Médecine & enfance Congrès de la Société française de neurologie pédiatrique D’après des communications du 22e Congrès de la Société française de neurologie pédiatrique, Marseille, 2012 Compte rendu : I. Hoppenot Troubles de l’acquisition de la coordination et troubles visuospatiaux, mécanismes de l’apprentissage de la lecture et dyslexie, aménagements scolaires simples chez les enfants présentant des difficultés à l’école, dysphasie développementale et autisme, ou encore signes évocateurs d’une étiologie neurologique en cas de strabisme apparaissant chez un enfant sain sont quelques-uns des thèmes qui ont été abordés lors du 22e Congrès de la Société française de neurologie pédiatrique. APPRENTISSAGE DE LA LECTURE ET SES TROUBLES À TRAVERS L’EUROPE D’après la communication de J. Ziegler, laboratoire de psychologie cognitive, université de Provence, Marseille La phonologie est au cœur de l’apprentissage de la lecture dans les différentes langues. Les déficits phonologiques sont prédominants chez la majorité des enfants dyslexiques et se retrouvent également chez les mauvais lecteurs non dyslexiques. Il apparaît important de faire un bilan précis des sous-composantes de la lecture chez les dyslexiques. Le modèle d’apprentissage de la lecture est fondé sur le couplage entre les informations orthographiques (domaine symbolique) et le domaine phonologique (langagier). Dans toutes les langues, l’apprentissage débute par une mise en relation entre les lettres et les sons, de façon explicite, enseignée. Par la suite, vient le temps de l’apprentissage implicite, par décodages successifs, qui est lui aussi fondé sur la mise en re- lation entre les unités orthographiques et les unités phonologiques. PAR RAPPORT AU LANGAGE ORAL Cet apprentissage se fait donc toujours par rapport au langage oral, ce qui est bien illustré par la comparaison entre les langues. L’étude de Seymour et al. a montré qu’après une année d’apprentissage de la lecture le niveau moyen des petits Anglais est inférieur à celui des autres petits Européens ; seuls 35 % des mots sont décodés correctement. Dans la majorité des autres langues, ces scores sont beaucoup plus élevés, atteignant 100 % dans certains pays [1]. Ces disparités reflètent l’irrégularité du système grapho-phonologique, également appelé « transparence de la langue ». Lorsque les mêmes « patterns » orthographiques peuvent se prononcer de différentes manières, l’apprentissage de la lecture est pénalisé. Cela prouve le rôle majeur joué par la mise en relation entre système orthographique et système phonologique. En effet, en anglais, le même pattern orthographique a plusieurs significations, le décodage est donc plus difficile. A l’inverse, en allemand, la régularité orthographique exdécembre 2012 page 413 plique que les difficultés soient moindres. En italien, où les phonèmes et leurs correspondances sont de l’ordre d’une vingtaine, la majorité des enfants sont de bons lecteurs avant Noël. En français, les résultats sont intermédiaires et, contrairement à ce qui est généralement supposé, les difficultés viennent plus de la quantité des éléments à apprendre (lettres, groupes de lettres) que de leur irrégularité. L’orthographe ne peut pas s’apprendre de façon uniquement visuelle, comme cela a été prouvé par un travail réalisé à la station de primatologie de Rousset, sur des babouins dépourvus de langage oral. Grâce à son système visuel proche de celui de l’homme, le singe peut en effet apprendre un certain nombre de mots (discrimination entre mots et pseudo-mots), mais au prix de milliers d’essais. Ce qui, rapporté au nombre de mots que doit apprendre un enfant pour maîtriser la lecture, paraît difficilement réalisable. LES FACTEURS PRÉDICTIFS DE SUCCÈS Pour mieux cerner les prédicteurs universels d’un apprentissage réussi de la Médecine & enfance lecture, différents processus