Bases scientifiques et techniques de l'éradication de la peste bovine

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Rev. sci. tech. Off. int. Epiz., 1982, 1 (3), 589-618
Bases scientifiques et techniques
de l'éradication de la peste bovine
en Afrique intertropicale*
A. PROVOST**
Résumé : Les rappels historiques de l'évolution de la panzootie bovipestique, étayés par la connaissance moderne de la virologie et de l'immunologie de la peste bovine, conduisent à l'ébauche d'un schéma épizootiologique logique. Il en découle la notion de la possibilité d'éradication de la
maladie si la couverture vaccinale du bétail réceptif s'approche au maximum du taux idéal de 100 p. 100. Il est proposé un plan d'action continentale pour l'Afrique, prenant en compte l'existence de deux « creusets
infectieux », l'un en Afrique occidentale, l'autre en Afrique orientale.
La peste bovine est une maladie infectieuse, très contagieuse,
inoculable,
touchant les espèces animales de l'Ordre des Artiodactyles
; elle est cliniquement caractérisée par une fièvre élevée, une stomatite nécrosante et une
gastro-entérite
souvent hémorragique
et elle se termine la plupart du temps
par la mort. Une immunité solide et durable suit la première atteinte de la
maladie.
Cette définition classique de la peste bovine, très vraie autrefois, ne s'applique plus maintenant que lors d'apparition en pays ou en zone jusque-là
vierge : plateau de l ' A d a m a o u a , au C a m e r o u n , et province d ' U b a n g u i , au
Zaïre, en 1960. Dans les contrées naguère ou encore contaminées mais où une
couverture prophylactique est peu ou prou entretenue, l'expression clinique
est moins dramatique, la morbidité plus erratique, la mortalité moins constante, voire nulle. P a r contre, dans les pays qui, pour des raisons diverses, ne
vaccinent plus leur cheptel bovin mais vivent dans une mouvance de contagion
bovipestique (cas du Tchad, de la Guinée, de la Sierra Leone et de la Péninsule
arabique) on pourrait fort bien voir apparaître le visage de la peste d ' a n t a n .
* Texte d'une conférence donnée le 2 novembre 1981 à Nairobi lors d'une réunion OUA/FAO/
OIE sur l'éradication de la peste bovine en Afrique.
* Directeur Général de l'Institut d'Elevage et de Médecine vétérinaire des Pays tropicaux. 10,
rue Pierre-Curie, 94704 Maisons-Alfort Cedex (France).
— 590 —
Les raisons de cette transformation, celle d'une « peste historique » en une
« peste actuelle », sont complexes mais importantes à connaître pour leurs
applications pratiques dans u n plan raisonné d'éradication du contage bovipestique. Elles seront expliquées plus loin.
L E C O N T E X T E É P I Z O O T I O L O G I Q U E M O N D I A L EN, 1980-1981
Partie du sous-continent indien, la peste bovine a ravagé l'Afrique intertropicale à la fin du siècle dernier (Carte 1). E n 1960, elle était toujours solidement implantée, tant en Afrique tropicale q u ' e n Inde et au Pakistan (Carte 2),
ainsi que dans la Péninsule indochinoise.
En Afrique, à la suite des opérations du P C 15* de 1962 à 1976 (Carte 3),
la peste n'existait plus, l'an dernier, que dans une zone centrée sur le delta
intérieur du Niger et vraisemblablement en Ethiopie, et le nord de la Somalie,
bien que l'on m a n q u e de précisions pour ces deux dernières localisations
(Carte 4).
On sait que de ces foyers d'enzootie, elle s'est échappée vers la côte ouestafricaine (Haute-Volta, Nigeria en septembre 1980) et que le Soudan est périodiquement recontaminé. Djibouti a été touché ; la maladie a produit des pertes sensibles. Tout récemment (octobre 1981), plusieurs foyers ont été signalés
dans l'extrémité méridionale de la Somalie, menaçant directement le Kenya
mais indiquant aussi la confusion épizootiologique qui prévaut dans la corne
de l'Afrique**.
Il est important de souligner que la situation épidémiologique est sans
changements notables en Inde depuis plusieurs années, bien q u ' u n e campagne
nationale y soit menée depuis 1955 ; c'est en ces circonstances qu'il paraît
juste de parler de contrôle et n o n d'éradication. On m a n q u e de renseignements pour le Pakistan et l'Afghanistan.
La pérennité de la peste bovine dans le sous-continent indien menaceraitelle l'Afrique si celle-ci venait à se débarrasser du fléau ? Dans ce contexte, il
faut rappeler — ce qui n'est pas apparent sur les cartes — qu'échappée d'Afghanistan en 1969, la maladie a envahi l'Iran puis Bahrein, atteignant la Syrie,
le Liban, la Turquie et la Jordanie dans le second semestre de 1970 et le Yemen
en août 1971 ; seul l'Irak ne fut pas touché. On remarquera q u ' e n ces circonstances, la contamination a suivi la voie terrestre.
En tout état de cause et en toute b o n n e logique — pour autant que l'éradication intervienne en Afrique — on pourrait trouver prudent de continuer
d'entretenir une large couverture immunitaire sur la côte orientale africaine
après la phase d'éradication. O n notera p o u r t a n t que le danger n'est pas parti* Projet conjoint 15 de l'OUA/CSTR pour la lutte contre la peste bovine.
** Bien mieux, on peut accuser l'Afrique d'être la source du contage dans les épisodes pestiques
survenus en 1979 à Koweit.
— 591 —
culièrement menaçant puisque (excepté les
zébus indiens en 1887 et 1889 !), on ne connaît
que, de Madagascar ou des îles Mascareignes
Pakistan ; les courants commerciaux ne vont
* D'après MACK R. Trop. An. Hlth. Prod. (1970) 2, 210-219.
malheureuses importations de
pas de contamination de l'Afrien provenance de l'Inde ou du
pas en ce sens.
— 592 —
— 593 —
— 594 —
— 595 —
I. LA CONTROVERSE : CONTRÔLE OU ÉRADICATION
Le vétérinaire épidémiologiste doit se remettre dans le contexte de la médecine humaine qui, avec des succès divers, a entrepris au plan mondial un certain n o m b r e d'actions d'envergure touchant la lutte contre la variole et le pian
(paludisme, fièvre j a u n e et schistosomose, maladies transmises par vecteurs
étant intentionnellement exclues de la discussion).
A. QUELQUES DÉFINITIONS
L'éradication d ' u n e maladie contagieuse est, selon Cockburn, l'extinction
de l'agent pathogène qui p r o v o q u e la maladie en question ; aussi longtemps
q u ' u n seul représentant de l'espèce morbigène existe, on ne peut pas parler
d'éradication.
