Obsession.

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Obsession.
Chapitre 1
"Le noir m'étouffe ce soir et le froid m'engourdit. Je me sens fragile lorsque ma
chambre est plongée dans cette obscurité. L'atmosphère semble changer, je ne reconnais
plus rien. Je ne me sens plus en sécurité. Je suis comme une enfant qui a peur du monstre
sous son lit. Mais je sais que lorsque l'heure du couché approche, il vient... Il vient me hanter,
me torturer quand tout le monde est insouciamment endormi. Personne ne sait, tout le monde
ignore mes cris. Je suis prisonnière de la nuit, fantôme de la vie, qui ère désespérément à la
recherche d'une quelconque aide, d'une réponse. Le noir est là, il prend possession de ma
chambre et je suis entourée de ses bras menaçants. Assise sur mon lit, je me résigne à
attendre. Longtemps j'ai essayé de lutter, mais il est toujours plus fort que moi. Le regard
dans le vide, les mains posées sur mes genoux, je regarde les aiguilles de la pendule avancer.
Les battements de mon cœur se mettent au rythme du "tic-tac" régulier qui résonne dans la
pièce. C'est le seul son qui s'entend. Même mon souffle est inaudible. Puis soudain, un
murmure. C'est lui. Il est là, comme chaque soir... Il se rapproche jusqu'à être tout près de
moi. Je n'ai même pas le courage d'agir. J'attends encore. J'attends jusqu'à ce que les mots
soient clairs."
–
Alors ? Tu es encore assise là sans rien faire ? Quand vas-tu réagir ?
Je ne bouge pas, car je sais ce qu'il va se passer ensuite. Il va crier, m'insulter et me faire du
mal. C'est chaque fois pareil. Et j'ai beau appeler à l'aide, il ne se passe jamais rien.
- Tu décides encore de m'ignorer hein ? Je vais te faire voir moi qui est le plus fort de nous
deux ! Je finirai bien par te faire plier.
Sa voix est rauque et menaçante. L'obscurité le rend d'autant plus effrayant. Il me rend
cinglée!
- Faites le taire ! Mais faites le taire par pitié ! Ne le laissez pas me faire du mal.
J'ai beau crier, rien ni personne ne l'empêche de parler. Le choc est violent. Ma tête heurte
le mur avec force et le sang coule le long de mon front. Étourdie, mes mains se posent sur le
mur face à moi. Mon souffle est rapide et court. La douleur est vive.
- S'il vous plaît... Aidez moi ! Je hurle.
- Tu vas la fermer oui ! Je t'ai déjà dit que ça aggrave ton cas de crier ainsi ! Laisse moi faire,
ça vaut mieux pour toi. Regarde dans quel état tu es !
- Tais-toi !
Je sens ma chair s'ouvrir, je sens la brûlure envahir tout mon être. Le frisson. Le sang est
comme un drap qui m'enveloppe. J'ai beau me boucher les oreilles, je l'entends encore.
- Vas t'en ! Laisse moi tranquille... Tu vas me tuer si tu continues.
Les menaces sont loin de l'effrayer, bien au contraire. Les mains dans mes cheveux, ma tête
va exploser.
- Non ! Non ! Je crie.
Je me réfugie dans le coin de ma chambre. Les objets volent de tous les côtés. La chaise se
brise contre un mur, la lampe explose dans une vive étincelle, et mes livres traversent la
chambre dans un bruit de pages froissées. Je cris plus fort dans l'espoir fou que quelqu'un
m'entende, mais je sais très bien que personne ne viendra. Ça n'a aucun sens, aucun intérêt.
Je me sens comme un agneau coincé dans les griffes du loup...
- Ça brûle...
Une douleur vive me brûle, et me yeux se ferment d'épuisement en laissant mon corps dans ce
bain de sang. Je suis plongée dans un noir encore plus obscure, et un silence total. Je ne sais
pas ce qui est le plus angoissant entre le silence morbide et le bruit dévastateur...
Le médecin-chef a un ton grave, l'air sérieux. On sait rien qu'à son regard que c'est lui qui
donne les ordres à tout le service de psychiatrie. On m'a un peu prévenue avant la réunion.
Plusieurs fois on m'a dit "tu verras, le patron c'est celui qui fait le plus peur !". Ce n'est pas
vraiment rassurant... Nous sommes tous autour d'une grande table, comme les chevaliers de la
table ronde. C'est à la fois très solennel et très ironique. Chacun se regarde du coin de l'œil,
les uns épient les autres sans cesse. A se demander qui sont véritablement les fous ici.
–
Bonjour à tous. Comme vous le savez, dès aujourd'hui nous comptons une nouvelle
recrue dans nos rangs. Voici le Dr. T., elle vient d'obtenir son diplôme et sera donc durant la
première semaine en binôme avec le Dr. L. Soyez indulgent avec elle, elle ne connait ni les
lieux, ni les habitudes de travail de chacun ! Je compte sur vous pour la former, l'intégrer au
mieux et au plus vite dans notre équipe.
Il se tourne vers moi et d'un sourire froid et professionnel m'adresse un "Bienvenue parmi
nous Mlle T.". Je lui répond en inclinant la tête puis observe timidement mes confrères. Tout
le monde s'interroge du regard pour savoir qui je suis. J'ai l'impression d'être l'attraction de
l'année de ce centre médical... Mon nouveau chef interrompt mes rêveries en interrogeant les
deux médecins de garde la nuit dernière.
- En parlant du Dr L., puis-je avoir des explications sur ce qu'il s'est passé avec la patiente
342 cette nuit ?
