La maladie résiduelle racontée à Juliette… raconté à Juliette

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La maladie résiduelle
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La maladie résiduelle
racontée à Juliette…
M.C. Béné*
J
* Laboratoire
d'hématologie,
CHU de Nantes.
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uliette se demandait l’autre jour ce que voulait dire cet acronyme qui gagne
du terrain dans toutes les bouches : “MRD”…
MRD, Juliette ? Cela veut dire, tout simplement, “Minimal Residual Disease”, ce
qui se traduit en français par “maladie
résiduelle minimale”, plutôt déclinée
en “maladie résiduelle” dans le jargon
médical gaulois. La subtilité anglophone donne un petit vent d’optimisme
à ce concept, en précisant d’emblée
qu’il désigne un tout petit peu de
cette maladie hématologique maligne,
que l’on cherche à éliminer. Les techniques pour rechercher cette trace de
pathologie se sont beaucoup affinées
depuis quelques années et c’est l’objet
de ce numéro des Correspondances
en Onco-Hématologie que de faire le
point sur leur application dans différents contextes cliniques. Pour que tu
comprennes bien ces articles, Juliette,
il faut que tu aies à l’esprit quelques
notions de base.
La première est d’imaginer ce que
peut représenter la masse des cellules
pathologiques dans une hémopathie
maligne. Cela n’est pas facile car, dans
la majorité des cas, l’envahissement
de la moelle osseuse ne se traduit que
par des signes indirects, témoignant
toutefois du remplacement des cellules
normales par des cellules malignes. Les
globules rouges ne sont plus fabriqués
et le patient est anémique, il n’est plus
capable de produire correctement les
globules blancs et développe des infections, il n’a plus de plaquettes et se
met à saigner… On estime jusqu’à près
de mille milliards les cellules malades
qui peuvent occuper la moelle des os,
le sang et/ou les organes. Lorsqu’il y
a un syndrome tumoral, c’est-à-dire
des adénopathies, une splénomégalie
et/ou une hépatomégalie, le malade
et le médecin peuvent palper une
partie de la tumeur, mais l’examen
clinique ne permet généralement pas
de mesurer l’ampleur de cette masse de
cellules malignes. Selon les maladies,
le degré d’envahissement de la moelle
osseuse, du sang et/ou des tissus lymphoïdes (rate, ganglions, muqueuses)
est variable, mais il faut penser que
beaucoup des sites qui peuvent être
atteints ne sont identifiables que par
des techniques d’imagerie sophistiquées
comme le scanner, l’imagerie à résonance magnétique (IRM) ou la tomographie par émission de positons associée
au scanner (TEP scan), qui permettent
de visualiser et de mesurer tous les
sites atteints par la maladie et de suivre
leur évolution.
En conséquence et en pratique, le
diagnostic des hémopathies malignes
repose surtout sur l’étude de prélèvements de sang, de moelle osseuse ou de
biopsies de ganglions ou d’autres tissus
envahis par la tumeur (par exemple,
la peau ou le tube digestif). Les différentes techniques de morphologie,
anatomopathologie, cytométrie en flux,
cytogénétique et biologie moléculaire
contribuent à un diagnostic précis, qui
caractérise au mieux les propriétés des
cellules tumorales, leurs anomalies et
leur nombre. Le traitement prescrit a
alors pour objectif d’éliminer ces cellules malignes, en respectant au mieux
les cellules normales ou, tout au moins,
en favorisant le plus tôt possible leur
réapparition.
Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. VII - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2012
La maladie résiduelle racontée à Juliette…
La seconde chose dont il faut que tu te
rendes compte, Juliette, est que l’examen morphologique régulier du sang
ou de la moelle envahis permet rapidement et depuis longtemps de constater
l’efficacité du traitement et la disparition de la maladie sous l’effet de la
chimiothérapie ou de l’immunothérapie.
De même, la taille des sites tumoraux
diminue si le traitement est efficace,
de façon macroscopiquement visible
ou détectable en imagerie. La notion
de maladie résiduelle est donc assez
facilement perceptible en comparant
les caractéristiques du malade au diagnostic et après les premières étapes
du traitement. Il ne faut cependant
pas oublier l’énormité que peut avoir
la masse tumorale initiale. Ainsi, si on
voit une diminution de 3 logs dans
le sang et qu’on l’extrapole aux mille
milliards de cellules mentionnées plus
haut, cela veut dire qu’il peut rester
encore un milliard de cellules tumorales lorsqu’on estime avoir diminué
la maladie de mille fois. C’est comme
s’il ne restait qu’1 gramme de chocolat
sur une grosse plaque de 1 kilo… En
termes de charge tumorale, ce nombre
est pourtant encore très grand et largement suffisant pour qu’une rechute
se développe à l’arrêt du traitement…
Pourtant, à ce stade, il devient difficile de repérer ces cellules malignes
dans les territoires les plus accessibles
que sont le sang et la moelle osseuse,
et l’imagerie devient de plus en plus
délicate à interpréter.
La recherche de la MRD a précisément
pour objectifs d’évaluer la taille de
cette population résiduelle, d’encourager un traitement aboutissant à ce
qu’elle ne soit plus détectable, puis de
traquer l’éventuelle réapparition d’une
croissance tumorale pouvant évoluer
vers la rechute.
Ces 15 dernières années ont vu un
développement considérable des techniques per mettant de trouver ces
cellules. Tu verras, Juliette, dans les
articles de ce numéro, les différentes
manières dont ces technologies ont
été adaptées aux caractéristiques de
chaque maladie. L’idée générale, pour
reprendre une comparaison gustative,
est de trouver le ou les oursons à la
réglisse, ceux qui sont si peu fréquents,
dans un grand présentoir d’oursons
gélifiés de toutes les couleurs. Cette
notion a 3 corollaires.