La valeur absolue de cette position ne peut être mise en doute. Est-elle
applicable en pratique ?
Andrews et Langmuir sont plus nuancés : le contrôle d'une maladie contagieuse consiste à arriver à un bas niveau d'incidence clinique ; l'éradication
suit la m ê m e ligne mais j u s q u ' a u point où, dans une région donnée, il y a
absence de transmission. Si cette définition est appliquée à la peste bovine, on
conclura qu'elle est fausse : la disparition de la peste de Tanzanie ou du Tchad
n ' a pas conduit à son éradication continentale, imposant une vigilance continue et coûteuse aux vétérinaires.
Plus souple encore la position soviétique : le but de l'éradication d ' u n e
maladie infectieuse est la réduction de l'incidence à un niveau tel qu'il ne constitue plus un problème de santé publique. On ne peut adhérer à ce concept qui,
remis dans le contexte de l'histoire de la peste bovine au cours des dix dernières années en Afrique occidentale, a vu son aboutissement dans la situation
d'urgence de septembre 1980 (contamination du Niger, de la Haute-Volta et
du Nigeria, puis du Bénin).
P r a g m a t i q u e est, p a r contre, la définition de Payne qui distingue les trois
stades successifs de : contrôle (celui défini par Andrews et Langmuir), élimination (degré supérieur au contrôle, sans encore viser l'éradication selon
Cockburn) et enfin l'éradication. Payne conserve des doutes sur la praticabilité générale de l'éradication mais admet qu'elle est possible dans des cas particuliers. La réalisation de l'éradication de la variole humaine à l'échelle m o n diale justifie pleinement ses vues, car elle a été opérée chronologiquement en
suivant ces trois phases. Si l'on applique cette conception à la peste bovine sur
le Continent africain, on peut affirmer sans ambages que l'on est tout prêt du
stade de l'élimination.
B. LES C O N D I T I O N S D E L ' É R A D I C A T I O N
P r e n a n t exemple sur ce qui a été réalisé lors des opérations du P C 15 (ou
aurait dû être réalisé) et, surtout, dans la campagne mondiale d'éradication de
— 596 —
la variole, on peut dresser u n plan tactique de l'éradication, en quatre phases
successives :
— phase préparatoire
— phase d'attaque
— phase de consolidation
— phase de maintien de l'éradication
U n aperçu du déroulement prévisionnel de ces phases sera examiné dans la
troisième partie de cet exposé.
Toutefois, toujours à l'image de ce qui a été fait pour la médecine
humaine, on peut énoncer dès maintenant les conditions nécessaires pour
l'éradication d'une maladie animale ; ce sont :
1. L'existence d'un moyen (ou d'une mesure de contrôle) à la fois
cation simple et relativement bon marché, et totalement efficace pour
la transmissibilité de la maladie en cause.
d'applistopper
C'est bien le cas pour la peste bovine : vaccin efficace et peu onéreux,
mesures sanitaires parfaitement connues.
2. La maladie que l'on veut éradiquer doit posséder des
caractéristiques
épidémiologiques
telles que la détection des cas résiduels soit aisée dans les
phases ultimes du
programme.
Cette condition peut être rendue difficile pour la peste bovine dans le cas
d'apparition de souches à pouvoir pathogène amoindri, mais la règle voulant
que tout cas cliniquement suspect reçoive la confirmation du laboratoire, le
diagnostic définitif (différentiel d'avec la maladie des muqueuses, en particulier) sera aisément posé.
Cette condition sous-entend la pleine efficacité du système de surveillance
sanitaire des Services vétérinaires nationaux, tout particulièrement lors des
derniers stades de la phase de consolidation au cours desquels peuvent survenir des cas épars ou erratiques.
3. La maladie doit avoir une importance
plans nationaux et/ou
internationaux.
socio-économique
reconnue,
aux
Il est à peine besoin de justifier cette condition en ce qui concerne la peste
bovine. Sa rémanence :
• obère les budgets nationaux en obligeant les autorités à la maintenance
d'une force de frappe antipestique (campagnes annuelles de vaccination) ;
• est une menace constante pour les régions vierges d'infection, avec le
retentissement que l'on connaît sur les échanges d'animaux et de produits animaux.
4. Il doit y avoir une raison spécifique
l'éradication plutôt que du contrôle.
et majeure
militant
en faveur
de
Les événements récemment survenus en Afrique occidentale (contamina-
— 597 —
tion de la Haute-Volta, du Niger, du Nigeria et du Bénin à partir du foyer
mauritano-malien) et orientale (foyer de Muguga, au Kenya, provenant d'anim a u x achetés à la frontière somalo-éthiopienne) militent en faveur de la nécessité de l'éradication sur le Continent africain.
5. Les ressources financières, administratives,
les doivent exister et rester pérennes.
humaines
et
professionnel-
C'est une question-clé qui fait actuellemment l'objet de négociations.
6. Il ne doit pas y avoir d'obstacles
socio-écologiques.
Cette condition, si elle est vraie en médecine humaine, ne paraît pas devoir
soulever d'obstacle insurmontable en ce qui concerne la lutte contre la peste
bovine en Afrique : les équipes de vaccination suivent les mouvements pastoraux, l'abattage (contre indemnisation) peut être pratiqué. Devront p o u r t a n t
être soigneusement évalués les cas de l'Est tchadien, du H a r a r , de l'Ogaden et
de l'Erythrée où subsiste une certaine tension politique assortie d'opérations
militaires. Cette dernière considération peut être critique. En conscience, on
doit se demander s'il ne serait pas préférable de différer l'ensemble des opérations d'éradication en attendant que le calme soit revenu ou, alors, trouver des
solutions originales. L'enjeu est de trop d'importance, les moyens à mobiliser
si considérables, qu'il vaut mieux s'entourer à l'origine de toutes les garanties.
C. L A Q U E S T I O N D U P O U R C E N T A G E D E V A C C I N A T I O N
Il est souvent fait référence à la loi dite de Charles Nicolle qui s'énonce
ainsi : « Une épizootie (ou une épidémie) ne peut plus se propager dans une
population dès lors que 70 à 80 p. 100 des sujets sont immunisés ».
Elle ne dit pas que l'on ne p o u r r a pas constater de cas individuels ! Malheureusement, on a t r o p souvent fait des extrapolations hasardeuses de cette
loi de Ch. Nicolle ; ainsi, on peut lire dans tel r a p p o r t : « ... au-delà d'une
couverture animale de 80 p. 100 une maladie disparaît dans le temps... ».
