APPRENTISSAGE

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Médecine
& enfance
Congrès de la Société française de neurologie
pédiatrique
D’après des communications du 22e Congrès de la Société française de neurologie pédiatrique, Marseille, 2012
Compte rendu : I. Hoppenot
Troubles de l’acquisition de la coordination et troubles visuospatiaux, mécanismes de l’apprentissage de la lecture et
dyslexie, aménagements scolaires simples chez les enfants
présentant des difficultés à l’école, dysphasie développementale et autisme, ou encore signes évocateurs d’une étiologie neurologique en cas de strabisme apparaissant chez
un enfant sain sont quelques-uns des thèmes qui ont été
abordés lors du 22e Congrès de la Société française de neurologie pédiatrique.
APPRENTISSAGE
DE LA LECTURE
ET SES TROUBLES
À TRAVERS L’EUROPE
D’après la communication de J. Ziegler,
laboratoire de psychologie cognitive, université
de Provence, Marseille
La phonologie est au cœur de l’apprentissage de la lecture dans les différentes
langues. Les déficits phonologiques sont
prédominants chez la majorité des enfants
dyslexiques et se retrouvent également
chez les mauvais lecteurs non dyslexiques. Il apparaît important de faire un
bilan précis des sous-composantes de la
lecture chez les dyslexiques.
Le modèle d’apprentissage de la lecture
est fondé sur le couplage entre les informations orthographiques (domaine
symbolique) et le domaine phonologique (langagier). Dans toutes les
langues, l’apprentissage débute par une
mise en relation entre les lettres et les
sons, de façon explicite, enseignée. Par
la suite, vient le temps de l’apprentissage implicite, par décodages successifs,
qui est lui aussi fondé sur la mise en re-
lation entre les unités orthographiques
et les unités phonologiques.
PAR RAPPORT AU LANGAGE ORAL
Cet apprentissage se fait donc toujours
par rapport au langage oral, ce qui est
bien illustré par la comparaison entre
les langues. L’étude de Seymour et al. a
montré qu’après une année d’apprentissage de la lecture le niveau moyen des
petits Anglais est inférieur à celui des
autres petits Européens ; seuls 35 % des
mots sont décodés correctement. Dans
la majorité des autres langues, ces
scores sont beaucoup plus élevés, atteignant 100 % dans certains pays [1].
Ces disparités reflètent l’irrégularité du
système grapho-phonologique, également appelé « transparence de la
langue ». Lorsque les mêmes « patterns »
orthographiques peuvent se prononcer
de différentes manières, l’apprentissage
de la lecture est pénalisé. Cela prouve le
rôle majeur joué par la mise en relation
entre système orthographique et système phonologique. En effet, en anglais,
le même pattern orthographique a plusieurs significations, le décodage est
donc plus difficile. A l’inverse, en allemand, la régularité orthographique exdécembre 2012
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plique que les difficultés soient
moindres. En italien, où les phonèmes
et leurs correspondances sont de l’ordre
d’une vingtaine, la majorité des enfants
sont de bons lecteurs avant Noël. En
français, les résultats sont intermédiaires et, contrairement à ce qui est généralement supposé, les difficultés viennent plus de la quantité des éléments à
apprendre (lettres, groupes de lettres)
que de leur irrégularité.
L’orthographe ne peut pas s’apprendre
de façon uniquement visuelle, comme
cela a été prouvé par un travail réalisé à
la station de primatologie de Rousset,
sur des babouins dépourvus de langage
oral. Grâce à son système visuel proche
de celui de l’homme, le singe peut en effet apprendre un certain nombre de
mots (discrimination entre mots et
pseudo-mots), mais au prix de milliers
d’essais. Ce qui, rapporté au nombre de
mots que doit apprendre un enfant pour
maîtriser la lecture, paraît difficilement
réalisable.
LES FACTEURS PRÉDICTIFS
DE SUCCÈS
Pour mieux cerner les prédicteurs universels d’un apprentissage réussi de la
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lecture, différents processus ont été mesurés : intelligence, mémoire à court
terme, vocabulaire, dénomination rapide, conscience phonologique (capacité
à isoler et détecter les phonèmes) [2].
