(Hegel vise ici la morale de Kant, qui se can-
tonne aux intentions morales).
– La Sittlichkeit, en revanche, désigne la
“morale objective” ou la “vie éthique”. Ce
terme recèle en effet les notions déjà présentes
dans l’êthos grec (Sitten évoque la relation aux
mœurs, Sitte renvoie à Sitz, “siège” ou “rési-
dence”).
L
ES FLOTTEMENTS DE LA
“
BIOÉTHIQUE
”
L’invention de ce terme est attribuée au cancé-
rologue Van Rensselaer Potter qui l’a utilisé en
1970-1971 (5). La bioéthique, présentée comme
l’alliance de la science biologique et des
valeurs humaines, est alors définie comme
“science de la survivance”. Dans cette première
acception, la bioéthique a été à peu près résor-
bée dans l’écologie.
Quelques mois plus tard, André Hellegers, fon-
dateur du Joseph and Rose Kennedy Institute,
employait le même terme de “bioéthique” pour
désigner l’éthique de la biomédecine, définition
qui l’a rapidement emporté sur la première.
Mais on n’est pas sorti d’affaire pour autant. On
peut évidemment admettre que l’on veut sim-
plement désigner par là l’éthique des pro-
blèmes posés par l’application des sciences et
techniques biologiques au vivant en général et
à l’homme en particulier (6).
D’un autre côté, on ne voit pas pourquoi il fau-
drait englober l’objet visé par l’éthique dans un
néologisme en forme de chimère verbale (7).
Il en résulte un immense flottement. Les plus
prudents estiment que la bioéthique n’est fina-
lement qu’un “champ”, occupé par une éthique
médicale orientée, d’une part, vers la clinique,
d’autre part, vers la recherche, à laquelle il fau-
drait ajouter la “dimension légale” (8). Mais
alors on ne voit pas comment on peut considé-
rer la bioéthique comme une discipline, à moins
de confondre le contenant et le contenu (9). On
se défausse donc en parlant d’une “interdisci-
pline”, ou encore d’une “métadiscipline” (coif-
fant droit, médecine, théologie, philosophie,
etc.), mais on la traite tout de même comme
une discipline. Ce qui incite d’autres auteurs,
pour sortir d’embarras, à définir la bioéthique
comme une méthodologie, voire simplement un
“esprit” (10).
Mais il ne faut pas se leurrer : l’évolution de la
bioéthique montre de plus en plus clairement
sa profonde divergence d’avec l’éthique,
comme en témoigne son orientation dans deux
directions bien précises.
•
•La première est la biologisation de l’éthique.
Dans ce cas, la science biologique remplace
évidemment la philosophie. S’inscrit dans cette
mouvance la sociobiologie d’Edward O. Wilson,
qui cherche à fonder les comportements sur
des bases biologiques (11). Plus généralement,
la bioéthique s’intégrera à ce qu’on appelle la
“morale évolutionniste”, qui cherche à montrer
que la moralité n’est qu’une “ruse de la nature”
pour moraliser l’homme (12). Ou simplement un
détour pris par le patrimoine génétique pour
s’enrichir, comme le prétend la théorie du
“gène égoïste”. On débouche finalement sur la
réduction de la bioéthique à une génétique des
comportements.
•
•La seconde est la procéduralisation de
l’éthique. C’est la position dominante en
Amérique du Nord. Son chef de file est Tristram
Engelhardt Jr., auteur célèbre de The
Foundations of Bioethics (13). La bioéthique est
ici définie comme la nouvelle manière de faire
de l’éthique, une éthique “séculière” imposée
par la rencontre entre le progrès technoscienti-
fique, l’incapacité de la philosophie en matière
pratique, le discrédit des religions et la pluralité
inconciliable des systèmes de valeurs existants.
Sur le fond d’un dualisme radical du corps et de
la personne, qui conduit à distinguer des
“humains personnes” et des “humains non-
personnes”, on abandonne aux sciences et
techniques biologiques la partie biologique de
l’homme et l’on réserve la part de vie person-
nelle à une éthique à la fois libertaire et procé-
durale. Chacun étant absolument libre de déci-
der de “son” bien, le médecin devient un pur
prestataire de services. La bioéthique est alors
la méthode destinée à éviter les conflits vio-
lents entre systèmes de valeurs antagonistes.
Elle doit donc être définie comme une éthique
procédurale qui élabore des règles du jeu.
Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner de
voir la bioéthique peu à peu dévorée par le droit
(quitte à le rebaptiser biolaw, “biodroit”).
Il en résulte une nouvelle manière de com-
prendre le consensus.
On sait que, selon les lieux et les enjeux, il y a
diverses sortes de consensus (consensus scien-
61
Correspondances en médecine - n° 1, vol. II - janv./févr./mars 2001