Rev. sci. tech. Off. int. Epiz., 1982, 1 (3), 589-618 Bases scientifiques et techniques de l'éradication de la peste bovine en Afrique intertropicale* A. PROVOST** Résumé : Les rappels historiques de l'évolution de la panzootie bovipestique, étayés par la connaissance moderne de la virologie et de l'immunologie de la peste bovine, conduisent à l'ébauche d'un schéma épizootiologique logique. Il en découle la notion de la possibilité d'éradication de la maladie si la couverture vaccinale du bétail réceptif s'approche au maximum du taux idéal de 100 p. 100. Il est proposé un plan d'action continentale pour l'Afrique, prenant en compte l'existence de deux « creusets infectieux », l'un en Afrique occidentale, l'autre en Afrique orientale. La peste bovine est une maladie infectieuse, très contagieuse, inoculable, touchant les espèces animales de l'Ordre des Artiodactyles ; elle est cliniquement caractérisée par une fièvre élevée, une stomatite nécrosante et une gastro-entérite souvent hémorragique et elle se termine la plupart du temps par la mort. Une immunité solide et durable suit la première atteinte de la maladie. Cette définition classique de la peste bovine, très vraie autrefois, ne s'applique plus maintenant que lors d'apparition en pays ou en zone jusque-là vierge : plateau de l ' A d a m a o u a , au C a m e r o u n , et province d ' U b a n g u i , au Zaïre, en 1960. Dans les contrées naguère ou encore contaminées mais où une couverture prophylactique est peu ou prou entretenue, l'expression clinique est moins dramatique, la morbidité plus erratique, la mortalité moins constante, voire nulle. P a r contre, dans les pays qui, pour des raisons diverses, ne vaccinent plus leur cheptel bovin mais vivent dans une mouvance de contagion bovipestique (cas du Tchad, de la Guinée, de la Sierra Leone et de la Péninsule arabique) on pourrait fort bien voir apparaître le visage de la peste d ' a n t a n . * Texte d'une conférence donnée le 2 novembre 1981 à Nairobi lors d'une réunion OUA/FAO/ OIE sur l'éradication de la peste bovine en Afrique. * Directeur Général de l'Institut d'Elevage et de Médecine vétérinaire des Pays tropicaux. 10, rue Pierre-Curie, 94704 Maisons-Alfort Cedex (France). — 590 — Les raisons de cette transformation, celle d'une « peste historique » en une « peste actuelle », sont complexes mais importantes à connaître pour leurs applications pratiques dans u n plan raisonné d'éradication du contage bovipestique. Elles seront expliquées plus loin. L E C O N T E X T E É P I Z O O T I O L O G I Q U E M O N D I A L EN, 1980-1981 Partie du sous-continent indien, la peste bovine a ravagé l'Afrique intertropicale à la fin du siècle dernier (Carte 1). E n 1960, elle était toujours solidement implantée, tant en Afrique tropicale q u ' e n Inde et au Pakistan (Carte 2), ainsi que dans la Péninsule indochinoise. En Afrique, à la suite des opérations du P C 15* de 1962 à 1976 (Carte 3), la peste n'existait plus, l'an dernier, que dans une zone centrée sur le delta intérieur du Niger et vraisemblablement en Ethiopie, et le nord de la Somalie, bien que l'on m a n q u e de précisions pour ces deux dernières localisations (Carte 4). On sait que de ces foyers d'enzootie, elle s'est échappée vers la côte ouestafricaine (Haute-Volta, Nigeria en septembre 1980) et que le Soudan est périodiquement recontaminé. Djibouti a été touché ; la maladie a produit des pertes sensibles. Tout récemment (octobre 1981), plusieurs foyers ont été signalés dans l'extrémité méridionale de la Somalie, menaçant directement le Kenya mais indiquant aussi la confusion épizootiologique qui prévaut dans la corne de l'Afrique**. Il est important de souligner que la situation épidémiologique est sans changements notables en Inde depuis plusieurs années, bien q u ' u n e campagne nationale y soit menée depuis 1955 ; c'est en ces circonstances qu'il paraît juste de parler de contrôle et n o n d'éradication. On m a n q u e de renseignements pour le Pakistan et l'Afghanistan. La pérennité de la peste bovine dans le sous-continent indien menaceraitelle l'Afrique si celle-ci venait à se débarrasser du fléau ? Dans ce contexte, il faut rappeler — ce qui n'est pas apparent sur les cartes — qu'échappée d'Afghanistan en 1969, la maladie a envahi l'Iran puis Bahrein, atteignant la Syrie, le Liban, la Turquie et la Jordanie dans le second semestre de 1970 et le Yemen en août 1971 ; seul l'Irak ne fut pas touché. On remarquera q u ' e n ces circonstances, la contamination a suivi la voie terrestre. En tout état de cause et en toute b o n n e logique — pour autant que l'éradication intervienne en Afrique — on pourrait trouver prudent de continuer d'entretenir une large couverture immunitaire sur la côte orientale africaine après la phase d'éradication. O n notera p o u r t a n t que le danger n'est pas parti* Projet conjoint 15 de l'OUA/CSTR pour la lutte contre la peste bovine. ** Bien mieux, on peut accuser l'Afrique d'être la source du contage dans les épisodes pestiques survenus en 1979 à Koweit. — 591 — culièrement menaçant puisque (excepté les zébus indiens en 1887 et 1889 !), on ne connaît que, de Madagascar ou des îles Mascareignes Pakistan ; les courants commerciaux ne vont * D'après MACK R. Trop. An. Hlth. Prod. (1970) 2, 210-219. malheureuses importations de pas de contamination de l'Afrien provenance de l'Inde ou du pas en ce sens. — 592 — — 593 — — 594 — — 595 — I. LA CONTROVERSE : CONTRÔLE OU ÉRADICATION Le vétérinaire épidémiologiste doit se remettre dans le contexte de la médecine humaine qui, avec des succès divers, a entrepris au plan mondial un certain n o m b r e d'actions d'envergure touchant la lutte contre la variole et le pian (paludisme, fièvre j a u n e et schistosomose, maladies transmises par vecteurs étant intentionnellement exclues de la discussion). A. QUELQUES DÉFINITIONS L'éradication d ' u n e maladie contagieuse est, selon Cockburn, l'extinction de l'agent pathogène qui p r o v o q u e la maladie en question ; aussi longtemps q u ' u n seul représentant de l'espèce morbigène existe, on ne peut pas