e cancer du sein est un excellent modèle pour le
dépistage : il constitue, du fait de sa fréquence et de
sa gravité, une menace pour la santé publique, aucune
prévention primaire n’est possible à l’heure actuelle, et le pro-
nostic est directement lié à la taille de la lésion au moment du
diagnostic. On dispose d’un examen, la mammographie, qui
est sensible, spécifique, supportable par la population et qui
permet de poser le diagnostic un à trois ans plus tôt que l’exa-
men clinique. Enfin, il existe un traitement d’efficacité démon-
trée qui peut être appliqué aux sujets dépistés.
Il est donc logique que les nations industrialisées, dites
“riches”, aient tenté, dans les années 60-70 (en plein essor de
la mammographie), d’organiser le dépistage du cancer du sein
par la mammographie. Le principe est de distinguer, dans une
population définie, un groupe de femmes susceptibles d’être
porteuses d’un cancer du sein, auxquelles on proposera une
stratégie de diagnostic, et un groupe de femmes pour les-
quelles la probabilité d’avoir la maladie est faible parce
qu’elles n’ont pas d’anomalie mammographique. C’est une
action de santé publique qui s’adresse à l’ensemble d’une
population dont les sujets sont apparemment en bonne santé.
Cette population étant sollicitée, le dépistage organisé a des
impératifs d’efficacité sur le plan de la qualité, de la participa-
tion et des résultats. Le but essentiel est de réduire la morta-
lité liée à la maladie dans l’ensemble de la population, mais on
doit également prendre en compte la qualité de vie et la mor-
bidité (diminution des traitements mutilants et des traitements
médicaux adjuvants, réinsertion socio-professionnelle).
Pour démontrer cette efficacité, définir les meilleures straté-
gies, appréhender les divers bénéfices mais aussi les dangers,
les éventuels effets délétères et les coûts, il a fallu concevoir,
mettre en place, analyser et soumettre à l’évaluation statistique
des essais contrôlés. Seuls des essais randomisés, comparant
une population invitée au dépistage à une population témoin,
pouvaient démontrer de façon incontestable une efficacité sur
la mortalité par cancer du sein. Le premier a démarré en 1962
aux États-Unis, dans l’État de New York. D’autres ont suivi,
aux États-Unis et en Europe.
Nous ne ferons pas la revue exhaustive de tous les essais, ran-
domisés ou non, et des analyses qui ont pu en être faites. À la
faveur d’une revue des essais historiques princeps, nous analy-
serons seulement les leçons essentielles qu’il a été possible
d’en tirer, afin de poser les bases d’un futur système qui puisse
offrir à toutes les femmes un outil de santé publique suppor-
table et performant.
LE
HEALTH INSURANCE PLAN OF GREATEST NEW YORK
(HIP)
Commencé en 1962, c’est le premier essai randomisé à avoir
démontré l’efficacité du dépistage par la mammographie :
31 000 femmes âgées de 40 à 64 ans ont reçu une invitation
pour un examen clinique réalisé par un chirurgien et pour une
mammographie avec deux incidences (face et profil) à
renouveler une fois par an pendant quatre ans ;
31 000 témoins n’ont reçu aucune proposition.
Une réduction de la mortalité par cancer du sein est observée
dans la population invitée. La réduction relative de mortalité
est de 23 % au bout de 10 ans d’observation (1), et la réduction
absolue de mortalité de 0,05 %. Cette réduction est statistique-
ment significative. La différence est toutefois faible, ce qui a
amené les investigateurs à étudier les résultats par tranche
d’âge, en essayant de délimiter une population pour laquelle le
dépistage est plus efficace : la réduction de mortalité est de
40 % à 10 ans chez les femmes de 50 ans et plus à l’entrée
dans l’essai, mais aucun bénéfice significatif n’apparaît chez
les femmes de 40 à 49 ans.
Cet essai pose donc pour la première fois le problème des
femmes de 40 à 49 ans. Son interprétation doit cependant
prendre en compte plusieurs réserves (3) : les mammographies
sont de mauvaise qualité (il n’y a, en particulier, pas de grille
antidiffusante), il n’y a pas eu de double lecture systématique,
et la place de l’examen clinique dans les résultats obtenus reste
à déterminer (80 % des tumeurs détectées sont palpables, la
mammographie ne diagnostique que 39 % des cancers détectés
chez les femmes de 40-49 ans alors qu’elle permet le diagnos-
tic dans 60 % des cas chez les femmes plus âgées) (4).
