2003;16(2):209-19.
Tableau. Toxicité du cannabis comparée à celle de la cigarette (fumage selon la norme ISO 3308).
Nicotine Goudron
en mg par cigarette
CO Benzène
en μg par cigarette
Toluène
en μg par cigarette
Herbe + tabac 1,8 57 64 12 11
Résine + tabac 2,61 72 78 20 15
Herbe pure - 58 60 10 9
Marlboro® rouge 0,8 10 10 10 5
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