parler d'éradication. La valeur absolue de cette position ne peut être mise en doute. Est-elle applicable en pratique ? Andrews et Langmuir sont plus nuancés : le contrôle d'une maladie contagieuse consiste à arriver à un bas niveau d'incidence clinique ; l'éradication suit la m ê m e ligne mais j u s q u ' a u point où, dans une région donnée, il y a absence de transmission. Si cette définition est appliquée à la peste bovine, on conclura qu'elle est fausse : la disparition de la peste de Tanzanie ou du Tchad n ' a pas conduit à son éradication continentale, imposant une vigilance continue et coûteuse aux vétérinaires. Plus souple encore la position soviétique : le but de l'éradication d ' u n e maladie infectieuse est la réduction de l'incidence à un niveau tel qu'il ne constitue plus un problème de santé publique. On ne peut adhérer à ce concept qui, remis dans le contexte de l'histoire de la peste bovine au cours des dix dernières années en Afrique occidentale, a vu son aboutissement dans la situation d'urgence de septembre 1980 (contamination du Niger, de la Haute-Volta et du Nigeria, puis du Bénin). P r a g m a t i q u e est, p a r contre, la définition de Payne qui distingue les trois stades successifs de : contrôle (celui défini par Andrews et Langmuir), élimination (degré supérieur au contrôle, sans encore viser l'éradication selon Cockburn) et enfin l'éradication. Payne conserve des doutes sur la praticabilité générale de l'éradication mais admet qu'elle est possible dans des cas particuliers. La réalisation de l'éradication de la variole humaine à l'échelle m o n diale justifie pleinement ses vues, car elle a été opérée chronologiquement en suivant ces trois phases. Si l'on applique cette conception à la peste bovine sur le Continent africain, on peut affirmer sans ambages que l'on est tout prêt du stade de l'élimination. B. LES C O N D I T I O N S D E L ' É R A D I C A T I O N P r e n a n t exemple sur ce qui a été réalisé lors des opérations du P C 15 (ou aurait dû être réalisé) et, surtout, dans la campagne mondiale d'éradication de — 596 — la variole, on peut dresser u n plan tactique de l'éradication, en quatre phases successives : — phase préparatoire — phase d'attaque — phase de consolidation — phase de maintien de l'éradication U n aperçu du déroulement prévisionnel de ces phases sera examiné dans la troisième partie de cet exposé. Toutefois, toujours à l'image de ce qui a été fait pour la médecine humaine, on peut énoncer dès maintenant les conditions nécessaires pour l'éradication d'une maladie animale ; ce sont : 1. L'existence d'un moyen (ou d'une mesure de contrôle) à la fois cation simple et relativement bon marché, et totalement efficace pour la transmissibilité de la maladie en cause. d'applistopper C'est bien le cas pour la peste bovine : vaccin efficace et peu onéreux, mesures sanitaires parfaitement connues. 2. La maladie que l'on veut éradiquer doit posséder des caractéristiques épidémiologiques telles que la détection des cas résiduels soit aisée dans les phases ultimes du programme. Cette condition peut être rendue difficile pour la peste bovine dans le cas d'apparition de souches à pouvoir pathogène amoindri, mais la règle voulant que tout cas cliniquement suspect reçoive la confirmation du laboratoire, le diagnostic définitif (différentiel d'avec la maladie des muqueuses, en particulier) sera aisément posé. Cette condition sous-entend la pleine efficacité du système de surveillance sanitaire des Services vétérinaires nationaux, tout particulièrement lors des derniers stades de la phase de consolidation au cours desquels peuvent survenir des cas épars ou erratiques. 3. La maladie doit avoir une importance plans nationaux et/ou internationaux. socio-économique reconnue, aux Il est à peine besoin de justifier cette condition en ce qui concerne la peste bovine. Sa rémanence : • obère les budgets nationaux en obligeant les autorités à la maintenance d'une force de frappe antipestique (campagnes annuelles de vaccination) ; • est une menace constante pour les régions vierges d'infection, avec le retentissement que l'on connaît sur les échanges d'animaux et de produits animaux. 4. Il doit y avoir une raison spécifique l'éradication plutôt que du contrôle. et majeure militant en faveur de Les événements récemment survenus en Afrique occidentale (contamina- — 597 — tion de la Haute-Volta, du Niger, du Nigeria et du Bénin à partir du foyer mauritano-malien) et orientale (foyer de Muguga, au Kenya, provenant d'anim a u x achetés à la frontière somalo-éthiopienne) militent en faveur de la nécessité de l'éradication sur le Continent africain. 5. Les ressources financières, administratives, les doivent exister et rester pérennes. humaines et professionnel- C'est une question-clé qui fait actuellemment l'objet de négociations. 6. Il ne doit pas y avoir d'obstacles socio-écologiques. Cette condition, si elle est vraie en médecine humaine, ne paraît pas devoir soulever d'obstacle insurmontable en ce qui concerne la lutte contre la peste bovine en Afrique : les équipes de vaccination suivent les mouvements pastoraux, l'abattage (contre indemnisation) peut être pratiqué. Devront p o u r t a n t être soigneusement évalués les cas de l'Est tchadien, du H a r a r , de l'Ogaden et de l'Erythrée où subsiste une certaine tension politique assortie d'opérations militaires. Cette dernière considération peut être critique. En conscience, on doit se demander s'il ne serait pas préférable de différer l'ensemble des opérations d'éradication en attendant que le calme soit revenu ou, alors, trouver des solutions originales. L'enjeu est de trop d'importance, les moyens à mobiliser si considérables, qu'il vaut mieux s'entourer à l'origine de toutes les garanties. C. L A Q U E S T I O N D U P O U R C E N T A G E D E V A C C I N A T I O N Il est souvent fait référence à la loi dite de Charles Nicolle qui s'énonce ainsi : « Une épizootie (ou une épidémie) ne peut plus se propager dans une population dès lors que 70 à 80 p. 100 des sujets sont immunisés ». Elle ne dit pas que l'on ne p o u r r