ÉDITORIAL
Traitements alternatifs et complémentaires dans les MICI
●M. Bensoussan*
* Service d’hépato-gastroentérologie, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris.
L
es traitements alternatifs et complémentaires (TAC)
répondent à une définition qui, jusqu’à présent, ne fait
pas l’objet d’un consensus. Ce sont en partie les traite-
ments qu’on appelait autrefois (un peu ironiquement d’ailleurs)
les “médecines parallèles” mais également les médecines prati-
quées par des civilisations lointaines, dans le temps ou dans l’es-
pace, telles l’acupuncture ou la médecine ayurvédique. Certains
incluent encore dans cette famille des thérapies dorénavant ensei-
gnées dans certaines universités françaises telles l’homéopathie,
l’aromathérapie ou la réflexologie. Finalement, une définition
assez consensuelle est de considérer que les TAC sont “l’ensemble
des pratiques médicales qui ne sont pas en conformité avec les
standards des sociétés savantes” (1).
Le recours à ces traitements est en progression constante depuis
20 ans, davantage dans les pays nordiques et anglo-saxons qu’en
Europe continentale (2). Par ailleurs, l’utilisation de TAC est par-
ticulièrement fréquente chez les patients atteints de maladies chro-
niques ayant un retentissement sur leur qualité de vie. On retrouve
notamment depuis 10 ans de très nombreuses publications sur
l’utilisation des TAC chez des patients atteints de cancer, la mala-
die chronique par excellence, qui a un retentissement sur la qua-
lité de vie, y compris dans certains centres prestigieux comme le
Sloan-Kettering Cancer Center de New York, où l’acupuncture
est utilisée pour la prise en charge des vomissements postchimio-
thérapie (3, 4).
En ce qui concerne la pratique des gastroentérologues, parmi les
maladies les plus invalidantes, il y a bien entendu les maladies
inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI). C’est donc parmi
les patients atteints de MICI que l’on trouve une importante pré-
valence du recours aux TAC. En effet, certaines études ont mon-
tré que ce chiffre atteignait 40 % en Amérique du Nord (États-
Unis et Canada) (5, 6). Ces données sont à peu près comparables
à celles retrouvées dans des cohortes de patients suisses, anglais
ou encore suédois (2).
Cependant, aucune étude portant sur le recours aux TAC par les
patients atteints de MICI n’était encore disponible en France.
C’est ce qui a motivé la réalisation de notre travail au sein de
l’équipe du service d’hépato-gastroentérologie du Pr G. Thiefin,
au CHU de Reims (7). Pour réaliser ce travail, le Pr G. Cadiot et
moi-même nous sommes très fortement inspirés de la méthodo-
logie d’une étude similaire, de type enquête postale, menée au
Canada par l’équipe de Calgary de R.J.Hilsden (8). Nous avons
donc envoyé un questionnaire anonyme à 447 patients de la région
de Reims recrutés parmi les patients suivis au CHU et dans une
importante clinique privée.
Le taux de réponse était très élevé, puisque 63,3 % des patients
ont répondu au questionnaire, ce qui était une première indica-
tion de l’importance qu’ils attachaient à l’attention portée par le
monde médical à leur qualité de vie et à leur ressenti de la MICI.
Parmi les patients qui ont répondu, 21,2 % ont rapporté avoir déjà
eu recours à des TAC. Ce chiffre était donc nettement inférieur à
ceux retrouvés dans d’autres populations, mais n’était pas négli-
geable. En effet, il nous a paru primordial de réaliser pour la pre-
mière fois qu’un patient sur cinq atteints de MICI en France uti-
lise des TAC. Parmi ces patients, une minorité les utilisait à la
place des traitements conventionnels (corticoïdes, azathioprine,
5-aminosalicylés, etc.), mais les TAC venaient le plus souvent
compléter ces traitements. Par ailleurs, les patients qui utilisaient
des TAC exprimaient avoir ressenti des effets positifs sur leur état
de forme générale et leur niveau de stress, bien plus que sur
les symptômes directs de la MICI, ce qui était un autre résultat
important.
Les trois TAC les plus utilisés étaient, dans l’ordre : l’homéopa-
thie, le magnétisme et l’acupuncture. Ces résultats étaient encore
différents de ceux des études nord-américaines, probablement en
raison des différences culturelles, des types différents de popula-
tions immigrées et de la facilité d’accès à certains TAC aux États-
Unis. En particulier, dans la plupart des études américaines, ce
sont les compléments multivitaminés et les thérapies à base
d’herbes qui sont les plus utilisés, alors qu’ils ne figuraient qu’en
quatrième position dans notre travail.
Certains autres résultats étaient surprenants, en tout cas différents
des autres études disponibles sur le sujet. En effet, l’analyse sta-
tistique ne nous a pas permis de mettre en évidence une relation
significative entre la gravité de la maladie et le recours aux TAC,
ni avec le niveau social ou d’éducation des patients. Dans notre
travail, après avoir introduit tous les facteurs de la cohorte dans
une analyse multivariée, les trois seuls facteurs significativement
associés au recours aux TAC étaient : le fait d’être une femme, le
faible niveau de confiance envers le médecin et le fait d’avoir
cherché des informations sur la MICI (livres, revues, Internet,
La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 2 - vol. IX - mars-avril 2006 67