Rien n'est plus faux en ce qui concerne la peste bovine ; on en donnera plus
loin l'explication scientifique, mais on peut constater que, à la fin des opérations du P C 15 en Afrique de l'Ouest et du Centre, on rencontrerait encore
des cas de peste sans pour autant parler de foyers.
C'est p o u r q u o i , au risque de bousculer les idées reçues, on ose affirmer ici
que pour arriver à l'éradication, il faut s'approcher au maximum du taux de
100 p. 100, même si en pratique on juge cet objectif difficile à atteindre. P o u r
reprendre le parallèle avec la médecine humaine, on constatera que l'éradication de la rougeole, tentée de 1966 à 1977 aux Etats-Unis, s'est soldée par un
échec en dépit d'une très importante réduction des cas annuels (300-600 000
avant 1966 ; 25-35 000 de 1972 à 1975). On est bien arrivé au contrôle, pas à
l'éradication car la couverture vaccinale de la population cible (les enfants)
n ' a jamais dépassé 60 à 70 p . 100. Les récentes études épidémiologiques améri-
— 598 —
caines et britanniques arrivent à la conclusion qu'il faut aller au-delà du taux
de 90 p . 100 d'immunité pour supprimer les cycles épidémiques et prévenir
l'apparition de nouvelles vagues dues à des importations du contage. Leur
conclusion, applicable à la peste bovine étant donné les similitudes virales et
épidémiologiques, est qu'il faut se rapprocher du taux fatidique de 100 p . 100.
Se pose alors la question cruciale de savoir si, pour le cas qui nous occupe,
cet objectif est réaliste. Lors de la campagne d'urgence 1980-1981, les chiffres
suivants ont été atteints ; il est intéressant de les comparer à ceux du P C 15 :
Tableau I. — TAUX DE COUVERTURE VACCINALE EN AFRIQUE DE L'OUEST
Etats
Mauritanie
Sénégal
Mali
Niger
Haute-Volta
Bénin
Togo
Côte d'Ivoire
Campagne d'urgence (1980-1981)
PC 15 (1964-1969)
environ 50 %
58,6
44,1
79
87,9
86,5
76,3
environ 75 %
79,72
85,4
84,8
92,37
88,5
81,4
33,3
86,4
Si, pris dans l'absolu, le désir exprimé d'arriver à u n taux proche de 100
p . 100 est souhaitable, force est de constater que l'on est, en pratique, loin du
compte. Pourra-t-on mieux faire dans l'avenir ? Cela n'est pas certain, surtout dans des contrées d'accès difficile tels les confins mauritano-maliens ou
les montagnes éthiopiennes.
Dans ces conditions, il est donc nécessaire d'envisager une stratégie et une
tactique vaccinales qui puissent s'adapter aux circonstances, étant entendu
que le but visé, si formidable qu'il soit, est l'éradication de la peste et non son
simple contrôle ; il y a gros à parier que les aides internationales et bilatérales
se déroberaient si l'on ne visait pas d'emblée le but ultime.
II. CONDITIONS TECHNIQUES POUR L'ÉRADICATION :
Quelques rappels à finalité appliquée
A. VIROLOGIE
Dans la grande famille virale des Paramyxoviridae,
le virus bovipestique
appartient au genre Morbillivirus où il est rangé à côté de ses virus-frères (ou
cousins...) de la rougeole humano-simienne, de la maladie de Carré des canidés, de la peste des petits ruminants et d'autres virus d'importance moindre
(méningo-encéphalite sporadique, gastro-entérocolite simienne).
Les virions sont assez pléomorphiques : taille variable de 120 à 300 nm et
— 599 —
de forme grossièrement sphérique ou ovoïde ; ils peuvent parfois se présenter
sous forme filamenteuse de 750 à 1 000 n m . Dans le contexte de cet exposé, la
connaissance de l'architecture virale n ' a d'intérêt q u ' e n ce qu'elle explique la
relative fragilité du virus.
La résistance à l'inactivation thermique dépend essentiellement du substrat
dans lequel le virus est suspendu. Les chiffres apparaissant dans les Tableaux
II a et b et la Figure 1 lui assignent une modeste résistance, cependant moins
négligeable q u ' o n a bien voulu le dire.
Dans u n but appliqué, on retiendra que la solution molaire de sulfate de
magnésium ( S 0 M g , 1 M , c'est-à-dire 250 g de sel dans u n volume total de 1 1
de soluté réalisé avec de l'eau distillée) lui confère une remarquable thermo4
Tableau II a. — PÉRIODES DE DEMI-VIE DU VIRUS BOVIPESTIQUE
A DIFFÉRENTES TEMPÉRATURES
Température de conservation
Milieu de conservation
Rate ou nodule lymphatique
Sang
Milieu de culture
(à 5 p. 100 de sérum) . . .
Milieu de culture
(à 10 p. 100 de sérum) . .
Milieu de culture (stabilisant de lyophilisation) ..
60 °C
56 °C
37 °C
25 °C
4 - 7 °C
—
—
5 mn
5 mn
105 mn
21 h
6,4 h
36 h
2,3 jours
2,3 jours
—
3,5 mn
165 mn
—
9,2 jours
3,5 mn
—
—
—
—
—
—
16 h
11,5 jours
Tableau II b. — PÉRIODES DE DEMI-VIE DU VIRUS BOVIPESTIQUE
DE CULTURES CELLULAIRES APRÈS LYOPHILISATION
Température de conservation
Milieu de lyophilisation
- 20 à
- 25 °C
Lactose-sérum lactalbumine
5 % hydrolysat de lactalbumine
2,5 % hydrolysat de lactalbumine
Non précisé
( - ) = pas d'observation.
+ 4 °C
20 à
25 °C
env. 6 mois env. 8 sem. env. 1 sem.
4,5 mois
4 mois
8,5 mois
—
—
8,9 sem.
3,6 sem.
—
10 sem.
37 °C
—
4,3 jours
2,6 jours
1 sem.
