0074_MG834_JURIS_pourriat 74 21/01/10 17:30 JURISPRUDENCE Page 74 Par Jean-Louis Pourriat* Responsabilité du médecin face à l’urgence Quels risques et comment les prévenir ? ■ Quelle urgence ? L’urgence médicale se définit par toute symptomatologie dont le diagnostic et surtout le traitement, voire l’orientation, ne peuvent être différés. Malheureusement, à ce jour, le nombre d’appels pour des « consultations d’urgence » augmente alors que la démographie médicale est en baisse et que l’exigence de permanence des soins persiste. Ce décalage entre demande accrue et offre de soins limitée explique que la responsabilité médicale soit mise en cause : simples plaintes au Conseil de l’Ordre, aux directions hospitalières, mais aussi actions en justice, administratives, civiles ou pénales. Les plaintes à l’encontre du généraliste qui ne se déplace pas à domicile ne sont plus exceptionnelles, de même que celles vis-à-vis des structures d’urgences hospitalières ou préhospitalières (SAMU/SMUR).1 ■ Le médecin confronté à l’urgence La réponse à l’urgence concerne tous les médecins… C’est un devoir éthique : «… Tout médecin qui se trouve en présence d’un malade ou d’un blessé en péril ou, informé qu’un malade ou un blessé est en péril, doit lui porter assistance ou s’assurer qu’il reçoit les soins nécessaires… » (art. 9 du code de déontologie). Elle est indépendante du mode d’exercice (libéral ou public), du type d’exercice ou de la spécialité. Elle engage sa responsabilité personnelle. Comme tout citoyen, mais également plus que tout autre, le médecin se doit de porter secours et assistance (art. 223-6 du code pénal). * Expert national, agréé par la Cour de cassation ; université Paris-Descartes, faculté de médecine ; service des urgences, Hôtel-Dieu-Cochin, 75004 Paris. Il doit aussi assurer la continuité des soins : « … Quelles que soient les circonstances, la continuité des soins aux malades doit être assurée. Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles. S’il se dégage de sa mission, il doit alors en avertir le patient et transmettre au médecin désigné par celui-ci les informations utiles à la poursuite des soins… » (art. 47 du CD). Sa responsabilité peut être mise en cause. Quand une plainte est déposée contre un médecin, la procédure judiciaire est rapidement complexe car les intervenants médicaux sont nombreux et se succèdent tout au long de la chaîne de l’urgence depuis le généraliste, le SAMU, jusqu’à l’établissement de soins, privé ou public. Si bien qu’il s’avère souvent plus simple pour le patient, en cas de conflit, d’aller directement au pénal, ce qui a pour avantage de concerner l’ensemble des intervenants et de provoquer une enquête sur tous les actes réalisés pour le traitement de cette urgence (figure). Fort heureusement, contrastant avec le volume important des appels au centre 15, les plaintes restent encore limitées. Ainsi, en 2007, pour les seuls généralistes libéraux, la sinistralité était de 1,15 % (1,17 % en 2006) comprenant 48 plaintes pénales, 82 plaintes ordinales, 106 assignations en référé, 188 réclamations et 78 saisines d’une CRCI*. ■ Typologie des plaintes Manquement à l’obligation de moyens. Un médecin a été condamné pour diligence insuffisante, en diagnostiquant une maladie psychiatrique chez un patient ayant en réalité une méningite. Il avait négligé de procéder à un interrogatoire soigneux de la compagne du patient (CA Paris, 19 nov. 1998 : Juris Data n° 023476). Cette obligation est impérative pour tout médecin. Pour le diagnostic et la prise en charge thérapeutique qu’impose l’état de son patient, il doit mettre en œuvre les moyens techniques, intellectuels et humains adaptés.2, 3 Ainsi, l’interrogatoire des proches peut être un élément fondamental qu’il importe de ne pas négliger. L’avis d’un spécialiste est à rechercher quand le problème dépasse le domaine de compétence du médecin généraliste ou urgentiste. Il s’agit, aux termes de la loi, d’une obligation de faire. Avec cette réserve, les erreurs diagnostiques ne constituent pas forcément une faute si les moyens adaptés ont été instaurés avec diligence. Les erreurs de prescription sont à analyser en fonction, soit de l’erreur diagnostique qui justifie la prescription en cause, soit d’une erreur thérapeutique sur un bon diagnostic, soit d’une prescription correcte, mais mal ou non effectuée. Chez un patient ayant un accident vasculaire cérébral, un médecin a été condamné pour n’avoir pas pris connaissance suffisamment tôt des résultats d’une numération plaquettaire montrant une thrombopénie à l’héparine bien qu’il ait prescrit cet examen selon les règles. Selon les bonnes pratiques, la prescription ne doit en aucun cas être téléphonique ; elle doit être écrite lisiblement, datée et signée et comporter le médicament, la dose, la voie d’administration et la durée du traitement. Les erreurs techniques sont appréciées en tenant compte de la difficulté du geste et du risque « normal » à sa réalisation. Dans ce dernier cas (soins bénins), le médecin a une obligation de résultat. Défaut d’appréciation du niveau de gravité. À la suite d’un appel téléphonique pour douleur thoracique atypique chez un homme de 38 ans décédé quelques heures plus tard, le médecin de garde a été condamné pour avoir prescrit un anxiolytique sans tenir compte des facteurs de * Commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales. LA REVUE DU PRATICIEN MÉDECINE GÉNÉRALE l TOME 24 l N° 834 l 26 JANVIER 2010 TOUS DROITS RESERVES - LA REVUE DU PRATICIEN MEDECINE GENERALE 0074_MG834_JURIS_pourriat 21/01/10 17:30 Page 75 JURISPRUDENCE 75 L’ESSENTIEL ➜ L’augmentation permanente du nombre d’appels pour des urgences recouvre des réalités médicales et sociales extrêmement différentes. ➜ Le médecin sollicité doit évaluer avec précision l’état de gravité, traiter dans l’urgence et éventuellement orienter le patient vers une structure adaptée. ➜ Le respect des bonnes pratiques professionnelles et la formation continue sont les meilleurs remparts contre des actions de recours juridiques. Défaut d’information ou de consentement aux soins. Contre l’avis du patient, le médecin urgentiste a prescrit une coronarographie au cours de laquelle est survenu un trouble du rythme grave entraînant un long séjour en réanimation… Le patient est libre d’accepter ou de refuser les soins médicaux. Ce principe est clairement énoncé dans la loi du 29 juillet 1994 et réaffirmé dans les dispositions de la loi du 4 mars 2002. Cette dernière renforce la notion d’information préalable et de consentement aux soins, affirmant que « le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de son choix », mais celui-ci ne peut se retrancher derrière un refus simple ou une absence de coopération. Il doit s’efforcer de convaincre le patient, voire l’entourage, en laissant le temps de la réflexion. Le médecin ne peut se dispenser de ce devoir d’information et de consentement sous prétexte d’« urgence ». Même pour les urgences relatives, le patient doit être informé des risques graves encourus, secondaires aux traitements, exceptionnels ou non.4 Seule l’urgence vitale, chez un patient conscient et capable de s’exprimer avec compréhension, peut poser un réel problème au médecin. Manquement à l’obligation de surveillance. A été condamné un médecin de permanence des soins ayant différé l’hospitalisation d’un jeune homme ayant une pneumopathie et décédé quelques heures plus tard dans un tableau de choc septique… Cette obligation doit intervenir notamment en cas de non-consentement aux soins. En cas de refus réaffirmé avec conviction et après s’être assuré de la bonne compréhension des conséquences, le médecin doit, Plainte… Médiation locale Demande réparation CRCI Public libéral Punir une faute Administration Civil Public Libéral Évaluation du dommage ? Dysfonctionnement ? Aléa ? Pénal Public libéral Homicide involontaire Blessures involontaires Non assistance… Désignation d’un expert judiciaire Figure – Mise en cause de la responsabilité. d’une part proposer au patient une solution alternative (autre établissement, confrère, procédure diagnostique ou thérapeutique, etc.), d’autre part faire écrire, de sa main même, le refus de soins et la prise de connaissance de ses conséquences, enfin compléter le dossier médical en relatant l’ensemble de la démarche et en précisant que le devoir d’information a bien été rempli. ■ La prévention Avant l’accident. Des recommandations de bonne pratique, conférences d’experts et consensus sont diffusés par les sociétés savantes de toutes les spécialités médicales. Le respect de ces recommandations est une protection pour le généraliste, faute de quoi il pourrait se trouver confronté aux articles 32 et 33 du CD : « Dès lors qu’il accepte de répondre à une demande, le médecin s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide de tiers compétents » et « le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin en y consacrant le temps nécessaire en s’aidant, dans toute la mesure du possible, des méthodes scientifiques les mieux adaptées, et s’il y a lieu, de concours appropriés ». Après l’accident… Une série de mesures tout aussi simples qu’évidentes permet le plus souvent d’éviter le pire, à savoir la poursuite d’une instruction au pénal : bonne tenue du dossier médical, compte rendu détaillé de l’événement en cause (véritable aide-mémoire capital en cas de convocation plusieurs mois, voire années après les faits), empathie vis-à-vis du patient ou de ses proches, signalement précoce à la compagnie d’assurances… l RÉFÉRENCES 1. Sicot C. Rapport du conseil médical du Sou médical Groupe MACSF sur l’exercice 2007. Responsabilité 2008 (hors série novembre):16-20. 2. Ludes B, Hauger S. Les responsabilités médicales dans les services d’urgence. Reanim Urgences 2000; 9:512-22. 3. Gerson C. Médecine d’urgence et manquement à l’obligation de moyens. Quotidien du médecin 17 mars 2000. 4. Rey C, Chariot P. Information, consentement aux soins et refus de soins de l’adolescent aux urgences. Journées parisiennes de pédiatrie 1999. Paris: Flammarion Médecine Sciences: 369-74. LA REVUE DU PRATICIEN MÉDECINE GÉNÉRALE l TOME 24 l N° 834 l 26 JANVIER 2010 TOUS DROITS RESERVES - LA REVUE DU PRATICIEN MEDECINE GENERALE L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant cet article. risque (obésité, tabagisme important…). C’est une circonstance qui peut engager la responsabilité pénale pour non-assistance à personne en péril (art. 223-6 du CP). Deux conditions sont nécessaires : d’une part que le médecin susceptible de porter secours ait eu connaissance du danger pour le patient, d’autre part qu’il ait refusé d’intervenir soit directement, soit indirectement.