Cet essai met en évidence des biais d’interprétation (1, 2).
Le biais de sélection est lié au volontariat : le HIP va mon-
trer en effet que les femmes n’adhèrent pas à 100 % à la pro-
position qui leur est faite. La participation n’est que de 66,7 %
DOSSIER
8
La Lettre du Sénologue - n° 6 - novembre 1999
Dépistage organisé des cancers du sein :
quelles leçons peut-on tirer des essais historiques ?
Marie-Hélène Dilhuydy*, Béatrice Barreau*, Joseph Stinès**
L
* Institut Bergonié, Bordeaux.
** Centre Alexis-Vautrin, Vandœuvre-lès-Nancy.
au premier tour, et 39,6 % seulement des femmes incluses par-
ticipent aux quatre tours. Il y a, parmi les participantes, une
surreprésentation des patientes plus jeunes, d’un statut socio-
économique plus élevé, plus médicalisées, et de femmes ayant
des symptômes ou motivées par des antécédents familiaux. Les
non-participantes ont un taux de décès par autre cause deux
fois plus élevé et un taux de décès par cancer du sein para-
doxalement plus bas que les participantes. On peut compenser
ce biais par la convocation et par l’inclusion des non-partici-
pantes dans le groupe d’étude des essais randomisés, mais il ne
peut pas être totalement éliminé. Il explique probablement en
partie la surmortalité par cancer du sein parfois observée les
premières années dans le groupe dépisté.
Le biais d’avance au diagnostic est lié à l’allongement de
la survie aux dépens de la vie clandestine du cancer, sans effi-
cacité réelle sur la mortalité. Il oblige à exprimer les résultats
en risque relatif de mortalité et non en durée de survie. Le HIP
a permis de calculer l’avance au diagnostic obtenue, par le
suivi de l’incidence dans la population dépistée après arrêt du
dépistage : elle est en moyenne de 18 mois pour les 40-49 ans
et de trois ans après 50 ans (2).
Le HIP a ainsi permis d’expliquer la différence de résultats
obtenus en fonction de l’âge.
LE
BREAST CANCER DETECTION AND DEMONSTRATION
PROJECT
(BCDDP)
À la suite des résultats obtenus par le HIP, un vaste projet non
randomisé, intéressant 290 000 femmes et 29 centres des
États-Unis, propose, dès 1973, à l’ensemble des femmes de 35
à 74 ans un dépistage clinique et mammographique à deux
incidences (la thermographie a été ajoutée, mais est abandon-
née pour inefficacité en 1977), tous les ans pendant cinq ans
(5). À partir de 1976, au vu des résultats du HIP, la mammo-
graphie chez les femmes de moins de 50 ans est réservée aux
groupes à risque. Les résultats sont soumis à évaluation. Le
recrutement est basé sur l’information et le volontariat. Le
BCDDP confirme de façon nette le biais de recrutement, exa-
cerbé par le volontariat : le taux de détection est très élevé,
25 % des femmes examinées ont des antécédents familiaux.
Le succès de ce recrutement dépasse toutes les espérances. Les
centres de dépistage sont très vite saturés, en raison de
l’importante médiatisation des cancers du sein des épouses res-
pectives du président et du vice-président des États-Unis. Ce
succès permet de faire connaître au monde les performances de
la mammographie, et initiera toutes les études ultérieures.
Le succès entraînant toujours la controverse, le BCDDP a ses
détracteurs, qui l’accusent d’avoir “provoqué plus de morts par
cancers radio-induits qu’il n’a sauvé de vies”. Ces attaques,
qui inaugurent la violente polémique inspirée par le dépistage
des cancers du sein, vont conduire à des études radiobiolo-
giques très poussées sur le risque de cancers radio-induits
imputables à la mammographie. Elles vont permettre une esti-
mation du risque et démontrer qu’il est négligeable à titre indi-
viduel, et largement inférieur aux bénéfices espérés à titre col-
lectif (6). Tout doit cependant être fait pour diminuer la dose
d’irradiation : c’est le début de la recherche technologique
d’une mammographie low dose.
Le BCDDP n’est pas randomisé et ne fournit pas d’informa-
tion claire sur le risque relatif de mortalité, mais il apporte
beaucoup d’informations concernant les modèles opérationnels
du dépistage et les cancers qui en sont issus.