La patiente 342 n'a plus de nom. Elle n'est plus qu'un chiffre, un cas parmi tant d'autres. Je
soupire et imagine bêtement pouvoir changer les choses...
- Oui Monsieur. La patiente 342 a fait une nouvelle crise, comme presque chaque soir ces
dernières temps. Parfois elle se calme au bout de quelques minutes, mais cette nuit, nous
avons été contraints de lui faire une injection. Elle était violente, agressive. Son état semble
se détériorer semaine après semaine. La patiente 342 s'est violemment frappé la tête contre
le mur cette nuit. Elle est donc en observation auprès du Dr S. car sa plaie est profonde.
Nous avons vu la psychologue chargé de ce cas, et elle nous a informé que cette patiente
refuse tout contact, qu'elle ne prononce plus un mot et se bouche sans cesse les oreilles pour
ne plus rien entendre. Elle semble vouloir se couper complètement du monde. La psychologue
l'a d'ailleurs retrouvé il y a quelques jours avec des boules de tissu profondément enfoncés
dans ses oreilles.
- Très bien. Faites moi un rapport écrit de cela et déposez le sur mon bureau dans la journée.
Prévenez moi dès qu'il y a du changement.
Les médecins parlent encore de certains cas, de certains problèmes. Je ne connais aucun nom
de patient. Ce sont tous des numéros. Le patient 12, la patiente 342, la patiente 513, le
patient 75, le patient 21, le patient 89, le patient 269, etc. Des chiffres... uniquement des
chiffres. La réunion se termine sur des explications dont je prends note avec le plus grand
soin. On me donne de nombreux conseils et on me souhaite beaucoup de courage avec ce
sourire figé bien trop vu déjà. A croire que ce centre est un enfer pour les médecins ! Ne
devrait-on pas d'abord penser au bien-être des patients ? Le statut de "petite nouvelle" ne
me plaît guerre, mais je dois malheureusement passer par là. Je veux apprendre et je ne veux
pas refaire les mêmes erreurs que dans le passé.
Ma première journée est un vrai calvaire. Aucun médecin ne prend le temps de
m'expliquer quoi que se soit. Je dois me débrouiller seule... Je suis perdue. On m'a demandé
de faire une visite de contrôle auprès du patient 543, mais j'ignore ou se trouve sa cellule.
J'ère dans les couloirs en espérant tomber dessus par hasard. A défaut de trouver le patient
543, je fais la rencontre du patient 58, du nom de Richard. C'est un homme d'un certain âge,
qui semble très calme. A première vue, on peut se demander ce qu'il fait ici. Son problème,
selon les médecins, est qu'il développe un comportement psychotique. Je prends le temps de
bavarder avec lui. C'est un homme cultivé, et charmant. Il me fait visiter sa cellule car il
comprend immédiatement que je suis nouvelle ici. Il tri ses chaussettes par couleurs, il range
sa chaise de manière à ce qu'elle soit à exactement 10 centimètres de son bureau, il ne
supporte pas que les pages d'un livre soient froissées, et lorsque quelqu'un prononce le mot
"désordre", il se met à pleurer pendant des heures en faisant sans cesse le tour de sa cellule.
Il réfléchi à voix haute, il parle seul. Certains confrères se demandent s'il ne commence pas à
avoir un dédoublement de personnalité. Je crois qu'il m'apprécie car j'ai le droit à un baise
main très noble et un sourire élégant. Richard est un patient léger. Il est conscient d'où il
est, et sait ce qu'il se passe autour de lui. Mais il est seul, n'a plus de famille alors il se plaît
dans ce centre. On ne lui cause aucun problème, donc il s'en satisfait. Ma quête reprend après
de vagues indications de Richard et je découvre couloir après couloir chaque patient de ce
centre psychiatrique qui est bien plus riche que je ne le croyais.
Chapitre 2
Je tourne en rond aujourd'hui... Les médecins refusent que je sorte de ma cellule. Elle
est une véritable prison. Je n'en peux plus d'être ici, je n'en peux plus de cette souffrance.
Je veux simplement qu'on me débarrasse de lui ! Qu'on me laisse tranquille... qu'on me laisse
tranquille. Je ne comprends pas pourquoi il s'entête à hanter mes nuits ainsi. Personne ne
comprend rien ici, je n'ai toujours pas la moindre réponse. A chaque fois que j'essaie
d'expliquer ce qu'il se passe on me prend pour une cinglée. Il y a les deux abrutis de médecins
qui sont chargés de me surveiller qui sont à ma porte. Ils parlent d'une certaine Dr T. Elle est
nouvelle. Il paraît qu'elle est bien gaulée. En tous cas, c'est ce que disent mes chiens de
garde. Peut être qu'elle peut m'aider. Encore faudrait-il que je puisse sortir de là pour la
rencontrer. Je ne dois pas crier si je veux sortir, je ne dois pas crier... Le noir approche. Je
sens l'angoisse monter en moi progressivement. Je ne dois pas crier... Je sais que d'ici peu il
va revenir... Je n'y échappe plus, ça en devient presque une habitude. La peur? Je ne sais plus
ce que c'est exactement. Je ne sais pas bien. Je l'ai su, avant. Les premières fois qu'il venait,
j'avais peur. Un frisson qui m'envahissait le corps, me glaçait la peau jusqu'au levé du jour. Je
ne criais pas, je ne pouvais pas. C'est comme si c'est deux mains entouraient ma gorge pour la
serrer jusqu'à ce que le souffle me manque... Comme si ses doigts pénétraient ma peau jusqu'à
la brûlure... la déchirure... Maintenant, je n'ai même plus la force de le repousser... Je sais que
je ne peux rien contre lui. Je suis trop faible... Il est trop fort... Je ne dois pas crier... Il
prend petit à petit le contrôle de mon âme, de ma tête, de mon corps... J'ai besoin de
réponses, mais je crois avoir bien trop de questions... Et à quoi me servirait de comprendre si
je suis enfermée ici... Que dois-je faire ?... Ai-je un rôle à jouer... ?
