Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume VI, n° 2, mars-avril 2002
M
adame E., âgée de 55 ans, a consul-
té son médecin traitant pour un épi-
sode bronchitique. Un traitement associant
mucolytique et antibiotique a permis de
juguler rapidement la symptomatologie, à
l’exception de la toux qui a persisté
quelques jours après le retour en apyrexie.
Au cours d’un de ses épisodes de toux,
Madame E. a ressenti de violentes cépha-
lées à prédominance frontale. L’accès dou-
loureux a cédé en quelques heures et a été
suivi d’une rhinorrhée qui persiste 15 jours
après le début de l’épisode infectieux
désormais totalement jugulé.
Les antécédents de Madame E. incluent :
– une ménopause survenue à l’âge de
46 ans, non substituée ;
– une hypertension artérielle découverte
simultanément à la ménopause et traitée par la
prise d’un comprimé de Modurétic®par jour ;
– une hyperthyroïdie (maladie de Basedow)
survenue à l’âge de 48 ans et ayant été traitée
par thyroïdectomie subtotale bilatérale. Un trai-
tement substitutif par 100 µg de Lévothyrox®
est depuis, suivi quotidiennement.
Madame E. pèse 80 kg pour 1,60 m.
L’examen clinique retrouve la cicatrice cer-
vicale de thyroïdectomie. Elle a une exoph-
talmie bilatérale modérée séquellaire de sa
maladie de Basedow. Il n’y a pas d’œdème
palpébral, pas de signe inflammatoire ni
parésie oculo-motrice et le champ visuel est
normal. Madame E. est cliniquement euthy-
roïdienne. La fréquence cardiaque est à
72 pulsations/min et la pression artérielle,
sous traitement, à 120/70 mmHg. L’examen
neurologique est normal. Il n’y a pas d’amyo-
trophie, de vergeture ou d’hématome. Il n’y a
aucun argument clinique du morphotype
acromégalique. Enfin, il n’y a aucun stigmate
clinique d’insuffisance anté-hypophysaire.
Les radiographies du crâne, réalisées de
face et de profil quelques jours après le vio-
lent accès céphalalgique, retrouvent une
volumineuse selle turcique et une pneu-
mencéphalie (figure 1). Le contact de
l’écoulement nasal avec une bandelette
réactive fournit les informations figurant
dans la figure 2.
Le bilan endocrinien d’évaluation de la
fonction anté-hypophysaire fournit les
informations qui sont résumées dans le
tableau. La diurèse quotidienne de
Madame E. étant de 1 500 ml, il n’y a pas
eu d’évaluation endocrinienne de la sécré-
tion d’hormone antidiurétique.
À ce stade, on se trouve devant un tableau
très particulier associant, chez une femme
qui a ressenti un accès céphalalgique brutal
au cours d’un épisode de toux, une rhinor-
rhée, une pneumencéphalie, une volumi-
neuse selle turcique à une intégrité complè-
te des fonctions anté-hypophysaires (aussi
bien sur le plan déficitaire que sur celui
recherchant une secrétion hormonale
pathologique). Quel diagnostic permettrait
d’expliquer l’ensemble et comment le
confirmer ?
Ce sont les examens radiologiques qui don-
neront la clé du diagnostic. L’examen par
IRM de la région hypophysaire, dont la
réalisation est tout à fait légitime compte
tenu de la symptomatologie et de l’existen-
ce d’une grosse selle turcique, démontrera
l’existence d’une selle turcique vide. Ce
Cas clinique
Une affaire hydro-aérique
J.M. Kuhn*
* Service d’endocrinologie et des maladies
métaboliques, hôpital de Bois-Guillaume,
CHU de Rouen.
Base Après stimulation Normales
ACTH pg/ml 20 10-80
Cortisol nmol/l 374 1 080 > 300 (base)
LH mU/ml 17 50 > 10 (base)
FSH mU/ml 44 59 > 20 (base)
Estradiol 20 20
Prolactine ng/ml 344< 15 (base)
TSH mU/ml 3,5 14 0,1-4,5 (base)
T4 libre pmol/l 17 10-23
GH ng/ml 1< 2
IGF-1 ng/ml 222 90-350
Tableau. Données de l’exploration hormonale hypophysaire.
Figure 1. Radiographie du crâne de profil mon-
trant la pneumencéphalie, d’une part, la volumi-
neuse selle turcique, d’autre part.
Figure 2. Résultat de l’imprégnation d’une bande-
lette réactive par la rhinorrhée : glucose, corps
cétonique, densité, sang, pH, protéines, nitrites,
leucocytes.
83
Glucose
Corps cétoniques
Densité
Sang
pH
Protéines
Nitrites
Leucocytes
Bandelette test
Bandelette témoin
PUB
ZOCOR
processus est très vraisemblablement pri-
mitif chez Madame E. et lié à la déhiscen-
ce du toit dure-mérien de la loge sellaire et
à la poussée progressive de l’arachnoïdo-
cèle vers le bas. Le laminage de l’hypo-
physe dans le fond de la selle turcique ainsi
agrandie et l’étirement de la tige pituitaire
peuvent entraîner des tableaux hormonaux
variés où prédomine le plus souvent une
hyperprolactinémie. Néanmoins, comme
dans le cas de Madame E., nombre de
selles turciques vides ne s’accompagnent
d’aucun symptôme endocrinien clinique ou
biologique. Parallèlement, le chiasma,
entraîné par la hernie arachnoïdienne, peut
s’insérer dans la selle turcique, migration
qui expose à des complications visuelles
par compression des voies optiques sur les
bords de la cavité ostéo-dure-mérienne.
Une telle éventualité, qui nécessite un acte
chirurgical, est néanmoins inconstante.
Enfin, comme c’est la cas chez Madame E.
la pression de l’arachnoïdocèle sur le fond
osseux de la selle turcique est tout à fait
susceptible de l’user progressivement. Des
rhinorrhées de LCR peuvent survenir,
démasquées lors d’éternuements ou d’épi-
sodes de toux. La présence de glucose dans
l’écoulement nasal confirme chez Madame E.
qu’il s’agit bien de LCR. L’épisode de toux
qui a juste précédé l’épisode céphalalgique
est le facteur déclenchant de la rupture de
la barrière ostéo-dure-mérienne dans la
région ethmoïdo-sphénoïdale et, consécuti-
vement, de l’écoulement de LCR.
La solution de continuité osseuse s’étend à
la frontière ethmoïdo-sphénoïdale
(figure 3) et explique, quant à elle, l’issue
d’air dans la boîte crânienne au sein de
l’espace séparant les deux feuillets de
l’arachnoïde. Si ces complications du syn-
drome de la selle turcique vide sont raris-
simes, elles sont redoutables. En particu-
lier, la brèche ostéo-dure-mérienne, res-
ponsable de la rhinorrhée de LCR, expose
à la méningite (notamment à streptocoque)
de pronostic effroyable. Il s’agit là d’une
rarissime urgence “oto-rhino-neuro-endo-
crinienne” nécessitant l’obturation des
brèches ostéo-dure-mériennes dans les
meilleurs délais.
Cas clinique
Figure 3. Aspects par scanner (g) et par IRM (d) de la région ethmoïdo-sphénoïdale.
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