ont été mesurés : intelligence, mémoire à court terme, vocabulaire, dénomination rapide, conscience phonologique (capacité à isoler et détecter les phonèmes) [2]. Le projet Proread a évalué le poids de ces différents facteurs sur une cohorte de 1 263 enfants scolarisés en grade 2 (ce qui correspond au CE1) dans cinq pays (Finlande, Pays-Bas, Hongrie, Portugal et France) ; 316 de ces enfants présentaient des difficultés de lecture [3]. Ce travail montre tout d’abord que l’intelligence en soi n’est pas un prédicteur du succès en lecture, et ce dans aucune des cinq langues. Il en est de même pour la dénomination rapide. La mémoire à court terme ne semble jouer un rôle, toutefois très modeste, qu’en Finlande et en Hongrie. Le vocabulaire n’est associé au succès qu’en Finlande, ce qui est assez logique car l’orthographe finlandaise ne pose pas de problème de décodage. Seule la conscience phonologique représente une variable majeure dans tous les pays. Ce paramètre joue également un rôle dans la vitesse de lecture, qui est elle-même influencée par la dénomination rapide (qui mesure la vitesse avec laquelle l’enfant accède aux représentations phonologiques) dans trois des cinq pays. Ainsi, le trait commun de la réussite de l’apprentissage de la lecture est le fait d’aller d’un domaine symbolique vers le langage oral. dans les milieux défavorisés contre 4 % dans les milieux favorisés, mais, en soi, ces variables socio-économiques sont peu contributives. ANALYSER LE PROFIL DE CHAQUE ENFANT Si dans le cadre de la recherche les résultats de groupe sont intéressants, pour le clinicien, chaque enfant est unique, avec des causes et des trajectoires multiples. En se fondant sur le modèle à double voie, qui spécifie les composantes de la lecture [5], des tests ont été développés pour chaque étape (identification de lettres, accès au lexique orthographique…), ce qui permet d’analyser le profil d’un enfant au niveau de chaque composante des tâches expertes. Une étude menée en 2008 sur 24 enfants montre que, comparativement aux sujets contrôles, les enfants dyslexiques ont peu de déficit de l’attention (3/24), mais plus de troubles du traitement des lettres (la moitié des enfants) [6]. Ils présentent peu de troubles du lexique orthographique (5/24), mais souvent des troubles du lexique phonologique (2/3 des enfants) et de traitement des phonèmes. Cependant, à titre individuel, les profils de dyslexie sont extrêmement variés, ce qui suggère l’intérêt d’explorer les troubles un par un plutôt que de façon globale. LA CONSCIENCE PHONOLOGIQUE Une étude menée à Paris sur 1 062 enfants a permis de mieux préciser le rôle de différents groupes de paramètres influençant l’apprentissage de la lecture [4]. Le groupe de variables cognitives explique 50 % de la réussite en lecture, les deux paramètres ayant le plus fort pouvoir prédictif étant la conscience phonologique et la dénomination rapide. Le groupe de facteurs comportementaux, avec au premier plan l’inattention, explique 27 % de la variance. Il s’agit donc d’une contribution significative à la compétence à la lecture. Enfin, le groupe de paramètres socio-économiques ne joue que pour 9 % de la variance. Le taux de mauvais lecteurs est de 24 % PETITS ARRANGEMENTS AVEC LES APPRENTISSAGES D’après la communication de O. Revol, psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, hôpitaux de Lyon Les difficultés scolaires sont un symptôme dont la cause, instrumentale ou psychologique, doit être recherchée par un bilan très rigoureux. Pour les enfants ayant des besoins spécifiques, des aménagements pédagogiques simples sont indispensables afin de leur permettre d’utiliser leurs compétences et de retrouver le désir d’apprendre. Pour s’épanouir à l’école en 2012, il faut des copains (ce qui n’était pas aussi fondécembre 2012 page 414 damental il y a trente ans), des expériences