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CORÉE DU NORD
par Hyung Seog Lee*
Nature de l’État nord-coréen,
durabilité du régime
L
E 9 SEPTEMBRE 1948 la Corée du Nord s’autoproclama « République démocratique et populaire de Corée » et bâtit un pays dirigé par le « Parti du Travail ». Les
fondements en étaient la direction politique par un seul parti et une économie
planifiée grâce à la nationalisation des moyens de production. Ainsi, au moment de la
création de l’État, la Corée du Nord avait une organisation politique et économique typiquement socialiste.
Changement dans le système politique
On est cependant en droit de se demander si, depuis la fin de la guerre froide et l’effondrement du socialisme, le pays a maintenu ce système politique et économique. Et si ce
système a changé, la Corée du Nord ne devrait plus pouvoir se présenter comme un État
socialiste (ou communiste).
Une des caractéristiques politiques de la Corée du Nord les plus soulignées, c’est la
transmission héréditaire du pouvoir. Le dirigeant «ermite» cherche à transférer son
pouvoir à l’un de ses fils, ce qui vient de se produire pour la deuxième fois. On rencontre
rarement ce type de succession dans un pays du XXIe siècle. Même les pires dictateurs de
l’histoire de l’humanité, même ceux qui ont laissé d’énormes dommages derrière eux,
n’ont pu transmettre leur pouvoir à leurs descendants deux fois de suite.
La transmission du pouvoir communément pratiquée dans les pays socialistes s’effectue au sein de l’élite éduquée des responsables politiques du parti communiste. Ce
sont les dirigeants du parti qui désignent la nouvelle direction suprême. Le mécanisme
*
Économiste et politologue, chercheur associé à l’Institute for National Security Strategy de Séoul.
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nord-coréen de succession par hérédité se situe donc très loin de ce qui se pratique dans
les autres pays communistes.
Le système politique de la Corée du Nord se caractérise ainsi par la domination d’un
seul, un pouvoir fortement concentré, une autocratie à vie et une succession de père en
fils. Ces données relèvent plutôt d’un système de dynastie monarchique.
Changements dans le système économique
Depuis une quarantaine d’années, la Corée du Nord s’efforce de développer son
économie parallèlement à la progression de son secteur militaire. Telle est l’économie
politique de ce pays, aussi discutable qu’exceptionnelle : l’objectif affiché est à la fois
d’améliorer l’économie et de renforcer la puissance militaire. En fait, la Corée du Nord
accorde la priorité la plus haute à l’édification de sa puissance militaire par une production croissante d’armes et de matériels. Dans ce processus, il semble que le pays place
dans l’économie civile une partie du surplus économique ainsi créé par l’industrie militaire. En d’autres termes, le pays utilise son industrie militaire comme moteur de la croissance de l’économie nationale.
En fait ce type de politique de croissance a fait régresser le pays depuis le milieu des
années 1970. Pour qu’il y ait un véritable développement économique au plan national, il
faudrait un lien continu entre la consommation et la croissance. Or, après 1990, quand
l’Union soviétique et les régimes communistes d’Europe de l’Est se sont effondrés et que
la Chine a mis en place une politique d’ouverture, l’économie nord-coréenne se retrouva
isolée et eut à pâtir de cette nouvelle situation. Perdant ses deux partenaires les plus
importants, l’ancienne URSS et la Chine, la Corée du Nord devint orpheline sur la scène
économique internationale et plongea alors dans de profondes difficultés. De plus, des
désastres naturels en 1995 et 1996 frappèrent le pays, incapable d’y faire face.
Du fait de sérieuses pénuries de nourriture, le système de distribution rationnée s’effondra. Et, aujourd’hui, dans la plupart des régions de Corée du Nord, il n’est plus en état
de fonctionner. Parmi les produits de première nécessité, le plus important pour la vie des
Nord-Coréens, c’est-à-dire la nourriture, n’est plus assuré par l’économie planifiée et le
système de rationnement. La possibilité de faire fonctionner de nouveau ce système est
d’ailleurs extrêmement réduite. Si tel est bien le cas, les Nord-Coréens devront développer eux-mêmes des cultures et compter sur le marché pour s’alimenter. Et c’est aussi
sur le marché qu’ils pourront se procurer les autres produits de première nécessité.
Du fait de l’effondrement du système de production et de distribution, et de la mise
sur pied de marchés, les Nord-Coréens devraient pouvoir accéder à la propriété privée,
sauf à celle des moyens de production. Mais le plus probable est que la nomenklatura du
Parti du Travail continuera de contrôler économiquement la population grâce aux droits
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IDENTITÉ DE L’ÉTAT NORD-CORÉEN, DURABILITÉ DU RÉGIME
et pouvoirs qu’elle a acquis dans ce domaine : la population aura alors un statut
semblable au servage en cours aux XVIIe et XVIIIe siècles, sous la dynastie Chosun.
Pourtant, compte tenu de l’industrialisation du pays, la Corée du Nord n’a évidemment
rien à voir avec une société agricole telle qu’elle existait sous la dynastie Chosun.