***
Je suis face à la porte de la patiente 342. Deux médecins sont là, à discuter de tout et de
rien comme si le monde autour d'eux n'était pas réel. Je me demande si je dois entrer pour
voir qui est cette patiente 342 où faire demi tour et nier son existence un jour de plus. A la
réunion, ils ont dit qu'elle était violente. Je ne sais pas son nom, je sais uniquement qu'il
s'agit d'une femme. Je veux en savoir plus, je veux essayer de l'aider mieux que ce que font
les autres médecins. C'est sans doute prétentieux et illusoire mais j'ai besoin d'y croire pour
ne pas obtenir une cellule à mon nom. Je veux m'impliquer. Mon cœur en a besoin pour
retrouver sa douceur perdue. Mes doigts se tendent vers la poignée de la porte. Elle me
paraît immense. Cette porte renferme derrière elle un être humain, fragile et ayant besoin
d'aide. Un être humain comme quiconque ici. Comment est-ce possible d'en arriver là?...
L'émotion se glisse dans mon regard et les larmes scintillent dans ce vert innocent. Avant
d'ouvrir la porte, je prend le temps de respirer lentement et d'écouter les battements de
mon cœur. Il bat régulièrement, à un rythme relativement fort. Mon souffle est lent.
L'espace d'une seconde, j'oublie tout, même les deux médecins qui me regardent sans
comprendre à quoi je pense. Je suis dans une sorte de bulle de douceur, un voile protecteur
m'empêchant de ressentir la douleur. Une dernière inspiration, et le "clic" de la porte se fait
entendre. Je l'ouvre sans véritablement savoir ce que je dois faire. Face à moi se dresse une
silhouette, le visage contre le mur. Ses cheveux sont coupés au niveau de ses épaules. Ils sont
d'un intense noir ébène, légèrement ondulés. Sa taille est sculptée dans de délicieuses
rondeurs. Je pense qu'elle mesure environ 1m60. Elle n'est pas bien grande. Le bruit de mon
entrée ne l'a fait pas se retourner. Elle semble perdue dans ses pensées. Je ne sais pas quoi
dire, je reste plantée là, dans le carré de lumière de la porte. J'entends derrière moi mes
confrères chuchoter et étouffer des petits cris qui ressemblent à des rires. Je déteste ce
genre de personnes, avides de tout savoir et de se sentir supérieures. Ils sont comme le pied
qui écrase l'araignée sur le plancher. La jeune femme qui me tourne le dos glisse lentement
une main dans sa poche, comme pour vérifier si ce qu'elle y a mit est encore là. Elle serre le
poing, elle semble tendue. Peut-être qu'elle sent mes yeux se poser sur elle. J'avance un pas
vers ce corps inanimé, mais je suis vite arrêtée par une douleur soudaine. Comme un coup dans
la poitrine... Mon souffle s'affole. Je regarde au sol et découvre gisant là, un morceau de
bois. C'est une sorte de pavé, dont j'ignore totalement l'utilité. C'est ce mystérieux objet
qui a heurté mon corps. Lorsque je relève la tête, la jeune femme ne bouge toujours pas du
coin où elle se blottit. Seule sa main pend de nouveau le long de sa hanche. Le bloc de bois se
trouvait dans sa poche...Je ramasse l'arme et m'approche tout près d'elle.
–
Lorsqu'on te voit, on n'imagine pas que tu puisses avoir autant de force. C'est rare
pour une femme.
La tête toujours appuyée contre le mur, les mots refusent de sortir de sa bouche.
-Quel est ton nom ? dis-je maternellement.
Malheureusement sans geste ni réponse, je prend le décision de ne pas insister. Si je la
bloque lors de ce premier contact, je n'aurai plus aucune chance de l'approcher. Je pose alors
le bloc de bois sur son lit, et m'apprête à partir. La main sur la poignée de la porte, je me
retourne une dernière fois et constate qu'elle me tourne toujours le dos.
- Dawn !
Cet unique mot, lancé comme une gifle, exprime toute la violence enfouie dans ce petit corps à
contre jour.
- A bientôt Dawn, je suis ravie d'avoir fait ta connaissance.
J'ai écrit sur le mur. Les médecins ne sont pas contents, mais je m'en fiche. J'ai écrit
"silence", juste à la hauteur de mon regard. Lorsque je désir le silence, je pense très fort à ce
mot mais le vacarme se fait d'autant plus fort. Des murmures... des cris stridents... des sons
tels des ongles qui glissent sur un tableau d'école. Le silence... L'écrire est peut être plus
fort que la parole. La nuit dans le silence, je ne connais plus ça. Pourquoi ne vient-il pas le
jour ? pourquoi s'entête t-il à venir lorsque le noir ne me laisse plus rien voir ? Je veux
plonger mes yeux dans les siens et y planter de toutes mes forces un pieu de bois. Je veux
faire saigner ces deux ignobles globes et les arracher de leurs orbites ! Je veux lui rendre
chaque coups qu'il m'a donné. Je veux lui ouvrir la peau et y planter mes ongles. Je veux qu'il
hurle mon nom et me supplie d'arrêter. Je veux qu'il se noie dans mes larmes. Je veux... qu'on
me croit... et qu'on m'aide...
