Les résultats des essais randomisés Canadian National Breast
Screening Studies (CNBSS) (23) posent, comme le HIP, le
problème du rôle de l’examen clinique dans la réduction de
mortalité, et mettent en exergue l’impact que peuvent avoir
une baisse de la qualité ou une dérive méthodologique sur le
résultat. Dans ces essais, les femmes de 40-49 ans ont reçu la
proposition, dans un bras, d’un dépistage radio-clinique annuel
et, dans l’autre bras, d’un examen clinique initial, les femmes
étant ensuite libres de poursuivre leur prise en charge habi-
tuelle. Les femmes de 50-59 ans ont reçu la proposition, dans
un bras, d’un dépistage combiné annuel et, dans l’autre bras,
d’un examen clinique annuel.
Le résultat à 7 ans montre que la mortalité est similaire dans
les deux bras pour les femmes de 50 à 59 ans. Pour les femmes
de 40 à 49 ans, une surmortalité par cancer du sein, non signi-
ficative, décroissante mais persistante, est observée dans le
bras dépisté.
Ces résultats ont engendré une très vive polémique (24)
concernant la méthodologie de l’essai et la qualité des mam-
mographies. La contamination des groupes témoins (26 %)
compromet l’expression des résultats. L’intérêt de ces études
est de reposer le problème de l’éthique du dépistage, de
l’équilibre fragile entre les avantages et les inconvénients et
de la responsabilité des intervenants en matière de qualité.
Tous ces essais sont différents les uns des autres dans leur
conception (nombre d’incidences, délai entre deux tests, exa-
men clinique, double lecture), et ils sont tous imparfaits. Leur
étude comparative montre cependant que l’allongement du
délai entre deux tests de deux ans à trois ans diminue l’effi-
cacité du dépistage et augmente le taux de cancers d’inter-
valle, surtout chez les femmes jeunes (25, 26). La réalisa-
tion de deux incidences (face et oblique externe) plutôt
qu’une seule (l’oblique externe) améliore la sensibilité et la
valeur prédictive positive du dépistage (27).
COMPILATIONS ET MÉTA-ANALYSES
Toutes les données issues de ces essais, y compris des essais
historiques, ont permis des compilations et des méta-analyses
(20, 28-30) afin d’augmenter le poids statistique des résultats.
En 1993, l’European Society of Mastology (EUSOMA) a
présenté une compilation de six essais randomisés (HIP, Édim-
bourg, SNBH, Malmö, Stockholm, Gothenburg). Le CNBSS
est exclu parce qu’il ne compare pas un groupe mammogra-
phie à un groupe contrôle :
– Pour l’ensemble des femmes de 40-74 ans, la réduction rela-
tive de mortalité est de 22 %. Le risque relatif (RR) de décès
par cancer du sein pour les femmes invitées est de 0,78 (inter-
valle de confiance à 95 % : 0,70-0,87) sept à dix ans après le
début des inclusions. Soixante-quinze pour cent des femmes
invitées ont participé. La réduction est estimée à 29 % pour
une compliance de 100 %.
– Chez les femmes de 40-49 ans, la réduction de mortalité est
de 15 % (RR : 0,85 ; IC95 : 0,68-1,08 ➞NS).
– Chez les femmes de 50-74 ans, la réduction de mortalité est
de 24 % (RR : 0,76 ; IC95 : 0,69-0,87). En admettant une com-
pliance de 100 %, la réduction serait de 32 %.
La méta-analyse de Kerlikowske (29), qui porte sur
13 essais, dont 9 randomisés, et qui inclut les CNBSS, montre
un RR de 0,74 (IC95 : 0,66-0,83) chez les femmes de 50-74 ans,
non influencé par les choix protocolaires (nombre d’inci-
dences, délais) ou par la durée du suivi, mais variable d’un
essai à l’autre, probablement en raison de critères de qualité : il
varie de 0,26 (IC95 : 0,10-0,67) pour Nimègue à 0,97 (IC95 :
0,62-1,52) pour le CNBSS 2.
Pour les femmes de 40-49 ans, l’efficacité, plus faible que dans
les tranches d’âge supérieures, dépend du protocole appliqué et
du délai d’observation : la compilation de tous les essais montre
un RR de 0,93 (IC95 : 0,76-1,13) ; celui-ci est de 0,87 (IC95 :
0,68-1,12) lorsqu’on utilise deux incidences et de 1,02 (IC95 :
0,73-1,44) avec une incidence par sein. Dans les essais ayant
moins de 10 ans de suivi, le RR est de 1,02 (IC95 : 0,82-1,27) ;
avec plus de 10 ans de suivi, il est de 0, 83 (IC95 : 0,65-1,06) (31).
L’évaluation à très long terme des essais randomisés (32, 33)
ainsi que les dernières compilations et méta-analyses (20, 26,
34) montrent une réduction relative de la mortalité par cancer
du sein, chez les femmes de 40 à 49 ans, faible et d’expres-
sion tardive (26). La compilation des seuls essais randomisés
montre un RR de 0,76 (IC95 : 0,62-0,96) ; lorsqu’on compile
tous les essais, le RR est de 0,85 (IC95 : 0,71-1,01). La réduc-
tion relative de mortalité estimée est de 15 à 25 %. L’efficacité
du dépistage dans cette tranche d’âge est donc probable, mais
on ne peut se baser ni sur les essais anciens ni sur les essais
utilisant un protocole allégé pour le démontrer. Les protocoles
doivent être adaptés (examen clinique, réalisation de deux inci-
dences, délai annuel) : les critères de pronostic des cancers
détectés (taille tumorale, envahissement ganglionnaire axil-
laire, grade...) sont alors comparables dans les deux tranches
d’âge (20, 35), et il y a proportionnellement un plus grand
nombre de formes in situ dans la tranche d’âge la plus jeune.
Cela implique un investissement financier plus lourd dans
cette tranche d’âge. Les effets délétères sont également plus
importants du fait de l’intensification protocolaire : la revue
des essais suédois (30) montre que le taux de reconvocation au
premier tour est de 6,7 % à 40-49 ans, contre 4,2 % chez les
femmes plus âgées ; la proportion de biopsies bénignes est de
74 % contre 46 %. Les données disponibles ne permettent
donc pas d’affirmer que l’équilibre entre avantages et effets
négatifs est favorable dans cette tranche d’âge, a fortiori si la
qualité à tous les niveaux ne peut être obtenue.
CONCLUSION
Les essais de dépistage des cancers du sein aux États-Unis et
en Europe ont démontré que le dépistage par la mammogra-
phie diminue la mortalité et la morbidité liées au cancer du
sein dans la population invitée. Dans des conditions optimales
de qualité, les bénéfices du dépistage sont supérieurs à ses
inconvénients pour les femmes de plus de 50 ans. Pour les
femmes âgées de 40 à 49 ans, il n’existe pas de consensus sur
l’équilibre entre les avantages et les effets négatifs.
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La Lettre du Sénologue - n° 6 - novembre 1999