Symbioses, , nouvelle série, n° 32 : 63 - 67 63
INTRODUCTION
Si l’intérêt de suivis démographiques à long-terme n’est plus
à démontrer, un des écueils majeurs pour les mettre en place
chez les chauves-souris est la difficulté d’obtenir des indices
d’abondance qui soient fiables pour ces espèces [MEYER et al.
2010, O’SHEA et al. 2003]. Chez les chiroptères, un ensemble
de méthodes permettent cependant d’avoir des estimations
plus ou moins directes d’abondances absolues ou relatives
[KUNZ et al. 2009], et les suivis qui en ont résulté ont conduit
en Europe au constat que la tendance négative observée pour
la plupart des espèces après-guerre s’est stabilisée ou inversée
dans les années 80 (pour une revue concise de la question, voir
UHRIN et al. [2010]). Il reste toutefois difficile de comprendre
ces évolutions parce que les protocoles employés ne permettent
pas toujours de séparer de vraies évolutions démographiques
d’autres sources de variations comme les échanges entre gîtes
[KUNZ et al. 2009, SCHAUB et al. 2007], lorsqu’il s’agit de gîtes
d’hibernation ou de métacolonies notamment.
L’unité primaire d’organisation démographique chez les
chiroptères européens est la colonie de mise-bas, constituée en
général de femelles adultes et de leurs jeunes (une fois les nais-
sances passées), et parfois, dans des proportions variables selon
les espèces et les colonies, de mâles. Ces colonies sont la cible
idéale pour les suivis démographiques chez les chiroptères,
étant donné leur place centrale dans le cycle de vie annuel de
ces animaux, et parce que ce sont les unités les plus stables, en
termes de dynamique des populations, de ce cycle. C’est par le
suivi de ces colonies qu’il est donc possible d’estimer de façon
la plus juste les tendances démographiques et l’essentiel des
paramètres de dynamique des populations (survie, fécondité,
recrutement, migrations) chez les chiroptères. A quelques
exceptions près, les suivis de colonies ont jusqu’à aujourd’hui
été concentrés sur un faible nombre de colonies et sur l’esti-
mation de paramètres vitaux, notamment la survie adulte, à
travers des programmes de capture-marquage-recapture [FRICK
et al. 2010, HOYLE et al. 2001, PAPADATOU et al. 2011, PRYDE
et al. 2005, SCHAUB et al. 2007, SCHORCHT et al. 2009]. Ces
recherches en dynamique des populations de chiroptères ont
parfois eu pour but d’établir des tendances démographiques,
mais le nombre de colonies [Schaub et al., 2007] ou le nombre
d’années [WARREN & WITTER 2002] étaient trop réduits pour
amener à des conclusions robustes. En effet, les variables
démographiques varient entre colonies [PRYDE et al. 2005] et
entre habitats [PAPADATOU et al. 2011], et les tendances démo-
graphiques ne sont pas détectables si les séries temporelles sont
trop courtes [GRAY & BURLEW 2007, HATCH 2003, MEYER et
al. 2010].
L’association Bretagne Vivante, et notamment son groupe
« Chiroptères », a commencé en l’an 2000 à dénombrer de
façon systématique le nombre d’adultes et de jeunes produits
dans les colonies de mise-bas connues de quatre espèces patri-
moniales qui présentent la particularité de fréquenter des bâti-
ments, ce qui facilite en général les opérations de comptage.
Ces quatre espèces sont le Petit et le Grand rhinolophe
(Rhinolophus hipposideros et R. ferrumequinum, respective-
ment), le Grand murin (Myotis myotis) et le Murin à oreilles
échancrées (Myotis emarginatus). Ce programme a pour
objectif premier de suivre l’évolution démographique de ces
espèces en Bretagne, à partir d’un échantillonnage spatial le
plus large possible [YOCCOZ et al. 2001]. L’acquisition de
données à large échelle et la diversité des milieux dans lesquels
évoluent les chauves-souris permettent par ailleurs, à partir de
ces données, de décrire la dépendance des variables démogra-
phiques à des variables environnementales du gîte ou des habi-
tats autour du gîte.
Dans cet article, nous présentons les résultats de l’analyse
statistique des onze premières années de ce suivi démogra-
Suivi démographique de quatre espèces patrimoniales en Bretagne :
analyse statistique de 11 années de comptage
Eric PETIT*, Erwan LE TEXIER* & Olivier FARCY**
Résumé. - Nous présentons les résultats de l’analyse statistique des onze premières années d’un suivi démographique standardisé sur quatre espè-
ces patrimoniales de chauves-souris en Bretagne. Ces résultats montrent que les colonies de mise-bas du Petit rhinolophe, du Grand murin
et du Murin à oreilles échancrées ont été en croissance sur cette période, contrairement à ce qui est observé pour le Grand rhinolophe,
dont les colonies ont des effectifs stables. La fécondité dans les colonies de ces quatre espèces est très variable d’une année à l’autre et ne
progresse pas sur la période analysée. Au-delà de ces tendances générales, nous avons cherché à savoir si les variations observées entre colo-
nies pouvaient être expliquées par des variables environnementales, à savoir le type de gîte et des variables liées à l’environnement des gîtes.
Nous montrons en particulier que la bonne santé démographique des colonies dépend de la présence de milieux de chasse (ici les milieux
boisés) à des distances et en proportion adéquats, ce qui traduit en termes de dynamique des populations ce qui était connu au niveau
individuel grâce aux suivis par radio-pistage.
Mots-clés. - Chauves-souris ; Démographie ; Dynamique des populations ; Environnement.
Abstract. - We statistically analyze the first eleven years of a standardized demographic monitoring program of four bat species conducted in
Brittany. We show that nurseries of three species, the lesser horseshoe bat, the greater mouse-eared bat and Geoffroy’s bat, increased in size
during this period, which was not the case for nurseries of the greater horseshoe bat. Fecundity for the four species was highly variable and
stable over this period. Beyond these general trends, we investigated whether the differences we observed between colonies could be lin-
ked to environmental variables, namely roost type and roost environment. We found that colonies that have increasing size and/or fecun-
dity are closer from wooded habitats and/or have greater proportions of wooded habitats in their vicinity. What is known from radio-trac-
king surveys at the individual scale has thus consequences at the population dynamic level.
Key words . - Bats ; Demography ; Population dynamics ; Environment.
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*UMR CNRS 6553 ECOBIO, Université Rennes 1, Station Biologique, 35380 Paimpont, France ; eric.petit@univ-rennes1.fr
**Bretagne Vivante, Section du Pays de Vannes, Maison des Associations, 6 rue de la Tannerie, 56006 Vannes cedex ; olivier.farcy@bretagne-
vivante.org
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