LES SIGNES D’ALERTE
Quand l’ésotropie est-elle suspecte ? Le
strabisme acquis survient en général
chez le jeune enfant ; sa survenue après
l’âge de cinq-six ans et l’absence de
contexte accomodatif particulier consti-
tuent des signes d’alerte. De même, une
diplopie brutale, une baisse de l’acuité
visuelle, une altération du champ visuel
sont en faveur d’une atteinte des voies
optiques. L’œdème papillaire est évoca-
teur, avec certaines limites car il est par-
fois difficile de faire le diagnostic diffé-
rentiel entre un vrai œdème papillaire
et un faux, comme l’œdème observé
chez l’hypermétrope.
Certains petits signes doivent être re-
cherchés, notamment une légère inco-
mitance avec limitation de la duction,
évocatrice d’une atteinte cérébelleuse.
L’augmentation de l’angle entre deux
examens est hautement suspecte. Les
spasmes en convergence, fréquents
dans une ésotropie précoce, sont beau-
coup moins classiques dans une ésotro-
pie acquise ; ils peuvent être d’origine
psychogène, mais aussi être en rapport
avec une tumeur cérébelleuse. L’absen-
ce de capacité de fusion, ou sa perte, est
un signe qui est fréquemment évoqué ;
il s’agit de sujets ayant une correspon-
dance rétinienne normale, motrice ou
sensorielle [16]. Un angle de loin supé-
rieur à l’angle de près est un très bon
signe. La pseudoparalysie de la diver-
gence est une entité discutée ; le strabis-
me se manifeste par une ésotropie de
loin brutale, une convergence de loin
et, de près, par une orthophorie ou une
ésophorie, voire un strabisme diver-
gent. Ce type de strabisme serait assez
typique des atteintes cérébelleuses,
mais a pu être également mis en éviden-
ce dans les gliomes du pont.
L’œdème papillaire associé à l’hydrocé-
phalie est typiquement bilatéral, plus
ou moins symétrique, sans baisse de
l’acuité visuelle, avec parfois une atro-
phie optique et donc une pâleur papil-
laire. Il peut survenir dans un contexte
d’hypertension bruyante avec des cé-
phalées, mais pas toujours. Tout le pro-
blème est de faire la différence entre un
vrai œdème papillaire et un faux, com-
me celui de fibres à myéline.
ÉTIOLOGIES ET MÉCANISMES
Un strabisme peut révéler plusieurs
types de lésions neurologiques. Ce peut
être une tumeur cérébrale : astrocyto-
me ou médulloblastome du cervelet,
gliome du pont, astrocytome du corps
calleux, tumeur du tronc cérébral… Il
peut également révéler une malforma-
tion d’Arnold-Chiari, une myasthénie
infantile, une atteinte du thalamus, un
traumatisme crânien ou une affection
inflammatoire (sclérose en plaques).
Les mécanismes restent incomplète-
ment compris, l’une des hypothèses
étant un effet masse par hypertension
intracrânienne infraclinique.
Certains syndromes oculomoteurs bien
connus sont associés à une tumeur du
cervelet, mais le mécanisme est moins
évident pour l’ésotropie. Le cervelet,
notamment le vermis, joue un rôle
dans l’alignement oculaire, et c’est par
ce biais que l’ésotropie pourrait surve-
nir [17].
CONCLUSION
Une ésotropie aiguë du jeune enfant
peut être un premier signe très inhabi-
tuel de tumeur cérébrale, notamment
du cervelet, parfois sans autre signe
d’appel. Toute la question est de savoir
quand demander une IRM, car les cas
révélant une tumeur cérébrale sont très
rares. En pratique, tout strabisme doit
conduire à réaliser un examen ophtal-
mologique complet à la recherche d’une
anomalie, en sachant qu’il n’existe pas
de signe clinique évident pour orienter
vers une étiologie neurologique.
DYSPHASIE
DÉVELOPPEMENTALE ET
AUTISME : DIAGNOSTIC
DIFFÉRENTIEL
D’après la communication de C. Njiokiktjien,
hôpital de l’Université libre, Amsterdam, Pays-Bas
La dysphasie développementale est par
définition un désordre neurologique, ce
qui n’exclut pas l’influence de l’environne-
ment. Ce trouble structurel du développe-
ment du langage, caractérisé par sa sévé-
rité et sa persistance, pose fréquemment
des problèmes de diagnostic différentiel,
en particulier avec l’autisme.
REPRENDRE L’ANAMNÈSE
Face à un enfant dysphasique, il est es-
sentiel de reprendre l’anamnèse depuis
la naissance. La dysphasie développe-
mentale peut parfois débuter très préco-
cement, entre la naissance et six mois,
par une dyspraxie orale, avec des diffi-
cultés pour la succion, l’allaitement, puis
des difficultés lors de la diversification
alimentaire et l’introduction d’aliments
plus solides. Parfois, un antécédent de
pneumopathie d’inhalation est retrouvé.
Entre trois et douze mois, elle peut se
traduire par un babillage tardif ou peu
varié. Chez d’autres enfants, elle se ma-
nifeste entre douze et vingt-quatre mois :
les premiers mots viennent tard, ou vien-
nent à temps mais le vocabulaire ne
s’élargit pas. Les enfants font des gestes
pour communiquer. De dix-huit à trente-
six mois, l’enfant dysphasique a du voca-
bulaire mais ne fait pas de phrase, ou des
phrases dysgrammaticales, et raconte
des histoires incompréhensibles, confon-
dant les parties. Le jeu accompagné de
paroles commence avec retard.
LE NIVEAU EXPRESSIF
La dysphasie se traduit donc par un en-
semble de symptômes très variés dont
les principaux touchent le niveau ex-
pressif : mots, syntaxe, mémoire verba-
le. Il y a une perturbation de la liaison
des idées, l’enfant confond les parties
lorsqu’il raconte une histoire. Il s’expri-
me difficilement sur commande, tandis
que parler spontanément lui est plus fa-
cile. Certains enfants ont également des
problèmes réceptifs, parfois au niveau
de la perception des phonèmes, ce qui
atteint la compréhension.
Mais pour l’enfant, le problème est dans
la plupart des cas de s’exprimer, de ver-
baliser ce qu’il sait, ce qu’il veut dire. Il
y a un écart réceptif-expressif, et il est
essentiel de tester sa compréhension.
Le bilan étiologique retrouve une notion
Médecine
& enfance
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