Il démontre en premier lieu l’inefficacité de la thermographie
dans le dépistage des cancers du sein, puisque 59 % des can-
cers détectés ont une thermographie normale (7). Il montre
ensuite et surtout l’impact de la qualité sur les résultats obser-
vés, en particulier chez les femmes de moins de 50 ans. Dans
les années 70, la technologie évolue (grilles antidiffusantes,
foyers fins, couples films-écrans), et la connaissance des
images élémentaires et des corrélations radio-histologiques
également. Les résultats sont nettement meilleurs que ceux du
HIP : parmi les 966 cancers détectés en cinq ans dans ce pro-
gramme, 11 % seulement ont un envahissement ganglionnaire
axillaire (60 % dans la population générale), 366 sont au stade
très précoce, et permettent de définir et d’étudier les “minimal
breast cancers” (8), c’est-à-dire les cancers infiltrants de moins
d’un centimètre et les cancers intracanalaires stricts. La mam-
mographie détecte 97 % de ces cancers, dont 66 % ont
échappé à la clinique. La mammographie est, dans 60 % des
cas, la seule méthode capable de détecter les cancers infiltrants
infracentimétriques (9). Ce succès marque le début de la
recherche technologique d’une mammographie high quality.
Enfin, le BCDDP démontre l’impact des protocoles utilisés sur
l’efficacité du dépistage en fonction de l’âge, mais on ne le
saura que plus tard, lorsque l’on disposera des protocoles allé-
gés pour faire la comparaison : pour ce protocole basé sur
une mammographie annuelle de qualité à deux incidences,
couplée à l’examen clinique, le taux de cancers d’intervalle
est bas (14 %) et constant par tranche d’âge (5). Nous ver-
rons qu’il sera beaucoup plus élevé chez les femmes de moins
de 50 ans en utilisant les protocoles allégés à une incidence
sans examen clinique tous les deux ou trois ans (10).
L’ESSAI DU
SWEDISH NATIONAL BOARD OF HEALTH AND
WELFARE
(SNBH)
Cet essai, appelé aussi “essai des deux comtés”, est
randomisé. Il a pour but d’étudier d’autres modèles opération-
nels de dépistage des cancers du sein, pour diminuer la dose
distribuée et le coût sans altérer l’efficacité. Il représente la
première étude du rapport coût/efficacité sur ce sujet. Com-
mencé en 1977 à Koppargerg et en 1978 à Ostergötland, il pro-
pose à 78 085 femmes de 40 à 74 ans une incidence unique
externe sur chaque sein, sans examen clinique, avec assu-
rance et contrôle de qualité, formation des manipulateurs et
double lecture par un expert en mammographie. Les clichés
sont réalisés dans des unités mobiles (camions). Cinquante-six
mille sept cent quatre-vingt-deux femmes témoins ne reçoivent
aucune proposition.
Le délai entre deux examens est initialement de deux ans pour
les femmes âgées de 40 à 49 ans, et de trois ans pour celles
âgées de plus de 50 ans. Ultérieurement, et en fonction des
résultats observés, ces délais seront ramenés respectivement à
22 et 24 mois.
9
La Lettre du Sénologue - n° 6 - novembre 1999
Il montre une réduction relative de la mortalité par cancer du
sein de 31 % chez les femmes de 40 à 69 ans à qui le dépistage
a été proposé, par rapport à la population contrôle (11). La
réduction absolue de mortalité est de 0,14 %. Cette réduction
est statistiquement significative, mais elle ne l’est que chez les
femmes de 50 ans et plus à l’entrée dans l’essai avec une
réduction de mortalité de 40 %. Il y a une tendance non signifi-
cative chez les femmes de 40 à 49 ans.
Cet essai démontre tout d’abord que les modèles opérationnels
et leurs résultats sont difficilement transposables d’une région
à l’autre : en Suède, la participation est exceptionnelle (89 %
au premier tour, 83 et 91 % aux tours suivants), sauf chez les
femmes de plus de 70 ans, qui seront d’ailleurs exclues dès le
deuxième tour (11). Le modèle des unités mobiles, même s’il
n’est pas adapté à des systèmes de santé tels que le système
français, influence favorablement la participation, facilite le
contrôle de la qualité, la performance des manipulateurs, la
centralisation des relectures et l’évaluation des résultats. Le
SNBH va voir apparaître, du fait de la publicité donnée au
dépistage, un phénomène de contamination du groupe témoin
par le dépistage sur prescription individuelle (13 % des
témoins ont eu une mammographie), qui va ensuite gêner
l’expression du gain en mortalité des essais randomisés ulté-
rieurs, y compris en Suède.
