Médecine
& enfance
APPRENTISSAGE
DE LA LECTURE
ET SES TROUBLES
À TRAVERS L’EUROPE
D’après la communication de J. Ziegler,
laboratoire de psychologie cognitive, université
de Provence, Marseille
La phonologie est au cœur de l’apprentis-
sage de la lecture dans les différentes
langues. Les déficits phonologiques sont
prédominants chez la majorité des enfants
dyslexiques et se retrouvent également
chez les mauvais lecteurs non dys-
lexiques. Il apparaît important de faire un
bilan précis des sous-composantes de la
lecture chez les dyslexiques.
Le modèle d’apprentissage de la lecture
est fondé sur le couplage entre les infor-
mations orthographiques (domaine
symbolique) et le domaine phonolo-
gique (langagier). Dans toutes les
langues, l’apprentissage débute par une
mise en relation entre les lettres et les
sons, de façon explicite, enseignée. Par
la suite, vient le temps de l’apprentissa-
ge implicite, par décodages successifs,
qui est lui aussi fondé sur la mise en re-
lation entre les unités orthographiques
et les unités phonologiques.
PAR RAPPORT AU LANGAGE ORAL
Cet apprentissage se fait donc toujours
par rapport au langage oral, ce qui est
bien illustré par la comparaison entre
les langues. L’étude de Seymour et al. a
montré qu’après une année d’apprentis-
sage de la lecture le niveau moyen des
petits Anglais est inrieur à celui des
autres petits Européens ; seuls 35 % des
mots sont décodés correctement. Dans
la majorité des autres langues, ces
scores sont beaucoup plus élevés, attei-
gnant 100 % dans certains pays [1].
Ces disparités reflètent l’irrégularité du
système grapho-phonologique, égale-
ment appelé « transparence de la
langue ». Lorsque les mêmes « patterns »
orthographiques peuvent se prononcer
de différentes manières, l’apprentissage
de la lecture est pénalisé. Cela prouve le
rôle majeur joué par la mise en relation
entre système orthographique et systè-
me phonologique. En effet, en anglais,
le même pattern orthographique a plu-
sieurs significations, le décodage est
donc plus difficile. A l’inverse, en alle-
mand, la régularité orthographique ex-
plique que les difficultés soient
moindres. En italien, les phonèmes
et leurs correspondances sont de l’ordre
d’une vingtaine, la majorité des enfants
sont de bons lecteurs avant Noël. En
français, les résultats sont intermé-
diaires et, contrairement à ce qui est gé-
néralement supposé, les difficultés vien-
nent plus de la quantité des éléments à
apprendre (lettres, groupes de lettres)
que de leur irrégularité.
L’orthographe ne peut pas s’apprendre
de fon uniquement visuelle, comme
cela a été prouvé par un travail réalisé à
la station de primatologie de Rousset,
sur des babouins dépourvus de langage
oral. Grâce à son système visuel proche
de celui de l’homme, le singe peut en ef-
fet apprendre un certain nombre de
mots (discrimination entre mots et
pseudo-mots), mais au prix de milliers
d’essais. Ce qui, rapporté au nombre de
mots que doit apprendre un enfant pour
maîtriser la lecture, paraît difficilement
réalisable.
LES FACTEURS PRÉDICTIFS
DE SUCCÈS
Pour mieux cerner les prédicteurs uni-
versels d’un apprentissage ussi de la
Troubles de l’acquisition de la coordination et troubles visuo-
spatiaux, mécanismes de l’apprentissage de la lecture et
dyslexie, aménagements scolaires simples chez les enfants
présentant des difficultés à l’école, dysphasie développe-
mentale et autisme, ou encore signes évocateurs d’une étio-
logie neurologique en cas de strabisme apparaissant chez
un enfant sain sont quelques-uns des thèmes qui ont été
abordés lors du 22eCongrès de la Socié française de neu-
rologie pédiatrique.
Congrès de la Socié française de neurologie
pédiatrique
D’après des communications du 22eCongrès de la Société française de neurologie pédiatrique, Marseille, 2012
Compte rendu : I. Hoppenot
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lecture, différents processus ont été me-
surés : intelligence, mémoire à court
terme, vocabulaire, dénomination rapi-
de, conscience phonologique (capaci
à isoler et détecter les phonèmes) [2].
