COLLECTION(GELONCH(VILADEGUT/L'ARTISTE(ET(LE(PROCÈS(CRÉATIF(Page(4(
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2. HISTOIRE DE LA NOTION D'ART
Ainsi, la conclusion du chapitre précédent est-elle que depuis au moins l'Antiquité, la
philosophie s'interroge sur la nature de l'art.
Platon dans l'Ion et l'Hippias majeur ou Aristote dans la Poétique s'interrogent sur l'art
en tant que beau. Toutefois, l'esthétique antique diffère parfois notablement des
esthétiques postérieures et le mot grec τέχνη (technè), qui est l'équivalent le plus proche
du français art, désignait dans la Grèce antique l'ensemble des activités soumises à
certaines règles. Il englobait donc à la fois des savoirs, des arts et des métiers. Les
muses grecques ne sont pas toutes associées aux arts tels qu'ils seront définis par la suite
et la poésie, par exemple, n'est pas une « technè ».
La civilisation romaine ne distingue pas non plus clairement le domaine de l'art de celui
des savoirs et des métiers bien que Cicéron et Quintilien y aient contribué par leurs
réflexions. Ainsi, chez Galien, le terme d'«art» désigne un ensemble de procédés servant
à produire un certain résultat : «Ars est systemapræceptorumuniversalium, verorum,
utilium, consentientium, ad unum eumdemquefinemtendentium.» («L'art est le système
des enseignements universels, vrais, utiles, partagés par tous, tendant vers une seule et
même fin.»).
Dans cette acception du mot, qui a prévalu jusqu'à la fin du Moyen Âge, l'art s'oppose à
la fois à la science conçue comme pure connaissance, indépendante des applications, et
à la nature qui produit sans réfléchir. À l'idée de règle de production s'ajoute la
considération de l'effort requis dans cette activité. Lorsque le mot est employé, il lui est
généralement attaché une épithète qui le précise pour former des expressions telles que
«arts libéraux», «arts mécaniques», «art militaire», etc. Et s'il arrive parfois que les arts
libéraux soient visés par l'emploi du mot non qualifié « ars »; et ainsi, par exemple,
l'astronomie était un « art libéral » tandis que le spectacle de «theatrica» restait un «art
mécanique».
Jusqu'à la Renaissance, il n'y avait pas de différence précise entre l'artiste et l'artisan : on
appela «artiste» un artisan dont la production était d'une qualité exceptionnelle. La
différence ne commença à devenir plus précise que lorsque les artistes commenceront à
s'émanciper des corporations pour faire allégeance aux académies et à la commande
nobiliaire oureligieuse. C'est alors que le sens maintenant familier du mot «art»
commença à se dégager : non seulement de nombreuses techniques s'en séparaient, mais
de plus, après la découverte des règles de la perspective, l'aspect visuel y prendra une
importance croissante.
C'est du siècle des Lumières que date la notion d'art aujourd'hui communément admise.
Partant d'une réflexion sur les sens et le goût, une conception basée sur l'idée de beauté
finira par s'établir. Avec Emmanuel Kant, l'esthétique acquerra le sens propre d'une
théorie de l'art dont le mouvement romantique donnera les exemples paradigmatiques.
L'importance de l'observation de règles passera alors au second plan tandis que
l'intention de l'artiste, qui vise nos sens et nos émotions, deviendra primordiale.
Mais le XXe siècle, par ses pratiques et ses idéologies, remet en question tout ce qui
avait pu être retenu au siècle précédent. Il conteste en particulier l'existence d'une