(d'après G.R. Scott et W. Plowright)
—
— 600 —
résistance (Figure 2). Ce phénomène, connu sous le n o m de stabilisation
cationique est lié aux ions S 0 ~ ; on le retrouve avec le sulfate disodique. Il en
découle une application pratique essentielle pour les campagnes prophylactiques : la substitution de la solution molaire de sulfate de magnésium à l'eau
distillée ou au sérum physiologique, opération aisément réalisable extemporanément sur le terrain en dissolvant 250 g du sel (sachet pré-pesé) dans de la
simple eau filtrée, apporte lors de la reconstitution du vaccin lyophilisé,
aisance et sécurité dans la pratique des opérations vaccinales. En effet, il n'est
plus besoin d'avoir à tout prix un liquide de dilution réfrigéré pour reconstituer le vaccin ; la solution molaire de sulfate de magnésium peut être utilisée à
température ambiante et, bien plus, elle protège le vaccin dilué de l'inactivation thermique pendant le temps nécessaire aux inoculations. M ê m e si cette
« astuce » n'est pas révélée aux vaccinateurs (peut-être même ne doit-elle pas
4
Fig. 1. — Inactivation du virus bovipestique en phase liquide
— 601 —
Fig. 3. — Inactivation du virus-vaccin bovipestique lyophilisé
(cultures cellulaires) à différentes températures
Les éléments de cette figure composite sont tirés des résultats
publiés par différents laboratoires
— 602 —
l'être...), elle mérite d'être systématiquement utilisée, comme elle l'est depuis
plus de dix ans dans certains Etats, pour la sécurité accrue qu'elle apporte
quant au maintien du pouvoir immunigène du vaccin bovipestique, qui ne
protège que si les virions sont toujours vivants lors de l'injection.
A l'état lyophile (ou cryo-desséché), le virus bovipestique est considérablement plus résistant q u ' e n phase liquide, quelle qu'elle soit ; la comparaison
des chiffres du Tableau II et des Figures 1 et 3 est éloquente, où l'on voit q u ' à
37 °C la demi-vie du virus est de plus de quatre jours sous forme lyophilisée
contre 3 h 50 en sérum physiologique. C'est la raison pour laquelle les vaccins
sont présentés aux utilisateurs sous forme lyophilisée. La résistance à l'inactivation thermique est toutefois relative et ne saurait se comparer à celles des
immunogènes inactivés (type : vaccin contre le charbon symptomatique). Dès
lors, il est impérieux de maintenir sous conditions de froid les plus abordables
le vaccin avant son utilisation : en congélateur dans les centres primaires et, si
possible, secondaires de stockage ; en réfrigérateur (électrique ou à pétrole)
dans les centres tertiaires ; sous glace fondante en récipients isothermes ou en
réfrigérateurs montés sur véhicules pour les tournées de vaccination. Cet
impératif ne peut être transgressé que pour les 3-4 derniers jours où les équipes
de terrain n ' o n t plus de glace à leur disposition, sans pour autant qu'il doive
être prôné pour des raisons de psychologie pratique évidentes. En ces circonstances, il suffit de conserver les flacons de vaccin dans des linges humidifiés,
maintenus à l'abri de l'insolation directe et soumis à une forte ventilation pour
assurer l'évaporation de l'eau que l'on renouvellera en temps utile. C'est en
ces conditions extrêmes, celles que l'on peut retrouver en fin de tournées de
vaccination dans les pays sahéliens, que l'utilisation de la solution molaire de
sulfate de magnésium a toute sa valeur.
Un autre impératif découlant de la thermo-résistance modérée du virus
bovipestique est le devoir que doit avoir tout laboratoire producteur de vaccin
de ne délivrer que des produits ayant, au départ de l'établissement, le plus
haut titre possible en virus : les droites logarithmiques de la Figure 3 indiquent
à l'évidence que plus élevé est le titre de départ, plus on a de chance d'avoir la
quantité adéquate de virus lors de l'utilisation. En conséquence, même si les
normes internationales n'exigent que 1 0 ' (environ 500) particules virales viables par dose vaccinale, en conscience on ne devrait pas produire de vaccins
qui n'en aient pas au moins 100 fois plus, afin de tenir compte des événements
imprévus (et cumulatifs quant à l'inactivation thermique) pouvant survenir
dans la chaîne du froid, du laboratoire à l'animal vacciné. En finale, c'est au
bovin que doit profiter le vaccin, n o n au laboratoire, étant entendu qu'il n ' y a
aucun danger pour l'animal récipiendaire (même u n veau) à recevoir dix ou
cent doses vaccinales au lieu d ' u n e . En suivant cette pratique, on se mettra à
l'abri des « ratées » vaccinales.
2
7
La lumière (composée de rayons infra-rouges calorifiques et de rayons
ultra-violets) est délétère pour le virus bovipestique. Les vaccins, surtout après
leur dilution, seront d o n c toujours conservés dans des récipients rendus opaques (en pratique, un linge humidifié entourant complètement le flacon ou la
seringue).
— 603 —
B. P O U V O I R P A T H O G È N E
La peste bovine atteint naturellement les artiodactyles domestiques et sauvages.
1. Artiodactyles domestiques (Tableau III)
Sur le Continent africain, l'affirmation de la réceptivité naturelle du porc
et des petits ruminants doit être tempérée à la lumière des observations épidémiologiques. Sans doute, au laboratoire, le porc peut être infecté expérimentalement (voies orale et parentérale) p r o v o q u a n t une maladie plus ou moins
équivoque au plan clinique. Les points importants sont, p o u r t a n t , que le virus
n'est a p p a r e m m e n t pas excrété dans le milieu extérieur, bien que les organes et
les masses musculaires soient virulentes, et surtout q u ' e n aucune occasion, la
peste bovine ait été signalée à l'état naturel chez des porcs africains. Il n ' e n est
pas de m ê m e en Asie du Sud-Est.
Les petits ruminants amènent à plus long débat. A u laboratoire, m o u t o n s
et chèvres africains se m o n t r e n t indéniablement sensibles à l'inoculation
parentérale et sont parfois contagieux p o u r les bovins placés à leur contact.
E n pratique, dans les conditions naturelles, il paraît en être tout autrement.
Sans risque de b e a u c o u p se tromper, on peut dire que l'on compte sur les
doigts de la m a i n les authentiques foyers de peste bovine en Afrique tropicale
ayant impliqué m o u t o n s e t / o u chèvres. L a preuve p a r l'absurde est donnée
par les opérations du P C 15 qui, bien que n ' a y a n t pas touché les petits ruminants, ont conduit à u n remarquable contrôle de la maladie qui aurait pu
aboutir à l'éradication si certaines obligations avaient été respectées. Les
Tableau III. — ESPÈCES DOMESTIQUES NATURELLEMENT TOUCHÉES
PAR LA PESTE BOVINE
Sous-ordre
Sous
famille
Genre
Espèce
RUMINANTIA
Bovinae
Bos
bœuf
zébu
buffle d'eau
Poephagus
B. taurus
B. indicus
B. indicus
B. sondaicus
B. mindorinsis
P. grunniens
Ovinae
Ovis
Capra
O. aries
C. hircus
mouton
chèvre
Suidae
Suis
S. scrofa
porc
Bubalus
SUIDAE
Nom
commun
yak
— 604 —
explications scientifiques à cet état de fait sont loin d'être simples ; on peut,
tour à tour ou ensemble, invoquer :
• La « spécialisation » pathogène (adaptation à telle ou telle espèce) de
souches du virus bovipestique pour les petits ruminants, sans pour autant penser à une mutation vers l'entité P P R * dont on sait maintenant que l'agent causal est différent de celui de la peste bovine. Pareilles souches de virus ont été
isolées en Afrique orientale.