a pas constater de cas individuels ! Malheureusement, on a t r o p souvent fait des extrapolations hasardeuses de cette loi de Ch. Nicolle ; ainsi, on peut lire dans tel r a p p o r t : « ... au-delà d'une couverture animale de 80 p. 100 une maladie disparaît dans le temps... ». Rien n'est plus faux en ce qui concerne la peste bovine ; on en donnera plus loin l'explication scientifique, mais on peut constater que, à la fin des opérations du P C 15 en Afrique de l'Ouest et du Centre, on rencontrerait encore des cas de peste sans pour autant parler de foyers. C'est p o u r q u o i , au risque de bousculer les idées reçues, on ose affirmer ici que pour arriver à l'éradication, il faut s'approcher au maximum du taux de 100 p. 100, même si en pratique on juge cet objectif difficile à atteindre. P o u r reprendre le parallèle avec la médecine humaine, on constatera que l'éradication de la rougeole, tentée de 1966 à 1977 aux Etats-Unis, s'est soldée par un échec en dépit d'une très importante réduction des cas annuels (300-600 000 avant 1966 ; 25-35 000 de 1972 à 1975). On est bien arrivé au contrôle, pas à l'éradication car la couverture vaccinale de la population cible (les enfants) n ' a jamais dépassé 60 à 70 p . 100. Les récentes études épidémiologiques améri- — 598 — caines et britanniques arrivent à la conclusion qu'il faut aller au-delà du taux de 90 p . 100 d'immunité pour supprimer les cycles épidémiques et prévenir l'apparition de nouvelles vagues dues à des importations du contage. Leur conclusion, applicable à la peste bovine étant donné les similitudes virales et épidémiologiques, est qu'il faut se rapprocher du taux fatidique de 100 p . 100. Se pose alors la question cruciale de savoir si, pour le cas qui nous occupe, cet objectif est réaliste. Lors de la campagne d'urgence 1980-1981, les chiffres suivants ont été atteints ; il est intéressant de les comparer à ceux du P C 15 : Tableau I. — TAUX DE COUVERTURE VACCINALE EN AFRIQUE DE L'OUEST Etats Mauritanie Sénégal Mali Niger Haute-Volta Bénin Togo Côte d'Ivoire Campagne d'urgence (1980-1981) PC 15 (1964-1969) environ 50 % 58,6 44,1 79 87,9 86,5 76,3 environ 75 % 79,72 85,4 84,8 92,37 88,5 81,4 33,3 86,4 Si, pris dans l'absolu, le désir exprimé d'arriver à u n taux proche de 100 p . 100 est souhaitable, force est de constater que l'on est, en pratique, loin du compte. Pourra-t-on mieux faire dans l'avenir ? Cela n'est pas certain, surtout dans des contrées d'accès difficile tels les confins mauritano-maliens ou les montagnes éthiopiennes. Dans ces conditions, il est donc nécessaire d'envisager une stratégie et une tactique vaccinales qui puissent s'adapter aux circonstances, étant entendu que le but visé, si formidable qu'il soit, est l'éradication de la peste et non son simple contrôle ; il y a gros à parier que les aides internationales et bilatérales se déroberaient si l'on ne visait pas d'emblée le but ultime. II. CONDITIONS TECHNIQUES POUR L'ÉRADICATION : Quelques rappels à finalité appliquée A. VIROLOGIE Dans la grande famille virale des Paramyxoviridae, le virus bovipestique appartient au genre Morbillivirus où il est rangé à côté de ses virus-frères (ou cousins...) de la rougeole humano-simienne, de la maladie de Carré des canidés, de la peste des petits ruminants et d'autres virus d'importance moindre (méningo-encéphalite sporadique, gastro-entérocolite simienne). Les virions sont assez pléomorphiques : taille variable de 120 à 300 nm et — 599 — de forme grossièrement sphérique ou ovoïde ; ils peuvent parfois se présenter sous forme filamenteuse de 750 à 1 000 n m . Dans le contexte de cet exposé, la connaissance de l'architecture virale n ' a d'intérêt q u ' e n ce qu'elle explique la relative fragilité du virus. La résistance à l'inactivation thermique dépend essentiellement du substrat dans lequel le virus est suspendu. Les chiffres apparaissant dans les Tableaux II a et b et la Figure 1 lui assignent une modeste résistance, cependant moins négligeable q u ' o n a bien voulu le dire. Dans u n but appliqué, on retiendra que la solution molaire de sulfate de magnésium ( S 0 M g , 1 M , c'est-à-dire 250 g de sel dans u n volume total de 1 1 de soluté réalisé avec de l'eau distillée) lui confère une remarquable thermo4 Tableau II a. — PÉRIODES DE DEMI-VIE DU VIRUS BOVIPESTIQUE A DIFFÉRENTES TEMPÉRATURES Température de conservation Milieu de conservation Rate ou nodule lymphatique Sang Milieu de culture (à 5 p. 100 de sérum) . . . Milieu de culture (à 10 p. 100 de sérum) . . Milieu de culture (stabilisant de lyophilisation) .. 60 °C 56 °C 37 °C 25 °C 4 - 7 °C — — 5 mn 5 mn 105 mn 21 h 6,4 h 36 h 2,3 jours 2,3 jours — 3,5 mn 165 mn — 9,2 jours 3,5 mn — — — — — — 16 h 11,5 jours Tableau II b. — PÉRIODES DE DEMI-VIE DU VIRUS BOVIPESTIQUE DE CULTURES CELLULAIRES APRÈS LYOPHILISATION Température de conservation Milieu de lyophilisation - 20 à - 25 °C Lactose-sérum lactalbumine 5 % hydrolysat de lactalbumine 2,5 % hydrolysat de lactalbumine Non précisé ( - ) = pas d'observation. + 4 °C 20 à 25 °C env. 6 mois env. 8 sem. env. 1 sem. 4,5 mois 4 mois 8,5 mois — — 8,9 sem. 3,6 sem. — 10 sem. 37 °C — 4,3 jours 2,6 jours 1 sem. (d'après G.R. Scott et W. Plowright) — — 600 — résistance (Figure 2). Ce phénomène, connu sous le n o m de stabilisation cationique est lié aux ions S 0 ~ ; on le retrouve avec le sulfate disodique. Il en découle une application pratique essentielle pour les campagnes prophylactiques : la substitution de la solution molaire de sulfate de magnésium à l'eau distillée ou au sérum physiologique, opération aisément réalisable extemporanément sur le terrain en dissolvant 250 g du sel (sachet pré-pesé) dans de la simple eau filtrée, apporte lors de la reconstitution du vaccin lyophilisé, aisance et sécurité dans la pratique des opérations vaccinales. En effet, il n'est plus besoin d'avoir à tout prix un liquide de dilution réfrigéré pour reconstituer le vaccin ; la solution molaire de sulfate de magnésium peut être utilisée à température ambiante et, bien plus, elle protège le vaccin dilué de l'inactivation thermique