Act. Méd. Int. - Psychiatrie (16) - n° 6 - juin 1999
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Editorial
a “maladie mentale” est par définition, l’exception confirmant la règle, une maladie au long cours. Pendant
des siècles, aucun traitement actif n’a pu lui être opposé. Rien d’étonnant, de ce fait, à ce que les troubles men-
taux aient acquis, sur une telle durée, une connotation extrêmement péjorative. Rien d’étonnant non plus à ce
que la psychiatrie d’hier, disons d’avant 1980, ait été batie autour de cette notion. Pour les spécialistes et les
autorités, le résultat fut la loi de 1838, organisant l’assistance aux malades mentaux et la protection de la société.
Pour le public, ce fut un effroi persistant et le déni comme défense préférentielle : il n’y a de malade que celui déclaré tel par
le psychiatre ; ou encore, il est impossible de se dire malade, donc d’être soigné, en dehors de la plus extrême nécessité.
Que peut-on dire des troubles mentaux et de leur traitement aujourd’hui, au regard de ce qui s’est passé ces 20 dernières
années ?
Tout d’abord, le caractère maladie au long cours des troubles mentaux est confirmé pour la très grande majorité d’entre
eux : la schizophrénie, les troubles bipolaires de l’humeur et la dépression récurrente restent classiquement chroniques,
ou à rechutes de plus en plus graves ; le trouble panique avec agoraphobie, le trouble obsessionnel compulsif, la phobie
sociale et l’anxiété généralisée durent aussi une vie entière ; la dépendance aux substances est désespérément tenace ;
enfin certains traumatismes, ou d’autres troubles mentaux, peuvent, si l’on en croit la CIM-10, modifier
durablement la personnalité. Le seul espoir nosographique réside donc dans la mise en doute de la définition même de
certains troubles de la personnalité, dont on se demande s’ils ne sont pas – seulement ? – des troubles symptomatiques
durables (axe I du DSM-IV).
Toutefois, l’espoir est aussi et surtout thérapeutique. Malgré le pessimisme persistant d’un certain nombre de spécialistes,
et celui de certaine études, sur le pronostic au long cours des troubles bipolaires de l’humeur par exemple, la pratique et
les études contrôlées engendrent bien des satisfactions. Les patients schizophrènes qui ont la chance de voir leur maladie
répondre aux neuroleptiques, qui sont bien traités, et qui le restent, mènent une vie normale. Ceux qui ont moins de chance
voient tout de même leur handicap et leur souffrance considérablement réduits. Les nouveaux neuroleptiques, probablement
un peu plus efficaces, mais surtout bien mieux tolérés, sont pour beaucoup dans ces progrès. Les patients bipolaires et
déprimés récurrents, correctement traités, ont un bon pronostic. La plupart des dépressions dites “résistantes” le sont faute
d’un traitement suffisant et les rechutes par arrêt de traitement sont l’occurrence la plus fréquente en pratique. Les traite-
ments médicamenteux ne sont pas les seuls à devoir être poursuivis au long cours. Dans les troubles anxieux par exemple,
si les patients rechutent souvent à l’arrêt de leur traitement antidépresseur spécifique, c’est également le cas lorsqu’ils
arrêtent de s’exposer après un traitement comportemental réussi. En général, les traitements psychothérapiques, bien que
cela ne soit pas démontré, ne voient leur succès pérennisé que si le sujet peut continuer à mettre en pratique les aptitudes
adaptatives acquises, explicitement ou non, au cours de sa psychothérapie ; en d’autres termes, il doit continuer à se traiter
tout seul sans quoi il prend le risque de rechuter.
La psychiatrie d’aujourd’hui est donc dans le droit fil de la
psychiatrie d’hier. Elle traite toujours des patients atteints
pour la plupart de troubles chroniques. La différence, et elle
est de taille, est qu’elle sait, pour beaucoup, les mettre et les
maintenir en état de rémission complète, au prix de traite-
ments au long cours. Il est vraiment dommage que cet “état
actuel de la science” trouve si peu d’échos dans l’opinion, et
qu’il faille encore se battre contre des préjugés extrêmement
tenaces – ceux de la psychiatrie d’hier – pour que les gens
acceptent d’être malades, et par là même de se soigner et de
bénéficier des progrès considérables que la psychiatrie d’au-
jourd’hui a accomplis.
L
Psychiatrie d’hier,
psychiatrie d’aujourd’hui :
de la maladie au long cours
au traitement au long cours
J. Tignol (Bordeaux)