• L'immunité
hétérospécifique
apportée par une contamination antérieure
des petits ruminants, à plus ou moins grande expression clinique, par le virus
P P R (souvent occulte en régions sahéliennes, plus expressive en zone humide).
Il en résulte une interruption naturelle de la chaîne épizootiologique bovipestique si celle-ci, par le biais d'une souche adaptée aux petites espèces, venait à
contaminer moutons e t / o u chèvres. D'intérêt désormais historique pour
l'Afrique, cette dernière explication jette un jour nouveau pour l'explication
de la pérennité des foyers de peste bovine vraie chez les petits ruminants du
sous-continent indien où la P P R semble être inconnue.
A la lumière de la connaissance de l'épizootiologie bovipestique au cours
des trente dernières années, il ne semble pas osé de dire que, si expérimentalement moutons et chèvres sont réceptifs, en pratique ils ne j o u e n t aucun rôle de
relais ou de réservoir dans la transmission du contage en Afrique tropicale.
Il en est de même des chameaux qui, au demeurant, ne figurent pas dans le
Tableau III parce que n ' a y a n t jamais été impliqués dans l'épizootie. Que
l'espèce soit réceptive est attesté par la présence d'anticorps sériques mais,
expérimentalement, l'infection conférée est abortive et non contagieuse. Le
chameau, lui non plus, n'est ni relais, ni réservoir.
2. Artiodactyles sauvages (Tableau IV)
Beaucoup a été dit et écrit à ce sujet. Plutôt que d'en dresser une revue, il
paraît plus judicieux d'en extraire une quintessence à finalité épizootiologique, en donnant un ordre de réceptivité :
• espèces très réceptives : buffle, presque tous les Tragelaphinés (koudou,
guib...), phacochère, girafe. Ce sont elles qui, par leur mortalité, sont les révélateurs d'une atteinte bovipestique de la faune ;
• espèces moyennement
réceptives : gnou, céphalophe, impala, antilopecheval... atteintes lors d'épizooties très sévères ;
• espèces peu réceptives : en général, petites gazelles, cobs et ourébis. P o u r
l'épidémiologiste, ce sont elles les plus importantes car, témoins d'une infection pestique infraclinique, elles peuvent véhiculer à distance le contage par
relais infectieux d'individu à individu ; ainsi s'explique la contamination du
zoo de R o m e en 1949.
Certes réceptive, la faune sauvage ne doit pas être accusée d'être u n réservoir de virus ; ce point d'importance capitale sera explicité plus loin. On
* PPR : peste des petits ruminants.
Famille
Sous-famille
RUMINANTS
peste
Cob des roseaux
Redunca arundinum
Nagor ou Bohor
Redunca redunca
Cob de Buffon
Adenota kob
Cob onctueux Kobus defassa
+
Cob à croissant
Kobus ellipsiprymnus
Rhebok
Pelea capreolus
+
Ourébi
Ourebia ourebi
+
Klipspringer
Reduncinae
Oreotraguinae
Madoquinae
Impala Aepyceros melampus
Aepycerotinae
Dik-Dik
|MadoquaSaltiana
Oreotragus oreotragus
+
Litocranius walleri
+
Blackbuck
Springbok
Gazelle
Guérénouk
Gazella sp.
Ammotragus lervia
Mouflon à manchettes
Caprinae
Antilopinae
Antilope cervicapra
Antidorcas marsupialis
Hyemoschus aquaticus
+ ++
|
Nom scientifique
Hippopotamus amphibius
+
Phacochère
Phacochoerus aethiopicus
Potamochère
Potamochoerus porcus
Hylochère
Hylochoerus meinertzhageni
Nom commun
Chevrotain
Buffle
Syncerus caffer
TRAGULIDAE
BOVIDAE
Bovinae
SUIHIPPOPOFORMES TAMIDAE Hippopotame
SUIDAE
Suinae
ordre
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
++
++
+ ++
++
++
bovine
Tableau IV. — LISTE DE RÉCEPTIVITÉ ( + + + A ?) DES ESPÈCES SAUVAGES AFRICAINES
DE L'ORDRE DES ARTIODACTYLES A LA PESTE BOVINE
— 605 —
ordre
CAMELIDAE
GIRAFFIDAE
Famille
Girafe
Traguelaphinae
Bubale ou Hartebeest
Damalisque
Gnou bleu
Alcelaphinae
Alcelaphus sp.
Damaliscus sp.
Connochaetes (Gorgon)
taurinus
Connochaetes gnou
Giraffa camelopardalis
+ ++
Girafe réticulée Giraffa reticulata
++
Dromadaire
Camelus dromedarius
Guib ou
antilope harnachée
Tragelaphus scriptus
Grand koudou
Tragelaphus strepsiceros
Elan de Derby
Taurotragus derbianus
Elan oryx
Taurotragus oryx
Petit koudou
Tragelaphus imberbis
Bongo Boocercus euryceros
++
Sitatonga
Limnotragus spekei
Antilope à 4 cornes
Tetracerus quadricornis
Gnou noir
Hippotrague ou Coba
Hyppotragus equinus
Oryx
Oryx sp.
Addax
Addax nasomaculatus
Hippotraginae
Cephalophus sp.
Sylvicapra grimmia
Raphicerus campestris
Steinbok
Céphalophe
Duikerbuck
+
peste bovine
Cephalophinae
Nom scientifique
Raphicerinae
Sous-famille Nom commun
+
+
+
++
++
++
++
++
?
?
+
+
+
+
+
++
+
+
+
+
+
++
— 606 —
— 607 —
retiendra, comme pour les petits r u m i n a n t s , que n o n concernée par les opérations du P C 15, elle n ' a pas obéré l'extinction de la peste du Kenya et de la
Tanzanie, pays qu'elle peuple d ' a b o n d a n c e et où elle se mêle aux ruminants
domestiques.