➤➤ D’abord, il faut admettre que, de
temps en temps, quel que soit le nombre
d’oursons dans le bac, il n’y a PAS d’ourson à la réglisse ; en d’autres termes, il
n’y a parfois PAS de cellules malignes
résiduelles dans le prélèvement que l’on
examine, même s’il contient beaucoup
d’autres cellules, et le fait d’augmenter
le nombre d’événements examinés ne
fera pas augmenter cette proportion. Si
on rapporte cette notion à la problématique de la maladie résiduelle, cela veut
dire que si aucune cellule maligne n’a
été observée en comptant 100 000 cellules, la MRD est FORCÉMENT inférieure
à 10- 5, même si on poursuit en comptant,
200 000, 500 000, 1 million ou 10 millions de cellules. Et on sait qu’une MRD
inférieure à 10 - 5 est un facteur de très
bon pronostic… Augmenter le nombre
de cellules examinées pourra éventuellement faire augmenter le nombre de
cellules anormales (dans 10 présentoirs,
on trouvera peut-être 10 oursons à la
réglisse), mais il faut parfois admettre
qu’il n’y a effectivement plus du tout
de cellules anormales. Cela veut simplement dire que le patient est (transitoirement peut-être ou en tout cas
au niveau du prélèvement examiné)…
guéri !
➤➤ Ensuite, le magasin de bonbons peut
être en rupture de stock d’oursons
gélifiés. Il n’y en a pas, et donc a
fortiori il n’y en a pas à la réglisse…
En termes de MRD, s’il n’y a plus de
globules blancs, il n’y a forcément plus
de cellules anormales dans le prélèvement examiné.
➤➤ Enfin, il faut pouvoir être sûr de
reconnaître un ourson à la réglisse et
le différencier des autres, même s’ils lui
ressemblent beaucoup. Dans cet exemple,
la vue, le goût et peut-être un peu
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l’odorat peuvent t’aider. Pour la MRD,
il faut aussi trouver ce qui permettra
de reconnaître de la façon la plus sûre
possible si une cellule est potentiellement maligne.
Pour bien comprendre les articles qui
suivent, il faut que tu te rappelles que
les cellules malignes ressemblent beaucoup à des cellules normales mais en
diffèrent par des anomalies au niveau
de leur code génétique. Cela est lié
au fait que des modifications chromosomiques ont eu lieu dans la cellule
ayant initialement donné naissance à la
tumeur, et qu’on peut les retrouver dans
les cellules qui en descendent. Il peut
s’agir de mutations ou de translocations
concernant de nombreux gènes, ou
bien de réarrangements des gènes des
immunoglobulines ou du TCR. Ces
anomalies peuvent être identifiées et
amplifiées jusqu’à être détectables, à
partir d’ADN ou d’ARN. Les techniques
de biologie moléculaire qui recherchent
ce type d’anomalies reposent sur les
éléments identifiés au diagnostic par le
caryotype ou l’analyse moléculaire, et
cette étape au début de la découverte
de la maladie est très importante pour
connaître les caractéristiques inhérentes
à la maladie d’un patient donné. Ces
méthodes reposent sur l’extraction des
acides nucléiques à partir de cellules
sanguines ou médullaires nucléées qu’il
faut d’abord purifier et éventuellement
enrichir. Plus rarement, une protéine
anormale issue de ces gènes abîmés
(protéine de fusion, immunoglobuline
monoclonale) peut permettre de reconnaître les cellules malignes ou leur
persistance.
Une autre technologie qui s’est développée plus récemment repose sur
l’observation d’un grand nombre de
cellules avec une batterie d’anticorps
monoclonaux reconnaissant leurs propriétés phénotypiques. La meilleure
connaissance de l’immunophénotype
des cellules du sang ou de la moelle
normale, et l’identification de plus en
plus fine de la coexpression ou non
des antigènes de différenciation à leur
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surface ou dans leur cytoplasme ont
permis de développer cette approche
de mesure de la maladie résiduelle en
cytométrie en flux en reconnaissant
mieux les anomalies présentes sur les
cellules tumorales. Là encore, il est
préférable d’avoir d’abord identifié le
mieux possible les cellules malignes au
diagnostic, puis d’utiliser la même combinaison d’anticorps pour les rechercher par la suite. Cette approche est
toutefois limitée par les modifications
immunophénotypiques qui surviennent
parfois, témoignant d’une modulation
des antigènes de différenciation ou
de l’émergence d’un sous-clone de la
maladie initiale. Ce dernier point est
d’ailleurs également valable pour les
techniques moléculaires évoquées plus
haut. En outre, il sera peut-être bientôt
possible de rechercher des populations
cellulaires normalement absentes ou
présentes en très petite quantité dans
un échantillon normal en comparant
l’échantillon d’un patient à une population de référence de la moelle normale.
De plus, un des grands avantages de
la cytométrie en flux est qu’elle permet d’étudier directement la composition cellulaire d’un échantillon avec
une simple lyse des globules rouges
à l’issue du marquage avec les anticorps monoclonaux. Toutes les cellules
présentes dans le prélèvement sont
ainsi accessibles pour l’analyse, et le
dénombrement des cellules anormales
rend réellement compte de leur proportion chez le malade. De plus, ces
techniques de cytométrie sont rapides
et permettent de rendre un résultat en
quelques heures. Elles peuvent faire
l’objet d’une confirmation avec les
techniques plus sensibles de biologie
moléculaire, selon des modalités qui
restent à définir dans les recommandations de suivi des patients ou les
protocoles thérapeutiques.
Juliette, te voilà, je l'espère, équipée pour découvrir maintenant comment tout cela se développe dans les
principales maladies hématologiques
malignes. Bonne lecture…
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