Le projet Proread a évalué le poids de ces
différents facteurs sur une cohorte de
1 263 enfants scolarisés en grade 2 (ce
qui correspond au CE1) dans cinq pays
(Finlande, Pays-Bas, Hongrie, Portugal et
France) ; 316 de ces enfants présentaient
des difficultés de lecture [3]. Ce travail
montre tout d’abord que l’intelligence en
soi n’est pas un prédicteur du succès en
lecture, et ce dans aucune des cinq
langues. Il en est de même pour la dénomination rapide. La mémoire à court terme ne semble jouer un rôle, toutefois très
modeste, qu’en Finlande et en Hongrie.
Le vocabulaire n’est associé au succès
qu’en Finlande, ce qui est assez logique
car l’orthographe finlandaise ne pose pas
de problème de décodage. Seule la
conscience phonologique représente une
variable majeure dans tous les pays. Ce
paramètre joue également un rôle dans
la vitesse de lecture, qui est elle-même influencée par la dénomination rapide (qui
mesure la vitesse avec laquelle l’enfant
accède aux représentations phonologiques) dans trois des cinq pays.
Ainsi, le trait commun de la réussite de
l’apprentissage de la lecture est le fait
d’aller d’un domaine symbolique vers le
langage oral.
dans les milieux défavorisés contre 4 %
dans les milieux favorisés, mais, en soi,
ces variables socio-économiques sont
peu contributives.
ANALYSER LE PROFIL
DE CHAQUE ENFANT
Si dans le cadre de la recherche les résultats de groupe sont intéressants,
pour le clinicien, chaque enfant est
unique, avec des causes et des trajectoires multiples. En se fondant sur le
modèle à double voie, qui spécifie les
composantes de la lecture [5], des tests
ont été développés pour chaque étape
(identification de lettres, accès au
lexique orthographique…), ce qui permet d’analyser le profil d’un enfant au
niveau de chaque composante des
tâches expertes. Une étude menée en
2008 sur 24 enfants montre que, comparativement aux sujets contrôles, les
enfants dyslexiques ont peu de déficit
de l’attention (3/24), mais plus de
troubles du traitement des lettres (la
moitié des enfants) [6]. Ils présentent
peu de troubles du lexique orthographique (5/24), mais souvent des
troubles du lexique phonologique (2/3
des enfants) et de traitement des phonèmes. Cependant, à titre individuel,
les profils de dyslexie sont extrêmement
variés, ce qui suggère l’intérêt d’explorer les troubles un par un plutôt que de
façon globale.
LA CONSCIENCE PHONOLOGIQUE
Une étude menée à Paris sur 1 062 enfants a permis de mieux préciser le rôle
de différents groupes de paramètres influençant l’apprentissage de la lecture
[4]. Le groupe de variables cognitives explique 50 % de la réussite en lecture, les
deux paramètres ayant le plus fort pouvoir prédictif étant la conscience phonologique et la dénomination rapide. Le
groupe de facteurs comportementaux,
avec au premier plan l’inattention, explique 27 % de la variance. Il s’agit donc
d’une contribution significative à la
compétence à la lecture. Enfin, le groupe de paramètres socio-économiques ne
joue que pour 9 % de la variance. Le
taux de mauvais lecteurs est de 24 %
PETITS ARRANGEMENTS
AVEC LES APPRENTISSAGES
D’après la communication de O. Revol,
psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent,
hôpitaux de Lyon
Les difficultés scolaires sont un symptôme
dont la cause, instrumentale ou psychologique, doit être recherchée par un bilan
très rigoureux. Pour les enfants ayant des
besoins spécifiques, des aménagements
pédagogiques simples sont indispensables afin de leur permettre d’utiliser
leurs compétences et de retrouver le désir
d’apprendre.