Une dynastie féodale modernisée
Le système politique de la Corée du Nord ne repose pas sur un socialisme autocratique tel
que celui de Staline en Union soviétique. Il ne fait pas non plus partie de ce socialisme
nouveau qui a introduit des éléments d’économie de marché et que la Chine gère
aujourd’hui avec beaucoup de détermination. En Corée du Nord, ce sont les descendants
du leader qui se succèdent. L’économie de marché vient à la rescousse d’une croissance et
d’une économie planifiée affaiblies. Avec ces caractéristiques politiques et économiques,
la Corée du Nord peut être définie comme une « dynastie féodale modernisée ». Le mot
« modernisé » signifie ici que le dirigeant du pays exerce son pouvoir sur la population
par un contrôle total et une manipulation de l’information reposant sur une technologie
avancée – en quoi le régime diffère d’une dynastie féodale du Moyen Âge. Ce qui explique
comment le « royaume ermite » s’est maintenu, en dépit des théories annonçant, depuis le
milieu des années 1990, son effondrement.
Les défis à une dynastie
Dans un État dynastique, le roi est confronté de manière continue à des défis internes et
externes. Sur le plan interne, il peut avoir à faire face à une résistance et à une opposition
de la classe dirigeante comme à d’éventuelles révoltes du peuple. Sur le plan externe,
d’autres pays peuvent envahir son territoire ou déclencher des guerres dans ce but. Ces
défis-là peuvent provoquer la chute de l’État dynastique, en particulier quand la dynastie
est affaiblie ou quand le roi perd de son autorité.
La figure de la page suivante traduit le processus qui peut entraîner l’effondrement
d’une dynastie fondée sur la relation dynamique entre le pouvoir du roi et celui du
peuple. La droite PR (pouvoir royal) indique la diminution du pouvoir royal au fur et à
mesure que passe le temps (représenté par l’axe T).
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P
PR
PP
Tc
T
P: Puissance – T: Temps – PR : Pouvoir du Roi – PP : Pouvoir du peuple – Tc : Chute de la dynastie féodale
Relation dynamique entre le pouvoir du Roi et le pouvoir du peuple dans un État dynastique
De surcroît, l’opposition du peuple au roi (représentée par la droite PP) augmente
avec le temps. Au point (ou aux alentours du point) Tc, où les droites PR et PP se croisent,
la dynastie féodale risque d’être renversée par un soulèvement populaire.
Les défis au régime nord-coréen
Puisque la définition de la nature étatique de la Corée du Nord est celle d’une dynastie
féodale modernisée, les menaces à l’encontre du régime nord-coréen pourraient venir de
la classe dirigeante, du peuple ou résulter d’une invasion étrangère.
P
PK
e
im
ég
ur
d
é
ilit
rab
Du
PPNC
T
P: Puissance – T: Temps – PK : Pouvoir de Kim – PPNC : Pouvoir du peuple nord-coréen
Relation dynamique entre le pouvoir de Kim et le pouvoir de son peuple
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IDENTITÉ DE L’ÉTAT NORD-CORÉEN, DURABILITÉ DU RÉGIME
La deuxième figure décrit la relation dynamique entre le pouvoir du leader nordcoréen et le pouvoir de son peuple. La droite PK montre la mainmise du leader sur le
pouvoir. Du fait des problèmes économiques auxquels le pays doit faire face – crise
économique, pénuries alimentaires – PK baisse. En d’autres termes, la diminution de la
croissance de l’économie nord-coréenne explique que la droite fléchit. Cependant, en
dépit d’une économie nationale dévastée, ce fléchissement ne devrait pas être important.
Et cela, parce que le régime des Kim gère ces difficultés en pratiquant un contrôle strict
de la société.
La probabilité d’une révolte du peuple contre les Kim s’élève avec le temps, mais l’inclinaison ascendante du PPNC devrait être très modérée, puisque aucune organisation ne
concentre la volonté et la puissance du peuple nord-coréen. Il n’y a pas eu par exemple de
révolte ou de résistance organisée ou systématisée des Nord-Coréens pendant la grande
pénurie de nourriture au milieu des années 1990, alors qu’un grand nombre de gens
mouraient de faim. La légère croissance de PPNC est due à la prise de conscience par le
peuple de sa situation, du fait de l’entrée en Corée du Nord d’informations venues de
l’extérieur, notamment grâce à l’aide économique internationale et à la réalisation du
projet de complexe industriel à Kaesong.
Comme le montre cette figure, l’écart entre PK et PPNC est encore important. Cela
signifie que Kim a encore suffisamment de pouvoir pour dominer son peuple. Ce grand
écart entre PK et PPNC indique que le régime actuel a beaucoup plus de perspectives de
maintien que n’en aurait une dynastie féodale. Comme les inclinaisons inverses de PK et
de PPNC sont très légères, il est probable que le régime nord-coréen se maintiendra tel
qu’il est pendant longtemps encore.
Qu’est-ce qui rend le régime si apte à durer ? Revenons à la proposition selon laquelle
la Corée du Nord est une dynastie féodale modernisée et attachons-nous à l’idée de
« modernisation » qui y est contenue. La dynastie nord-coréenne utilise intelligemment la
technologie de pointe pour un contrôle efficace de sa population. On le voit bien dans la
deuxième figure où la pente de PPNC est très faible. Pour répondre à d’éventuelles
menaces du peuple, Kim utilise des moyens militaires modernes et un système de
commande et de contrôle haut de gamme, tandis que le peuple a un accès extrêmement
limité à toute technologie moderne. Par conséquent, le leader peut maintenir un contrôle
étroit sur le peuple nord-coréen.
On peut se demander : que serait-il arrivé si seul le roi, au Moyen Âge, avait eu accès à
la technologie du XXIe siècle ? En quoi les relations entre le roi et ses sujets auraient-elles
été modifiées ? La réponse se trouve dans la dynastie féodale modernisée de Corée du
Nord...
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