La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - n° 3 - vol. II - mai-juin 1999 137
éfinir un réseau de soins est difficile, car de très
nombreux réseaux spontanés et différents existent
déjà dans notre pays. Ces réseaux sont nés de l’in-
suffisance de notre système de santé dans la prise en charge des
populations particulières, souvent marginalisées, les toxicomanes
par exemple. Le comportement de ces sujets à risque les fait consi-
dérer par la société plutôt comme des malades sociaux, que
comme des patients. Le sida, avec le risque d’expansion d’une
épidémie mortelle, a motivé les professionnels de santé à s’or-
ganiser afin de pouvoir atteindre les patients et les sujets à risque,
même lorsque leurs demandes de soins n’étaient pas explicites.
C’est ainsi que nous avons vu se développer les thérapeutiques
de substitution, qui ne visent pas à l’autonomie de la personne
vis-à-vis de la drogue (au moins dans une première phase), mais
plutôt à donner à ces sujets l’opportunité de créer un lien social
et/ou médical. Ces réseaux toxicomanie ont nécessité l’interven-
tion de partenaires d’horizons très variés : médecins, travailleurs
sociaux, psychologues, magistrats, qui, historiquement, ont
démontré que l’on pouvait collaborer dans des structures hori-
zontales, non ou peu hiérarchisées. D’autres réseaux du même
type prennent en charge les problèmes des personnes âgées, des
populations défavorisées...
En somme, de très nombreux réseaux, fonctionnant en grande
partie sur le bénévolat, existent depuis longtemps dans notre pays.
L’hépatite C est un problème surtout médical (origine toxicoma-
niaque mise à part), et nous pouvons nous demander ce qui peut
justifier sa prise en charge en réseau. En effet, les moyens dia-
gnostiques et thérapeutiques ont été assez bien codifiés, en par-
ticulier par la conférence française de consensus, la conférence
américaine de consensus, et par la dernière en date, la conférence
internationale. Cependant, nous avons assisté dans notre pays à
une véritable explosion de la constitution de réseaux hépatite C,
et nous allons essayer d’en analyser les raisons.
Le nombre très important de sujets présumés séropositifs (500 000
à 600 000) en fait, a priori, un problème de santé publique, pour
lequel le ministère de la Santé vient de proposer (en février 1999)
un plan précis d’action. La grande abondance des patients dans
les services de consultation en hépato-gastroentérologie, en méde-
cine interne et en maladies infectieuses ainsi que la “monotonie”
de la prise en charge ont d’emblée poussé les professionnels de la
santé à s’organiser en réseau pour mieux se répartir le travail, et
surtout offrir à tout patient séropositif la meilleure prise en charge
possible au plus près de chez lui. Le caractère quasi asymptoma-
tique de la plupart des patients porteurs de l’hépatite C fait que la
lourdeur du système hospitalier peut paraître disproportionnée
pour une pathologie aussi silencieuse. Nous comprenons alors la
réticence de certains médecins à engager dans le dédale hospita-
lier des patients qui ne se sentent pas malades, et la tendance de
certains patients à minimiser la situation. Et pourtant, une enquête
hospitalière, réalisée en 1990, avait montré que 20 % des patients
étaient diagnostiqués au stade de la cirrhose asymptomatique. Dès
lors, le dépistage et le traitement à une phase plus précoce deve-
nait une attitude évidente à proposer aux sujets à risque. Très tôt,
est apparue la notion que le traitement n’était pas efficace lors-
Avenir des réseaux hépatite C
J.P. Miguet*, P. Mercet**
* Service hépatologie, CHRU Besançon ;
président de l’Association française pour l’étude du foie.
** Coordonnateur du réseau ville-hôpital hépatite C (REVHOC).
Le nombre très important de sujets séropositifs pour l’hépati-
te C (500 000 à 600 000) fait rechercher de nouveaux modes de
prise en charge des patients, pour une plus grande efficacité.
Les réseaux de soins peuvent constituer une réponse au
problème de santé publique posé par l’hépatite C. La prise en
charge des patients dans leur proximité géographique la plus
grande est souhaitable, si on peut, par des réseaux soumis à
évaluation, garantir la qualité des soins.
Un logiciel partagé, et rapidement évolutif compte tenu de
la croissance rapide des connaissances, implique un dévelop-
pement Intranet sur Internet.
La mise en place des réseaux efficaces, non hiérarchisés, se
heurte à de nombreuses difficultés, tant médicales qu’écono-
miques, et peut-être surtout éthiques et psychologiques. Le
travail en réseau des professionnels de soins est un change-
ment culturel pour le monde de la médecine, qui explique les
difficultés de mise en œuvre et de fonctionnement actuelles.