Pour s’épanouir à l’école en 2012, il faut
des copains (ce qui n’était pas aussi fondécembre 2012
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damental il y a trente ans), des expériences réussies, des enseignants bienveillants (et on ne peut que se féliciter
de la réconciliation de l’enfant différent
avec l’école), des parents rassurés, une
pression (sociale, familiale et scolaire)
mesurée, notamment à la préadolescence, des rythmes individuels respectés.
LES DONNÉES DU PISA
L’Education nationale et la santé sont
deux structures jumelles qui devraient
travailler ensemble, ce qui pendant
longtemps n’a pas été le cas. Les données, présentées en décembre 2010, du
Pisa (Programme international pour le
suivi des acquis des étudiants), dont les
objectifs sont de fournir aux Etats des
outils pour définir leur politique pédagogique, montre que les élèves de quinze ans sont de moins en moins bons en
France : dix-septième place en mathématiques, dix-neuvième place en lecture et vingt-deuxième place en sciences.
Les pays où les enfants réussissent le
mieux, tels que la Finlande, le Japon ou
la Corée du Sud, sont aussi ceux qui
portent un regard différent sur les enfants différents.
Les parents comme les enseignants sont
de plus en plus nombreux à solliciter le
corps médical pour des troubles de la
scolarité. « La maîtresse n’en peut plus »,
« il ne capitalise pas », « il a épuisé son
carnet à points » sont autant de remarques faites par les parents en consultation. Il s’agit souvent de petits troubles,
chez des enfants en « délicatesse » avec
l’école, qui peuvent bénéficier de simples
aménagements pédagogiques.
UNE DÉMARCHE RIGOUREUSE
L’échec scolaire est un symptôme, et
une démarche systématique et rigoureuse est impérative pour en préciser la
cause, qui peut être instrumentale
(manque de moyens) ou psychologique
(mauvaise utilisation des moyens). Le
bilan s’attache ainsi à rechercher des
troubles sensoriels, à évaluer le QI, à
mettre en évidence des troubles spécifiques des apprentissages (enfants
« dys »). Il importe notamment de dépister les troubles de l’attention soutenue,
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dont un des signes d’alerte est la baisse
de la réussite en fin de devoir. Le seul
fait de fractionner le travail peut permettre à l’enfant de dépasser ses difficultés. Il revient aux professionnels d’aller au-delà du bilan de l’enfant chez lequel on n’a pas repéré de troubles spécifiques. De plus en plus de préadolescents masquent en effet leur déficit spécifique par un manque de travail. Le
risque à terme est le décrochage scolaire, qui concerne 15 à 20 % des enfants
et qui est en général annoncé par des
années de difficultés scolaires.
Il y a un effet domino des « dys » : le
trouble de l’apprentissage entraîne des
difficultés scolaires, source de troubles
du comportement, ce qui induit une démotivation qui accentue les troubles des
apprentissages, l’évolution se faisant in
fine vers le décrochage scolaire. Le dépistage précoce du trouble instrumental
aurait évité cet engrenage, cette spirale
infernale. Cela est d’autant plus important que l’effet domino concerne aussi
les parents.
PENSER À LA DÉPRESSION
Si ce bilan est négatif, une cause psychologique doit être recherchée : excès
de pression, dépression, anxiété… L’espace psychique de ces enfants n’est pas
disponible.
La dépression est relativement fréquente, puisqu’elle touche 4 % des enfants :
insomnie, troubles de l’attention, démotivation, aggravation des déficits, syndrome d’échec sont autant de symptômes d’alerte. La dépression est souvent sournoise et vient se greffer sur
d’anciennes cicatrices ; elle se fixe sur
les points de vulnérabilité. Entretiens,
recours à des échelles comme la HAD
(hospital anxiety and depression scale)
permettent de confirmer ce trouble de
l’humeur, pour lequel il ne faut pas hésiter à demander l’avis d’une psychologue clinicienne.