Variabilité du pouvoir
pathogène
Les souches historiques du virus bovipestique, telles celles de la panzootie
africaine de 1889-95, entraînaient une morbidité de 100 p . 100 assortie d ' u n e
Symptomatologie tragique et d ' u n e mortalité de 95 p . 100 chez les bovins, les
buffles, les gnous et les k o u d o u s . P a r la suite, on a isolé en Afrique occidentale et orientale des souches à pouvoir pathogène amoindri (dites « hypovirulentes »), n'entraînant q u ' u n e maladie relativement bénigne, avec ou sans
lésions muqueuses et symptômes diarrhéiques ; leur contagiosité est faible, la
mortalité engendrée très basse. Elles ont été isolées tant chez des bovins que
chez le gibier (buffle, girafe). Il faut se garder de penser à la fixité de leur pouvoir pathogène amoindri car, pour certaines tout au moins, des passages de
retour à telle ou telle espèce le restauraient pleinement. Imprévisible, ce comportement fait mesurer tout le danger qu'il y a à vivre avec la peste, m ê m e si
elle évolue à bas bruit comme ce fut le cas de 1975 à 1980 en Mauritanie et au
Mali.
Variabilité de l'adaptation
spécifique
A partir des années 50, on a pu isoler et étudier des souches de virus bovipestique qui extériorisaient u n pouvoir pathogène important pour une espèce
(buffle ou girafle), moindre ou quasi nulle pour les bovins. Cette constatation
avait conduit les Masaï à mélanger leurs troupeaux à la faune frappée de peste
p o u r les vacciner naturellement.
E n d'autres circonstances, le virus paraît être adapté — on l'a dit plus h a u t
— aux m o u t o n s et chèvres, sans que l'on soit p o u r autant autorisé à invoquer
une mutation d o n n a n t naissance au virus P P R : ce dernier possède des dimensions et une biochimie différentes et est totalement apathogène p o u r les bovins
(bien que virulent, entraînant une conversion sérologique et l'immunité) ; en
plusieurs circonstances, cette peste bovine des petits ruminants s'est révélée
contagieuse pour des zébus vivant à leur contact.
C. P O U V O I R S A N T I G È N E E T I M M U N I G È N E
Il n'existe q u ' u n seul type antigénique du virus bovipestique, quelle que
soit son origine géographique. La conséquence pratique est que les vaccins
correctement préparés protègent en tous lieux.
U n e immunité solide et durable suit, chez les rescapés, une première
atteinte. La trace sérique de l'infection, naturelle ou vaccinale, est décelée par
la mise en évidence de nombreux types d'anticorps : précipitant, fixant le
complément, inhibant l'hemagglutination morbilleuse et neutralisant le virus.
On pense généralement que ces derniers sont les supports de l'immunité, bien
— 608 —
q u ' o n ne puisse plus les identifier chez certains bovins vaccinés depuis plusieurs années et cependant résistants à la contamination où à une inoculation
d'épreuve. Tous ces types d'anticorps* sériques apparaissent d ' a b o r d dans les
globulines IgM (dès le 3 -4 jour) puis disparaissent ensuite au profit des IgG.
e
e
Chez les animaux convalescents de la maladie naturelle, on met en évidence
une activité virulicide du mucus nasal, vraisemblablement liée à la présence de
globulines IgA. Ce fait d'importance est bien moins constant chez les bovins
vaccinés avec un virus-vaccin de cultures cellulaires ; il est inexistant avec les
vaccins inactivés. O n verra plus loin les considérations que l'on peut en tirer
quant à l'épizootiologie et l'histoire naturelle de la peste bovine.
Les anticorps sériques (principalement les IgGO des vaches (ou femelles
sauvages) immunes, naturellement ou après vaccination, se retrouvent dans le
colostrum. Dès la première tétée (et pour autant que le veau boive le colostrum), le jeune bénéficie d'une immunité passive. Sa durée, variable de 3 à 8
mois, est fonction du titre sérique de la mère (Figure 4) ; elle sera plus élevée
dans le cas de maladie naturelle, plus evanescente chez les sujets nés de mères
vaccinées. E n pratique, on constate q u ' à l'âge de 6 mois, plus de la moitié de
ces derniers ont encore u n titre sérique neutralisant de T N > 0,6. Toujours
protégés vis-à-vis de l'infection naturelle, ils neutraliseront le virus-vaccin qui
leur sera injecté, les privant par là de l'élaboration d ' u n e immunité active et
les laissant réceptifs lorsque leurs anticorps acquis auront totalement disparu ;
c'est ce que l'on a appelé « le hiatus immunitaire » de l'âge.
5 0
Cette donnée est capitale pour la planification des opérations vaccinales
sur le terrain. Il n ' y a certes aucun danger pour l'individu âgé de moins de
8 mois à recevoir une dose de vaccin, mais cela est sans bénéfice pour son avenir immunitaire au regard de la peste. Prenant en compte le déclin moyen des
anticorps d'origine colostrale, le fait que les vêlages ne sont pas groupés dans
le temps même s'il existe des pics annuels, la nécessité qui impose que des tournées de vaccination se fassent à des dates fixes, la logique voudrait que systématiquement l'on refasse une tournée de vaccination réservée aux veaux quelques mois après la grande tournée de vaccination des adultes ; ce faisant, o n
diminuera (voire annihilera) la population restée réceptive au contage. Il n ' y a
pas d'autre moyen d'arriver à l'éradication, étape supérieure à celle du simple
contrôle**.
Un autre fait immunologique, intéressant essentiellement l'épizootiologie
pestique, consiste en l'absence d'activité virulicide du mucus nasal de n o m b r e
de veaux bénéficiant de l'immunité colostrale, tout comme si chez certains, les
IgGi transmises n'avaient pu franchir la barrière muqueuse (à moins que le
titre de départ ne soit très bas). La conséquence est que de tels veaux, bien que
* Il serait plus juste de dire : activités sérologiques car on n'a qu'une médiocre connaissance de
leur nature liée à un comportement particulier in vitro.
** On ne peut envisager ici la voie de vaccination pernasale, efficace expérimentalement chez les
veaux possédant une immunité colostrale évanescente mais qui n'a pas reçu la sanction de la
pratique.
— 609 —
protégés cliniquement, peuvent faire de manière occulte lors d ' u n e contamination fortuite, une infection virale des voies nasales supérieures et être pendant
un bref m o m e n t (24-36 heures) une source de contage ; ils jouent ainsi le rôle
de relais infectieux.
D. EPIZOOTIOLOGIE DYNAMIQUE
En région vierge d'infection bovipestique, le contage se développe rapide-
Fig. 4. — Décroissance moyenne des anticorps antibovipestiques d'origine colostrale
chez le veau
— 610 —
ment dans les populations d'artiodactyles réceptifs, domestiques ou sauvages ; les souvenirs de la grande panzootie africaine de la fin du siècle dernier
sont présents à toutes les mémoires, de même que la contamination de la Belgique en 1920, de Ceylan et de la Malaisie pendant la Seconde Guerre m o n diale, de l'île de Zanzibar en 1956, des Philippines en 1960, de la Péninsule
arabique tout récemment.