Le projet Proread a évalué le poids de ces
difrents facteurs sur une cohorte de
1263 enfants scolarisés en grade 2 (ce
qui correspond au CE1) dans cinq pays
(Finlande, Pays-Bas, Hongrie, Portugal et
France); 316 de ces enfants présentaient
des difficultés de lecture [3]. Ce travail
montre tout d’abord que l’intelligence en
soi n’est pas un prédicteur du succès en
lecture, et ce dans aucune des cinq
langues. Il en est de même pour lano-
mination rapide. La moire à court ter-
me ne semble jouer un rôle, toutefois très
modeste, qu’en Finlande et en Hongrie.
Le vocabulaire n’est associé au sucs
qu’en Finlande, ce qui est assez logique
car l’orthographe finlandaise ne pose pas
de problème de décodage. Seule la
conscience phonologique représente une
variable majeure dans tous les pays. Ce
paramètre joue également un rôle dans
la vitesse de lecture, qui est elle-même in-
fluene par la dénomination rapide (qui
mesure la vitesse avec laquelle l’enfant
accède aux représentations phonolo-
giques) dans trois des cinq pays.
Ainsi, le trait commun de la réussite de
l’apprentissage de la lecture est le fait
d’aller d’un domaine symbolique vers le
langage oral.
LA CONSCIENCE PHONOLOGIQUE
Une étude menée à Paris sur 1062 en-
fants a permis de mieux préciser le rôle
de différents groupes de paramètres in-
fluençant l’apprentissage de la lecture
[4]. Le groupe de variables cognitives ex-
plique 50 % de la réussite en lecture, les
deux paramètres ayant le plus fort pou-
voir prédictif étant la conscience phono-
logique et la nomination rapide. Le
groupe de facteurs comportementaux,
avec au premier plan l’inattention, ex-
plique 27 % de la variance. Il s’agit donc
dune contribution significative à la
compétence à la lecture. Enfin, le grou-
pe de paramètres socio-économiques ne
joue que pour 9 % de la variance. Le
taux de mauvais lecteurs est de 24 %
dans les milieux défavorisés contre 4 %
dans les milieux favorisés, mais, en soi,
ces variables socio-économiques sont
peu contributives.
ANALYSER LE PROFIL
DE CHAQUE ENFANT
Si dans le cadre de la recherche les ré-
sultats de groupe sont intéressants,
pour le clinicien, chaque enfant est
unique, avec des causes et des trajec-
toires multiples. En se fondant sur le
mole à double voie, qui scifie les
composantes de la lecture [5], des tests
ont été développés pour chaque étape
(identification de lettres, accès au
lexique orthographique…), ce qui per-
met d’analyser le profil d’un enfant au
niveau de chaque composante des
ches expertes. Une étude menée en
2008 sur 24 enfants montre que, com-
parativement aux sujets contles, les
enfants dyslexiques ont peu de ficit
de lattention (3/24), mais plus de
troubles du traitement des lettres (la
moitié des enfants) [6]. Ils présentent
peu de troubles du lexique orthogra-
phique (5/24), mais souvent des
troubles du lexique phonologique (2/3
des enfants) et de traitement des pho-
mes. Cependant, à titre individuel,
les profils de dyslexie sont extrêmement
variés, ce qui suggère l’intérêt d’explo-
rer les troubles un par un plutôt que de
façon globale.
PETITS ARRANGEMENTS
AVEC LES APPRENTISSAGES
D’après la communication de O. Revol,
psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent,
hôpitaux de Lyon
Les difficultés scolaires sont un symptôme
dont la cause, instrumentale ou psycholo-
gique, doit être recherce par un bilan
très rigoureux. Pour les enfants ayant des
besoins spécifiques, des aménagements
pédagogiques simples sont indispen-
sables afin de leur permettre dutiliser
leurs compétences et de retrouver le désir
d’apprendre.