réussies, des enseignants bienveillants (et on ne peut que se féliciter de la réconciliation de l’enfant différent avec l’école), des parents rassurés, une pression (sociale, familiale et scolaire) mesurée, notamment à la préadolescence, des rythmes individuels respectés. LES DONNÉES DU PISA L’Education nationale et la santé sont deux structures jumelles qui devraient travailler ensemble, ce qui pendant longtemps n’a pas été le cas. Les données, présentées en décembre 2010, du Pisa (Programme international pour le suivi des acquis des étudiants), dont les objectifs sont de fournir aux Etats des outils pour définir leur politique pédagogique, montre que les élèves de quinze ans sont de moins en moins bons en France : dix-septième place en mathématiques, dix-neuvième place en lecture et vingt-deuxième place en sciences. Les pays où les enfants réussissent le mieux, tels que la Finlande, le Japon ou la Corée du Sud, sont aussi ceux qui portent un regard différent sur les enfants différents. Les parents comme les enseignants sont de plus en plus nombreux à solliciter le corps médical pour des troubles de la scolarité. « La maîtresse n’en peut plus », « il ne capitalise pas », « il a épuisé son carnet à points » sont autant de remarques faites par les parents en consultation. Il s’agit souvent de petits troubles, chez des enfants en « délicatesse » avec l’école, qui peuvent bénéficier de simples aménagements pédagogiques. UNE DÉMARCHE RIGOUREUSE L’échec scolaire est un symptôme, et une démarche systématique et rigoureuse est impérative pour en préciser la cause, qui peut être instrumentale (manque de moyens) ou psychologique (mauvaise utilisation des moyens). Le bilan s’attache ainsi à rechercher des troubles sensoriels, à évaluer le QI, à mettre en évidence des troubles spécifiques des apprentissages (enfants « dys »). Il importe notamment de dépister les troubles de l’attention soutenue, Médecine & enfance dont un des signes d’alerte est la baisse de la réussite en fin de devoir. Le seul fait de fractionner le travail peut permettre à l’enfant de dépasser ses difficultés. Il revient aux professionnels d’aller au-delà du bilan de l’enfant chez lequel on n’a pas repéré de troubles spécifiques. De plus en plus de préadolescents masquent en effet leur déficit spécifique par un manque de travail. Le risque à terme est le décrochage scolaire, qui concerne 15 à 20 % des enfants et qui est en général annoncé par des années de difficultés scolaires. Il y a un effet domino des « dys » : le trouble de l’apprentissage entraîne des difficultés scolaires, source de troubles du comportement, ce qui induit une démotivation qui accentue les troubles des apprentissages, l’évolution se faisant in fine vers le décrochage scolaire. Le dépistage précoce du trouble instrumental aurait évité cet engrenage, cette spirale infernale. Cela est d’autant plus important que l’effet domino concerne aussi les parents. PENSER À LA DÉPRESSION Si ce bilan est négatif, une cause psychologique doit être recherchée : excès de pression, dépression, anxiété… L’espace psychique de ces enfants n’est pas disponible. La dépression est relativement fréquente, puisqu’elle touche 4 % des enfants : insomnie, troubles de l’attention, démotivation, aggravation des déficits, syndrome d’échec sont autant de symptômes d’alerte. La dépression est souvent sournoise et vient se greffer sur d’anciennes cicatrices ; elle se fixe sur les points de vulnérabilité. Entretiens, recours à des échelles comme la HAD (hospital anxiety and depression scale) permettent de confirmer ce trouble de l’humeur, pour lequel il ne faut pas hésiter à demander l’avis d’une psychologue clinicienne. DES AMÉNAGEMENTS PÉDAGOGIQUES L’école n’est plus un lieu d’apprentissage mais un lieu de socialisation : le développement affectif et le dévelop- pement cognitif évoluent en parallèle et