Très contagieuse (bien moins, cependant, que la fièvre aphteuse), la vague
pestique passe, laissant derrière elle cadavres et convalescents i m m u n s . Le
tableau épizootiologique se modifie cependant, selon que l'on considère les
animaux sauvages ou domestiques.
Lorsque la peste bovine frappe une population réceptive de buffles (ou de
koudous ou de gnous...), la majorité des sujets sont atteints, beaucoup succombent, quelques-uns guérissent. Ces derniers développent une immunité
solide et durable, tant sérique que locale au niveau des muqueuses qui furent
la porte d'entrée du virus (muqueuse nasale, mais surtout pharyngo-laryngée).
Les jeunes qui naissent après l'épisode bénéficient de l'immunité colostrale de
leur mère. Le résultat est la constitution d ' u n e population résistante par des
mécanismes divers avec, comme conséquence épidémiologique, l'impossibilité
de la transmission du contage : la peste passe et ne réapparaît plus (tout au
moins avant que ne se soit reconstituée une masse critique de population
réceptive). Ce schéma explique que les ruminants sauvages ne jouent pas le
rôle de réservoir dont on les a pendant longtemps blâmés.
P o u r q u o i ne s'appliquerait-il pas aux bovins domestiques ? O n peut penser
qu'il s'est appliqué. Dans l'histoire de la panzootie africaine ayant débuté
dans les années 1889-1895, on a l'indication que, dans les premières années de
ce siècle, la peste était disparue d'Afrique occidentale ; la recontamination se
fit à partir du Soudan en 1913. Cet aspect épidémiologique, avec certaines
variantes liées à la commercialisation du bétail et aux mouvements de transhumance, paraît avoir duré jusque dans les années 1925-1930, époque où la vaccination, encore balbutiante qu'elle fût alors, a été mise en place. Lorsque l'on
vaccine, par quelque vaccin antibovipestique que ce soit, on confère une
immunité générale mais qui laisse réceptives les portes d'entrée du virus
(muqueuses des voies respiratoires supérieures). Dès lors, on a une population
bovine qui, de relais muqueux en relais muqueux, permet au virus de se propager de manière occulte, ne conférant d'expression clinique à l'infection que
lorsqu'il touche des sujets réceptifs, les veaux ayant perdu leur immunité
colostrale en l'occurrence (Figure 5). Si l'on ajoute à ce fait la plasticité
d'expression pathogène signalée plus haut, on retrouve l'aspect épidémiologique de la maladie qui fut celle des années 1950 : foyers épars dans le temps et
l'espace, apparemment sans grand rapport direct les uns avec les autres, où les
jeunes payaient essentiellement tribut. En simplifiant à l'extrême, on pourrait
dire que les vétérinaires d'alors ont joué aux apprentis sorciers en favorisant
par la vaccination le maintien de la circulation naturelle à bas bruit du virus
pestique !
— 611 —
Fig. 5. — Schéma épizootiologique de la peste bovine
Ce ne sont point là vues de l'esprit*. Cette histoire naturelle de la peste
bovine est aussi celle de la rougeole. Elle conduit à poser la question de fond :
peut-on se débarrasser de la peste ? Peut-on réaliser, mieux que son contrôle,
son eradication ? Si oui, comment ?
• Résistance à l'inactivation thermique du virus considérablement
renforcée par les ions S0 ~ (stabilisation cationique), permettant de préconiser l'utilisation de la solution molaire de sulfate de magnésium
pour
reconstituer et diluer le vaccin sur le terrain.
4
• Plasticité virale exprimée par :
— la variabilité du pouvoir pathogène (apparition de « souches
virulentes ») ;
— la possibilité d'adaptation
du virus à une espèce donnée.
hypo-
* Les faits relatés sont expérimentalement démontrés. Par contre, et par suite des circonstances,
on n'a pu encore établir la fréquence de cette transmission occulte dans une population bovine
partiellement vaccinée. Ce qui paraît certain, c'est que lorsque le taux de protection atteint les
100 p. 100, la circulation virale s'éteint d'elle-même ; en est le témoin l'éradication réussie du
contage au Tchad, au Cameroun, au Sénégal, en Tanzanie, au Kenya.
— 612 —
• Immunité post-infectieuse
(et post-vaccinale) solide et durable :
— transmise au jeune par le colostrum ;
— expliquant le « hiatus immunitaire » de l'âge (non réceptivité vaccinale avant l'âge de 7-8 mois).
• Conservation d'une réceptivité nasale à l'infection chez nombre
sujets immuns (immunité passive, immunité
vaccinale).
de
III. PROPOSITIONS DE LUTTE
CONTRE LA PESTE BOVINE EN AFRIQUE
A . A P P R O C H E S T R A T É G I Q U E (Carte 5)
Si l'on se réfère à la situation épizootiologique telle qu'elle existe actuellement, et prenant en compte les résultats de la dernière campagne d'urgence
réalisée sous l'égide de l'OUA-OIE-CEBV (1980-1981), on peut affirmer que
les deux creusets infectieux résiduels sont :
— le delta central du fleuve Niger, au Mali (en englobant, par prudence,
une partie de l'est mauritanien et du nord-nord-ouest voltaïque) ;
— l'ensemble de l'Ethiopie et du nord de la Somalie (mais, là encore par
prudence, en englobant toute la Somalie et l'est du Soudan, voire le n o r d du
Kenya).
En effet, en dépit des cris alarmistes, l'épidémiologiste est en droit de penser que dans nombre d'Etats (hormis ceux qui viennent d'être cités) ou zones
d'Etats, la peste bovine n'existe plus. Le Tchad a valeur d'exemple : depuis
plusieurs années, aucune couverture vaccinale antibovipestique n'est plus
entreprise dans ce pays par suite des conditions socio-politiques ; on peut estimer que plus de 60 p . 100 du cheptel bovin est actuellement réceptif à la peste,
maladie qui n'existe pas et que l'on ne pourrait ignorer si elle existait. Cette
heureuse situation tient au fait que les pays voisins (République Centrafricaine, Soudan, Niger, Cameroun, Nigeria) sont eux aussi libres de l'infection,
mis à part les récentes incursions soudanaises (dans l'est) et nigérianes (dans
l'ouest) à partir des creusets infectieux précités.
C'est donc en toute logique que l'Afrique intertropicale ne peut être considérée comme contaminée en totalité mais uniquement en deux zones défavorisées, les creusets infectieux de la rémanence bovipestique.