En pleine réflexion sur ma vengeance et ma douleur devenue définitivement physique,
quelqu'un s'apprête à entrer dans ma cellule. Je n'ai envie de voir personne... Les autres sont
mon mal, les autres ne sont plus rien pour moi. Je n'aime pas ce monde dans lequel je survie...
Je n'aime pas ces gens qui m'effacent... J'écoute, je ne veux pas la regarder. Est-elle encore
là ? Pourquoi ne dit-elle rien ? pourquoi n'avance-t-elle pas ? J'ai envie de voir si elle est
comme tous les autres médecins de ce centre à vouloir me voir comme une bête sauvage... Je
veux voir si elle pourrai m'aider... Ayant saisi le petit pavé de bois de ma poche, j'attend
qu'elle fasse un geste vers moi pour le lui lancer de toutes mes forces. Je le lui lance en
pleine poitrine, pour lui couper le souffle, pour la faire partir. Sera-t-elle résistante ou faible
comme tous les autres ? Dans ma tête, je hurle "barrez vous !" mais je ne sais plus comment
faire. Je ne sais plus comment dire les mots... Je ne sais que les penser. Je ne veux pas la
regarder. Je ne vois que son ombre qui se projette sur le mur en face de moi. Je ne détache
pas mes yeux de "silence" et de cette ombre invasive. J'attends qu'elle s'efface elle aussi,
qu'elle devienne un petit point noir, une tâche sombre sur le sol. Mon âme aussi à une petite
tâche noire, qui grandie chaque jour un peu plus. C'est lui qui me fait ça, c'est de sa faute si
je meurs de l'intérieur. Il me tue...
***
Le soleil entre par le tout petit hublot qui me sert de fenêtre. Il est doux, c'est la fin de la
journée. Ca fait plusieurs jours que je ne l'ai pas vu dehors, peut être plus, je ne sais plus. La
notion de jours, de semaines n'a plus vraiment de sens pour moi. Le temps, ce n'est que
l'opposition entre "il est là" et "il n'est pas là"... entre "je souffre" et "je souffre moins"... Je
crois que même la souffrance, je ne sais plus vraiment ce que c'est. Je l'ai adopté sans jamais
plus m'en séparer. Je ne me souviens pas comment c'était avant. J'aimerai cette chaleur en
moi,
cette
brûlure
qui
me
force
à
m'endormir
et
me
fait
tout
oublier...
Je repense à cette femme qui est venue me voir. Elle m'a uniquement demandé mon nom. Elle
ne m'a pas fait d'injection, elle ne m'a pas frappé, elle ne m'a pas examiné le corps... Ce
n'était peut être pas un médecin... Mais personne n'a le droit au visite, c'est forcément un
médecin. Ne pas savoir qui était cette personne me trouble, et en même temps m'excite.
J'aimerai la revoir, entendre de nouveau sa douce voix. Je veux retenir ses traits de visage.
Je ne sais pas pourquoi je pense à elle, pourquoi j'ai cette envie soudaine. C'est un médecin,
et je ne vois pas pourquoi elle serai différente des autres. Et puis... la nuit va tomber, il va
encore me faire du mal. Elle ne reviendra pas quand les autres lui auront dit que suis aliénée.
Quand elle verra mes blessures... Je n'ai plus aucune importance aux yeux du monde, je
n'existe plus... je ne suis que la patiente 342...
Chapitre 3
J'aurai aimé voir son visage. J'aurai aimé voir son regard pour tenter de lire en elle. Son
corps me tournait le dos mais je sentais une sorte de fragilité, de replie. Avachie sur mon
canapé, à l'abri du monde, je repense à cette patiente 342. Dawn... Je ne sais que son nom, et
la mélodie de sa voix. Elle ne m'a laissé que quatre lettres pour uniques informations. J'ai un
sentiment de malaise en moi, une brûlure au creux du ventre comme si mon esprit demeurait
là-bas... Mon esprit pense, et ne cesse de se poser tout un tas de questions. "Qui est-elle?",
"pourquoi est-elle là ?", "que se passe t-il dans sa tête?", "a-t-elle de la famille qui vient la
voir, qui la soutient ?", "a-t-elle conscience de là où on l'enferme ?", ...On m'a répété
auparavant de ne pas m'impliquer, de ne pas prendre à cœur les problèmes des patients qui
m'étaient confiés. Pour être médecin, est-ce donc nécessaire de devenir hermétique aux
sentiments humains ? Comment ne pas être attendri par un enfant perdu et maltraité, une
femme torturé par son propre esprit, ou un homme terrorisé par le monde qui l'entoure ? Je
ne peux m'empêcher d'avoir le sentiment de devoir les aider. Un bon médecin... j'aimerai être
un bon médecin ! J'ai besoin de faire attention à mes patients, et pour cela, n'est-il pas
nécessaire d'apprendre à les connaître avant d'essayer de les soigner ? Mais je ne veux pas
faire les mêmes erreurs que dans le passé, je ne veux pas tomber de nouveau. Je me souviens
de ce que m'avait dit mon père :
–
Calliope, il faut que je te parle. J'ai rencontré le directeur du centre dans lequel tu
travailles. Il pense que tu t'impliques trop dans ton métier, et que tu es comme un papier
calque. Tu es quelqu'un qui souffre du malheur des patients que tu rencontres. Il dit que tu es
fragile, et même instable psychologiquement. Tu ne peux plus travailler ainsi, au risque de
tomber. Il aimerait que tu viennes quelques temps dans son service en temps que patiente,
afin que tu obtiennes l'aide dont tu as besoin.
