LES EFFETS PRISMATIQUES Ce nom un peu bizarre a été choisi par les opticiens-lunetiers pour désigner l’angle de déviation du rayon lumineux par un verre de lunettes utilisé hors de son centre optique, par analogie avec un prisme. Malheureusement cette analogie pose des problèmes à nos étudiants, parce qu’on compare un système optique afocal, le prisme, avec un système optique focal, le verre de lunettes. Essayons de débroussailler quelque peu cette notion. 1. Approximation de la vision binoculaire Les effets prismatiques prennent toute leur importance lorsqu’on étudie les mouvements oculaires, c’est-à-dire quand on étudie la vision binoculaire du sujet. On considère alors que le sujet est déjà parfaitement compensé en vision de loin (il voit net en VL en accommodant de 0 et de près à 40 cm en accommodant de 2,5 ) et aussi de près s’il est presbyte (il voit net de près en accommodant de Amax/2) On peut alors se permettre l’approximation suivante : - Les trois points suivants sont confondus : centres des pupilles d’entrée Pe et de sortie Ps de l’œil et centre de rotation Q’ de l’œil : Pe = Ps = Q’. Cela réduit les pupilles de l’œil à un seul point : un seul rayon constitue alors le faisceau utile, il sera appelé « rayon efficace ». Ne plus tenir compte de la taille des pupilles signifie ne pas s’intéresser à l’éventuel flou, mais cela n’est pas gênant si on considère que la compensation des défauts visuels est réalisée. - On considère aussi que le centre de rotation de l’œil Q’ est confondu avec les points nodaux objet et image N et N’ de l’œil : Q’ = N = N’. Ce niveau d’approximation permet de ne plus s’intéresser à la déviation des rayons lumineux par l’œil : le rayon efficace issu d’un point-objet M arrive sans déviation sur la fovéa f’. Conséquence de l’approximation : 1. Pour fixer un point M à travers un verre de lunettes utilisé hors de son centre optique, l’œil doit se tourner tel que la direction de Q’f’ soit confondue avec celle du rayon émergent du verre, qui a subi un effet prismatique. Cela peut poser des problèmes en vision binoculaire parce que les mouvements des deux yeux sont nécessairement coordonnés. 2. L’endroit du verre où le verre est utilisé est la projection du centre de la pupille sur le verre. fovéa L I Q’ Dans le schéma ci-dessus, on voit que le point du verre où il est utilisé, I, correspond à la projection de la pupille sur le verre. Il peut donc être déterminé expérimentalement avec précision. Le rayon efficace qui passe par I, subit une déviation vers le haut (si la figure est une section verticale) : on parle « d’effet prismatique, base en haut ». Rappelons qu’un prisme dévie un rayon lumineux vers sa base (dans les conditions habituelles d’utilisation sur lesquelles on ne souhaite pas revenir dans cet exposé). Au point I (et uniquement au point I), le verre est équivalent, du point de vue de la déviation, à un petit prisme base en haut. 2. Deux unités d’angles sans dimension : le radian rad et la dioptrie prismatique . a) le radian rad. Prenons un cercle de rayon 1 m. Traçons deux rayons distincts qui forment entre eux un angle au centre du cercle. Pour donner une grandeur à cet angle , on peut adopter la définition suivante : Angle = nombre égal à la longueur en m de la partie du cercle interceptée par l’angle. Cette définition du radian montre qu’il s’agit d’une unité sans dimension. Elle permet d’obtenir la grandeur de l’angle plat = , celle de l’angle droit /2. b) la dioptrie prismatique . Prenons un pinceau lumineux qui se propage dans l’air puis est intercepté sur un écran. Plaçons dans ce faisceau un prisme, à 100 cm de l’écran. La trace lumineuse se déplace. (le prisme dévie le pinceau vers sa base). L’angle de déviation peut être mesuré par un nombre égal au déplacement en cm de la trace lumineuse sur un écran. Cette définition a été adoptée pour la dioptrie prismatique spécifique au métier de l’optique lunetterie. Elle permet d’obtenir la relation : (en ) = 100 * tan ce qui correspond lorsque l’angle est petit à 100 * (en rad). Rappelons (optique) que seuls les prismes de petit angle utilisés sous incidence faible ont une déviation caractéristique, c’est-à-dire indépendante de l’incidence elle-même. Mais ce sont justement ceux-là qu’on utilise dans le monde de la lunetterie. Leur déviation se calcule par D = (n-1) * A, où A représente l’angle du prisme et n son indice de réfraction pour chaque radiation monochromatique. 