L’essai va ensuite confirmer la fragilité de l’efficacité chez les
femmes les plus jeunes et va démontrer, même si cela n’est pas
immédiatement compris, la nécessité de leur appliquer non
seulement la qualité (cause de l’échec relatif du HIP) mais
également des protocoles plus lourds, tels que celui du
BCDDP : le taux de cancers d’intervalle, qui était de 14 % et
constant par tranche d’âge dans le BCDDP, est, dans le SNBH,
de 56 % chez les femmes âgées de 40 à 49 ans et de 28 % chez
celles de plus de 50 ans. Les cancers d’intervalle représentent
plus de 50 % des décès par cancer chez les femmes dépistées
(12). La persistance de tumeurs de plus de 2 cm est également
constante avec l’âge (36 %) dans le BCDDP, alors qu’elle est
de 36 % après 50 ans mais de 49 % entre 40 et 49 ans pour les
protocoles allégés (13).
Par l’étude comparée des cancers d’intervalle et des cancers
détectés sur plusieurs tours, le SNBH met en évidence le biais
d’évolutivité, ou length bias,lié à la détection plus fréquente
par le dépistage de maladies à évolution lente, alors que les
cancers d’intervalle partagent le pronostic des cancers du
groupe témoin (12).
Le SNBH permet d’étudier les effets négatifs du dépistage,
par l’étude des cancers d’intervalle (faux négatifs) mais aussi
par l’étude des faux positifs, qui sont représentés par les taux
de reconvocation et de biopsies inutiles : près de 5 % des
femmes dépistées et 90 % des femmes reconvoquées sont vic-
times d’un faux positif, et le programme a multiplié par deux
le taux de biopsies mammaires en Suède (13). Enfin, cet essai
met en évidence un effet délétère du dépistage : le surdiagnos-
tic (14). L’incidence reste supérieure de 30 % à l’incidence
attendue la septième année, ce qui traduit une très longue anti-
cipation au diagnostic pour certaines tumeurs. Cela démontre
aussi que le dépistage est susceptible d’augmenter légèrement
l’incidence absolue (de l’ordre de 5 %) en détectant des can-
cers du sein chez des femmes qui seraient décédées d’une
autre cause avant l’émergence clinique de leur cancer et des
cancers non infiltrants qui ne le seraient jamais devenus du
vivant de la femme.
LES ESSAIS ULTÉRIEURS
Tout ce que l’on a appris d’essentiel sur le dépistage et les
cancers détectés provient de l’analyse des grands essais histo-
riques. D’autres programmes ont ensuite été développés,
essentiellement aux États-Unis et en Europe, pour essayer de
définir les protocoles adaptés aux différentes populations
cibles et de résoudre les questions restées sans réponse.
Certains sont des essais randomisés : Malmö, Stockholm,
Gothenburg, Édimbourg... (18-20). Ils ont montré une réduc-
tion de mortalité qui n’atteint pas la signification statistique. Il
est difficile de comprendre cette incapacité à reproduire les
résultats des essais historiques, surtout si l’on tient compte de
l’amélioration de la qualité des mammographies, de la rigueur
des protocoles et des stratégies thérapeutiques pour les cas
détectés. La principale différence entre les essais historiques
et les suivants est le développement du dépistage sur pres-
cription individuelle (contamination du groupe témoin), et la
régression spontanée de la mortalité par cancer du sein, y
compris dans le groupe contrôle (21) : au Royaume-Uni, une
baisse importante de la mortalité par cancer du sein a été
observée dans toutes les tranches d’âge à partir de 1985 (22),
alors que le programme national de dépistage n’a été pleine-
ment opérationnel qu’en 1990. Elle est probablement liée à
l’amélioration des pratiques médicales.
D’autres études sont non randomisées (études cas-témoin,
études de cohorte) à Florence, Nimègue, San Francisco
(UCSF), Uppsala. Comme le BCDDP, elles ont permis
d’importants progrès dans la connaissance radiologique et his-
tologique des petits cancers. Ces études ont mis en évidence un
biais d’interprétation anatomopathologique : la relecture
systématique des lames par des groupes d’experts a montré des
divergences d’interprétation, certains cancers ayant été reclas-
sés comme lésions bénignes à la relecture. Elles ont aussi fait
progresser la stratégie et la qualité du dépistage. En revanche,
l’évaluation de l’efficacité n’a pas la même signification que
celle fournie par les essais randomisés.