pendant le temps nécessaire aux inoculations. M ê m e si cette « astuce » n'est pas révélée aux vaccinateurs (peut-être même ne doit-elle pas 4 Fig. 1. — Inactivation du virus bovipestique en phase liquide — 601 — Fig. 3. — Inactivation du virus-vaccin bovipestique lyophilisé (cultures cellulaires) à différentes températures Les éléments de cette figure composite sont tirés des résultats publiés par différents laboratoires — 602 — l'être...), elle mérite d'être systématiquement utilisée, comme elle l'est depuis plus de dix ans dans certains Etats, pour la sécurité accrue qu'elle apporte quant au maintien du pouvoir immunigène du vaccin bovipestique, qui ne protège que si les virions sont toujours vivants lors de l'injection. A l'état lyophile (ou cryo-desséché), le virus bovipestique est considérablement plus résistant q u ' e n phase liquide, quelle qu'elle soit ; la comparaison des chiffres du Tableau II et des Figures 1 et 3 est éloquente, où l'on voit q u ' à 37 °C la demi-vie du virus est de plus de quatre jours sous forme lyophilisée contre 3 h 50 en sérum physiologique. C'est la raison pour laquelle les vaccins sont présentés aux utilisateurs sous forme lyophilisée. La résistance à l'inactivation thermique est toutefois relative et ne saurait se comparer à celles des immunogènes inactivés (type : vaccin contre le charbon symptomatique). Dès lors, il est impérieux de maintenir sous conditions de froid les plus abordables le vaccin avant son utilisation : en congélateur dans les centres primaires et, si possible, secondaires de stockage ; en réfrigérateur (électrique ou à pétrole) dans les centres tertiaires ; sous glace fondante en récipients isothermes ou en réfrigérateurs montés sur véhicules pour les tournées de vaccination. Cet impératif ne peut être transgressé que pour les 3-4 derniers jours où les équipes de terrain n ' o n t plus de glace à leur disposition, sans pour autant qu'il doive être prôné pour des raisons de psychologie pratique évidentes. En ces circonstances, il suffit de conserver les flacons de vaccin dans des linges humidifiés, maintenus à l'abri de l'insolation directe et soumis à une forte ventilation pour assurer l'évaporation de l'eau que l'on renouvellera en temps utile. C'est en ces conditions extrêmes, celles que l'on peut retrouver en fin de tournées de vaccination dans les pays sahéliens, que l'utilisation de la solution molaire de sulfate de magnésium a toute sa valeur. Un autre impératif découlant de la thermo-résistance modérée du virus bovipestique est le devoir que doit avoir tout laboratoire producteur de vaccin de ne délivrer que des produits ayant, au départ de l'établissement, le plus haut titre possible en virus : les droites logarithmiques de la Figure 3 indiquent à l'évidence que plus élevé est le titre de départ, plus on a de chance d'avoir la quantité adéquate de virus lors de l'utilisation. En conséquence, même si les normes internationales n'exigent que 1 0 ' (environ 500) particules virales viables par dose vaccinale, en conscience on ne devrait pas produire de vaccins qui n'en aient pas au moins 100 fois plus, afin de tenir compte des événements imprévus (et cumulatifs quant à l'inactivation thermique) pouvant survenir dans la chaîne du froid, du laboratoire à l'animal vacciné. En finale, c'est au bovin que doit profiter le vaccin, n o n au laboratoire, étant entendu qu'il n ' y a aucun danger pour l'animal récipiendaire (même u n veau) à recevoir dix ou cent doses vaccinales au lieu d ' u n e . En suivant cette pratique, on se mettra à l'abri des « ratées » vaccinales. 2 7 La lumière (composée de rayons infra-rouges calorifiques et de rayons ultra-violets) est délétère pour le virus bovipestique. Les vaccins, surtout après leur dilution, seront d o n c toujours conservés dans des récipients rendus opaques (en pratique, un linge humidifié entourant complètement le flacon ou la seringue). — 603 — B. P O U V O I R P A T H O G È N E La peste bovine atteint naturellement les artiodactyles domestiques et sauvages. 1. Artiodactyles domestiques (Tableau III) Sur le Continent africain, l'affirmation de la réceptivité naturelle du porc et des petits ruminants doit être tempérée à la lumière des observations épidémiologiques. Sans doute, au laboratoire, le porc peut être infecté expérimentalement (voies orale et parentérale) p r o v o q u a n t une maladie plus ou moins équivoque au plan clinique. Les points importants sont, p o u r t a n t , que le virus n'est a p p a r e m m e n t pas excrété dans le milieu extérieur, bien que les organes et les masses musculaires soient virulentes, et surtout q u ' e n aucune occasion, la peste bovine ait été signalée à l'état naturel chez des porcs africains. Il n ' e n est pas de m ê m e en Asie du Sud-Est. Les petits ruminants amènent à plus long débat. A u laboratoire, m o u t o n s et chèvres africains se m o n t r e n t indéniablement sensibles à l'inoculation parentérale et sont parfois contagieux p o u r les bovins placés à leur contact. E n pratique, dans les conditions naturelles, il paraît en être tout autrement. Sans risque de b e a u c o u p se tromper, on peut dire que l'on compte sur les doigts de la m a i n les authentiques foyers de peste bovine en Afrique tropicale ayant impliqué m o u t o n s e t / o u chèvres. L a preuve p a r l'absurde est donnée par les opérations du P C 15 qui, bien que n ' a y a n t pas touché les petits ruminants, ont conduit à u n remarquable contrôle de la maladie qui aurait pu aboutir à l'éradication si certaines obligations avaient été respectées. Les Tableau III. — ESPÈCES DOMESTIQUES NATURELLEMENT TOUCHÉES PAR LA PESTE BOVINE Sous-ordre Sous famille Genre Espèce RUMINANTIA Bovinae Bos bœuf zébu buffle d'eau Poephagus B. taurus B. indicus B. indicus B. sondaicus B. mindorinsis P. grunniens Ovinae Ovis Capra O. aries C. hircus mouton chèvre Suidae Suis S. scrofa porc Bubalus SUIDAE Nom commun yak — 604 — explications scientifiques à cet état de fait sont loin d'être simples ; on peut, tour à tour ou ensemble, invoquer : • La « spécialisation » pathogène (adaptation