Je fût sidérée de ses paroles. Mon propre père essayait de me convaincre de me faire
interner...
- Mais... papa... je ne suis pas folle, je ne suis pas comme mes patients. Je suis médecin ! Je ne
veux pas être internée, je vais bien. Je suis sensible, c'est dans ma nature d'être touchée
par les différents cas psychologiques que je rencontre. Papa ? je ne veux pas être internée,
je n'en ai pas besoin. Le directeur est un con, il ne comprend rien. il traite les patients comme
de la merde !
- Calliope T. ! Ne parle pas ainsi de ton directeur. Tu lui dois un minimum de respect, et c'est
un homme très bien. Je pense que tu devrais prendre en considération ce qu'il te propose.
Cela pourrait peut être te faire du bien.
Les larmes m'étaient montées au yeux, et l'incompréhension me faisait bouillir de colère. Je
ne voulais pas croire que mon père s'était laissé convaincre par ce connard de M. S. ! J'ai
tenté de refuser, mais mon père a su me faire comprendre que je n'avais plus le choix... Une
cellule à son nom... rien n'est plus humiliant...Voilà pourquoi je veux aider mes patients à se
sentir bien, se sentir humain et éventuellement, à sortir de ces prisons le plus rapidement
possible.
***
J'ai mal. Je n'ai plus envie. Je n'ai plus la force de lutter. Il est plus fort que moi... Mais que
veut-il ? Je ne le connais pas, je n'ai rien fait, je ne lui dois rien ! Je suis fatiguée, je ne
comprends rien, je suis à bout. Je suis folle ? Il va finir par me rendre cinglée ! Qu'elle vie de
merde ! Je ne suis plus rien ! Ma vie ne m'appartient plus ! Elle appartient à lui maintenant... un
pantin... un simple pantin !
La médecin de l'autre jour ne reviendra pas, j'en étais sûre. Les autres ont dû la prévenir
qu'il n'était pas bon de me voir. Je suis mauvaise, contagieuse peut être. J'ai besoin de la
voir... J'aimerai qu'elle vienne... Il faut qu'elle vienne. Pourquoi ? je l'ignore. Je ne la connait
pas, mais c'est viscéral. Il y a ce quelque chose inexplicable qui me pousse vers elle. J'ignore
son nom... Je la vois bien s'appeler Adèle, ou peut être Laure. Un nom court, délicat. Quelque
chose de doux et de différent. Elle doit sûrement être brune, ou châtain avec de jolis yeux
sans aucun doute. Je la vois bien s'habiller de manière classique, du genre tailleur et
chemisier. Je ne sais pas trop. J'y pense souvent. Ca m'occupe, ça m'empêche d'avoir peur de
lui. Tu crois qu'elle a un beau sourire ? Tu crois qu'elle est mince ou plutôt ronde ? Quand
reviendra-t-elle ? Il faut que je cesse de parler seule. Tu crois qu'elle est célibataire ? Tu
crois qu'elle aime le sexe ? J'essaie de me souvenir la dernière fois que je me suis donnée à
quelqu'un... Je crois, en réalité, que ça ne m'est jamais arrivé. J'ai envie d'essayer de penser
à elle d'une mauvaise façon. J'en rougit, mais j'ai envie de l'imaginer en sous-vêtement. Je ne
sais pas si elle est plutôt string ou plutôt culotte, si elle est plutôt dentelle, ou coton. C'est
insensé de penser à cela. Je ne la connais pas. Elle ne reviendra pas. C'est sûr. Mais aime-telle les hommes ou les femmes ? Est-elle mariée ? A-t-elle des enfants ? Non, stop, arrête de
te poser toutes ces questions. Ca ne rime à rien et de toute manière je ne le saurais jamais.
Et puis, il ne faut pas que j'oublie que je suis folle. Enfin, paraît-il. Ca veut dire quoi être folle
? Je vais bien... Enfin je crois. S'il me laisse tranquille, ça ira. Je suis fatiguée, je divague. Je
ne la connais pas. J'ai mal...
Aujourd'hui, j'ai ma visite médicale avec un médecin et ma psy. Ca ne sert jamais à rien, je
répète toujours la même chose mais ils ne comprennent rien. Je suis las de tout ça, je n'ai pas
envie de me lever, je vais rester là, au fond de mon lit à attendre que les heures passent. La
nuit a été plutôt calme, il m'a encore parlé, il a un peu crié mais je n'écoutais plus. Je suis
restée allongée sur mon matelas à attendre que ça passe, qu'il parte. Je n'ai envie de rien. Je
vais rester dans cette position jusqu'à ma fin, en espérant que la liberté ne tarde pas trop, je
suis assez pressée. C'est beau là haut tu crois ? Tu crois que j'aurai le droit cette fois de
vivre dans le blanc ? On frappe à ma porte et j'en ronchonne car cela interrompt mes
pensées. Ca doit être eux. Je soupire et attends qu'ils entrent, de toute manière, je ne peux
pas refuser leur visite. Je laisse tomber ma tête sur le côté pour les voir entrer. La psy n'a
pas changé, elle a toujours l'air aussi barrée... Ma grande surprise est qu'elle est suivit de la
médecin de mes pensées. Mes yeux se posent sur elle pour ne plus la quitter. Elle est grande,
les cheveux entre la couleur noisette et le roux, et elle a de grands yeux verts. Elle n'a pas de
tailleur, je suis déçue. Jean tee-shirt, tout ce qu'il a de plus banal. Son sourire... léger mais
naturel, sincère. Elle a l'air détendu, c'est surprenant. D'habitude les gens qui entrent ici
sont complètement coincés et stressés. Elle est belle... Je repense à ce que je me suis dit
hier, et je rougit de honte sans pour autant être capable de détacher mes yeux de son visage.