DOSSIER
10
La Lettre du Sénologue - n° 6 - novembre 1999
Ces données posent le problème de l’équilibre entre les
avantages (réduction de la morbidité et de la mortalité liées
au cancer du sein) et les inconvénients (surdiagnostic, faux
négatifs et fausse réassurance, faux positifs, effets délétères
psychologiques) du dépistage (15, 16, 17), tout particulière-
ment pour les tranches d’âge les plus jeunes, où le bénéfice
est plus difficile à mettre en évidence.
Les résultats des essais randomisés Canadian National Breast
Screening Studies (CNBSS) (23) posent, comme le HIP, le
problème du rôle de l’examen clinique dans la réduction de
mortalité, et mettent en exergue l’impact que peuvent avoir
une baisse de la qualité ou une dérive méthodologique sur le
résultat. Dans ces essais, les femmes de 40-49 ans ont reçu la
proposition, dans un bras, d’un dépistage radio-clinique annuel
et, dans l’autre bras, d’un examen clinique initial, les femmes
étant ensuite libres de poursuivre leur prise en charge habi-
tuelle. Les femmes de 50-59 ans ont reçu la proposition, dans
un bras, d’un dépistage combiné annuel et, dans l’autre bras,
d’un examen clinique annuel.
Le résultat à 7 ans montre que la mortalité est similaire dans
les deux bras pour les femmes de 50 à 59 ans. Pour les femmes
de 40 à 49 ans, une surmortalité par cancer du sein, non signi-
ficative, décroissante mais persistante, est observée dans le
bras dépisté.
Ces résultats ont engendré une très vive polémique (24)
concernant la méthodologie de l’essai et la qualité des mam-
mographies. La contamination des groupes témoins (26 %)
compromet l’expression des résultats. L’intérêt de ces études
est de reposer le problème de l’éthique du dépistage, de
l’équilibre fragile entre les avantages et les inconvénients et
de la responsabilité des intervenants en matière de qualité.
Tous ces essais sont différents les uns des autres dans leur
conception (nombre d’incidences, délai entre deux tests, exa-
men clinique, double lecture), et ils sont tous imparfaits. Leur
étude comparative montre cependant que l’allongement du
délai entre deux tests de deux ans à trois ans diminue l’effi-
cacité du dépistage et augmente le taux de cancers d’inter-
valle, surtout chez les femmes jeunes (25, 26). La réalisa-
tion de deux incidences (face et oblique externe) plutôt
qu’une seule (l’oblique externe) améliore la sensibilité et la
valeur prédictive positive du dépistage (27).
COMPILATIONS ET MÉTA-ANALYSES
Toutes les données issues de ces essais, y compris des essais
historiques, ont permis des compilations et des méta-analyses
(20, 28-30) afin d’augmenter le poids statistique des résultats.
En 1993, l’European Society of Mastology (EUSOMA) a
présenté une compilation de six essais randomisés (HIP, Édim-
bourg, SNBH, Malmö, Stockholm, Gothenburg). Le CNBSS
est exclu parce qu’il ne compare pas un groupe mammogra-
phie à un groupe contrôle :
Pour l’ensemble des femmes de 40-74 ans, la réduction rela-
tive de mortalité est de 22 %. Le risque relatif (RR) de décès
par cancer du sein pour les femmes invitées est de 0,78 (inter-
valle de confiance à 95 % : 0,70-0,87) sept à dix ans après le
début des inclusions. Soixante-quinze pour cent des femmes
invitées ont participé. La réduction est estimée à 29 % pour
une compliance de 100 %.
– Chez les femmes de 40-49 ans, la réduction de mortalité est
de 15 % (RR : 0,85 ; IC95 : 0,68-1,08 NS).
– Chez les femmes de 50-74 ans, la réduction de mortalité est
de 24 % (RR : 0,76 ; IC95 : 0,69-0,87). En admettant une com-
pliance de 100 %, la réduction serait de 32 %.
La méta-analyse de Kerlikowske (29), qui porte sur
13 essais, dont 9 randomisés, et qui inclut les CNBSS, montre
un RR de 0,74 (IC95 : 0,66-0,83) chez les femmes de 50-74 ans,
non influencé par les choix protocolaires (nombre d’inci-
dences, délais) ou par la durée du suivi, mais variable d’un
essai à l’autre, probablement en raison de critères de qualité : il
varie de 0,26 (IC95 : 0,10-0,67) pour Nimègue à 0,97 (IC95 :
0,62-1,52) pour le CNBSS 2.