s’entrechoquent constamment. Et il y a un certain nombre d’enfants qui ont des besoins spécifiques, qui demandent des petits arrangements avec les apprentissages. Les conseils donnés aux enseignants sont très positifs pour ces enfants. Par exemple, il ne sera pas demandé à un enfant dyslexique de lire devant les autres ; on doit lui fournir des photocopies de textes à corriger et ne pas lui faire faire des dictées. Chez le dyspraxique, l’oral doit être privilégié… LES TROUBLES VISUOSPATIAUX DANS LE TROUBLE D’ACQUISITION DE LA COORDINATION D’après la communication de Y. Chaix, Inserm U825, unité de neurologie pédiatrie, CHU, Toulouse Un certain nombre d’enfants ayant un trouble de l’acquisition de la coordination ont des troubles visuo-spatiaux. Ces derniers peuvent participer à certains aspects de la motricité. Des études récentes suggèrent l’implication d’un trouble de l’apprentissage procédural dans les troubles spécifiques du développement. Les troubles du mouvement intentionnel chez l’enfant font l’objet de diverses appellations. Notamment, le lien entre les troubles d’acquisition de la coordination (TAC) et la dyspraxie est une question posée de longue date dans la littérature. La classification internationale des maladies retient dans sa dixième version le terme de « trouble spécifique du développement moteur », tandis que le DSM-IV-DR propose celui de « trouble d’acquisition de la coordination ». L’European Academy of Childhood Disability (EACD) a publié récemment des recommandations qui préconisent d’utiliser le terme TAC [7]. Ce dernier doit donc être envisagé comme la principale cause du trouble apraxique ou dyspraxique, l’apraxie ou la dyspraxie étant un symptôme et non pas un syndrome ou une maladie. décembre 2012 page 415 LES GESTES QUI IMPLIQUENT UNE COORDINATION Selon la définition du DSM IV, le TAC se caractérise par une altération significative de tous les gestes qui impliquent une coordination, ce qui peut se traduire ou non par un retard de développement. Les troubles ont un retentissement sur les activités de la vie quotidienne et sur les résultats scolaires. Le diagnostic est retenu après exclusion d’une affection neurologique. Le TAC touche 5 à 6 % des enfants d’âge scolaire, avec une nette prédominance chez les garçons (ratio de 2/1 à 7/1 selon les études). Il est ainsi aussi fréquent que les troubles spécifiques du langage oral ou écrit. Comme le soulignent les études longitudinales, ce trouble persiste à l’adolescence et à l’âge adulte, avec un retentissement scolaire dans des domaines comme l’éducation physique ou l’écriture. UN SOUS-GROUPE D’ENFANTS Les troubles visuo-spatiaux sont retrouvés chez un certain nombre d’enfants présentant un TAC. Si les troubles moteurs occupent le devant de la scène dans le TAC, comme le confirme une méta-analyse de cinquante études ayant inclus plus de 900 enfants [8], il existe également des troubles visuo-spatiaux avec ou sans déficience motrice. Cette méta-analyse montre que les facteurs ophtalmologiques, acuité visuelle, troubles de la vergence ou de l’accommodation, ont une taille d’effet faible (de 0,12) et qu’ils ne peuvent être envisagés comme des facteurs causals de ces difficultés visuo-spatiales. Une étude menée sur 19 enfants ayant un TAC et soumis à différents tests souligne que les troubles visuo-spatiaux ne concernent qu’un sous-groupe d’enfants et ne retrouve pas de corrélation entre les difficultés visuo-spatiales, avec ou sans composante motrice, et le score global du MABC (Movement assessment battery for children) [9]. Les études visant à préciser quelles voies du traitement de l’information seraient impliquées dans ce trouble donnent des Médecine & enfance résultats contradictoires. Certains auteurs suggèrent l’implication de la voie ventrale [10] ; pour d’autres, les deux voies, dorsales et ventrales, seraient concernées [11]. Les difficultés visuo-spatiales peuvent participer à certains des aspects de la motricité [12]. Lors d’une épreuve de vitesse de traitement de l’information, il n’est pas retrouvé de corrélation entre la tâche de discrimination visuelle et les différentes épreuves motrices, mais il y a une corrélation entre la vitesse et le fait de pouvoir rattraper correctement une balle. LES COMORBIDITÉS La grande hétérogénéité du TAC à l’échelle interindividuelle, en grande partie expliquée par la fréquence des comorbidités, est une problématique importante en pratique (début d’apparition des troubles, degré de gravité, étendue des difficultés). Il existe aussi une variabilité intra-individuelle, notamment au niveau des performances motrices (entre la course et le saut par exemple), des tâches de pointage et des tâches perceptivo-motrices, qui suggère éventuellement un trouble de la synchronisation. Dans l’unité de neurologie pédiatrique de Toulouse, un travail mené sur ce thème auprès de 24 enfants TAC versus des enfants contrôles du même âge montre que les premiers arrivent à effectuer des tâches visuomotrices de synchronisation/syncope, mais que la variabilité dans la performance est plus importante que chez les contrôles, qu’il n’y a pas d’amélioration des résultats avec le temps et qu’il existe une dégradation avec l’augmentation de la vitesse du test. TROUBLE DE L’APPRENTISSAGE PROCÉDURAL Le déficit moteur central pourrait découler d’un trouble plus général de la synchronisation, mais peut être aussi expliqué par un trouble de l’apprentissage procédural. En effet, un travail très récent met en évidence, chez les sujets TAC, des difficultés dans l’apprentissa- ge d’une séquence visuomotrice, ce qui pose la question d’un trouble de l’apprentissage procédural [13]. Cette piste est en cours d’exploration à Toulouse dans le cadre d’un travail de thèse, portant sur des enfants TAC et dyslexiques. Une dizaine d’enfants par groupe ont été inclus. QUAND SUSPECTER UNE ORIGINE NEUROLOGIQUE DEVANT UN STRABISME CHEZ UN ENFANT APPAREMMENT SAIN ? D’après la communication de H. Cohen, ophtalmologie, hôpital Saint-Joseph, Marseille La survenue d’un strabisme chez un enfant sain est une situation relativement fréquente. Si, dans la très grande majorité des cas, le strabisme est bénin, il peut parfois révéler une maladie neurologique ou une tumeur. La réalisation d’une IRM ne peut pas être envisagée de façon systématique ; en revanche un examen ophtalmologique très rigoureux s’impose, afin de rechercher des signes évocateurs d’une pathologie tumorale. ANOMALIES FORTEMENT SUSPECTES Face à un strabisme de l’enfant, certaines anomalies oculomotrices sont fortement suspectes et vont faire demander immédiatement une imagerie cérébrale (IRM) : strabisme divergent précoce et constant, paralysies oculomotrices et signes d’hypertension intracrânienne (HTIC), qui sont souvent associés, nystagmus acquis, torticolis acquis. Tout nystagmus acquis chez l’enfant doit faire suspecter une tumeur cérébrale. Le nystagmus est neurologique, surtout s’il est vertical, rotatoire, unilatéral, asymétrique. Le spasmus nutans a une évolution spontanément favorable, mais il s’agit d’un diagnostic différentiel d’élimination qui ne permet pas de s’affranchir de la réalisation systématique d’une IRM. Un nystagmus dans les regards latéraux, « gaze evoked nystagdécembre 2012 page 416 mus », avec un défaut de contrôle du regard excentré est typique des lésions cérébelleuses et du tronc cérébral. Il en est de même pour le « skew deviation », ou signe d’Hertwig-Magendie, qui est une divergence oculaire verticale non paralytique. Face à un torticolis acquis, il faut éliminer une tumeur de la fosse postérieure ou un syndrome d’Arnold-Chiari, et donc faire une IRM. Ces situations sont suffisamment évocatrices pour que l’on pense à aller plus loin dans la