Pour s’épanouir à l’école en 2012, il faut
des copains (ce qui n’était pas aussi fon-
damental il y a trente ans), des expé-
riences réussies, des enseignants bien-
veillants (et on ne peut que se féliciter
de la réconciliation de l’enfant différent
avec l’école), des parents rassurés, une
pression (sociale, familiale et scolaire)
mesurée, notamment à la préadolescen-
ce, des rythmes individuels respectés.
LES DONNÉES DU PISA
L’Education nationale et la san sont
deux structures jumelles qui devraient
travailler ensemble, ce qui pendant
longtemps n’a pas été le cas. Les don-
nées, présentées en décembre 2010, du
Pisa (Programme international pour le
suivi des acquis des étudiants), dont les
objectifs sont de fournir aux Etats des
outils pour définir leur politique péda-
gogique, montre que les élèves de quin-
ze ans sont de moins en moins bons en
France : dix-septième place en mathé-
matiques, dix-neuvième place en lectu-
re et vingt-deuxième place en sciences.
Les pays où les enfants réussissent le
mieux, tels que la Finlande, le Japon ou
la Corée du Sud, sont aussi ceux qui
portent un regard différent sur les en-
fants différents.
Les parents comme les enseignants sont
de plus en plus nombreux à solliciter le
corps médical pour des troubles de la
scolarité. « La maîtresse n’en peut plus »,
« il ne capitalise pas », « il a épuisé son
carnet à points » sont autant de re-
marques faites par les parents en consul-
tation. Il s’agit souvent de petits troubles,
chez des enfants en « délicatesse » avec
l’école, qui peuvent bénéficier de simples
aménagements pédagogiques.
UNE DÉMARCHE RIGOUREUSE
Léchec scolaire est un symptôme, et
une démarche sysmatique et rigou-
reuse est impérative pour en préciser la
cause, qui peut être instrumentale
(manque de moyens) ou psychologique
(mauvaise utilisation des moyens). Le
bilan sattache ainsi à rechercher des
troubles sensoriels, à évaluer le QI, à
mettre en évidence des troubles spéci-
fiques des apprentissages (enfants
« dys »). Il importe notamment de dépis-
ter les troubles de l’attention soutenue,
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dont un des signes d’alerte est la baisse
de la réussite en fin de devoir. Le seul
fait de fractionner le travail peut per-
mettre à l’enfant de dépasser ses diffi-
cultés. Il revient aux professionnels d’al-
ler au-delà du bilan de l’enfant chez le-
quel on n’a pas repéré de troubles spéci-
fiques. De plus en plus de préadoles-
cents masquent en effet leur déficit spé-
cifique par un manque de travail. Le
risque à terme est le décrochage scolai-
re, qui concerne 15 à 20 % des enfants
et qui est en géral annon par des
années de difficultés scolaires.
Il y a un effet domino des « dys » : le
trouble de l’apprentissage entraîne des
difficultés scolaires, source de troubles
du comportement, ce qui induit une dé-
motivation qui accentue les troubles des
apprentissages, l’évolution se faisant in
fine vers le décrochage scolaire. Le dé-
pistage précoce du trouble instrumental
aurait évité cet engrenage, cette spirale
infernale. Cela est d’autant plus impor-
tant que l’effet domino concerne aussi
les parents.
PENSER À LA DÉPRESSION
Si ce bilan est gatif, une cause psy-
chologique doit être recherchée : excès
de pression, dépression, anxiété… L’es-
pace psychique de ces enfants n’est pas
disponible.
La dépression est relativement fréquen-
te, puisqu’elle touche 4 % des enfants :
insomnie, troubles de l’attention, démo-
tivation, aggravation des ficits, syn-
drome déchec sont autant de symp-
mes d’alerte. La pression est sou-
vent sournoise et vient se greffer sur
d’anciennes cicatrices ; elle se fixe sur
les points de vulrabilité. Entretiens,
recours à des échelles comme la HAD
(hospital anxiety and depression scale)
permettent de confirmer ce trouble de
l’humeur, pour lequel il ne faut pas hé-
siter à demander lavis dune psycho-
logue clinicienne.