à telle ou telle espèce) de souches du virus bovipestique pour les petits ruminants, sans pour autant penser à une mutation vers l'entité P P R * dont on sait maintenant que l'agent causal est différent de celui de la peste bovine. Pareilles souches de virus ont été isolées en Afrique orientale. • L'immunité hétérospécifique apportée par une contamination antérieure des petits ruminants, à plus ou moins grande expression clinique, par le virus P P R (souvent occulte en régions sahéliennes, plus expressive en zone humide). Il en résulte une interruption naturelle de la chaîne épizootiologique bovipestique si celle-ci, par le biais d'une souche adaptée aux petites espèces, venait à contaminer moutons e t / o u chèvres. D'intérêt désormais historique pour l'Afrique, cette dernière explication jette un jour nouveau pour l'explication de la pérennité des foyers de peste bovine vraie chez les petits ruminants du sous-continent indien où la P P R semble être inconnue. A la lumière de la connaissance de l'épizootiologie bovipestique au cours des trente dernières années, il ne semble pas osé de dire que, si expérimentalement moutons et chèvres sont réceptifs, en pratique ils ne j o u e n t aucun rôle de relais ou de réservoir dans la transmission du contage en Afrique tropicale. Il en est de même des chameaux qui, au demeurant, ne figurent pas dans le Tableau III parce que n ' a y a n t jamais été impliqués dans l'épizootie. Que l'espèce soit réceptive est attesté par la présence d'anticorps sériques mais, expérimentalement, l'infection conférée est abortive et non contagieuse. Le chameau, lui non plus, n'est ni relais, ni réservoir. 2. Artiodactyles sauvages (Tableau IV) Beaucoup a été dit et écrit à ce sujet. Plutôt que d'en dresser une revue, il paraît plus judicieux d'en extraire une quintessence à finalité épizootiologique, en donnant un ordre de réceptivité : • espèces très réceptives : buffle, presque tous les Tragelaphinés (koudou, guib...), phacochère, girafe. Ce sont elles qui, par leur mortalité, sont les révélateurs d'une atteinte bovipestique de la faune ; • espèces moyennement réceptives : gnou, céphalophe, impala, antilopecheval... atteintes lors d'épizooties très sévères ; • espèces peu réceptives : en général, petites gazelles, cobs et ourébis. P o u r l'épidémiologiste, ce sont elles les plus importantes car, témoins d'une infection pestique infraclinique, elles peuvent véhiculer à distance le contage par relais infectieux d'individu à individu ; ainsi s'explique la contamination du zoo de R o m e en 1949. Certes réceptive, la faune sauvage ne doit pas être accusée d'être u n réservoir de virus ; ce point d'importance capitale sera explicité plus loin. On * PPR : peste des petits ruminants. Famille Sous-famille RUMINANTS peste Cob des roseaux Redunca arundinum Nagor ou Bohor Redunca redunca Cob de Buffon Adenota kob Cob onctueux Kobus defassa + Cob à croissant Kobus ellipsiprymnus Rhebok Pelea capreolus + Ourébi Ourebia ourebi + Klipspringer Reduncinae Oreotraguinae Madoquinae Impala Aepyceros melampus Aepycerotinae Dik-Dik |MadoquaSaltiana Oreotragus oreotragus + Litocranius walleri + Blackbuck Springbok Gazelle Guérénouk Gazella sp. Ammotragus lervia Mouflon à manchettes Caprinae Antilopinae Antilope cervicapra Antidorcas marsupialis Hyemoschus aquaticus + ++ | Nom scientifique Hippopotamus amphibius + Phacochère Phacochoerus aethiopicus Potamochère Potamochoerus porcus Hylochère Hylochoerus meinertzhageni Nom commun Chevrotain Buffle Syncerus caffer TRAGULIDAE BOVIDAE Bovinae SUIHIPPOPOFORMES TAMIDAE Hippopotame SUIDAE Suinae ordre + + + + + + + + + + ++ ++ + ++ ++ ++ bovine Tableau IV. — LISTE DE RÉCEPTIVITÉ ( + + + A ?) DES ESPÈCES SAUVAGES AFRICAINES DE L'ORDRE DES ARTIODACTYLES A LA PESTE BOVINE — 605 — ordre CAMELIDAE GIRAFFIDAE Famille Girafe Traguelaphinae Bubale ou Hartebeest Damalisque Gnou bleu Alcelaphinae Alcelaphus sp. Damaliscus sp. Connochaetes (Gorgon) taurinus Connochaetes gnou Giraffa camelopardalis + ++ Girafe réticulée Giraffa reticulata ++ Dromadaire Camelus dromedarius Guib ou antilope harnachée Tragelaphus scriptus Grand koudou Tragelaphus strepsiceros Elan de Derby Taurotragus derbianus Elan oryx Taurotragus oryx Petit koudou Tragelaphus imberbis Bongo Boocercus euryceros ++ Sitatonga Limnotragus spekei Antilope à 4 cornes Tetracerus quadricornis Gnou noir Hippotrague ou Coba Hyppotragus equinus Oryx Oryx sp. Addax Addax nasomaculatus Hippotraginae Cephalophus sp. Sylvicapra grimmia Raphicerus campestris Steinbok Céphalophe Duikerbuck + peste bovine Cephalophinae Nom scientifique Raphicerinae Sous-famille Nom commun + + + ++ ++ ++ ++ ++ ? ? + + + + + ++ + + + + + ++ — 606 — — 607 — retiendra, comme pour les petits r u m i n a n t s , que n o n concernée par les opérations du P C 15, elle n ' a pas obéré l'extinction de la peste du Kenya et de la Tanzanie, pays qu'elle peuple d ' a b o n d a n c e et où elle se mêle aux ruminants domestiques. Variabilité du pouvoir pathogène Les souches historiques du virus bovipestique, telles celles de la panzootie africaine de 1889-95, entraînaient une morbidité de 100 p . 100 assortie d ' u n e Symptomatologie tragique et d ' u n e mortalité de 95 p . 