DES AMÉNAGEMENTS
PÉDAGOGIQUES
L’école n’est plus un lieu d’apprentissage mais un lieu de socialisation : le
développement affectif et le dévelop-
pement cognitif évoluent en parallèle
et s’entrechoquent constamment. Et il
y a un certain nombre d’enfants qui
ont des besoins spécifiques, qui demandent des petits arrangements avec
les apprentissages. Les conseils donnés
aux enseignants sont très positifs pour
ces enfants. Par exemple, il ne sera pas
demandé à un enfant dyslexique de lire devant les autres ; on doit lui fournir des photocopies de textes à corriger et ne pas lui faire faire des dictées.
Chez le dyspraxique, l’oral doit être
privilégié…
LES TROUBLES VISUOSPATIAUX DANS LE
TROUBLE D’ACQUISITION
DE LA COORDINATION
D’après la communication de Y. Chaix,
Inserm U825, unité de neurologie pédiatrie,
CHU, Toulouse
Un certain nombre d’enfants ayant un
trouble de l’acquisition de la coordination
ont des troubles visuo-spatiaux. Ces derniers peuvent participer à certains aspects
de la motricité. Des études récentes suggèrent l’implication d’un trouble de l’apprentissage procédural dans les troubles
spécifiques du développement.
Les troubles du mouvement intentionnel chez l’enfant font l’objet de diverses
appellations. Notamment, le lien entre
les troubles d’acquisition de la coordination (TAC) et la dyspraxie est une
question posée de longue date dans la
littérature. La classification internationale des maladies retient dans sa dixième version le terme de « trouble spécifique du développement moteur », tandis que le DSM-IV-DR propose celui de
« trouble d’acquisition de la coordination ». L’European Academy of Childhood Disability (EACD) a publié récemment des recommandations qui préconisent d’utiliser le terme TAC [7]. Ce dernier doit donc être envisagé comme la
principale cause du trouble apraxique
ou dyspraxique, l’apraxie ou la dyspraxie étant un symptôme et non pas un
syndrome ou une maladie.
décembre 2012
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LES GESTES QUI IMPLIQUENT
UNE COORDINATION
Selon la définition du DSM IV, le TAC se
caractérise par une altération significative de tous les gestes qui impliquent
une coordination, ce qui peut se traduire ou non par un retard de développement. Les troubles ont un retentissement sur les activités de la vie quotidienne et sur les résultats scolaires. Le
diagnostic est retenu après exclusion
d’une affection neurologique.
Le TAC touche 5 à 6 % des enfants d’âge
scolaire, avec une nette prédominance
chez les garçons (ratio de 2/1 à 7/1 selon les études). Il est ainsi aussi fréquent que les troubles spécifiques du
langage oral ou écrit. Comme le soulignent les études longitudinales, ce
trouble persiste à l’adolescence et à
l’âge adulte, avec un retentissement
scolaire dans des domaines comme
l’éducation physique ou l’écriture.
UN SOUS-GROUPE D’ENFANTS
Les troubles visuo-spatiaux sont retrouvés chez un certain nombre d’enfants
présentant un TAC. Si les troubles moteurs occupent le devant de la scène
dans le TAC, comme le confirme une
méta-analyse de cinquante études ayant
inclus plus de 900 enfants [8], il existe
également des troubles visuo-spatiaux
avec ou sans déficience motrice. Cette
méta-analyse montre que les facteurs
ophtalmologiques, acuité visuelle,
troubles de la vergence ou de l’accommodation, ont une taille d’effet faible
(de 0,12) et qu’ils ne peuvent être envisagés comme des facteurs causals de ces
difficultés visuo-spatiales.
Une étude menée sur 19 enfants ayant
un TAC et soumis à différents tests souligne que les troubles visuo-spatiaux ne
concernent qu’un sous-groupe d’enfants
et ne retrouve pas de corrélation entre
les difficultés visuo-spatiales, avec ou
sans composante motrice, et le score
global du MABC (Movement assessment battery for children) [9].
Les études visant à préciser quelles voies
du traitement de l’information seraient
impliquées dans ce trouble donnent des
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résultats contradictoires. Certains auteurs suggèrent l’implication de la voie
ventrale [10] ; pour d’autres, les deux
voies, dorsales et ventrales, seraient
concernées [11].