A u regard de l'éradication continentale de la peste bovine, c'est là que doivent être concentrés des moyens puissants, diversifiés et souples ; ailleurs, on
— 613 —
— 614 —
pourrait se contenter d ' u n système de maintenance sanitaire et de surveillance.
Cette position de principe doit être tempérée si, à une campagne antipestique, devait être adjointe une lutte contre la péripneumonie bovine. Dans ces
conditions, ce ne sont plus les deux seuls creusets infectieux qui seraient à
prendre en compte, mais l'ensemble des Etats situés entre le Tropique du Cancer et l'Equateur (à l'exception de la République Centrafricaine et de la Guinée équatoriale, du N o r d du Congo, du G a b o n et du Zaïre, pays au demeurant libres de contamination pestique et non directement menacés).
Sans préjuger des positions des Services vétérinaires nationaux, il ressort
que si les moyens financiers font défaut pour une campagne interafricaine
mixte contre la peste bovine et la péripneumonie — et en attendant qu'ils puissent être dégagés — c'est au profit d'une action intensive, prompte et coordonnée concernant les deux zones précitées que l'on devrait se tourner.
Cette proposition ne sous-entend nullement que l'effort sanitaire consenti
jusqu'alors par les autres pays (vaccination, contrôle des mouvements pastoraux et commerciaux) doit être négligé. A u contraire, il doit être continué et
même amplifié autour de deux zones définies, afin de constituer des zonest a m p o n où le contage, s'il venait à échapper des creusets infectieux, n'aurait
aucune chance de propagation.
B. A P P R O C H E T A C T I Q U E
Les actions suivantes pourraient être programmées en phases successives :
l
r e
phase (phase préparatoire)
• nomination d ' u n coordonnateur international et de responsables de
zones, tous fonctionnaires internationaux ;
• définition précise des zones d'action intensive après enquête sur le terrain. En première approche, on peut penser qu'elles comprendraient :
— une zone ouest-africaine
(ou zone 1), centrée sur Mopti dans u n
rayon d'environ six cents kilomètres autour de cette ville et englobant pratiquement tout le Mali et la Haute-Volta ainsi que le sud de la Mauritanie
(Carte 6) ;
— une zone est-africaine (ou zone 2), intégrant : les territoires éthiopiens et somaliens ainsi que Djibouti ; l'Est soudanais entre les cours du
Nil et du Nil blanc et la frontière éthiopienne ; le Kenya, en gros j u s q u ' à
l'Equateur ; le nord-est de l'Ouganda (Karamoja) (Carte 7) ;
• définition des zones-tampon
— périphériques à la zone 1 en Afrique occidentale : Sénégal, Gambie,
Guinée et Guinée Bissau, Côte d'Ivoire, Ghana, Togo et Bénin au nord du
9 parallèle ; ouest du Niger ;
— accolées à l'ouest de la zone 2 en Afrique orientale : Soudan à
e
— 615 —
— 616 —
MAP - CARTE 7
ZONE D'ACTION INTENSIVE N° 2
(Afrique orientale)
Echelle 1 / 20000000
— 617 —
l'ouest du cours des Nil - Nil blanc ; Ouest ougandais entre le Nil (Nil
Albert et Nil Victoria) et le lac Victoria.
• mise en place de moyens exceptionnels. En fonction de la couverture
vaccinale recherchée (approchant 100 p . 100) et des difficultés du terrain, surtout en Ethiopie mais aussi dans le delta central du Niger, il est préconisé
q u ' e n plus des moyens routiers classiques, soit programmée une flotille d'hélicoptères.
Il est envisageable, p a r analogie avec la campagne de lutte contre l'onchocercose, que les moyens spécifiques aux zones d'action intensive soient placés
sous sauvegarde internationale. On constituerait ainsi une brigade d'action
sanitaire rapide qui, par la suite, pourrait intervenir dans toute situation
d'urgence (confirmation de diagnostic d'exception, épizootie naissante) ;
• parallèlement, épaulement des efforts nationaux dans les Etats constituant les zones-tampon (matériel, équipements...) ;
• rajeunissement e t / o u renforcement des équipements des laboratoires
producteurs de vaccins pour les zones d'action intensive et p o u r les zonestampon ;
• préparation d ' u n stock de vaccin et des moyens centraux et décentralisés
du diagnostic expérimental (sérum précipitant, antigènes, plaques pour
tests...) ;
• cours de réimprégnation technico-scientifique destinés aux responsables
nationaux et aux agents responsables sur le terrain.
O n peut escompter que l'ensemble de cette phase préparatoire s'étalera sur
une année.
e
2 phase (phase d'attaque)
• sensibilisation des populations d'éleveurs concernés par l'ensemble des
moyens audio-visuels disponibles (presse, radio, télévision) et des moyens
administratifs. L'adhésion totale des propriétaires est à rechercher ;
• mise en route multifocale
zones-tampon.
et intensive
dans les deux zones et dans les
Capitale, cette action ne paraît pas pouvoir être discutée ici car elle tient
compte d ' u n ensemble de considérations locales ;
• abattage de tous les cas suspects (avec indemnisation largement calculée)
et confirmation expérimentale du diagnostic clinique ;
• vaccination des veaux nés dans l'année et revaccination des veaux d ' u n
an.
Cette phase est programmée pour deux ans. Si la totalité de la populationcible a été atteinte, on ne devrait plus rencontrer de peste épizootique ou
enzootique à la fin de cette période.
— 618 —
e
3 phase (phase de consolidation)
• renforcement des postes vétérinaires sur le terrain et des postes de contrôle ;
• vaccination biannuelle des veaux ;
• abattage des cas suspects, intervention en anneau ;
• contrôle des mouvements pastoraux et commerciaux.
Cette phase est programmée pour deux ans ; elle vise essentiellement la surveillance épizootiologique et l'affinement de la couverture vaccinale concernant les veaux. A la fin, on ne devra plus avoir aucun cas suspect de peste
bovine.
e
4 phase (phase de maintien de l'éradication ou mesures conservatoires)
• continuation de la surveillance épizootiologique ;
• vaccination biannuelle des veaux.
Elle devra s'étaler sur plusieurs années, sans requérir de moyens nationaux
particuliers ; par contre, la brigade d'action sanitaire rapide devrait être maintenue en place.
IV. CONCLUSION
L'éradication de la peste bovine du Continent africain paraît désormais
possible. L a situation épizootiologique présente est favorable à l'action ; les
moyens scientifiques et techniques existent. Stratégie et tactique vaccinales
sont au point. Quelques assurances se manifestent du côté des
financements.
Laissera-t-on passer l'occasion ?
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