100 chez les bovins, les buffles, les gnous et les k o u d o u s . P a r la suite, on a isolé en Afrique occidentale et orientale des souches à pouvoir pathogène amoindri (dites « hypovirulentes »), n'entraînant q u ' u n e maladie relativement bénigne, avec ou sans lésions muqueuses et symptômes diarrhéiques ; leur contagiosité est faible, la mortalité engendrée très basse. Elles ont été isolées tant chez des bovins que chez le gibier (buffle, girafe). Il faut se garder de penser à la fixité de leur pouvoir pathogène amoindri car, pour certaines tout au moins, des passages de retour à telle ou telle espèce le restauraient pleinement. Imprévisible, ce comportement fait mesurer tout le danger qu'il y a à vivre avec la peste, m ê m e si elle évolue à bas bruit comme ce fut le cas de 1975 à 1980 en Mauritanie et au Mali. Variabilité de l'adaptation spécifique A partir des années 50, on a pu isoler et étudier des souches de virus bovipestique qui extériorisaient u n pouvoir pathogène important pour une espèce (buffle ou girafle), moindre ou quasi nulle pour les bovins. Cette constatation avait conduit les Masaï à mélanger leurs troupeaux à la faune frappée de peste p o u r les vacciner naturellement. E n d'autres circonstances, le virus paraît être adapté — on l'a dit plus h a u t — aux m o u t o n s et chèvres, sans que l'on soit p o u r autant autorisé à invoquer une mutation d o n n a n t naissance au virus P P R : ce dernier possède des dimensions et une biochimie différentes et est totalement apathogène p o u r les bovins (bien que virulent, entraînant une conversion sérologique et l'immunité) ; en plusieurs circonstances, cette peste bovine des petits ruminants s'est révélée contagieuse pour des zébus vivant à leur contact. C. P O U V O I R S A N T I G È N E E T I M M U N I G È N E Il n'existe q u ' u n seul type antigénique du virus bovipestique, quelle que soit son origine géographique. La conséquence pratique est que les vaccins correctement préparés protègent en tous lieux. U n e immunité solide et durable suit, chez les rescapés, une première atteinte. La trace sérique de l'infection, naturelle ou vaccinale, est décelée par la mise en évidence de nombreux types d'anticorps : précipitant, fixant le complément, inhibant l'hemagglutination morbilleuse et neutralisant le virus. On pense généralement que ces derniers sont les supports de l'immunité, bien — 608 — q u ' o n ne puisse plus les identifier chez certains bovins vaccinés depuis plusieurs années et cependant résistants à la contamination où à une inoculation d'épreuve. Tous ces types d'anticorps* sériques apparaissent d ' a b o r d dans les globulines IgM (dès le 3 -4 jour) puis disparaissent ensuite au profit des IgG. e e Chez les animaux convalescents de la maladie naturelle, on met en évidence une activité virulicide du mucus nasal, vraisemblablement liée à la présence de globulines IgA. Ce fait d'importance est bien moins constant chez les bovins vaccinés avec un virus-vaccin de cultures cellulaires ; il est inexistant avec les vaccins inactivés. O n verra plus loin les considérations que l'on peut en tirer quant à l'épizootiologie et l'histoire naturelle de la peste bovine. Les anticorps sériques (principalement les IgGO des vaches (ou femelles sauvages) immunes, naturellement ou après vaccination, se retrouvent dans le colostrum. Dès la première tétée (et pour autant que le veau boive le colostrum), le jeune bénéficie d'une immunité passive. Sa durée, variable de 3 à 8 mois, est fonction du titre sérique de la mère (Figure 4) ; elle sera plus élevée dans le cas de maladie naturelle, plus evanescente chez les sujets nés de mères vaccinées. E n pratique, on constate q u ' à l'âge de 6 mois, plus de la moitié de ces derniers ont encore u n titre sérique neutralisant de T N > 0,6. Toujours protégés vis-à-vis de l'infection naturelle, ils neutraliseront le virus-vaccin qui leur sera injecté, les privant par là de l'élaboration d ' u n e immunité active et les laissant réceptifs lorsque leurs anticorps acquis auront totalement disparu ; c'est ce que l'on a appelé « le hiatus immunitaire » de l'âge. 5 0 Cette donnée est capitale pour la planification des opérations vaccinales sur le terrain. Il n ' y a certes aucun danger pour l'individu âgé de moins de 8 mois à recevoir une dose de vaccin, mais cela est sans bénéfice pour son avenir immunitaire au regard de la peste. Prenant en compte le déclin moyen des anticorps d'origine colostrale, le fait que les vêlages ne sont pas groupés dans le temps même s'il existe des pics annuels, la nécessité qui impose que des tournées de vaccination se fassent à des dates fixes, la logique voudrait que systématiquement l'on refasse une tournée de vaccination réservée aux veaux quelques mois après la grande tournée de vaccination des adultes ; ce faisant, o n diminuera (voire annihilera) la population restée réceptive au contage. Il n ' y a pas d'autre moyen d'arriver à l'éradication, étape supérieure à celle du simple contrôle**. Un autre fait immunologique, intéressant essentiellement l'épizootiologie pestique, consiste en l'absence d'activité virulicide du mucus nasal de n o m b r e de veaux bénéficiant de l'immunité colostrale, tout comme si chez certains, les IgGi transmises n'avaient pu franchir la barrière muqueuse (à moins que le titre de départ ne soit très bas). La conséquence est que de tels veaux, bien que * Il serait plus juste de dire : activités sérologiques car on n'a qu'une médiocre connaissance de leur nature liée à un comportement particulier in vitro. ** On ne peut envisager ici la voie de vaccination pernasale, efficace expérimentalement chez les veaux possédant une immunité colostrale évanescente mais qui n'a pas reçu la sanction de la pratique. — 609 — protégés cliniquement, peuvent faire de manière occulte lors d ' u n e contamination fortuite, une infection virale des voies nasales supérieures et être pendant un bref m o m e n t (24-36 heures) une source de contage ; ils jouent ainsi le rôle de relais infectieux. D. EPIZOOTIOLOGIE DYNAMIQUE En région vierge d'infection bovipestique, le contage se développe rapide- Fig. 4. — Décroissance moyenne des anticorps antibovipestiques d'origine colostrale chez le veau — 610 — ment dans les populations d'artiodactyles réceptifs, domestiques ou sauvages ; les souvenirs de la grande panzootie africaine de la fin du siècle dernier sont présents à toutes les mémoires, de même que la contamination de la Belgique en 1920, de Ceylan et de la Malaisie pendant la Seconde Guerre m o n diale, de l'île de Zanzibar en 1956, des Philippines en 1960, de la Péninsule arabique tout récemment. Très contagieuse (bien moins, cependant, que la fièvre aphteuse), la vague pestique passe, laissant derrière elle cadavres et convalescents i m m u n s . Le tableau épizootiologique se modifie cependant, selon que l'on considère les animaux sauvages ou domestiques. Lorsque la peste bovine frappe une population réceptive