Les difficultés visuo-spatiales peuvent
participer à certains des aspects de la
motricité [12]. Lors d’une épreuve de vitesse de traitement de l’information, il
n’est pas retrouvé de corrélation entre
la tâche de discrimination visuelle et les
différentes épreuves motrices, mais il y
a une corrélation entre la vitesse et le
fait de pouvoir rattraper correctement
une balle.
LES COMORBIDITÉS
La grande hétérogénéité du TAC à
l’échelle interindividuelle, en grande
partie expliquée par la fréquence des
comorbidités, est une problématique
importante en pratique (début d’apparition des troubles, degré de gravité,
étendue des difficultés). Il existe aussi
une variabilité intra-individuelle, notamment au niveau des performances
motrices (entre la course et le saut par
exemple), des tâches de pointage et des
tâches perceptivo-motrices, qui suggère
éventuellement un trouble de la synchronisation.
Dans l’unité de neurologie pédiatrique
de Toulouse, un travail mené sur ce thème auprès de 24 enfants TAC versus des
enfants contrôles du même âge montre
que les premiers arrivent à effectuer des
tâches visuomotrices de synchronisation/syncope, mais que la variabilité
dans la performance est plus importante que chez les contrôles, qu’il n’y a pas
d’amélioration des résultats avec le
temps et qu’il existe une dégradation
avec l’augmentation de la vitesse du
test.
TROUBLE DE L’APPRENTISSAGE
PROCÉDURAL
Le déficit moteur central pourrait découler d’un trouble plus général de la
synchronisation, mais peut être aussi
expliqué par un trouble de l’apprentissage procédural. En effet, un travail très
récent met en évidence, chez les sujets
TAC, des difficultés dans l’apprentissa-
ge d’une séquence visuomotrice, ce qui
pose la question d’un trouble de l’apprentissage procédural [13]. Cette piste
est en cours d’exploration à Toulouse
dans le cadre d’un travail de thèse, portant sur des enfants TAC et dyslexiques.
Une dizaine d’enfants par groupe ont
été inclus.
QUAND SUSPECTER UNE
ORIGINE NEUROLOGIQUE
DEVANT UN STRABISME
CHEZ UN ENFANT
APPAREMMENT SAIN ?
D’après la communication de H. Cohen,
ophtalmologie, hôpital Saint-Joseph, Marseille
La survenue d’un strabisme chez un enfant sain est une situation relativement
fréquente. Si, dans la très grande majorité
des cas, le strabisme est bénin, il peut
parfois révéler une maladie neurologique
ou une tumeur. La réalisation d’une IRM
ne peut pas être envisagée de façon systématique ; en revanche un examen ophtalmologique très rigoureux s’impose, afin
de rechercher des signes évocateurs
d’une pathologie tumorale.
ANOMALIES FORTEMENT
SUSPECTES
Face à un strabisme de l’enfant, certaines anomalies oculomotrices sont
fortement suspectes et vont faire demander immédiatement une imagerie
cérébrale (IRM) : strabisme divergent
précoce et constant, paralysies oculomotrices et signes d’hypertension intracrânienne (HTIC), qui sont souvent
associés, nystagmus acquis, torticolis
acquis.
Tout nystagmus acquis chez l’enfant
doit faire suspecter une tumeur cérébrale. Le nystagmus est neurologique, surtout s’il est vertical, rotatoire, unilatéral, asymétrique. Le spasmus nutans a
une évolution spontanément favorable,
mais il s’agit d’un diagnostic différentiel
d’élimination qui ne permet pas de s’affranchir de la réalisation systématique
d’une IRM. Un nystagmus dans les regards latéraux, « gaze evoked nystagdécembre 2012
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mus », avec un défaut de contrôle du regard excentré est typique des lésions cérébelleuses et du tronc cérébral. Il en
est de même pour le « skew deviation »,
ou signe d’Hertwig-Magendie, qui est
une divergence oculaire verticale non
paralytique.
