Rev. sci. tech. Off. int.
Epiz.,
1990, 9 (3),
621-640
Utilisation et contrôle des méthodes
biotechnologiques dans le domaine vétérinaire
J. BLANCOU *
Résumé : L'auteur retrace l'historique et les étapes successives de l'application
de la «biotechnologie» aux sciences vétérinaires.
Il dresse ensuite l'inventaire des applications possibles en santé animale
(diagnostic, prévention et traitement des maladies), en génétique, reproduction
(contribution directe ou indirecte), et nutrition animales (que ce soit au niveau
des plantes fourragères, de la fermentation ou pré-fermentation des aliments
ou du métabolisme de l'animal lui-même).
Il rappelle les principes du contrôle des méthodes biotechnologiques
(différentes catégories et risques, et moyens de les prévenir) en décrivant les
différentes instances de contrôle aux niveaux national et international.
Il conclut à l'intérêt sans cesse croissant des biotechnologies dans le domaine
de la reproduction animale et de la surveillance des maladies animales, mais
souligne la grande lenteur de son application à la prévention de ces maladies,
compte tenu des délais nécessaires pour en évaluer les risques.
MOTS-CLÉS
:
Biotechnologie - Contrôle - Diagnostic - Génétique - Maladies
animales - Nutrition - Reproduction - Vaccins.
INTRODUCTION
Les sciences biologiques ont connu, au cours des dernières décennies, des progrès
techniques accélérés.
Cette accélération était inhabituelle en biologie où les découvertes se faisaient,
se développaient et s'appliquaient en général avec plus de lenteur que dans les autres
disciplines scientifiques.
Il en est résulté une certaine appréhension du fait que ce domaine des sciences
concerne notre environnement direct, même si chacun admet que les nouvelles
découvertes autorisent des progrès inespérés.
Or, les sciences vétérinaires sont à nouveau au premier rang dans ce progrès, par
le nombre et par la variété des découvertes qui lui sont applicables. Les responsabilités
des vétérinaires sont d'autant plus lourdes que nombre de ces découvertes sont d'abord
éprouvées sur l'animal, sur les produits qui lui sont administrés ou sur la nourriture
qui lui est offerte.
*
Chef
du
Département Santé
et
Protection
Animales,
Centre
National
d'Etudes
Vétérinaires
et
Alimentaires,
B.P. 9,
54220
Malzévüle,
France.
622
Le présent document se propose donc de faire le point sur la nature des méthodes
biotechnologiques réellement utilisées ou étudiées dans le monde et la façon dont cette
utilisation et ces études sont contrôlées.
Cet article a été rédigé d'après les sources bibliographiques citées et l'analyse des
rapports reçus par l'Office International des Epizooties en provenance des pays
suivants : Afrique du Sud, République fédérale d'Allemagne (six rapports),
République Démocratique Allemande, Australie, Autriche, Brésil, Canada, Chili,
Chypre, République de Corée, Etats-Unis d'Amérique, France, Italie, Norvège, Pays-
Bas,
Royaume-Uni, Taïwan R.O.C., Tchécoslovaquie, Turquie, URSS et Uruguay.
LES MÉTHODES BIOTECHNOLOGIQUES
Avant d'établir la liste de ces méthodes, et d'en donner une brève description,
il convient de préciser la définition que nous retiendrons pour cet article des deux
mots «méthodes biotechnologiques» en sciences vétérinaires. Cette définition large
englobe tous les champs d'application possibles des biotechnologies. Une définition
plus restrictive, concernant uniquement les «biotechnologies modernes» (c'est-à-dire
issues des découvertes de la seule biologie moléculaire), appelées aussi «génie
génétique», sera donnée plus loin.
Pour notre part, les méthodes biotechnologiques sont toutes celles visant à:
«L'application pratique de l'ensemble de nos connaissances en biologie,
microbiologie ou biologie moléculaire à l'accroissement des potentialités des animaux
ou à l'accroissement de leur résistance aux agressions du milieu où ils vivent».
Car les biotechnologies sont rarement issues d'une seule discipline ou d'une seule
découverte mais, au contraire, de l'application simultanée de ces découvertes en vue
de résoudre un problème précis.
On peut distinguer trois grandes périodes dans le développement des méthodes
biotechnologiques :
Avant la naissance de la microbiologie et de la biologie cellulaire
Les biotechnologies étaient alors appliquées de manière empirique (sans «savoir»
leur mécanisme intime). Mais ces applications ont, comme les suivantes, changé le
sort de l'humanité : sélection des espèces et des races animales (ou végétales dont
ils se nourrissaient), fermentation des fruits, des grains, des herbages, du lait, voire
production de vaccins à base de matières virulentes «brutes» ont constitué la clé des
progrès et des succès de l'élevage au fil des siècles.
Après les découvertes de la microbiologie et de la biologie cellulaire
Les applications des biotechnologies se sont alors multipliées en matière de
protection de la santé humaine et animale, notamment après la découverte des vaccins
et sérums, des antibiotiques, des sulfamides, des vitamines, mais aussi en matière
de sélection, d'hybridation ou d'insémination artificielle. Toutes ces applications ont
été à la base de l'explosion démographique mondiale du XXe siècle.