Pour les femmes de 40-49 ans, l’efficacité, plus faible que dans
les tranches d’âge supérieures, dépend du protocole appliqué et
du délai d’observation : la compilation de tous les essais montre
un RR de 0,93 (IC95 : 0,76-1,13) ; celui-ci est de 0,87 (IC95 :
0,68-1,12) lorsqu’on utilise deux incidences et de 1,02 (IC95 :
0,73-1,44) avec une incidence par sein. Dans les essais ayant
moins de 10 ans de suivi, le RR est de 1,02 (IC95 : 0,82-1,27) ;
avec plus de 10 ans de suivi, il est de 0, 83 (IC95 : 0,65-1,06) (31).
L’évaluation à très long terme des essais randomisés (32, 33)
ainsi que les dernières compilations et méta-analyses (20, 26,
34) montrent une réduction relative de la mortalité par cancer
du sein, chez les femmes de 40 à 49 ans, faible et d’expres-
sion tardive (26). La compilation des seuls essais randomisés
montre un RR de 0,76 (IC95 : 0,62-0,96) ; lorsqu’on compile
tous les essais, le RR est de 0,85 (IC95 : 0,71-1,01). La réduc-
tion relative de mortalité estimée est de 15 à 25 %. L’efficacité
du dépistage dans cette tranche d’âge est donc probable, mais
on ne peut se baser ni sur les essais anciens ni sur les essais
utilisant un protocole allégé pour le démontrer. Les protocoles
doivent être adaptés (examen clinique, réalisation de deux inci-
dences, délai annuel) : les critères de pronostic des cancers
détectés (taille tumorale, envahissement ganglionnaire axil-
laire, grade...) sont alors comparables dans les deux tranches
d’âge (20, 35), et il y a proportionnellement un plus grand
nombre de formes in situ dans la tranche d’âge la plus jeune.
Cela implique un investissement financier plus lourd dans
cette tranche d’âge. Les effets délétères sont également plus
importants du fait de l’intensification protocolaire : la revue
des essais suédois (30) montre que le taux de reconvocation au
premier tour est de 6,7 % à 40-49 ans, contre 4,2 % chez les
femmes plus âgées ; la proportion de biopsies bénignes est de
74 % contre 46 %. Les données disponibles ne permettent
donc pas d’affirmer que l’équilibre entre avantages et effets
négatifs est favorable dans cette tranche d’âge, a fortiori si la
qualité à tous les niveaux ne peut être obtenue.
CONCLUSION
Les essais de dépistage des cancers du sein aux États-Unis et
en Europe ont démontré que le dépistage par la mammogra-
phie diminue la mortalité et la morbidité liées au cancer du
sein dans la population invitée. Dans des conditions optimales
de qualité, les bénéfices du dépistage sont supérieurs à ses
inconvénients pour les femmes de plus de 50 ans. Pour les
femmes âgées de 40 à 49 ans, il n’existe pas de consensus sur
l’équilibre entre les avantages et les effets négatifs.
11
La Lettre du Sénologue - n° 6 - novembre 1999
Ces essais sont imparfaits et différents les uns des autres par
les populations examinées, les stratégies utilisées, la démarche
de qualité, la méthodologie et les modalités d’analyse statis-
tique. Ils ne répondent pas tous aux mêmes questions, et bien
des questions restent sans réponse. Le débat sur ce sujet prend
souvent un aspect polémique. Les résultats sont variables et
ont souvent déçu les espoirs de ceux qui avaient conçu les
essais : l’efficacité sur la mortalité est faible, longue et difficile
à mettre en évidence sur le plan statistique, les coûts sont
importants, il y a des effets négatifs et des biais d’interpréta-
tion.
Pourtant, ce sont ces essais historiques ainsi que leurs compila-
tions et méta-analyses qui ont démontré l’efficacité du dépis-
tage organisé des cancers du sein par la mammographie. Ils ont
fourni une grande quantité d’informations sur le cancer du sein
et les meilleures stratégies pour le combattre. Ils ont posé les
bases de la démarche de qualité en sénologie, et ont irréversi-
blement démontré qu’en l’état actuel de nos connaissances, la
meilleure arme contre le cancer du sein est de très loin sa
détection précoce. Ils ont incité les pays riches à mettre en
place progressivement une organisation du dépistage à
l’échelle des nations.
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DOSSIER
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La Lettre du Sénologue - n° 6 - novembre 1999
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