démarche étiologique. DES TABLEAUX PEU BRUYANTS Le diagnostic étiologique est en revanche plus difficile dans le cas banal d’une ésotropie acquise aiguë concomitante chez un jeune enfant de deux à onze ans, non paralytique, non accommodative, avec un examen neurologique normal. En effet, si chez l’enfant les tumeurs cérébrales se manifestent le plus souvent par une HTIC et un tableau clinique bruyant (une paralysie du VI la plupart du temps), dans certains cas, un strabisme d’apparence banale, sans autre signe d’accompagnement, peut être le signe révélateur. Et, contrairement à ce qui est classiquement admis, la concomitance n’est pas toujours synonyme de bénignité, comme le soulignent plusieurs publications [14, 15]. A la lumière de la littérature, la plupart des tumeurs annoncées par un strabisme ou une ésotropie concernent logiquement la fosse postérieure (localisation préférentielle des tumeurs cérébrales chez l’enfant), principalement le cervelet. Il n’y a pas de signes d’HTIC évident, un œdème papillaire modéré est parfois retrouvé plusieurs mois après la survenue du strabisme. Le diagnostic est alors souvent fait avec retard, lors de l’apparition des premiers signes d’HTIC, et donc porté à un stade déjà évolué. En dehors de l’HTIC, un nystagmus des regards latéraux a pu apparaître de façon progressive. Dans ces cas atypiques, les signes associés surviennent progressivement et lentement dans le temps. Médecine & enfance LES SIGNES D’ALERTE Quand l’ésotropie est-elle suspecte ? Le strabisme acquis survient en général chez le jeune enfant ; sa survenue après l’âge de cinq-six ans et l’absence de contexte accomodatif particulier constituent des signes d’alerte. De même, une diplopie brutale, une baisse de l’acuité visuelle, une altération du champ visuel sont en faveur d’une atteinte des voies optiques. L’œdème papillaire est évocateur, avec certaines limites car il est parfois difficile de faire le diagnostic différentiel entre un vrai œdème papillaire et un faux, comme l’œdème observé chez l’hypermétrope. Certains petits signes doivent être recherchés, notamment une légère incomitance avec limitation de la duction, évocatrice d’une atteinte cérébelleuse. L’augmentation de l’angle entre deux examens est hautement suspecte. Les spasmes en convergence, fréquents dans une ésotropie précoce, sont beaucoup moins classiques dans une ésotropie acquise ; ils peuvent être d’origine psychogène, mais aussi être en rapport avec une tumeur cérébelleuse. L’absence de capacité de fusion, ou sa perte, est un signe qui est fréquemment évoqué ; il s’agit de sujets ayant une correspondance rétinienne normale, motrice ou sensorielle [16]. Un angle de loin supérieur à l’angle de près est un très bon signe. La pseudoparalysie de la divergence est une entité discutée ; le strabisme se manifeste par une ésotropie de loin brutale, une convergence de loin et, de près, par une orthophorie ou une ésophorie, voire un strabisme divergent. Ce type de strabisme serait assez typique des atteintes cérébelleuses, mais a pu être également mis en évidence dans les gliomes du pont. L’œdème papillaire associé à l’hydrocéphalie est typiquement bilatéral, plus ou moins symétrique, sans baisse de l’acuité visuelle, avec parfois une atrophie optique et donc une pâleur papillaire. Il peut survenir dans un contexte d’hypertension bruyante avec des céphalées, mais pas toujours. Tout le problème est de faire la différence entre un vrai œdème papillaire et un faux, comme celui de fibres à myéline. ÉTIOLOGIES ET MÉCANISMES Un strabisme peut révéler plusieurs types de lésions neurologiques. Ce peut être une tumeur cérébrale : astrocytome ou médulloblastome du cervelet, gliome du pont, astrocytome du corps calleux, tumeur du tronc cérébral… Il peut également révéler une malformation d’Arnold-Chiari, une myasthénie infantile, une atteinte du thalamus, un