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La Lettre du Pharmacologue - Volume 16 - n° 3 - mai/juin 2002
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étymologie du mot est, une fois de plus, éloquente :
prêter une attention particulière (vigilance) aux effets
(surprenants ou indésirables) des médicaments (phar-
makon).Au-delà des clivages administratifs ou chronologiques
(le pré- ou le post-AMM), l’intention du petit groupe de phar-
macologues pionniers qui, dans les années 70, ont créé ce mot
était claire : ne pas restreindre l’étude des effets indésirables
des médicaments à une comptabilité bureaucratique de cas des
médicaments commercialisés (ce que l’un de ces pionniers défi-
nissait d’une boutade : “le développement clinique débute avec
la première administration à l’homme et se termine à l’AMM ;
la pharmacovigilance rassemble toutes les activités allant de
l’AMM au… retrait du marché d’un médicament !”).
Le principe militant de l’adoption du mot pharmacovigilance
consistait à s’opposer à l’appellation anglo-saxonne, prévalente
à l’époque, de post-marketingsurveillance(terme horriblement
“traduit” par certains par surveillance post-marketing).
Ne pas adopter cette position équivalait, au mieux, à faire de la
pharmacovigilance la branche “effets indésirables” de ce qui
s’appellerait plus tard la pharmaco-épidémiologie, et risquait
de lui faire perdre son âme pharmacologique, ou, pire, de la
restreindre à ce qu’elle est en partie devenue : une activité de
comptage, à simple finalité administrative ou bureaucratique,
n’intégrant plus les dimensions pharmacologiques, cliniques et
épidémiologiques. En effet, le terme pharmacovigilance a une
acception plus large puisqu’il intègre :
!La dimension pharmacologique : prévoir, attendre, interpré-
ter, expliquer (et parfois reproduire des modèles expérimen-
taux adéquats) les effets “surprenants” (indésirables ou non)
des médicaments. Selon l’adage “un apport à la connaissance
est caché derrière tout effet indésirable”, il convient de rappe-
ler que bon nombre de progrès thérapeutiques sont nés d’une
observation “pharmacologique” fine de tels effets.
!La dimension clinique, qui reste la base du diagnostic
d’effet indésirable et du conseil en ce domaine, et l’antidote de
la dérive bureaucratique consistant à saisir sur une base de
données un cas de “cancer” diagnostiqué quatre jours après le
début du traitement au prétexte que ce cas a été notifié. Rappe-
lons que la naissance de la “pharmacovigilance à la française”
a été inséparable, dès 1977, de la promotion de la méthode d’im-
putabilité (estimation de la causalité au niveau individuel),
concept longtemps combattu en dehors de nos frontières.
!La dimension épidémiologique et de santé publique (qui
rejoint à ce niveau la pharmaco-épidémiologie, popularisée dix
ans plus tard), qui consiste à étudier l’interaction médicament-
population (comment les médicaments sont-ils utilisés dans le
monde réel et imparfait de la prescription et de l’usage ? Quel
est l’impact de leurs éventuels effets indésirables sur la santé
publique ?).
De ce point de vue, on ne saurait rendre mutuellement exclu-
sive la pharmacovigilance telle qu’on la définit (malheureuse-
ment) habituellement (le post-AMM) et la nécessaire mais
encore balbutiante pharmacovigilance au cours du développe-
ment clinique. Non seulement parce que les problèmes sont en
partie les mêmes (diagnostic des cas individuels, quantification
de fréquence, recherche de facteurs de risque et d’un méca-
nisme, mesure de l’impact potentiel, etc.), mais surtout parce
qu’il y a tout à gagner au rapprochement des compétences. Par
exemple, les méthodes algorithmiques ou bayésiennes, les
consensus d’experts pour le diagnostic des cas d’effets indési-
rables ont été utilisés, comparés depuis trente ans par les “phar-
macovigilants post-AMM”, les pièges des calculs de taux d’in-
cidence (à quel dénominateur rapporter un nombre de cas
observés ?) ont été l’un des apports majeurs de la pharmaco-
épidémiologie à l’évaluation clinique.
Pharmaco… vigilance !
