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GÉNÉTIQUE
importance croissante de la génétique en cardiologie a
été soulignée par F.S. Collins (Bethesda) lors de la ses-
sion plénière d’ouverture du congrès. Depuis la mise
en évidence de la double hélice d’ADN par Watson et Crick, qui
avait fait l’objet d’une unique page dans Nature,les avancées dans
le domaine de la génétique ont été considérables, et l’on consi-
dère à l’heure actuelle qu’il existe une composante génétique
d’une importance variable dans chaque pathologie. La détermi-
nation des anomalies génétiques s’appuie sur l’utilisation d’ou-
tils d’étude du génome à l’élaboration desquels le “Human
Genome Project” contribue pour une large part. Après avoir réa-
lisé une des cartes génétiques et physiques du génome (d’autres
cartes ont été publiées par le Généthon, notamment), le séquen-
çage du génome est en cours et son achèvement, prévu initiale-
ment pour 2005, sera effectif dès 2003. Toutes les données res-
teront dans le domaine public et seront accessibles via Internet à
l’ensemble de la communauté scientifique. D’autre part, dans le
cadre du “Human Genome Project”, la détermination des varia-
tions interindividuelles ou des polymorphismes présents dans
l’ADN est maintenant envisagée. Les banques qui en résulteront
seront précieuses pour étudier l’association d’un gène candidat,
dans lequel ou à proximité duquel aura été mis en évidence un
polymorphisme, avec la maladie considérée. Ces analyses ainsi
que la détermination du diagnostic génétique, en particulier,
seront grandement facilitées dans un avenir proche par l’utilisa-
tion des “DNA chips” ; ce sont des puces sur lesquelles sont fixées
jusqu’à 400 000 séquences oligonucléotidiques. Une altération
présente dans un fragment d’ADN pourra donc être recherchée
simultanément à l’aide de 400 000 nucléotides différents.
Outre le diagnostic génétique, la détermination de l’anomalie
génétique présente chez un patient permet déjà dans certains cas
(QT long, par exemple) l’adaptation du traitement ; elle peut éga-
lement amener à la contre-indication de certaines classes médi-
camenteuses (facteur V de Leiden et contraceptifs oraux) et à la
détermination des patients répondeurs ou non au traitement.
F. Collins a rappelé les utilisations abusives en dehors du contexte
médical des diagnostics génétiques et a appelé à la vigilance.
STRATÉGIES UTILISÉES POUR METTRE EN ÉVIDENCE LES GÈNES
IMPLIQUÉS DANS LES PATHOLOGIES MULTIFACTORIELLES
L’utilisation d’animaux génétiquement modifiés permet de dis-
séquer les composantes génétiques des maladies cardiovascu-
laires complexes. L’utilisation de souris knock out, chez lesquelles
le gène d’intérêt a été invalidé dans l’ensemble des cellules de
l’organisme, conduit souvent à des résultats peu interprétables,
l’inactivation du gène pouvant être létale, ou bien être totalement
compensée par une autre voie métabolique. Il est maintenant pos-
sible d’utiliser des souris génétiquement modifiées particulières
qui vont permettre de cibler le défaut d’expression à un tissu,
le ventricule par exemple, en fonction du promoteur utilisé dans
les constructions. Les souris n’exprimant pas le gène MLP
(Muscle LIM Protein) codant une protéine cytosquelettique déve-
loppent une cardiomyopathie dilatée (CMD). K. Chien (La
Jolla) a montré que ce phénotype pouvait être réversé en réali-
sant une souris n’exprimant ni la MLP, ni le phospholamban, sou-
lignant ainsi le rôle potentiel du gène du phospholamban dans la
CMD.
L’utilisation d’animaux génétiquement modifiés dans l’hyper-
tension artérielle essentielle (O. Smithies, Chapel Hill) a égale-
ment permis de confirmer le rôle de l’angiotensinogène, mis en
évidence par X. Jeunemaître et coll. (Cell, 1992). La pression
augmente avec le niveau d’angiotensinogène dans le modèle
murin. D’autre part, il a été mis en évidence dans le modèle murin
une corrélation négative entre la quantité de peptides natriuré-
tiques et la pression artérielle. Ce résultat ne peut être confirmé
actuellement chez l’homme puisqu’il n’a pas encore été décrit de
variant influant sur le niveau de peptides natriurétiques.