traumatisme crânien ou une affection inflammatoire (sclérose en plaques). Les mécanismes restent incomplètement compris, l’une des hypothèses étant un effet masse par hypertension intracrânienne infraclinique. Certains syndromes oculomoteurs bien connus sont associés à une tumeur du cervelet, mais le mécanisme est moins évident pour l’ésotropie. Le cervelet, notamment le vermis, joue un rôle dans l’alignement oculaire, et c’est par ce biais que l’ésotropie pourrait survenir [17]. CONCLUSION Une ésotropie aiguë du jeune enfant peut être un premier signe très inhabituel de tumeur cérébrale, notamment du cervelet, parfois sans autre signe d’appel. Toute la question est de savoir quand demander une IRM, car les cas révélant une tumeur cérébrale sont très rares. En pratique, tout strabisme doit conduire à réaliser un examen ophtalmologique complet à la recherche d’une anomalie, en sachant qu’il n’existe pas de signe clinique évident pour orienter vers une étiologie neurologique. DYSPHASIE DÉVELOPPEMENTALE ET AUTISME : DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL D’après la communication de C. Njiokiktjien, hôpital de l’Université libre, Amsterdam, Pays-Bas La dysphasie développementale est par définition un désordre neurologique, ce décembre 2012 page 417 qui n’exclut pas l’influence de l’environnement. Ce trouble structurel du développement du langage, caractérisé par sa sévérité et sa persistance, pose fréquemment des problèmes de diagnostic différentiel, en particulier avec l’autisme. REPRENDRE L’ANAMNÈSE Face à un enfant dysphasique, il est essentiel de reprendre l’anamnèse depuis la naissance. La dysphasie développementale peut parfois débuter très précocement, entre la naissance et six mois, par une dyspraxie orale, avec des difficultés pour la succion, l’allaitement, puis des difficultés lors de la diversification alimentaire et l’introduction d’aliments plus solides. Parfois, un antécédent de pneumopathie d’inhalation est retrouvé. Entre trois et douze mois, elle peut se traduire par un babillage tardif ou peu varié. Chez d’autres enfants, elle se manifeste entre douze et vingt-quatre mois : les premiers mots viennent tard, ou viennent à temps mais le vocabulaire ne s’élargit pas. Les enfants font des gestes pour communiquer. De dix-huit à trentesix mois, l’enfant dysphasique a du vocabulaire mais ne fait pas de phrase, ou des phrases dysgrammaticales, et raconte des histoires incompréhensibles, confondant les parties. Le jeu accompagné de paroles commence avec retard. LE NIVEAU EXPRESSIF La dysphasie se traduit donc par un ensemble de symptômes très variés dont les principaux touchent le niveau expressif : mots, syntaxe, mémoire verbale. Il y a une perturbation de la liaison des idées, l’enfant confond les parties lorsqu’il raconte une histoire. Il s’exprime difficilement sur commande, tandis que parler spontanément lui est plus facile. Certains enfants ont également des problèmes réceptifs, parfois au niveau de la perception des phonèmes, ce qui atteint la compréhension. Mais pour l’enfant, le problème est dans la plupart des cas de s’exprimer, de verbaliser ce qu’il sait, ce qu’il veut dire. Il y a un écart réceptif-expressif, et il est essentiel de tester sa compréhension. Le bilan étiologique retrouve une notion Médecine & enfance familiale de dysphasie ou de dyslexie dans 80 % des cas ; dans 5 % des cas, une trisomie 21, un syndrome de l’X fragile ou de Klinefelter est présent. La genèse peut être pré- ou postnatale précoce par lésion vasculaire traumatique par exemple. LES FORMES PURES SONT RARES Les dysphasies forment un spectre souvent associé à d’autres spectres, comme l’autisme, les dyspraxies, les troubles de l’attention, autant de comorbidités qui toutes peuvent aggraver la dysphasie. Une dysphasie pure est rare (il importe de bien regarder l’enfant et d’étudier les