3. Calcul de la valeur de l’effet prismatique d’un verre en fonction du décentrement a) valeur de l’effet prismatique en On peut montrer que la déviation (« l’effet prismatique ») subie par un rayon lumineux hors du centre optique d’un verre mince vaut D() = 100 * LI * D LI est le décentrement en valeur absolue en m, D la vergence du verre en Cette relation revient NUMERIQUEMENT à : Déviation en = décentrement LI en cm * vergence absolue du verre Connue sous le nom de « règle de Prentice » dans le milieu des opticiens. b) base de l’effet prismatique Un verre convergent (ou un méridien convergent si le verre est astigmate) crée un effet prismatique base « vers son centre optique ». Un verre divergent (ou un méridien divergent si le verre est astigmate) crée un effet prismatique base «hors du centre optique ». c) Analogie verre-prisme Lorsqu’un rayon lumineux traverse un verre mince, il subit une déviation : - nulle si la rayon lumineux traverse le verre mince en son centre - d’autant plus importante que le rayon lumineux traverse le verre mince en un point éloigné de son centre Donc justement un verre mince est complètement différent d’un prisme… - un verre mince donne un « effet prismatique » différent à un rayon lumineux qui le frappe en son centre et à un rayon lumineux qui le frappe hors du centre. C’est exactement ce qu’exprime la règle de Prentice. C’est aussi ce qui est à l’origine du pouvoir « focal » du verre : deux rayons qui arrivent sur le verre parallèles entre eux par exemple peuvent se rejoindre à la sortie du verre (dans son plan focal image). - un prisme d’angle petit par contre, donne le même effet prismatique à tous le rayons ! C’est exactement cette propriété qui le rend afocal. Ainsi si on reprend les deux rayons qui arrivent sur le verre parallèles entre eux, ils ressortiront du prisme d’angle petit parallèles entre eux et ne pourront jamais se rejoindre. Figures ci-dessous : à gauche, le verre mince convergent, qui dévie différemment les rayons selon l’endroit où ils le frappent ; à droite le prisme d’angle faible qui dévie tous les rayons de la même manière. On peut dès lors s’interroger sur la pertinence de l’analogie tellement enseignée en BTS OL, entre un verre mince convergent et un biprisme dont les bases se touchent d’une part et celle entre un verre divergent et un biprisme dont les arètes se touchent ??? D’un côté un système « focal » et de l’autre un système afocal dédoubleur ! Une contradiction totale avec la règle de Prentice, enseignée par ailleurs en analyse de la vision et en technologie dans la même formation. Figures ci-dessous : à gauche le verre convergent « focal » et à droite le biprisme dédoubleur afocal Que cette analogie « marche » et soit pratique ne suffit pas pour la rendre juste. Elle peut être utilisée à titre mnémotechnique. L’analogie verre-prisme ne peut se faire que « point par point » : un verre convergent est équivalent, en chacun de ses points, à un prisme. L’angle au sommet du prisme équivalent à un verre convergent en l’un de ses points est d’autant plus fort que ce point est éloigné de l’axe optique. Ainsi au centre optique, un verre ophtalmique est équivalent à une lame à faces parallèles, et plus on s’éloigne du centre optique de ce verre, plus il y a équivalence avec un prisme d’angle grand. 4. Applications : - les verres ophtalmiques unifocaux sont souvent centrés en VL (vision de loin) : leur centre optique correspond à la projection des pupilles lorsque le regard est « primaire » (le sujet regarde au loin, à la hauteur de ses yeux). Si le verre ophtalmique est utilisé en VP, il faut prendre en compte l’effet prismatique du rayon efficace pour prévoir comment l’œil va devoir se positionner derrière le verre. En effet, les verres de lunettes sont utilisés en VP à 8 mm en-dessous du centre optique L du verre et à 2 mm plus nasalement. Ce décentrement n’a pas de conséquence néfaste si les verres sont symétriques par rapport au plan sagittal du corps. Par contre, si les deux verres ont des vergences différentes, cela oblige les deux yeux à faire des mouvements de rotation différents. Cela est critique dans le plan vertical, où le décentrement est grand et où la souplesse est la moindre (les deux yeux ne peuvent pas tourner d’angles différents de plus de 1). - un verre mal centré (cela n’arrive jamais !!) produit un effet prismatique que l’œil (et plutôt le couple oculaire) doit compenser - une ordonnance avec prisme peut être réalisée par décentrement - les effets prismatiques gênants peuvent être supprimés en lentilles de contact