Une autre stratégie génétique a été utilisée par E. Boerwinkle
(Houston) pour mettre en évidence les gènes impliqués dans
l’hypertension. À partir de 600 familles représentant 11 000 indi-
vidus au total recrutés dans le cadre de l’étude Rochester Family
Heart, les gènes impliqués ont été recherchés sur l’ensemble du
génome par une analyse de liaison multipoint (deux méthodes
Génétique
F. T esson*
*Laboratoire de génétique, CHU Pitié-Salpêtrière, Paris.
La part et l’importance des études génétiques s’accrois-
sent d’année en année lors du congrès de l’AHA.
Dans de nombreuses pathologies pour lesquelles les
gènes impliqués ont été déterminés, les études fonction-
nelles induites par les altérations génétiques, études dites de
l’après-gène, se développent.
Outre les modèles cellulaires, les modèles murins et les
modèles d’expression dans les oocytes de Xénope, par
exemple, sont très utilisés.
POINTS FORTS
POINTS FORTS
L
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GÉNÉTIQUE
statistiques complémentaires, paires de germains et test de désé-
quilibre de transmission [TDT], ont été utilisées). Sept régions
chromosomiques d’intérêt ont ainsi été mises en évidence et les
gènes candidats présents dans ces régions sont en cours d’analyse.
Une autre stratégie couramment employée pour mettre en évi-
dence les gènes impliqués dans les maladies multifactorielles est
l’étude d’association de la maladie avec des gènes candidats.
La limite principale de ces études réside dans la difficulté de
mettre en évidence des variants génétiques ayant une implication
fonctionnelle. S. Liggett (Cincinnati) a étudié les polymorphismes
et leur conséquence fonctionnelle dans deux gènes d’intérêt
majeur dans l’insuffisance cardiaque, les gènes des récepteurs
ß1- et ß2-adrénergiques. Plusieurs polymorphismes ont été mis
en évidence dans ces deux gènes. Le polymorphisme Thr164Ile
induit probablement une modification de la région protéique dans
laquelle les ligands se fixent (poche), et diminue ainsi l’affinité
des ligands pour le récepteur. Ce polymorphisme a été analysé
chez 259 patients insuffisants cardiaques et 212 contrôles ; il
influe sur le pronostic de la maladie : risque relatif (décès ou trans-
plantation) = 4,81; p < 0,001.
LES CARDIOMYOPATHIES DILATÉES
Une nouvelle localisation a été décrite dans le cas des CMD fami-
liales à transmission autosomique dominante (M. Jung, Berlin)
sur le bras long du chromosome 2. Cela porte à 8 le nombre de
loci connus, alors que seul le gène de l’actine cardiaque a été
impliqué dans la maladie (tableau I). Ce nouveau locus s’étend
sur 24 cM ; le gène candidat situé dans cette région est celui de
la nébuline, une protéine sarcomérique. Le phénotype associé à
ce locus est caractérisé par une dilatation ventriculaire, une
altération de la fonction systolique et la présence de blocs atrio-
ventriculaires de premier degré.
D’autre part, une étude présentée par D. Duboc (Paris) a montré
que parmi les 58 membres d’une famille, 5 présentent une dys-
trophie musculaire d’Emery-Dreifuss et 12 une atteinte exclusi-
vement cardiaque caractérisée par un défaut de conduction et une
arythmie ventriculaire entraînant une cardiomyopathie dilatée
sévère. Quel que soit le phénotype, la maladie est localisée en
1q11-23, ceci suggérant que la cardiomyopathie dilatée peut être
la seule manifestation clinique de la forme autosomique domi-
nante de la dystrophie musculaire d’Emery-Dreifuss.
Lors de l’étude systématique du gène de la cardiotrophine 1
(J. Erdmann, Berlin), une mutation rare, Ala92Thr, dans une
région conservée entre les espèces dans l’exon 3, a été mise en
évidence chez un patient parmi 208 et 204 ADN contrôles exa-
minés ; jusqu’à présent, le rôle causal de cette mutation dans la
maladie n’a pas été mis en évidence.