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Mais l'homme ne crée encore rien en biologie : il ne fait qu'exploiter le matériel
existant déjà dans la nature, le sélectionner, l'améliorer. Il utilise notamment les erreurs
de transcription du code génétique (dont il ne connaît pas encore le mécanisme intime).
Et il fait de ces «mutants spontanés» des clones végétaux, animaux ou microbiens
qu'il emploie à son service.
Après les découvertes de la biologie moléculaire
Un pas supplémentaire a été fait : on a pu non seulement déchiffrer le code
génétique qui «programme» les cellules, les microbes ou les virus, mais aussi extraire,
modifier ou transférer ces messages codés d'une cellule à l'autre.
L'homme avait ainsi acquis la maîtrise des mécanismes intimes de la vie. De cette
constatation naquit aussitôt une grande inquiétude : ayant créé ce qui n'existait pas
«naturellement», n'allait-on pas rompre l'équilibre de ce qui existait déjà?
Nous allons voir que, replacée dans son contexte historique, cette question ne doit
pas se poser en termes aussi dramatiques. Car l'homme fait aujourd'hui sciemment
ce qu'il a longtemps fait empiriquement.
Les méthodes biotechnologiques qui figurent en Annexe I, actuellement employées
en sciences vétérinaires, peuvent, en effet, être classées en trois grands groupes :
Groupe 1 : les méthodes ne faisant qu'exploiter des patrimoines génétiques existant
déjà
Ces méthodes visent à choisir, dans la palette naturelle des différents gènes existant
au sein des cellules reproductrices, ceux qui paraissent les plus appropriés pour:
- Accroître directement le potentiel des êtres vivants dans un sens favorable (ex. :
résistance ou productivité).
-Accroître indirectement ce potentiel en utilisant pour cela les propriétés de
cellules, microbes ou virus sélectionnés en laboratoire : ferments, vaccins,
antibiotiques, etc.
On constate bien que les méthodes classées dans ce groupe ont été utilisées,
directement ou non, à toutes les périodes de l'histoire des biotechnologies évoquées
ci-dessus.
Dans ce groupe peuvent être classées les méthodes suivantes :
- Sélection traditionnelle (génétique quantitative) de races animales améliorées
par tous les types de croisement possibles, à partir de races existantes, par monte
naturelle ou insémination artificielle : plus productives, plus résistantes aux agressions
du milieu ou des agents pathogènes, etc. Cette sélection se fait soit sur la base des
caractères extérieurs (phénotype) des reproducteurs ou de leur descendance, soit sur
la base des caractères héréditaires (génotype) repérés par des marqueurs.
-Développement in vivo d'embryons récoltés chez des mères (sélectionnées)
implantés chez d'autres mères «receveuses» (non sélectionnées).
- Sélection de cellules à propriétés particulières (ex. : porteur du chromosome
mâle ou femelle, sécrétant des anticorps), de microbes (ex. : produisant des
antibiotiques, des enzymes fermentaires, des antigènes vaccinants), de virus (ex. :
permettant de produire des vaccins, de transformer des cellules, de transférer des
gènes).
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- Identification, sélection et/ou reproduction in vivo (biosynthèse) ou in vitro
(synthèse chimique) de cellules ou de sous-unités cellulaires (ex. : protéines, peptides,
acides aminés) ou de leurs produits (ex. : hormones, anticorps polyclonaux, enzymes,
etc.
; voir en annexe la signification de tous les mots non usuels qui ne seraient pas
expliqués ici ou dans la suite de cet article). Ainsi la séquence complète de la caséine
du lait de vache a-t-elle été identifiée récemment en République fédérale d'Allemagne.
Groupe 2 : les méthodes modifiant ou rapprochant artificiellement des patrimoines
génétiques existants
Ces méthodes franchissent un pas de plus dans l'exploitation des potentialités
biologiques, mais de manière artificielle, c'est-à-dire soit en forçant la variabilité
cellulaire, soit en rapprochant des patrimoines génétiques qui n'auraient pas pu se
rencontrer naturellement. Le but de ces «manipulations» est le même que
précédemment : accroître directement ou indirectement les potentialités des êtres
vivants. Mais il s'y ajoute un autre objectif : créer des outils spécifiques (ex. : les
anticorps monoclonaux) permettant de réaliser des manipulations encore plus fines.
Dans ce groupe peuvent être classées les méthodes suivantes :
-Création de races animales nouvelles sous l'effet de mutations induites ou
favorisées artificiellement.
-Modification de cellules, microbes ou virus par des «mutagénèses» induites puis
sélection de mutants aux propriétés recherchées (du fait de l'addition ou de la
délétion
de gènes, par exemple).
- «Immortalisation» de lymphocytes infectés volontairement par des virus
oncogènes.