DES AMÉNAGEMENTS
PÉDAGOGIQUES
L’école nest plus un lieu d’apprentis-
sage mais un lieu de socialisation : le
veloppement affectif et le dévelop-
pement cognitif évoluent en parallèle
et s’entrechoquent constamment. Et il
y a un certain nombre denfants qui
ont des besoins spécifiques, qui de-
mandent des petits arrangements avec
les apprentissages. Les conseils dons
aux enseignants sont très positifs pour
ces enfants. Par exemple, il ne sera pas
demandé à un enfant dyslexique de li-
re devant les autres ; on doit lui four-
nir des photocopies de textes à corri-
ger et ne pas lui faire faire des dices.
Chez le dyspraxique, loral doit être
privilég
LES TROUBLES VISUO-
SPATIAUX DANS LE
TROUBLE D’ACQUISITION
DE LA COORDINATION
D’après la communication de Y. Chaix,
Inserm U825, unité de neurologie pédiatrie,
CHU, Toulouse
Un certain nombre denfants ayant un
trouble de l’acquisition de la coordination
ont des troubles visuo-spatiaux. Ces der-
niers peuvent participer à certains aspects
de la motricité. Des études récentes sug-
gèrent l’implication d’un trouble de l’ap-
prentissage procédural dans les troubles
spécifiques du développement.
Les troubles du mouvement intention-
nel chez l’enfant font l’objet de diverses
appellations. Notamment, le lien entre
les troubles d’acquisition de la coordi-
nation (TAC) et la dyspraxie est une
question posée de longue date dans la
littérature. La classification internatio-
nale des maladies retient dans sa dixiè-
me version le terme de « trouble spéci-
fique du développement moteur », tan-
dis que le DSM-IV-DR propose celui de
« trouble d’acquisition de la coordina-
tion ». LEuropean Academy of Child-
hood Disability (EACD) a publié récem-
ment des recommandations qui préco-
nisent d’utiliser le terme TAC [7]. Ce der-
nier doit donc être envisagé comme la
principale cause du trouble apraxique
ou dyspraxique, lapraxie ou la dys-
praxie étant un symptôme et non pas un
syndrome ou une maladie.
LES GESTES QUI IMPLIQUENT
UNE COORDINATION
Selon la définition du DSM IV, le TAC se
caractérise par une altération significa-
tive de tous les gestes qui impliquent
une coordination, ce qui peut se tradui-
re ou non par un retard de développe-
ment. Les troubles ont un retentisse-
ment sur les activités de la vie quoti-
dienne et sur les résultats scolaires. Le
diagnostic est retenu après exclusion
d’une affection neurologique.
Le TAC touche 5 à 6 % des enfants d’âge
scolaire, avec une nette prédominance
chez les garçons (ratio de 2/1 à 7/1 se-
lon les études). Il est ainsi aussi fré-
quent que les troubles spécifiques du
langage oral ou écrit. Comme le souli-
gnent les études longitudinales, ce
trouble persiste à ladolescence et à
lâge adulte, avec un retentissement
scolaire dans des domaines comme
l’éducation physique ou l’écriture.
UN SOUS-GROUPE D’ENFANTS
Les troubles visuo-spatiaux sont retrou-
s chez un certain nombre denfants
présentant un TAC. Si les troubles mo-
teurs occupent le devant de la scène
dans le TAC, comme le confirme une
méta-analyse de cinquante études ayant
inclus plus de 900 enfants [8], il existe
également des troubles visuo-spatiaux
avec ou sans déficience motrice. Cette
ta-analyse montre que les facteurs
ophtalmologiques, acuité visuelle,
troubles de la vergence ou de l’accom-
modation, ont une taille deffet faible
(de 0,12) et qu’ils ne peuvent être envi-
sagés comme des facteurs causals de ces
difficultés visuo-spatiales.
Une étude menée sur 19 enfants ayant
un TAC et soumis à différents tests sou-
ligne que les troubles visuo-spatiaux ne
concernent qu’un sous-groupe d’enfants
et ne retrouve pas de corrélation entre
les difficultés visuo-spatiales, avec ou
sans composante motrice, et le score
global du MABC (Movement assess-
ment battery for children) [9].
Les études visant à préciser quelles voies
du traitement de l’information seraient
impliquées dans ce trouble donnent des
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sultats contradictoires. Certains au-
teurs suggèrent l’implication de la voie
ventrale [10] ; pour dautres, les deux
voies, dorsales et ventrales, seraient
concernées [11].
