de civilisation atteint par un peuple à un certain stade de son histoire. Révolution de la
civilisation ou révolution des superstructures culturelles, mais aussi administratives,
pédagogiques, politiques, juridiques et éthiques donnerait une idée plus exacte de ce que les
Chinois entendent par ce terme »2. Un peu plus loin, J. Daubier revient sur cette question
d’un point de vue un peu différent : l’affirmation de l’égalité « implique une lutte contre des
traditions individualistes enracinées depuis des millénaires dans les habitudes et les mœurs
des hommes et qui les poussent à concevoir leur bonheur en termes de satisfaction
individuelle et non collective. Ces facteurs idéologiques sont un puissant stimulant à
l’accroissement des inégalités. Les combattre exige un bouleversement des coutumes et des
mentalités pour en éliminer tout ce qui porte la marque du passé, en même temps qu’une
refonte de l’ensemble des superstructures administratives, pédagogiques et culturelles où
cette influence a pu se matérialiser à des degrés divers. Le terme de Révolution culturelle est
donc mal traduit, car il a en français un sens restrictif qu’il n’a pas en chinois ou en anglais.
L’expression Wenhua Geming inclut la notion beaucoup plus large de civilisation et touche
non pas le seul domaine de la culture mais tous ceux précédemment évoqués »3. D’une
version à l’autre, ce qui change est la raison de l’insuffisance de l’adjectif « culturelle ». Ce
n’est que dans la deuxième version de l’analyse de J. Daubier que cette insuffisance est
explicitement associé au fait que le mot « culture » renvoie à une sphère séparée, limitée et
particulière de la réalité sociale, là où, par contre, la Révolution Culturelle viserait ladite
réalité dans sa globalité, ce qui ressortit très clairement de la liste des « superstructures »
investies par le processus de transformation révolutionnaire. Or, cette visée rend du coup
problématique un certain nombre de piliers de la théorie marxiste « officielle », et en premier
lieu le concept de « superstructure ». Ce concept indique justement, pour le marxisme
orthodoxe tiers-internationaliste, le lieu des sphères, sinon séparées, du moins secondaires et
inessentielles de la réalité sociale, qui, elle, ne trouverait sa logique spécifique et son ressort
essentiel que dans la « base » économique, réduite à son tour au développement des forces
productives, voire de la technologie industrielle. La Révolution Culturelle, visant les
« superstructures », ne donne pas pour autant l’impression de s’attaquer à des épiphénomènes
contingents, inorganiques et passifs, mais à des appareils structurés dont l’efficacité
« positive » et matérielle est incontestable. La théorie marxiste traditionnelle ne dispose pas
des outils conceptuels requis pour formuler cette pratique de transformation des
« superstructures » ; cela vaut également pour le concept d’idéologie, qui, dans toute une
tradition marxiste remontant jusqu’à L’Idéologie allemande, est le nom marxiste du non-être
ou du non-savoir, de l’illusion « immatérielle » opposée à la positivité massive du réel socio-
économique (mais « idéologie » peut aussi bien indiquer la « vision du monde » explicite et
déclarée que chaque classe sociale tire de façon univoque et unilinéaire de sa propre position
socio-économique : l’idéologie est donc toujours une figure de l’inessentiel et de la passivité
vis-à-vis des « moteurs » réels de l’Histoire). Sans peut-être s’en apercevoir, J. Daubier
réfère l’idéologie aux « mœurs et habitudes », aux traditions anonymes qui structurent les
conduites ; et aussi aux « principes » également anonymes qui régissent des appareils de la
société (école, administration…), si bien qu’il pourra dire, en passant, que ces appareils-là
« matérialisent » l’influence de l’idéologie.
En outre, J. Daubier reconnaît implicitement que ces « structures »…
superstructurelles, ces formes idéologiques matérialisées par des appareils et des habitudes,
exercent une efficacité certaine sur l’instance économique : « Tout dépend donc de la norme
2 J. Daubier, Histoire de la révolution culturelle prolétarienne en Chine, Maspéro, Paris, 1970, p. 21.
3 Ibid., p. 33.