Face à un torticolis acquis, il faut éliminer une tumeur de la fosse postérieure
ou un syndrome d’Arnold-Chiari, et
donc faire une IRM.
Ces situations sont suffisamment évocatrices pour que l’on pense à aller plus
loin dans la démarche étiologique.
DES TABLEAUX PEU BRUYANTS
Le diagnostic étiologique est en revanche plus difficile dans le cas banal
d’une ésotropie acquise aiguë concomitante chez un jeune enfant de deux
à onze ans, non paralytique, non accommodative, avec un examen neurologique normal. En effet, si chez l’enfant les tumeurs cérébrales se manifestent le plus souvent par une HTIC et
un tableau clinique bruyant (une paralysie du VI la plupart du temps), dans
certains cas, un strabisme d’apparence
banale, sans autre signe d’accompagnement, peut être le signe révélateur.
Et, contrairement à ce qui est classiquement admis, la concomitance n’est
pas toujours synonyme de bénignité,
comme le soulignent plusieurs publications [14, 15].
A la lumière de la littérature, la plupart
des tumeurs annoncées par un strabisme ou une ésotropie concernent logiquement la fosse postérieure (localisation préférentielle des tumeurs cérébrales chez l’enfant), principalement le
cervelet. Il n’y a pas de signes d’HTIC
évident, un œdème papillaire modéré
est parfois retrouvé plusieurs mois
après la survenue du strabisme. Le diagnostic est alors souvent fait avec retard, lors de l’apparition des premiers
signes d’HTIC, et donc porté à un stade
déjà évolué. En dehors de l’HTIC, un
nystagmus des regards latéraux a pu
apparaître de façon progressive. Dans
ces cas atypiques, les signes associés
surviennent progressivement et lentement dans le temps.
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LES SIGNES D’ALERTE
Quand l’ésotropie est-elle suspecte ? Le
strabisme acquis survient en général
chez le jeune enfant ; sa survenue après
l’âge de cinq-six ans et l’absence de
contexte accomodatif particulier constituent des signes d’alerte. De même, une
diplopie brutale, une baisse de l’acuité
visuelle, une altération du champ visuel
sont en faveur d’une atteinte des voies
optiques. L’œdème papillaire est évocateur, avec certaines limites car il est parfois difficile de faire le diagnostic différentiel entre un vrai œdème papillaire
et un faux, comme l’œdème observé
chez l’hypermétrope.
Certains petits signes doivent être recherchés, notamment une légère incomitance avec limitation de la duction,
évocatrice d’une atteinte cérébelleuse.
L’augmentation de l’angle entre deux
examens est hautement suspecte. Les
spasmes en convergence, fréquents
dans une ésotropie précoce, sont beaucoup moins classiques dans une ésotropie acquise ; ils peuvent être d’origine
psychogène, mais aussi être en rapport
avec une tumeur cérébelleuse. L’absence de capacité de fusion, ou sa perte, est
un signe qui est fréquemment évoqué ;
il s’agit de sujets ayant une correspondance rétinienne normale, motrice ou
sensorielle [16]. Un angle de loin supérieur à l’angle de près est un très bon
signe. La pseudoparalysie de la divergence est une entité discutée ; le strabisme se manifeste par une ésotropie de
loin brutale, une convergence de loin
et, de près, par une orthophorie ou une
ésophorie, voire un strabisme divergent. Ce type de strabisme serait assez
typique des atteintes cérébelleuses,
mais a pu être également mis en évidence dans les gliomes du pont.
L’œdème papillaire associé à l’hydrocéphalie est typiquement bilatéral, plus
ou moins symétrique, sans baisse de
l’acuité visuelle, avec parfois une atrophie optique et donc une pâleur papillaire. Il peut survenir dans un contexte
d’hypertension bruyante avec des céphalées, mais pas toujours. Tout le problème est de faire la différence entre un
vrai œdème papillaire et un faux, comme celui de fibres à myéline.