de buffles (ou de koudous ou de gnous...), la majorité des sujets sont atteints, beaucoup succombent, quelques-uns guérissent. Ces derniers développent une immunité solide et durable, tant sérique que locale au niveau des muqueuses qui furent la porte d'entrée du virus (muqueuse nasale, mais surtout pharyngo-laryngée). Les jeunes qui naissent après l'épisode bénéficient de l'immunité colostrale de leur mère. Le résultat est la constitution d ' u n e population résistante par des mécanismes divers avec, comme conséquence épidémiologique, l'impossibilité de la transmission du contage : la peste passe et ne réapparaît plus (tout au moins avant que ne se soit reconstituée une masse critique de population réceptive). Ce schéma explique que les ruminants sauvages ne jouent pas le rôle de réservoir dont on les a pendant longtemps blâmés. P o u r q u o i ne s'appliquerait-il pas aux bovins domestiques ? O n peut penser qu'il s'est appliqué. Dans l'histoire de la panzootie africaine ayant débuté dans les années 1889-1895, on a l'indication que, dans les premières années de ce siècle, la peste était disparue d'Afrique occidentale ; la recontamination se fit à partir du Soudan en 1913. Cet aspect épidémiologique, avec certaines variantes liées à la commercialisation du bétail et aux mouvements de transhumance, paraît avoir duré jusque dans les années 1925-1930, époque où la vaccination, encore balbutiante qu'elle fût alors, a été mise en place. Lorsque l'on vaccine, par quelque vaccin antibovipestique que ce soit, on confère une immunité générale mais qui laisse réceptives les portes d'entrée du virus (muqueuses des voies respiratoires supérieures). Dès lors, on a une population bovine qui, de relais muqueux en relais muqueux, permet au virus de se propager de manière occulte, ne conférant d'expression clinique à l'infection que lorsqu'il touche des sujets réceptifs, les veaux ayant perdu leur immunité colostrale en l'occurrence (Figure 5). Si l'on ajoute à ce fait la plasticité d'expression pathogène signalée plus haut, on retrouve l'aspect épidémiologique de la maladie qui fut celle des années 1950 : foyers épars dans le temps et l'espace, apparemment sans grand rapport direct les uns avec les autres, où les jeunes payaient essentiellement tribut. En simplifiant à l'extrême, on pourrait dire que les vétérinaires d'alors ont joué aux apprentis sorciers en favorisant par la vaccination le maintien de la circulation naturelle à bas bruit du virus pestique ! — 611 — Fig. 5. — Schéma épizootiologique de la peste bovine Ce ne sont point là vues de l'esprit*. Cette histoire naturelle de la peste bovine est aussi celle de la rougeole. Elle conduit à poser la question de fond : peut-on se débarrasser de la peste ? Peut-on réaliser, mieux que son contrôle, son eradication ? Si oui, comment ? • Résistance à l'inactivation thermique du virus considérablement renforcée par les ions S0 ~ (stabilisation cationique), permettant de préconiser l'utilisation de la solution molaire de sulfate de magnésium pour reconstituer et diluer le vaccin sur le terrain. 4 • Plasticité virale exprimée par : — la variabilité du pouvoir pathogène (apparition de « souches virulentes ») ; — la possibilité d'adaptation du virus à une espèce donnée. hypo- * Les faits relatés sont expérimentalement démontrés. Par contre, et par suite des circonstances, on n'a pu encore établir la fréquence de cette transmission occulte dans une population bovine partiellement vaccinée. Ce qui paraît certain, c'est que lorsque le taux de protection atteint les 100 p. 100, la circulation virale s'éteint d'elle-même ; en est le témoin l'éradication réussie du contage au Tchad, au Cameroun, au Sénégal, en Tanzanie, au Kenya. — 612 — • Immunité post-infectieuse (et post-vaccinale) solide et durable : — transmise au jeune par le colostrum ; — expliquant le « hiatus immunitaire » de l'âge (non réceptivité vaccinale avant l'âge de 7-8 mois). • Conservation d'une réceptivité nasale à l'infection chez nombre sujets immuns (immunité passive, immunité vaccinale). de III. PROPOSITIONS DE LUTTE CONTRE LA PESTE BOVINE EN AFRIQUE A . A P P R O C H E S T R A T É G I Q U E (Carte 5) Si l'on se réfère à la situation épizootiologique telle qu'elle existe actuellement, et prenant en compte les résultats de la dernière campagne d'urgence réalisée sous l'égide de l'OUA-OIE-CEBV (1980-1981), on peut affirmer que les deux creusets infectieux résiduels sont : — le delta central du fleuve Niger, au Mali (en englobant, par prudence, une partie de l'est mauritanien et du nord-nord-ouest voltaïque) ; — l'ensemble de l'Ethiopie et du nord de la Somalie (mais, là encore par prudence, en englobant toute la Somalie et l'est du Soudan, voire le n o r d du Kenya). En effet, en dépit des cris alarmistes, l'épidémiologiste est en droit de penser que dans nombre d'Etats (hormis ceux qui viennent d'être cités) ou zones d'Etats, la peste bovine n'existe plus. Le Tchad a valeur d'exemple : depuis plusieurs années, aucune couverture vaccinale antibovipestique n'est plus entreprise dans ce pays par suite des conditions socio-politiques ; on peut estimer que plus de 60 p . 100 du cheptel bovin est actuellement réceptif à la peste, maladie qui n'existe pas et que l'on ne pourrait ignorer si elle existait. Cette heureuse situation tient au fait que les pays voisins (République Centrafricaine, Soudan, Niger, Cameroun, Nigeria) sont eux aussi libres de l'infection, mis à part les récentes incursions soudanaises (dans l'est) et nigérianes (dans l'ouest) à partir des creusets infectieux précités. C'est donc en toute logique que l'Afrique intertropicale ne peut être considérée comme contaminée en totalité mais uniquement en deux zones défavorisées, les creusets infectieux de la rémanence bovipestique. A u regard de l'éradication continentale de la peste bovine, c'est là que doivent être concentrés des moyens puissants, diversifiés et souples ; ailleurs, on — 613 — — 614 — pourrait se contenter d ' u n système de maintenance sanitaire et de surveillance. Cette position de principe doit être tempérée