C'est idiot, c'est une femme, je ne dois pas penser ainsi. Sa blouse de médecin est ouverte et
laisse apercevoir la rondeur de ses seins. Elle n'est pas grosse, son ventre est plat, mais elle a
de bonnes hanches. Ses jambes ne sont pas très longues mais assez gracieuses. Elle doit avoir
du succès cette garce ! Je la défie du regard, pour voir comment elle réagira face à moi.
–
Bonjour, me dit la psy. Es-tu prête pour ta séance aujourd'hui ?
Je ne réponds rien, et continu de fixer la nouvelle. La psy a l'air blasée. Je suis certaine que
ça l'ennuie d'être dans ma cellule.
- Bonjour Dawn. Tu vas bien aujourd'hui ? Je suis ton nouveau médecin. Je viens aujourd'hui
pour faire tes examens.
Je la fixe toujours du regard et sourit du coin des lèvres à l'idée qu'elle viendra
régulièrement me voir. Rien que moi... C'est presque excitant de savoir qu'elle est MON
médecin. Je me redresse avec lenteur pour m'assoir le dos contre le mur, les jambes
recroquevillées sur ma poitrine. Je lui réponds un bonjour le plus neutre possible. Je ne veux
pas qu'elle pense que je me sente bien en sa présence, que je suis contente qu'elle soit là. Je
ne veux pas lui faire peur, c'est ma chance, je prends le temps. La psy est surprise, parce
qu'elle m'emmerde depuis tellement longtemps que je ne lui parle plus. Pas un mot ne sort de
ma bouche lorsqu'elle est plantée là devant moi. Ca m'amuse, parce que ça l'énerve ! C'est un
jeu, ma seule distraction ici, alors j'en profite.
- Alors, comment vas-tu aujourd'hui ? Es-tu décidée aujourd'hui à me parler ? As-tu mal
quelque part ? Entends-tu encore ces voix dont tu m'as parlé ?
Je soupire. Je pense "mais ta gueule vieille bique ! Non, je ne suis pas décidée à parler, en
tout cas, pas à toi. Quant à mes douleurs, tu n'en sauras rien, et de toute manière, je ne sais
pas. Cela n'a pas d'importance. Cela n'a plus d'importance. Et puis, tu ne comprends toujours
rien. Ce ne sont pas des voix, c'est sa voix, ses mains sur moi qui me violentent." Mes yeux,
toujours plantés dans ceux de la médecin, tentent d'apprendre quelque chose. Un petit rien,
même insignifiant, qui pourrait assouvir ma soif de réponses.
- Qu'essaies-tu de lire en moi ? me demanda-t-elle.
Surprise de sa question, je ne sais pas vraiment quoi lui répondre. D'habitude, les médecins
râlent, parfois me giflent lorsque je les fixe trop intensément. Comme s'ils pensaient que
j'allais prendre possession de leur corps. A croire qu'on me prend pour Satan ! Comment saitelle que je veux lire en elle ? Tu crois qu'elle peut lire dans les pensées ? Il ne faudrait pas,
mes pensées parfois sont comme une catin... Je ne sais pas si je dois insister ou la lâcher du
regard. J'attends. Peut être qu'il se passera quelque chose.
- N'espérez pas qu'elle vous réponde, elle ne prononce plus un mot depuis plusieurs mois.
Qu'elle connasse cette psy ! Elle n'essaye pas de comprendre pourquoi je ne lui parle plus ?
Elle n'est pas blonde pour rien elle. Qu'est-ce qu'elle m'agace. Je la fusille du regard, et
replonge mes yeux dans ceux de la nouvelle. Ils sont apaisants tellement ils semblent sereins,
tranquilles. Différents... Elle a très vite comprit que je ne voulais pas de la psy. Elle est maline
!
- Peut être pourriez-vous éventuellement me laisser seule avec elle. Elle sera peut être plus à
l'aise avec moi. J'aimerai essayer de discuter avec elle. Vous me le permettez ?
- Vous vous faites des illusions, mais si vous le souhaitez, soit ! Je vous laisse avec elle. De
toute façon, cela m'arrange j'ai autre chose à faire.
Trop forte la nouvelle ! J'ai regardé la psy s'éloigner avec une satisfaction sans borne. Je
crois que je vais l'aimer cette petite rousse. Son nez est d'ailleurs habité par de multiples
tâches de rousseur. C'est amusant, et ça lui va très bien. Tu crois que c'est une vraie
rousse ?
Chapitre 4
C'est la première fois que je vois son visage. La dernière fois, elle semblait incrustée dans le
mur qui lui faisait face. Absorbée dans ses pensées, je n'ai pas réussit à la faire se retourner.
J'ignore comment agir avec elle. Je me méfie de ce que m'ont dit mes confrères. Ce sont des
abrutis ! Des vraies machines. Il y a au fond de moi une sorte d'angoisse mêlée à l'envie, que
je n'avais pas ressenti depuis longtemps. Angoissée vis-à-vis de quoi ? je ne sais pas. L'envie
de quoi ? Aider ? peut être. Me prouver quelque chose. Montrer à mon père que je ne suis pas
celle qu'il imagine. Une envie, qui ne porte pas véritablement de nom. Ce sont mes vieux
démons qui me poussent, ceux qui m'ont blessés durant de longues années.