POINTS FORTS
POINTS FORTS
D
La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - n° 3 - vol. II - mai-juin 1999138
DOSSIER THÉMATIQUE
qu’il existait déjà une cirrhose, on a noté ensuite qu’il n’était peut-
être pas utile chez les sujets ayant une hépatite chronique de faible
activité. Nous avons montré, dans une étude contrôlée randomi-
sée, qu’un traitement de six mois par interféron au cours de l’hé-
patite chronique de faible activité (Knodell inférieur ou égal à 5
ou METAVIR inférieur ou égal à A1 F1) entraînait 18 % de néga-
tivation de l’ARN viral six mois après l’arrêt de celui-ci chez les
seuls malades traités, et que ce résultat était comparable à celui
des hépatites chroniques actives soignées pendant six mois par
interféron. Mais, cette étude n’a pas démontré qu’il était utile de
traiter de tels patients, dont peut-être la plupart n’évolueront pas
vers l’hépatite chronique active. Seul, le suivi prolongé de ces deux
cohortes pourra apporter une réponse au problème posé. La néces-
sité de traiter les hépatites de faible activité n’étant pas retenue, la
ponction-biopsie hépatique s’est imposée comme une étape pré-
liminaire, quasi obligée, à la prise en charge thérapeutique. Ce
passage nécessaire par la ponction-biopsie hépatique, étayé par la
conférence française de consensus, a ancré les hôpitaux publics
et certaines cliniques privées dans les réseaux de soins hépatite C.
Pour autant, ceux-ci peuvent ne pas être centrés sur la prise en
charge hospitalière exclusive ou prédominante du patient. La place
des médecins généralistes et des hépato-gastroentérologues libé-
raux, intervenant comme médecins référents de proximité, reste
plus que souhaitable.
Il importe maintenant de tenter de définir au mieux les missions
de ces réseaux. Pour l’hépatite C, la première consiste à appor-
ter au patient, au plus près de sa situation géographique, infor-
mations et prise en charge diagnostique et thérapeutique de qua-
lité. Cet objectif ambitieux doit se décliner de la façon suivante :
– formation de médecins référents, éventuellement généralistes,
au dépistage par la reconnaissance des sujets à risque ;
– aptitude du médecin référent à guider son patient vers une filière
de soins lui apportant qualité et sécurité ;
– capacité à suivre le traitement, renouveler l’ordonnance, dépis-
ter les effets secondaires et éclairer le patient sur les risques réels
néanmoins faibles pour son entourage.
Cette formation pose un problème. Si le rôle de médecin référent
est confié au médecin traitant du patient, il faudra étudier le rap-
port coût-efficacité de la formation de ces médecins généralistes,
qui n’auront peut-être qu’un ou deux patients. Nous verrons plus
loin, avec un réseau Intranet et de nombreuses aides en ligne, com-
ment surmonter cette difficulté.
Une étude pilote conduite dans le Doubs, subventionnée par le
Fonds de prévention de la Caisse nationale d’assurance maladie,
a montré que, formés aux facteurs de risque, les médecins géné-
ralistes obtenaient de bonnes performances en matière de dépis-
tage puisqu’ils ont obtenu une séropositivité de l’hépatite C chez
5 % des patients auxquels ils l’ont prescrit, c’est-à-dire qu’ils ont
fait cinq fois mieux que la séroprévalence estimée dans la popu-
lation générale. Ils ont fait mieux que les médecins du travail et
que les médecins biologistes, sensibilisés de la même façon aux
facteurs de risque (respectivement 2,5 % et 3,5 %).
Nous pouvons alors nous questionner sur l’avenir des réseaux
hépatite C. Il n’est pas déraisonnable de penser aujourd’hui,
compte tenu de l’évolution naturelle de l’hépatite C et du nombre
modeste de sujets dépistés (au mieux 30 %), que les réseaux ont
devant eux une à deux décennies de travail.
Les réseaux hépatite C, très nombreux, peuvent rester informels,
et centrés sur les pôles de référence. Ils peuvent aussi tenter de
s’institutionnaliser, puisque les ordonnances du 24 avril 1996,
relatives à la maîtrise médicalisée des dépenses de soins, leur en
donnent la possibilité.
Pour une durée de cinq ans, à compter de la publication de l’or-
donnance n° 96-345 du 24 avril 1996, des actions expérimentales
sont menées dans le domaine médical ou médico-social sur l’en-
semble du territoire, en vue de promouvoir, avec l’accord du béné-
ficiaire de l’assurance maladie concernée, des formes nouvelles
de prise en charge des patients, et d’organiser un accès plus ration-
nel au système de soins ainsi qu’une meilleure coordination de
la prise en charge, qu’il s’agisse de soins ou de prévention. Ces
actions peuvent consister à mettre en œuvre des réseaux de soins
expérimentaux permettant la prise en charge de patients atteints
de pathologies lourdes ou chroniques.
Cette perspective juridique a conduit le réseau ville-hôpital hépa-
tite C franc-comtois (REVHOC) et le réseau bourguignon ville-
hôpital (REBHOC) à se fédérer dans une structure, régie par la
loi de 1901.