si, à une campagne antipestique, devait être adjointe une lutte contre la péripneumonie bovine. Dans ces conditions, ce ne sont plus les deux seuls creusets infectieux qui seraient à prendre en compte, mais l'ensemble des Etats situés entre le Tropique du Cancer et l'Equateur (à l'exception de la République Centrafricaine et de la Guinée équatoriale, du N o r d du Congo, du G a b o n et du Zaïre, pays au demeurant libres de contamination pestique et non directement menacés). Sans préjuger des positions des Services vétérinaires nationaux, il ressort que si les moyens financiers font défaut pour une campagne interafricaine mixte contre la peste bovine et la péripneumonie — et en attendant qu'ils puissent être dégagés — c'est au profit d'une action intensive, prompte et coordonnée concernant les deux zones précitées que l'on devrait se tourner. Cette proposition ne sous-entend nullement que l'effort sanitaire consenti jusqu'alors par les autres pays (vaccination, contrôle des mouvements pastoraux et commerciaux) doit être négligé. A u contraire, il doit être continué et même amplifié autour de deux zones définies, afin de constituer des zonest a m p o n où le contage, s'il venait à échapper des creusets infectieux, n'aurait aucune chance de propagation. B. A P P R O C H E T A C T I Q U E Les actions suivantes pourraient être programmées en phases successives : l r e phase (phase préparatoire) • nomination d ' u n coordonnateur international et de responsables de zones, tous fonctionnaires internationaux ; • définition précise des zones d'action intensive après enquête sur le terrain. En première approche, on peut penser qu'elles comprendraient : — une zone ouest-africaine (ou zone 1), centrée sur Mopti dans u n rayon d'environ six cents kilomètres autour de cette ville et englobant pratiquement tout le Mali et la Haute-Volta ainsi que le sud de la Mauritanie (Carte 6) ; — une zone est-africaine (ou zone 2), intégrant : les territoires éthiopiens et somaliens ainsi que Djibouti ; l'Est soudanais entre les cours du Nil et du Nil blanc et la frontière éthiopienne ; le Kenya, en gros j u s q u ' à l'Equateur ; le nord-est de l'Ouganda (Karamoja) (Carte 7) ; • définition des zones-tampon — périphériques à la zone 1 en Afrique occidentale : Sénégal, Gambie, Guinée et Guinée Bissau, Côte d'Ivoire, Ghana, Togo et Bénin au nord du 9 parallèle ; ouest du Niger ; — accolées à l'ouest de la zone 2 en Afrique orientale : Soudan à e — 615 — — 616 — MAP - CARTE 7 ZONE D'ACTION INTENSIVE N° 2 (Afrique orientale) Echelle 1 / 20000000 — 617 — l'ouest du cours des Nil - Nil blanc ; Ouest ougandais entre le Nil (Nil Albert et Nil Victoria) et le lac Victoria. • mise en place de moyens exceptionnels. En fonction de la couverture vaccinale recherchée (approchant 100 p . 100) et des difficultés du terrain, surtout en Ethiopie mais aussi dans le delta central du Niger, il est préconisé q u ' e n plus des moyens routiers classiques, soit programmée une flotille d'hélicoptères. Il est envisageable, p a r analogie avec la campagne de lutte contre l'onchocercose, que les moyens spécifiques aux zones d'action intensive soient placés sous sauvegarde internationale. On constituerait ainsi une brigade d'action sanitaire rapide qui, par la suite, pourrait intervenir dans toute situation d'urgence (confirmation de diagnostic d'exception, épizootie naissante) ; • parallèlement, épaulement des efforts nationaux dans les Etats constituant les zones-tampon (matériel, équipements...) ; • rajeunissement e t / o u renforcement des équipements des laboratoires producteurs de vaccins pour les zones d'action intensive et p o u r les zonestampon ; • préparation d ' u n stock de vaccin et des moyens centraux et décentralisés du diagnostic expérimental (sérum précipitant, antigènes, plaques pour tests...) ; • cours de réimprégnation technico-scientifique destinés aux responsables nationaux et aux agents responsables sur le terrain. O n peut escompter que l'ensemble de cette phase préparatoire s'étalera sur une année. e 2 phase (phase d'attaque) • sensibilisation des populations d'éleveurs concernés par l'ensemble des moyens audio-visuels disponibles (presse, radio, télévision) et des moyens administratifs. L'adhésion totale des propriétaires est à rechercher ; • mise en route multifocale zones-tampon. et intensive dans les deux zones et dans les Capitale, cette action ne paraît pas pouvoir être discutée ici car elle tient compte d ' u n ensemble de considérations locales ; • abattage de tous les cas suspects (avec indemnisation largement calculée) et confirmation expérimentale du diagnostic clinique ; • vaccination des veaux nés dans l'année et revaccination des veaux d ' u n an. Cette phase est programmée pour deux ans. Si la totalité de la populationcible a été atteinte, on ne devrait plus rencontrer de peste épizootique ou enzootique à la fin de cette période. — 618 — e 3 phase (phase de consolidation) • renforcement des postes vétérinaires sur le terrain et des postes de contrôle ; • vaccination biannuelle des veaux ; • abattage des cas suspects, intervention en anneau ; • contrôle des mouvements pastoraux et commerciaux. Cette phase est programmée pour deux ans ; elle vise essentiellement la surveillance épizootiologique et l'affinement de la couverture vaccinale concernant les veaux. A la fin, on ne devra plus avoir aucun cas suspect de peste bovine. e 4 phase (phase de maintien de l'éradication ou mesures conservatoires) • continuation de la surveillance épizootiologique ; • vaccination biannuelle des veaux. Elle devra s'étaler sur plusieurs années, sans requérir de moyens nationaux particuliers ; par contre, la brigade d'action sanitaire rapide devrait être maintenue en place. IV. CONCLUSION L'éradication de la peste bovine du Continent africain paraît désormais possible. L a situation épizootiologique présente est favorable à l'action ; les moyens scientifiques et techniques existent. Stratégie et tactique vaccinales sont au point. Quelques assurances se manifestent du côté des financements. Laissera-t-on passer l'occasion ?