- Maintenant que nous sommes seule Dawn, accepteras-tu de discuter un peu avec moi ?
J'ai tenter une première approche, un début de conversation. Je ne veux pas parler médecine,
je veux qu'elle me parle d'elle. J'aimerai qu'elle apprenne à me faire confiance. Je l'observe,
je regarde comment elle réagit face à moi. Elle a un visage très innocent, percé par un regard
triste et vide. Ses poignets sont lacérés... Je n'y avait pas fait attention la première fois. Ces
plaies me sont si familières, que j'en ressens la douleur dans ma propre chair. Je ne sais pas
vraiment par où commencer pour la faire parler. J'hésite. Mon cœur bat à toute vitesse, et
cela ne m'étonnerai pas qu'elle entende chaque coup. Je crois que mes mains tremblent, mais
elles sont emprisonnées si fortement entre mes cuisses que je n'en suis pas certaine.
-Qu'aimes-tu faire Dawn durant tes temps libres ?
Elle semble surprise de ma question. Je suppose qu'aucun médecin ici ne doit lui demander ce
genre de choses. C'est sûrement beaucoup plus médical... Peut être même qu'il ne s'agit pas
de questions mais plutôt des "assied toi !", "tient toi tranquille", "cesse de crier", etc.
- Ce que j'aime ?
Sa voix est douce, fragile et traduit sa crainte. Elle ressemble aux petits animaux esseulés et
terrorisés face à leur adversaire. Ca me fait mal au cœur d'imaginer qu'elle soit traité comme
un chiffre... 342 ! C'est n'importe quoi ! C'est un être, une âme perdue, qui souffre. Son corps
tout entier appel au secours. J'entendrai presque ses mots.
- Oui, ce que tu aimes. Comment occupes-tu tes journées ? Aimes-tu écouter de la musique,
danser, te promener, faire du sport, lire,...
- C'est quoi ton nom ? me coupa-t-elle.
Je n'y avais pas pensé. Je ne lui ai pas dit mon nom jusqu'à présent. Normalement, je devrait
me taire, ne pas le dire pour rester professionnel. Je suis Dr T. Mais pour avoir confiance en
moi, je doute que cela suffise. Dr T...
- Callie.
Elle me fixe toujours, comme si elle cherche à lire en moi les réponses à ses questions. Un
silence morbide s'installe brusquement et me met mal à l'aise.
- Tu peux m'aider ? me demande-t-elle dans un murmure.
- Je ne sais pas. Je peux peut-être essayer. Mais pour cela, j'ai besoin que tu m'explique ce
que tu veux que je fasse pour toi.
Sa bouche à cette phrase s'est close, comme figée par la peur. Peur de parler ? peur de moi ?
peur de quoi ? Elle n'a jamais pu me dire quoi que se soit d'autre après cela. Je ne sais
toujours pas ce qu'il se passe dans son esprit. Si j'insiste, je la bloque donc je ne dis rien.
J'attends. J'observe sa chambre, ou plutôt sa cellule. C'est très petit, et elle possède peu de
choses : quelques livres, une table et une chaise, son lit, différents petits cubes de bois
comme celui que j'ai reçu dans la poitrine. Atterrée, je constate que ses meubles sont fixés
au sol. Ils sont indéplaçables... Les médecins ont recouvert les murs d'une sorte de mousse.
Je me souviens qu'ils avaient expliqué qu'elle se frappait la tête contre les murs. Puis-je
penser que c'est pour la protéger physiquement ? C'est difficile d'imaginer qu'un être
souffre au point de se violenter lui-même. Qu'est-ce qui peut pousser à de tels gestes ?
L'Homme est un être complexe, que jamais personne ne pourra comprendre. La souffrance est
un sentiment qui ne s'explique pas mais qui se ressent. Mais chaque personne souffre à sa
manière...
***
–
Je ne sais pas. Je peux peut-être essayer. Mais pour cela, j'ai besoin que tu m'explique
ce que tu veux que je fasse pour toi.
Cette phrase résonne dans ma tête sans que je puisse sortir le moindre son de ma bouche. Je
suis incapable de lui répondre, de lui expliquer la vérité. Ca sera comme avec les autres elle ne
me croira pas, elle pensera que tout est dans mon imagination. Elle pensera que je suis folle...
Je suis folle... Tu crois qu'ils ont raison ? Tu crois que c'est dans ma tête ? Je suis folle... Je
suis sans doute folle. Pourquoi suis-je différente ? pourquoi moi ? Je n'ai jamais rien fait de
mal, et je suis enfermée ici. Pour me punir de quoi ? Je ne comprends rien. Ce sentiment
d'incompréhension est celui qui me dévore de l'intérieur, celui qui me rendra définitivement
folle... J'ai besoin de comprendre, j'ai besoin qu'on m'explique. Et là, je suis envahie par des
questions qui restent muettes et qui refusent de s'éclairer... Dans ma tête, j'hurle "oui ! oui
tu peux m'aider ! J'attends depuis des années que quelqu'un comme toi vienne vers moi pour
m'aider ! Me délivrer de lui ! Mais merde à la fin !! Est-ce que quelqu'un va finir par me
croire !! Aidez moi..." Mais face à cette Callie, je ne sais pas quoi dire. Je suis incapable de
dire ce que je ressens. On ne me le demande plus, je ne sais plus faire. Je préfère lorsqu'on
me frappe, car là je n'ai pas besoin de dire quoi que se soit. J'ai simplement à me laisser
porter par la tempête, à me laisser faire. Je ne sais plus parler. Je ne sais plus pleurer. Je ne
sais plus vivre...