vidéos pour retrouver des signes associés), et de ce fait le diagnostic et le traitement doivent être multidisciplinaires (neurologue, pédopsychiatre, psychologue, ORL, orthophoniste, ergothérapeute, psychomotricien). Cela est assez difficile en pratique et expose au risque de « dispersion » si l’enfant est pris en Références [1] SEYMOUR P.H., ARO M., ERSKINE J.M. : « Foundation literacy acquisition in European orthographies », Br. J. Psychol., 2003 ; 94 : 143-74. [2] ZIEGLER J.C., BERTRAND D., TÓTH D., CSÉPE V., REIS A. et al. : « Orthographic depth and its impact on universal predictors of reading : a cross-language investigation », Psychol. Sci., 2010 ; 21 : 551-9. [3] COMMISSION EUROPÉENNE : « PROREAD : Explaining low literacy levels by profiling poor readers and their support », http:// ec.europa.eu/education/transversal-programme/doc950_en.htm#. [4] FLUSS J., ZIEGLER J.C., WARSZAWSKI J., DUCOT B., RICHARD G., BILLARD C. : « Poor reading in French elementary school : the interplay of cognitive, behavioral, and socioeconomic factors », J. Dev. Behav. Pediatr., 2009 ; 30 : 206-16. [5] COLTHEART M., RASTLE K., PERRY C., LANGDON R., ZIEGLER J. : « DRC : a dual route cascaded model of visual word recognition and reading aloud », Psychol. Rev., 2001 ; 108 : 204-56. [6] ZIEGLER J.C., CASTEL C., PECH-GEORGEL C., GEORGE F., charge en dehors des instituts ou des centres de référence. L’autisme résulte de dysfonctions neurologiques. La symptomatologie ainsi que les circuits neuronaux impliqués sont différents. Le problème relationnel est au premier plan dans l’autisme : prise et maintien du contact sont anormaux ; il y a peu d’empathie, peu de contact visuel et surtout une absence de réciprocité. La langue formelle peut être correcte mais avec des problèmes sémantiques ; il y a un désordre sémantique pragmatique. Une théorie de l’esprit (capacité d’attribuer l’état mental à soi-même ou à autrui) déficitaire pourrait mener à des troubles du langage sémantique-pragmatique, ce qui se voit chez les autistes. Pour la mentalisation, qui est l’utilisation de la théorie de l’esprit, l’enfant a besoin d’un langage normal. Le langage permet spécifiquement la pensée verbale, sans laquelle aucun développement significatif de la théorie de l’esprit ne serait possible. Les troubles pragmatiques chez les autistes peuvent être aggravés par des troubles de la parole, tels que les dysphasies, qui peuvent influencer la mentalisation. La majorité des enfants dysphasiques ne sont pas autistiques. Dans la dysphasie, les problèmes comportementaux, qui se traduisent par une irritabilité, une agressivité et/ou une angoisse de séparation, sont liés à l’impossibilité de s’exprimer. En l’absence de traitement, l’enfant peut se retirer du contact, voire évoluer vers le mutisme, ce qui peut simuler un comportement autistique. Tout le problème en pratique vient du chevauchement entre dysphasie et autisme : il existe une grande zone grise, et il est difficile de dire où la normalité s’arrête et où le problème clinique com첸 mence. ALARIO F.X., PERRY C. : « Developmental dyslexia and the dual route model of reading : simulating individual differences and subtypes », Cognition, 2008 ; 107 : 151-78. [7] EACD : « Recommendations : definition, diagnosis, assessment and intervention of developmental coordination disorder (DCD) », DCD guidelines 2011, full report, http://www.eacd.org/ publications.php. [8] WILSON P.H., MCKENZIE B.E. : « Information processing deficits associated with developmental coordination disorder : a meta-analysis of research findings », J. Child Psychol. Psychiatry, 1998 ; 39 : 829-40. [9] SCHOEMAKER M.M., VAN DER WEES M., FLAPPER B., VERHEIJ-JANSEN N., SCHOLTEN-JAEGERS S., GEUZE R.H. : « Perceptual skills of children with developmental coordination disorder », Hum. Mov. 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