Les difficultés visuo-spatiales peuvent
participer à certains des aspects de la
motricité [12]. Lors d’une épreuve de vi-
tesse de traitement de l’information, il
n’est pas retrouvé de corrélation entre
la tâche de discrimination visuelle et les
différentes épreuves motrices, mais il y
a une corrélation entre la vitesse et le
fait de pouvoir rattraper correctement
une balle.
LES COMORBIDITÉS
La grande hétérogénéité du TAC à
léchelle interindividuelle, en grande
partie expliquée par la fréquence des
comorbidités, est une problématique
importante en pratique (début d’appari-
tion des troubles, degré de gravité,
étendue des difficultés). Il existe aussi
une variabilité intra-individuelle, no-
tamment au niveau des performances
motrices (entre la course et le saut par
exemple), des tâches de pointage et des
tâches perceptivo-motrices, qui suggère
éventuellement un trouble de la syn-
chronisation.
Dans l’unide neurologie pédiatrique
de Toulouse, un travail mené sur ce thè-
me auprès de 24 enfants TAC versus des
enfants contrôles du même âge montre
que les premiers arrivent à effectuer des
tâches visuomotrices de synchronisa-
tion/syncope, mais que la variabilité
dans la performance est plus importan-
te que chez les contrôles, qu’il n’y a pas
damélioration des résultats avec le
temps et quil existe une dégradation
avec laugmentation de la vitesse du
test.
TROUBLE DE LAPPRENTISSAGE
PROCÉDURAL
Le déficit moteur central pourrait -
couler d’un trouble plus général de la
synchronisation, mais peut être aussi
expliqué par un trouble de l’apprentis-
sage procédural. En effet, un travail très
récent met en évidence, chez les sujets
TAC, des difficultés dans l’apprentissa-
ge d’une séquence visuomotrice, ce qui
pose la question d’un trouble de l’ap-
prentissage procédural [13]. Cette piste
est en cours dexploration à Toulouse
dans le cadre d’un travail de thèse, por-
tant sur des enfants TAC et dyslexiques.
Une dizaine denfants par groupe ont
été inclus.
QUAND SUSPECTER UNE
ORIGINE NEUROLOGIQUE
DEVANT UN STRABISME
CHEZ UN ENFANT
APPAREMMENT SAIN ?
D’après la communication de H. Cohen,
ophtalmologie, hôpital Saint-Joseph, Marseille
La survenue d’un strabisme chez un en-
fant sain est une situation relativement
fréquente. Si, dans la très grande majorité
des cas, le strabisme est bénin, il peut
parfois révéler une maladie neurologique
ou une tumeur. La alisation d’une IRM
ne peut pas être envisagée de façon systé-
matique ; en revanche un examen ophtal-
mologique ts rigoureux simpose, afin
de rechercher des signes évocateurs
d’une pathologie tumorale.
ANOMALIES FORTEMENT
SUSPECTES
Face à un strabisme de lenfant, cer-
taines anomalies oculomotrices sont
fortement suspectes et vont faire de-
mander imdiatement une imagerie
brale (IRM) : strabisme divergent
précoce et constant, paralysies oculo-
motrices et signes dhypertension in-
tracrânienne (HTIC), qui sont souvent
associés, nystagmus acquis, torticolis
acquis.
Tout nystagmus acquis chez lenfant
doit faire suspecter une tumeur cérébra-
le. Le nystagmus est neurologique, sur-
tout s’il est vertical, rotatoire, unilaté-
ral, asymétrique. Le spasmus nutans a
une évolution spontanément favorable,
mais il s’agit d’un diagnostic différentiel
d’élimination qui ne permet pas de s’af-
franchir de la réalisation systématique
d’une IRM. Un nystagmus dans les re-
gards latéraux, « gaze evoked nystag-
mus », avec un défaut de contrôle du re-
gard excentré est typique des lésions cé-
belleuses et du tronc cébral. Il en
est de même pour le « skew deviation »,
ou signe d’Hertwig-Magendie, qui est
une divergence oculaire verticale non
paralytique.