ÉTIOLOGIES ET MÉCANISMES
Un strabisme peut révéler plusieurs
types de lésions neurologiques. Ce peut
être une tumeur cérébrale : astrocytome ou médulloblastome du cervelet,
gliome du pont, astrocytome du corps
calleux, tumeur du tronc cérébral… Il
peut également révéler une malformation d’Arnold-Chiari, une myasthénie
infantile, une atteinte du thalamus, un
traumatisme crânien ou une affection
inflammatoire (sclérose en plaques).
Les mécanismes restent incomplètement compris, l’une des hypothèses
étant un effet masse par hypertension
intracrânienne infraclinique.
Certains syndromes oculomoteurs bien
connus sont associés à une tumeur du
cervelet, mais le mécanisme est moins
évident pour l’ésotropie. Le cervelet,
notamment le vermis, joue un rôle
dans l’alignement oculaire, et c’est par
ce biais que l’ésotropie pourrait survenir [17].
CONCLUSION
Une ésotropie aiguë du jeune enfant
peut être un premier signe très inhabituel de tumeur cérébrale, notamment
du cervelet, parfois sans autre signe
d’appel. Toute la question est de savoir
quand demander une IRM, car les cas
révélant une tumeur cérébrale sont très
rares. En pratique, tout strabisme doit
conduire à réaliser un examen ophtalmologique complet à la recherche d’une
anomalie, en sachant qu’il n’existe pas
de signe clinique évident pour orienter
vers une étiologie neurologique.
DYSPHASIE
DÉVELOPPEMENTALE ET
AUTISME : DIAGNOSTIC
DIFFÉRENTIEL
D’après la communication de C. Njiokiktjien,
hôpital de l’Université libre, Amsterdam, Pays-Bas
La dysphasie développementale est par
définition un désordre neurologique, ce
décembre 2012
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qui n’exclut pas l’influence de l’environnement. Ce trouble structurel du développement du langage, caractérisé par sa sévérité et sa persistance, pose fréquemment
des problèmes de diagnostic différentiel,
en particulier avec l’autisme.
REPRENDRE L’ANAMNÈSE
Face à un enfant dysphasique, il est essentiel de reprendre l’anamnèse depuis
la naissance. La dysphasie développementale peut parfois débuter très précocement, entre la naissance et six mois,
par une dyspraxie orale, avec des difficultés pour la succion, l’allaitement, puis
des difficultés lors de la diversification
alimentaire et l’introduction d’aliments
plus solides. Parfois, un antécédent de
pneumopathie d’inhalation est retrouvé.
Entre trois et douze mois, elle peut se
traduire par un babillage tardif ou peu
varié. Chez d’autres enfants, elle se manifeste entre douze et vingt-quatre mois :
les premiers mots viennent tard, ou viennent à temps mais le vocabulaire ne
s’élargit pas. Les enfants font des gestes
pour communiquer. De dix-huit à trentesix mois, l’enfant dysphasique a du vocabulaire mais ne fait pas de phrase, ou des
phrases dysgrammaticales, et raconte
des histoires incompréhensibles, confondant les parties. Le jeu accompagné de
paroles commence avec retard.
LE NIVEAU EXPRESSIF
La dysphasie se traduit donc par un ensemble de symptômes très variés dont
les principaux touchent le niveau expressif : mots, syntaxe, mémoire verbale. Il y a une perturbation de la liaison
des idées, l’enfant confond les parties
lorsqu’il raconte une histoire. Il s’exprime difficilement sur commande, tandis
que parler spontanément lui est plus facile. Certains enfants ont également des
problèmes réceptifs, parfois au niveau
de la perception des phonèmes, ce qui
atteint la compréhension.
Mais pour l’enfant, le problème est dans
la plupart des cas de s’exprimer, de verbaliser ce qu’il sait, ce qu’il veut dire. Il
y a un écart réceptif-expressif, et il est
essentiel de tester sa compréhension.