La recherche de 4 mutations ponctuelles pathogéniques dans l’ADN
mitochondrial des leucocytes de 48 patients atteints de cardiomyo-
pathie dilatée s’est révélée négative, suggérant que ces mutations
ne sont pas une cause majeure de cardiomyopathie dilatée.
L’association de gènes codant des protéines du système des endo-
thélines a été recherchée dans une population de 433 patients
appariés pour le sexe et l’âge avec 400 contrôles (P. Charron,
Paris). Aucun des trois polymorphismes analysés situés dans les
gènes de l’endothéline 1 et des récepteurs A et B aux endothé-
lines n’est associé à la maladie ; cependant d’autres polymor-
phismes dans ces mêmes gènes sont en cours d’étude, et les résul-
tats préliminaires sont encourageants.
LES CARDIOMYOPATHIES HYPERTROPHIQUES
Sept gènes codant tous des protéines sarcomériques ont été impli-
qués dans les cardiomyopathies hypertrophiques (tableau II).
Dans une famille française originaire des Caraïbes, il a été mis
en évidence pour la première fois que des mutations dans deux
gènes différents, le gène de la chaîne lourde de la myosine ß et
le gène de la protéine C, “co-ségrègent” avec la maladie
(R. Isnard, Paris). Dans cette famille, deux individus sont à la fois
porteurs d’une mutation dans le gène de la myosine et dans celui
de la protéine C ; ils sont doubles hétérozygotes. Chez ces deux
Locus Gène Mode de transmission/phénotype
1q32 ? Autosomique dominant/forme “pure” *
9q13-22 ? Autosomique dominant/forme “pure” *
15q14 Actine Autosomique dominant/forme “pure” *
cardiaque
10q21-23 ? Autosomique dominant + prolapsus valvulaire mitral
1p1-q1 ? Autosomique dominant + défaut de conduction
+ tachyarythmie
2q11-22 ? Autosomique dominant + défaut de conduction
+ arythmie + bloc atrio-ventriculaire de premier degré
3p22-25 ? Autosomique dominant + défaut de conduction
+ tachyarythmie
6q23 ? Autosomique dominant + défaut de conduction
+ myopathie
??Autosomique récessif
Xp21 Dystrophine Lié au chromosome X
Tableau I. Loci et gènes impliqués dans les cardiomyopathies dilatées
familiales.
* Forme “pure” = forme non associée à une autre pathologie.
Locus Gène Protéine
14q11.2-12 MYH7 Chaîne lourde ß de la myosine (ß-MyHC)
3p21.2-21.3 MYL3 Chaîne légère essentielle ventriculaire
de la myosine (MLC-1s/v)
12q23-24.3 MYL2 Chaîne légère régulatrice ventriculaire
de la myosine (MLC-2s/v)
1q3 TNNT2 Troponine T cardiaque (cTnT)
19p13.2-q13.2 TNN13 Troponine I cardiaque (cTnI)
15q22 TPM1 α-tropomyosine (α-TM)
11p11.2 MYBPC3 Protéine C cardiaque (cMyBP-C)
7q3 ? ?
Tableau II. Gènes impliqués dans la cardiomyopathie hypertrophique
familiale.
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individus, l’hypertrophie ventriculaire gauche est plus pronon-
cée que chez les autres patients (épaisseur maximale : 30,5 ± 3,5
vs 19,5 ± 2,1 mm), suggérant une expression de la maladie plus
sévère, mais non létale.
Deux gènes modificateurs du phénotypeavaient été mis en évi-
dence dans les cardiomyopathies hypertrophiques, le gène de
l’ACE et celui de l’endothéline 1. A. Osterop (Rotterdam) a mon-
tré que, dans la population analysée (104 patients génétiquement
indépendants), le polymorphisme A1166C du gène du récepteur
de type 1 à l’angiotensine II était associé à la maladie.
De nombreuses études se focalisent actuellement sur “l’après-
gène” et les modèles transgéniques.