- Hybridation (fusion) de cellules tumorales (c'est-à-dire à reproduction indéfinie)
avec un clone particulier de cellule (lymphocyte) du système immunitaire. Ceci permet
de créer des «hybridomes» pouvant sécréter, in vitro ou in vivo, des quantités illimitées
d'anticorps monoclonaux d'une spécificité restreinte à un seul déterminant antigénique
(épitope). Ces «anticorps monoclonaux» peuvent, à leur tour, permettre de sélectionner
par mutagénèse dirigée des microbes ou virus résistant à leur neutralisation par ces
anticorps au niveau d'un site spécifique correspondant.
- Hybridation d'un ADN connu avec un ADN complémentaire permettant de
reconnaître la présence de séquences spécifiques (gène ou agent pathogène), donc celles
de la protéine pour laquelle il code : c'est le diagnostic par sonde moléculaire, appelée
aussi sonde nucléique.
Groupe 3 : les méthodes créant des patrimoines génétiques par manipulation dirigée
de l'ADN
C'est l'ultime étape de l'intervention de l'homme sur le patrimoine génétique.
Appelée aussi «génie génétique», «génie biomoléculaire», «recombinaison de l'ADN»,
c'est à elle que l'on pense le plus souvent en parlant de biotechnologie. L'homme
intervient alors de façon directe et précise sur le génome. Connaissant la séquence
exacte des acides aminés de la protéine qu'il veut obtenir, il peut isoler les gènes qui
programment l'expression de ces acides aminés, c'est-à-dire les ADN codant, eux-
mêmes repérés par leurs ARN messagers complémentaires. Ces gènes intéressants sont
généralement excisés du génome en utilisant des enzymes de restriction qui coupent
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l'ADN en un point précis. D'autres enzymes permettent de réintroduire le gène ainsi
excisé dans une molécule d'ADN vecteur (plasmide ou virus) qui le transportera et
l'exprimera dans la cellule-hôte : cellule ou micro-organisme. Il est possible de créer
un génome nouveau par
délétion,
ou addition d'autres gènes. Ce génome peut
éventuellement être transféré ensuite dans celui d'une autre cellule (eucaryote ou
procaryote), ou virus, «vecteurs», en utilisant par exemple un plasmide : ces vecteurs
exprimeront les séquences d'acides aminés codés par l'ADN qu'ils ont incorporé, en
même temps que leurs propres constituants.
Dans ce groupe peuvent être classées les méthodes suivantes :
-Transfert de gènes étrangers à des animaux. Ces «chimères» sont réalisables,
soit par micro-injection d'ADN in vivo dans leurs oeufs fécondés, soit par
transformation de leurs cellules embryonnaires cultivées in vitro, soit par incorporation
du gène désiré dans le génome d'un rétrovirus porteur qui l'insérera dans la cellule
en même temps que le sien. On peut ainsi ajouter des gènes, mais aussi transférer
des gènes capables d'arrêter la traduction de gènes indésirables.
- Introduction de gènes étrangers dans des végétaux destinés à l'alimentation des
animaux, de gènes étrangers codant pour une propriété particulière (ex. : production
d'un acide aminé limitant, fixation de l'azote de
l'air,
résistance aux herbicides, etc.).
-Introduction dans les bactéries ou les virus de gènes étrangers : méthode
actuellement la plus développée. C'est aussi la plus contestée, compte tenu des risques
de dissémination ultérieure de ces microbes transformés :
a) introduction dans les bactéries (ex. : colibacilles) ou les levures (ex. :
saccharomyces) de gènes codant pour la production d'hormones (ex. : insuline),
d'antibiotiques, d'enzymes (ex. : cellulases) ou de substances antivirales (interféron) ;
b) introduction dans les virus (notamment poxvirus, baculovirus ou rétrovirus)
de gènes codant pour la production de séquences peptidiques immunogènes spécifiques
ou de toute autre séquence étrangère.
Remarque générale
:
la subdivision en groupes 1, 2, ou 3 est pratique pour expliquer
les principes des différentes méthodes biotechnologiques, distinguer celles qui sont
réellement nouvelles de celles que l'on employait déjà depuis longtemps, et apprécier
les risques correspondants. Mais elle reste artificielle dans la mesure où certaines
biotechnologies peuvent très bien faire simultanément appel à des techniques de l'un
ou l'autre groupe. Ansi, on peut extraire l'ADN d'un virus thermosensible (obtenu
par les techniques du groupe 1), le transférer à un autre virus (techniques du groupe 3)
que l'on reconnaîtra ensuite par une sonde moléculaire ou un anticorps monoclonal
(technique du groupe 2).
UTILISATION DES MÉTHODES BIOTECHNOLOGIQUES
Ayant décrit les étapes historiques de la naissance des biotechnologies, leurs grands
principes et les diverses méthodes possibles, nous dirons, maintenant, comment elles
sont utilisées ou étudiées, dans la science vétérinaire.
Quatre grands champs d'application sont possibles : la santé, la génétique et la
reproduction, la nutrition animales.
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