Face à un torticolis acquis, il faut élimi-
ner une tumeur de la fosse postérieure
ou un syndrome dArnold-Chiari, et
donc faire une IRM.
Ces situations sont suffisamment évoca-
trices pour que l’on pense à aller plus
loin dans la démarche étiologique.
DES TABLEAUX PEU BRUYANTS
Le diagnostic étiologique est en re-
vanche plus difficile dans le cas banal
dune ésotropie acquise aiguë conco-
mitante chez un jeune enfant de deux
à onze ans, non paralytique, non ac-
commodative, avec un examen neuro-
logique normal. En effet, si chez l’en-
fant les tumeurs cérébrales se manifes-
tent le plus souvent par une HTIC et
un tableau clinique bruyant (une para-
lysie du VI la plupart du temps), dans
certains cas, un strabisme d’apparence
banale, sans autre signe daccompa-
gnement, peut être le signe révélateur.
Et, contrairement à ce qui est classi-
quement admis, la concomitance n’est
pas toujours synonyme de bénignité,
comme le soulignent plusieurs publi-
cations [14, 15].
A la lumière de la littérature, la plupart
des tumeurs annoncées par un strabis-
me ou une ésotropie concernent logi-
quement la fosse postérieure (localisa-
tion préférentielle des tumeurs céré-
brales chez l’enfant), principalement le
cervelet. Il n’y a pas de signes d’HTIC
évident, un œme papillaire modéré
est parfois retrouvé plusieurs mois
après la survenue du strabisme. Le dia-
gnostic est alors souvent fait avec re-
tard, lors de l’apparition des premiers
signes d’HTIC, et donc porté à un stade
dé évolué. En dehors de lHTIC, un
nystagmus des regards latéraux a pu
apparaître de fon progressive. Dans
ces cas atypiques, les signes associés
surviennent progressivement et lente-
ment dans le temps.
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LES SIGNES D’ALERTE
Quand l’ésotropie est-elle suspecte ? Le
strabisme acquis survient en général
chez le jeune enfant ; sa survenue après
lâge de cinq-six ans et labsence de
contexte accomodatif particulier consti-
tuent des signes d’alerte. De même, une
diplopie brutale, une baisse de l’acuité
visuelle, une altération du champ visuel
sont en faveur d’une atteinte des voies
optiques. L’œdème papillaire est évoca-
teur, avec certaines limites car il est par-
fois difficile de faire le diagnostic diffé-
rentiel entre un vrai œdème papillaire
et un faux, comme lœdème observé
chez l’hypermétrope.
Certains petits signes doivent être re-
cherchés, notamment une légère inco-
mitance avec limitation de la duction,
évocatrice d’une atteinte rébelleuse.
L’augmentation de langle entre deux
examens est hautement suspecte. Les
spasmes en convergence, fréquents
dans une ésotropie précoce, sont beau-
coup moins classiques dans une ésotro-
pie acquise ; ils peuvent être d’origine
psychogène, mais aussi être en rapport
avec une tumeur cérébelleuse. L’absen-
ce de capacité de fusion, ou sa perte, est
un signe qui est fréquemment évoqué ;
il s’agit de sujets ayant une correspon-
dance rétinienne normale, motrice ou
sensorielle [16]. Un angle de loin supé-
rieur à l’angle de près est un très bon
signe. La pseudoparalysie de la diver-
gence est une entité discutée ; le strabis-
me se manifeste par une ésotropie de
loin brutale, une convergence de loin
et, de près, par une orthophorie ou une
ésophorie, voire un strabisme diver-
gent. Ce type de strabisme serait assez
typique des atteintes cérébelleuses,
mais a pu être également mis en éviden-
ce dans les gliomes du pont.
L’œdème papillaire associé à l’hydrocé-
phalie est typiquement bilatéral, plus
ou moins symétrique, sans baisse de
l’acuité visuelle, avec parfois une atro-
phie optique et donc une pâleur papil-
laire. Il peut survenir dans un contexte
dhypertension bruyante avec des cé-
phalées, mais pas toujours. Tout le pro-
blème est de faire la différence entre un
vrai œdème papillaire et un faux, com-
me celui de fibres à myéline.