Selon l’expérience française, un tiers des cardiomyopathies
hypertrophiques familiales ont pour origine une mutation dans le
gène de la chaîne lourde de la myosine ß et un autre tiers dans le
gène de la protéine C cardiaque de liaison à la myosine (P. Sebil-
lion, Paris). La majorité des mutations mises en évidence dans le
gène codant la protéine C cardiaque de liaison à la myosine
conduisent à des protéines tronquées dans lesquelles le domaine
C terminal de liaison à la myosine est absent. La “cotransfection”
d’une protéine C humaine tronquée avec la chaîne lourde de la
myosine αde rat altère l’autoassemblage des molécules de myo-
sine, qui est observé dans les mêmes conditions en présence de
protéine C humaine non mutée. D’autre part, la protéine tronquée
est toujours capable de lier la chaîne lourde de la myosine, fai-
sant envisager la présence d’un nouveau site de liaison à la myo-
sine dans la partie C terminale de la protéine. Ces résultats sug-
gèrent que les mutations dans le gène de la protéine C observées
dans les cardiomyopathies hypertrophiques induisent un effet
dominant négatif qui altérerait l’organisation de la myosine au
cours de la myofibrillogenèse. De la même façon, la cotransfec-
tion de chaînes lourdes de myosine normale et tronquée dans sa
partie C terminale induit une inhibition de type dominant néga-
tif de l’assemblage des complexes multimériques de myosine (S.
Miyata, Boulder) et l’expression de la troponine T humaine por-
tant la mutation Arg92Gln chez une souris transgénique exerce
un effet dominant négatif. L’ensemble des résultats confirme que
les altérations dans les gènes majeurs induisent le plus fréquem-
ment une hypertrophie via un mécanisme dominant négatif.
LE SYNDROME DU QT LONG CONGÉNITAL
Cinq localisations chromosomiques et quatre des gènes corres-
pondants ont été impliqués dans la forme autosomique domi-
nante du syndrome du QT long congénital, le syndrome de
Romano-Ward. Lorsque l’altération est présente à l’état homo-
zygote dans deux de ces gènes, KVLQT1 et KCNE1,l’individu
porteur développe un syndrome de Jervell et Lange-Nielsen, la
forme autosomique récessive du syndrome du QT long congé-
nital (tableau III).
Les gènes les plus fréquemment impliqués dans la maladie sont
KVLQT1 et HERG. Comme pour les mutations présentes dans
les gènes induisant les cardiomyopathies hypertrophiques, la
nature des mutations varie en général de famille en famille.
Cependant, dans la population finlandaise, une mutation non-sens
(KVLQT-Fin) dans le gène KVLQT1 est retrouvée particulière-
ment fréquemment (32 % des cas index) et aurait un effet fon-
dateur (K. Saarinen, Helsinki). Deux individus porteurs de cette
mutation à l’état homozygote ont développé un syndrome de
Jervell et Lange-Nielsen. Cette population est particulièrement
intéressante pour étudier l’effet des facteurs génétiques et non
génétiques sur l’expression de la maladie. D’autres nouvelles
mutations dans ce gène ont été mises en évidence (F. Kyndt,
Nantes ; J. Kanters, Copenhague).
Pour la première fois, il a été mis en évidence que la surdité asso-
ciée au syndrome de Jervell et Lange-Nielsen peut avoir, comme
le phénotype cardiaque, une expression variable (C. Napolitano,
Pavie).
Le choix du modèle d’expression des mutations est extrêmement
important. S. Priori (Pavie) a présenté les résultats de l’expres-
sion de mutations dans KVLQT1 et HERG dans des oocytes de
Xénope. Les résultats montrent que les altérations des courants
ioniques induits par les mutations ne sont pas corrélées avec la
sévérité de la maladie. Néanmoins, le choix du modèle est dis-
cutable ; en effet, les canaux endogènes de l’oocyte de Xénope
peuvent interférer avec les canaux étudiés et prévenir l’interpré-
tation des résultats.
Locus Gène Protéine Syndrome
3p21-23 SCN5A Sous-unité αRomano-Ward
d’un canal sodique cardiaque
4q25-27 ? ? Romano-Ward
7q35-36 HERG Canal potassique Romano-Ward
11p15.5 KVLQT1 Canal potassique Romano-Ward
Jervell et Lange-Nielsen
21q22 KCNE1 Sous-unité régulatrice du Romano-Ward
canal potassique KvLQT1 Jervell et Lange-Nielsen
Tableau III. Gènes impliqués dans le syndrome du QT long congénital.
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