- N'ai pas peur de moi. Explique moi ce qu'il se passe et je verrais ce que je peux faire pour
t'aider. Je ne te veux aucun mal, je ne suis pas comme les autres médecins. Crois moi. Et si tu
le souhaites, je ne leur dirai rien, tout ce que tu peux me dire restera entre nous. D'accord ?
- Tu ne diras rien aux autres ? Tu mentiras ?
- Je ne dirai rien oui. Et cela ne me dérange pas de mentir si ça me permet de t'aider et de te
protéger. J'aimerai tout simplement te montrer que tu peux me faire confiance.
- Tu ne peux pas comprendre... Je ne vois pas en quoi tu es différente des autres médecins...
Elle ressemble à tous les autres ! Je ne vois vraiment pas en quoi elle serait différente. Ce
n'est pas parce qu'elle ne m'a pas encore maltraité que je peux lui faire confiance. Je ne sais
pas. Je suis prise entre mon cœur et mon esprit. L'un me dit de ne pas la croire et de
continuer de fuir, l'autre me dit qu'elle peut être celle que j'attends depuis longtemps. Mais
pendant que je réfléchis, Callie remonte les manches de son tee-shirt. A ce moment, elle me
temps ses poignets... Ils sont lacérés de cicatrices. Surprise, je n'ose quitter des yeux ses
bras. Les coups ont été dans tous les sens. Certaines balafres sont très fines mais longues,
d'autres sont plus courtes mais profondes. Il y a des marques qui dates car elles sont presque
effacées. En revanche, il y en a qui sont très vives et donc très récentes... Son bras droit en
est recouvert du poignet jusqu'à la pliure de son coude. Instinctivement, je pose ma main sur
mon bras et mes propres blessures. Je ressens comme une brulure sur chacune d'elle.
Lorsqu'enfin j'ose reposer mes yeux dans les siens, une larme coule sur sa joue qu'elle essuie
immédiatement. Mais comment est-ce possible qu'un médecin se sente mal ? Est-elle en effet
plus humaine que les autres ?... Du bout de mon doigt, j'effleure son bras meurtri. Je sens
chaque plaie... Curieuse, je touche sa peau comme pour découvrir les raisons de ces blessures.
En a-t-elle d'autres ? Son corps cache-t-il d'autres cicatrices ? Sa peau est douce...
amèrement douce...
Je n'ose lui demander des explications, elle n'en a aucune à me donner, il n'y a pas de raison à
cela. Je ne suis que sa patiente. J'en sais déjà trop : je connais son nom. Mais les questions
me brûlent les lèvres. Mon esprit se laisse penser et j'imagine tout un tas de scénarios qui
puisse raconter son histoire. Qui es Callie, en vérité ?...
Je sens son regard sur moi. Elle semble troublée de ses marques sur ma peau. Surprise sans
doute. Sa vision des médecins ne m'étonne pas, mais pour me faire confiance, elle doit
comprendre que je ne suis pas si différente. Son doigt touche ma peau, et sent les marques
sur mon bras. C'est une étrange sensation... Pourquoi lui avoir montré ceci ? Je prends des
risques...
–
Tu sais Dawn, je ne suis pas là pour te faire du mal. Je sais ce que tu peux ressentir. La
souffrance ne m'est pas inconnue. Ne te laisse pas aveugler par tes préjugés.
- Je ne te connais pas !
- Tu apprendras... Et si tu prends confiance en moi, si tu sens que tu peux me parler, alors je
t'écouterai. Et je ferai ce que je peux pour t'aider. Ok ?
Je n'ai pas eu de réponse à cette question, mais son regard m'a prouvé que cette solution
pouvait être Celle. Le problème... c'est que je m'apprête à agir comme me l'a interdit mon
père... Personne ne doit savoir, sinon je retournerai là bas...
***
Aujourd'hui, je n'ai pas accès à la cellule de Dawn. Les médecins lui font passer tout un tas
d'examens... Je m'inquiète pour elle. Je ne comprends pas pourquoi, je ne sais pas qui elle est.
C'est encore cette boule au creux du ventre... Et mon bras qui me brûle... Mes cicatrices ne
sont pas d'hier, elles ne devraient pas me faire souffrir. Je déambule dans les couloirs, et
passe voir tous mes patients. On m'a confié les soins de Richard. Je suis ravie de pouvoir
passer un peu de temps avec lui. Il n'est pas méchant, mais simplement triste. Etre triste
veut-il dire fou ? C'est insensé... Le monde me paraît bien malheureux vu d'ici. Le visage de
Dawn m'apparaît sans cesse. Elle semble être à la fois ombre et lumière. Tout en elle est
contradiction : son regard est paisible et plutôt doux, au contraire de ses sourcils froncés en
permanence. Sa bouche délicate à une sorte de moue qui lui donne un air pincé. Son visage
exprime la colère et la douceur... Dawn dit l'amertume. Elle est jeune, et j'ai l'impression de
me voir à sa place lorsque mon père m'a interné. C'est très déstabilisant. Elle est belle. Mais
c'est idiot de dire ça, je suis son médecin ! Il faut que je reste professionnelle, car dans le
cas contraire...
Chapitre 5
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