ÉTIOLOGIES ET MÉCANISMES
Un strabisme peut révéler plusieurs
types de lésions neurologiques. Ce peut
être une tumeur rébrale : astrocyto-
me ou médulloblastome du cervelet,
gliome du pont, astrocytome du corps
calleux, tumeur du tronc cérébralIl
peut également révéler une malforma-
tion dArnold-Chiari, une myasthénie
infantile, une atteinte du thalamus, un
traumatisme crânien ou une affection
inflammatoire (sclérose en plaques).
Les mécanismes restent incomplète-
ment compris, lune des hypothèses
étant un effet masse par hypertension
intracrânienne infraclinique.
Certains syndromes oculomoteurs bien
connus sont associés à une tumeur du
cervelet, mais le mécanisme est moins
évident pour lésotropie. Le cervelet,
notamment le vermis, joue un rôle
dans l’alignement oculaire, et c’est par
ce biais que l’ésotropie pourrait surve-
nir [17].
CONCLUSION
Une ésotropie aiguë du jeune enfant
peut être un premier signe très inhabi-
tuel de tumeur rébrale, notamment
du cervelet, parfois sans autre signe
d’appel. Toute la question est de savoir
quand demander une IRM, car les cas
révélant une tumeur cérébrale sont très
rares. En pratique, tout strabisme doit
conduire à aliser un examen ophtal-
mologique complet à la recherche d’une
anomalie, en sachant qu’il n’existe pas
de signe clinique évident pour orienter
vers une étiologie neurologique.
DYSPHASIE
DÉVELOPPEMENTALE ET
AUTISME : DIAGNOSTIC
DIFFÉRENTIEL
D’après la communication de C. Njiokiktjien,
hôpital de l’Université libre, Amsterdam, Pays-Bas
La dysphasie développementale est par
finition un désordre neurologique, ce
qui n’exclut pas l’influence de l’environne-
ment. Ce trouble structurel du développe-
ment du langage, caractérisé par sa sévé-
rité et sa persistance, pose fréquemment
des problèmes de diagnostic différentiel,
en particulier avec l’autisme.
REPRENDRE LANAMNÈSE
Face à un enfant dysphasique, il est es-
sentiel de reprendre l’anamnèse depuis
la naissance. La dysphasie veloppe-
mentale peut parfois débuter très préco-
cement, entre la naissance et six mois,
par une dyspraxie orale, avec des diffi-
cultés pour la succion, l’allaitement, puis
des difficultés lors de la diversification
alimentaire et l’introduction d’aliments
plus solides. Parfois, un antécédent de
pneumopathie d’inhalation est retrouvé.
Entre trois et douze mois, elle peut se
traduire par un babillage tardif ou peu
varié. Chez d’autres enfants, elle se ma-
nifeste entre douze et vingt-quatre mois :
les premiers mots viennent tard, ou vien-
nent à temps mais le vocabulaire ne
s’élargit pas. Les enfants font des gestes
pour communiquer. De dix-huit à trente-
six mois, l’enfant dysphasique a du voca-
bulaire mais ne fait pas de phrase, ou des
phrases dysgrammaticales, et raconte
des histoires incompréhensibles, confon-
dant les parties. Le jeu accompagné de
paroles commence avec retard.
LE NIVEAU EXPRESSIF
La dysphasie se traduit donc par un en-
semble de symptômes très variés dont
les principaux touchent le niveau ex-
pressif : mots, syntaxe, mémoire verba-
le. Il y a une perturbation de la liaison
des idées, l’enfant confond les parties
lorsqu’il raconte une histoire. Il s’expri-
me difficilement sur commande, tandis
que parler spontanément lui est plus fa-
cile. Certains enfants ont également des
problèmes ceptifs, parfois au niveau
de la perception des phonèmes, ce qui
atteint la compréhension.
Mais pour l’enfant, le problème est dans
la plupart des cas de s’exprimer, de ver-
baliser ce qu’il sait, ce qu’il veut dire. Il
y a un écart ceptif-expressif, et il est
essentiel de tester sa compréhension.
Le bilan étiologique retrouve une notion
Médecine
& enfance
décembre 2012
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