"
B. Bégaud*
*Université Victor-Segalen, Bordeaux 2, CHU de Bordeaux, 33000 Bordeaux.
L
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Parfois trop obsédé par la surveillance de type notification spon-
tanée ou les études épidémiologiques observationnelles post-
AMM, le pharmacovigilant a tendance à oublier que le plan
expérimental reste la référence incontestable pour étudier la
relation causale pouvant exister entre l’exposition à un facteur
(ici la prise d’un médicament) et la survenue d’un événement.
Malgré leur taille souvent réduite, les essais cliniques (à condi-
tion qu’ils soient analysés par un expert compétent disposant
d’une vision plus globale que celle que fournissent les inter-
minables listings de paramètres biologiques et cliniques) res-
tent une mine d’information pour mieux prédire les risques
éventuellement associés à la prise d’un médicament dans cer-
taines conditions. De même, il serait temps de s’apercevoir que
le soi-disant “manque de puissance statistique des essais pré-
AMM pour détecter un effet indésirable rare” est, en fait, une
“impuissance” congénitale liée au caractère trop protocolisé,
trop aseptisé de l’essai, excluant des centaines de situations
qui ont pourtant toutes les chances d’être assez prévalentes
dans le monde réel de l’utilisation future (sujets âgés,
associations médicamenteuses, maladies connexes, traitements
prolongés, etc).
L’évaluation de la sécurité des médicaments est par essence un
continuum (allant de la molécule au modèle animal, à l’homme
et à la population) qui ne connaît pas forcément les barrières
méthodologiques et administratives.
Du fait de l’évolution très importante des normes et procédures
au cours de ces dernières années et de la spécialisation (justi-
fiée) des fonctions qu’elle a entraînées, il est illusoire de pen-
ser que la même personne ou la même équipe puisse gérer l’en-
semble des problèmes de sécurité en pré- et post-AMM. Il est
toutefois certain qu’il y a beaucoup à gagner à décloisonner
davantage l’évaluation pré- et post-AMM du médicament et
à favoriser les visions prospectives (du modèle animal ou de
l’étude clinique vers le monde futur de l’utilisation) ou
rétrospectives(des effets observés en population vers le modèle
animal ou l’étude clinique).
On peut ainsi partir d’une interrogation initiale (analogie de
classe, données de toxicologie, etc.) et suivre l’ensemble du
développement et de la commercialisation à la recherche d’une
confirmation ou (préférablement) d’une infirmation de l’hy-
pothèse ; il est fondamental de tenter d’identifier par avance
des sous-groupes ou des conditions d’utilisation qui pourraient
plus tard se révéler particulièrement à risque. On peut aussi,
devant des cas identifiés en population et validés en clinique,
revenir vers le contexte expérimental “purifié” que constituent
les études cliniques ou animales pour mieux comprendre le
mécanisme de survenue d’un effet indésirable, avec pour but
ultime de le prévenir.
CONCLUSION
Si l’on reproche souvent à l’évaluation post-AMM de manquer
de rigueur méthodologique dans ses approches (reproche en
partie seulement justifié), l’évaluation pré-AMM, souvent
excessivement codifiée, au point de tuer l’imagination, aurait
beaucoup à gagner à intégrer des informations et hypothèses
issues d’une observation bien conduite du monde réel.
Il serait de ce point de vue dommage de cloisonner excessive-
ment les trois pôles classiques de l’évaluation : le pré-AMM
(recherche clinique), la sécurité après commercialisation (dans
laquelle on cantonne la pharmacovigilance) et l’utilisation (trop
souvent gérée, pour des raisons compréhensibles, par les forces
de vente ou marketing). Que ce soit avant ou après l’AMM, le
problème est le même : les effets attendus ou observés avec un
médicament dépendent avant tout de qui l’utilise, combien de
gens l’utilisent et dans quelles conditions.
À un moment où il est remis en question au niveau international,
et en particulier européen, lutter pour que le terme pharmacovi-
gilance continue de désigner l’ensemble des activités consistant
à identifier, évaluer et prévenir les effets indésirables des médi-
caments revient à refuser une mort programmée par “asphyxie
bureaucratique”, mort à laquelle personne n’a à gagner ! #
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