Le bilan étiologique retrouve une notion
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familiale de dysphasie ou de dyslexie
dans 80 % des cas ; dans 5 % des cas,
une trisomie 21, un syndrome de l’X fragile ou de Klinefelter est présent. La genèse peut être pré- ou postnatale précoce par lésion vasculaire traumatique par
exemple.
LES FORMES PURES SONT RARES
Les dysphasies forment un spectre souvent associé à d’autres spectres, comme
l’autisme, les dyspraxies, les troubles de
l’attention, autant de comorbidités qui
toutes peuvent aggraver la dysphasie.
Une dysphasie pure est rare (il importe
de bien regarder l’enfant et d’étudier les
vidéos pour retrouver des signes associés), et de ce fait le diagnostic et le traitement doivent être multidisciplinaires
(neurologue, pédopsychiatre, psychologue, ORL, orthophoniste, ergothérapeute, psychomotricien). Cela est assez
difficile en pratique et expose au risque
de « dispersion » si l’enfant est pris en
Références
[1] SEYMOUR P.H., ARO M., ERSKINE J.M. : « Foundation literacy acquisition in European orthographies », Br. J. Psychol., 2003 ;
94 : 143-74.
[2] ZIEGLER J.C., BERTRAND D., TÓTH D., CSÉPE V., REIS A. et
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of reading : a cross-language investigation », Psychol. Sci., 2010 ;
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[3] COMMISSION EUROPÉENNE : « PROREAD : Explaining low literacy levels by profiling poor readers and their support », http://
ec.europa.eu/education/transversal-programme/doc950_en.htm#.
[4] FLUSS J., ZIEGLER J.C., WARSZAWSKI J., DUCOT B., RICHARD G., BILLARD C. : « Poor reading in French elementary
school : the interplay of cognitive, behavioral, and socioeconomic factors », J. Dev. Behav. Pediatr., 2009 ; 30 : 206-16.
[5] COLTHEART M., RASTLE K., PERRY C., LANGDON R., ZIEGLER J. : « DRC : a dual route cascaded model of visual word recognition and reading aloud », Psychol. Rev., 2001 ; 108 : 204-56.
[6] ZIEGLER J.C., CASTEL C., PECH-GEORGEL C., GEORGE F.,
charge en dehors des instituts ou des
centres de référence.
L’autisme résulte de dysfonctions neurologiques. La symptomatologie ainsi que
les circuits neuronaux impliqués sont
différents. Le problème relationnel est
au premier plan dans l’autisme : prise et
maintien du contact sont anormaux ; il y
a peu d’empathie, peu de contact visuel
et surtout une absence de réciprocité. La
langue formelle peut être correcte mais
avec des problèmes sémantiques ; il y a
un désordre sémantique pragmatique.
Une théorie de l’esprit (capacité d’attribuer l’état mental à soi-même ou à autrui) déficitaire pourrait mener à des
troubles du langage sémantique-pragmatique, ce qui se voit chez les autistes.
Pour la mentalisation, qui est l’utilisation de la théorie de l’esprit, l’enfant a
besoin d’un langage normal. Le langage
permet spécifiquement la pensée verbale, sans laquelle aucun développement
significatif de la théorie de l’esprit ne
serait possible. Les troubles pragmatiques chez les autistes peuvent être aggravés par des troubles de la parole, tels
que les dysphasies, qui peuvent influencer la mentalisation.
La majorité des enfants dysphasiques ne
sont pas autistiques. Dans la dysphasie,
les problèmes comportementaux, qui se
traduisent par une irritabilité, une
agressivité et/ou une angoisse de séparation, sont liés à l’impossibilité de s’exprimer. En l’absence de traitement, l’enfant peut se retirer du contact, voire
évoluer vers le mutisme, ce qui peut simuler un comportement autistique.
Tout le problème en pratique vient du
chevauchement entre dysphasie et autisme : il existe une grande zone grise,
et il est difficile de dire où la normalité
s’arrête et où le problème clinique com첸
mence.
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PROBLÈME RELATIONNEL
AU PREMIER PLAN
décembre 2012
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