Avec l’aide des institutionnels (Caisses primaires d’assurance
maladie, URCAM, ARH) et de la firme Schering Plough, nous
avons abouti à un projet de réseau expérimental de soins que nous
avons déposé à la commission Soubie en juillet 1998.
Les originalités de ce projet sont :
– un logiciel Intranet sécurisé sur Internet ;
– des dérogations tarifaires pour les médecins libéraux partici-
pant au projet.
Le choix d’un logiciel disponible sur Internet a été motivé par sa
grande souplesse, lui permettant d’évoluer rapidement en fonc-
tion des progrès de la science médicale et de la thérapeutique. En
effet, lorsque le logiciel est mis à jour, tous les professionnels de
la santé voient leurs informations mises à jour instantanément.
Les différents praticiens référents des patients auront accès en
permanence à toutes les données de leurs patients, mais évidem-
ment pas à celles des autres patients. Ils pourront cependant avoir
accès aux données statistiques anonymes de toute la cohorte des
patients pris en charge. L’autre intérêt de ce logiciel est la possi-
bilité d’une évaluation en temps réel des praticiens adhérents ;
ainsi, toute déviation standard majeure par rapport aux référen-
tiels de prise en charge des réseaux permettra au médecin coor-
donnateur de se rendre sur le site du médecin référent pour com-
prendre les raisons de telles déviations.
Grâce à ce logiciel, il sera possible d’effectuer une évaluation
financière et économique de la prise en charge du patient, qu’il
soit traité ou non. Ce logiciel, par ses aides en ligne, aura aussi
La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - n° 3 - vol. II - mai-juin 1999 139
un rôle éducatif important pour les médecins participants, qui
pourront consulter des données avec lesquelles ils ne sont pas
familiarisés, par exemple l’explication du score de Knodell ou
METAVIR, ou encore les arbres décisionnels du diagnostic et du
traitement, ainsi que le rythme de surveillance des items biolo-
giques utiles au suivi thérapeutique.
Enfin, ce logiciel fournit des éléments sur la vie du réseau et per-
met l’accès aux banques de données bibliographiques. À terme,
le réseau pourra être intégré à celui de la santé sociale en tant que
serveur associé.
Ce projet expérimental prévoit également des dérogations tari-
faires pour les médecins libéraux participant au projet ; le travail
supplémentaire devra être honoré, sur la base d’un forfait déter-
miné en fonction de la complexité de la prise en charge. Il est
envisagé que la participation aux séances de formation soit éga-
lement indemnisée. Il s’agit là d’un nouveau mode de fonction-
nement, et le rôle éducatif d’un tel réseau paraît évident.
En conclusion, l’avenir des réseaux hépatite C dépend moins de
supports techniques de qualité, ou de dérogations tarifaires, que
de la manière de surmonter des difficultés encore très présentes,
et qui reflètent l’état d’esprit actuel.
Ces difficultés sont à notre avis au nombre de six :
Pratiques : la multiplicité des sollicitations, l’émergence quasi
simultanée de réseaux très diversifiés rendent bien difficiles pour
un généraliste une participation frontale et ubiquitaire... pour des
pathologies parfois confidentielles.
Logistiques : le manque de goût pour l’informatique et, pour
beaucoup encore de nos confrères, l’absence de moyens adéquats
modernes réduisent significativement les possibilités de commu-
nication en réseau.
Épidémiologiques : les services hospitaliers, souvent à l’ori-
gine de ces premiers essais de regroupement, sont volontiers sus-
pectés de vouloir “ratisser encore plus large”, en attirant vers eux
des patients relevant à l’évidence de la médecine ambulatoire.
Politiques : la méfiance est flagrante, en ces temps de budgets
globalisés, vis-à-vis des instances nationales, avec comme prin-
cipale crainte de voir pénaliser financièrement ces participants à
des réseaux thérapeutiques en leur demandant des reversements
d’honoraires.
Économiques : appartenir à un réseau signifie que l’on accepte
de se former longuement à une pathologie parfois complexe, de
passer beaucoup de temps avec des patients difficiles.
Structurelles : la réglementation concernant le remboursement
de certains examens de laboratoire (génotype, charge virale) ou
de certains médicaments (ribavirine) oblige les patients à faire un
séjour au CHU et renforce l’hospitalo-centrisme. Ceci s’oppose
à un fonctionnement non hiérarchisé qui devrait être la règle dans
les réseaux de soins. La solution à ce problème pourrait passer
par des dérogations accordées aux réseaux de soins reconnus, et
évalués médicalement et économiquement : dans un tel contexte,
l’assurance maladie devrait prendre en charge tout ce qui permet
au patient atteint d’hépatite C un suivi et un traitement optimal
aujourd’hui.
La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue
vous souhaite un bon été
et vous remercie de votre fidélité.
Le prochain numéro paraîtra en septembre.
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