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Ibn Nas
Médecin anatomiste (1215-1288)
par Roger Jawish
nous devons à certains hommes le changement et l’innovation
qui se produisirent au niveau des sciences et de la philosophie,
en refusant les idées pré- établies. En mysticisme, Ibn Arabi et
Ibn Alfared contribuèrent au développement du sousme et
marquèrent leur siècle, longtemps après le philosophe et sou
Al Hallaj (7ème siècle).
Ibn Nas et ses oeuvres
Ibn Nas était un des savants qui participèrent à l’épanouisse-
ment culturel du 13ème siècle, en apportant des connaissances
nouvelles en médecine. Il écrit de nombreux ouvrages pré-
cieux, tels que: « Abrégé en médecine», un livre qui commenta
le livre du Canon d’Avicenne ; des copies de ce livre existent
à Paris, Manchester, Berlin, Damas, Istanbul, le Caire. Dans un
autre livre « Explication du Canon d’Avicenne » en 20 volumes, il
critiqua les enseignements de Galien et d’Avicenne.
Le livre « Explication de la dissection», fut à l’origine de la grande
réputation d’Ibn Nas, car c’est dans ce livre qu’il décrit avec
précision l’anatomie de la circulation sanguine pulmonaire. Ce
livre dont plusieurs copies existent (bibliothèque nationale de
Paris, Oxford, Damas, Istanbul, Berlin, le Caire) comporta une
introduction divisée en 5 parties : La 1ère partie décrit l’anato-
mie des membres chez les animaux, la 2ème les principes de la
dissection, la 3ème la physiologie des membres, la 4ème l’anato-
mie comparée, et la 5ème expliqua le but de l’anatomie et ses
moyens (la physiologie).
Enn l’«Encyclopédie médicale » était un ouvrage complet sur
la médecine de l’époque, prévue être en 300 volumes, seule-
ment 80 volumes furent terminés avant sa mort. Quelques vo-
lumes incomplets furent trouvés à la bibliothèque Boldeian à
Oxford, à la bibliothèque azzahiryat à Damas et à la Maison du
livre (Darel kotob) au Caire.
Ibn Nas écrit plusieurs autres ouvrages en médecine ; je me
contente de mentionner quelques titres : « Le livre du soignant
(médecin) », « Le livre des détails en médecine», « Les lettres dans
les maux de ventre », « Le livre des plantes dans les médicaments
simples », « Explication des parties d’Hippocrate », « Les collyres
prouvés pour les maladies des yeux ».
Le médecin exceptionnel
Médecin de grande réputation, il enseigna à l’hôpital Al Man-
souri construit par Mansour Kalawoun, chef des armées de
Baybars et son successeur sur le trône de l’Egypte, après l’avoir
empoisonné en 1277.
Ibn Nas se distinguait des médecins de l’époque par son sens
critique très poussé. Avant-gardiste, il semble être le 1er ana-
tomiste qui disséqua des cadavres humains. Sa méthode allait
à l’encontre des mœurs de l’époque, car l’Islam interdisait for-
mellement l’expérimentation sur le corps humain. Inuencé
par les idées d’Averroès (1126-1198) à qui on attribua la doc-
trine de la « double vérité », selon laquelle il pouvait y avoir
opposition entre les vérités rationnelles et révélées, Ibn Nas
n’hésita pas à pratiquer la dissection, malgré l’opposition des
« Ouléma » (savants de l’islam). Dans l’introduction de son livre
«Explication de la dissection », il dit : « Nous avons contrarié l’avis
de la Chariaa (la religion) en pratiquant la dissection, mais nous
fûmes éclairés par notre morale et notre piété ». Ainsi Ibn Nas in-
rma entre autres, la présence d’os au niveau du cœur, comme
le croyaient Avicenne et Galien, dans leurs dissections de cœur
d’éléphant et de taureau.
Le génie d’Ibn Nas vient de sa découverte de la petite circula-
tion sanguine, et ceci bien avant Harvey qui la décrivit en 1628.
C’est en 1924 que les travaux d’Ibn Nas sur la petite circulation
furent découverts, dans une thèse présentée par M.D. Natawi
à l’Université de Fribourg en Allemand. Cette réalité fut par la
suite conrmée par S. Haddad et A. Khairallah, dans « Annals of
Surgery » en 1936. La description de la petite circulation gura
dans son livre «Explication de la dissection ». Quarante six ans
avant sa mort, Ibn Nas dessina le croquis qui existe actuelle-
ment dans Stanford University en Californie et dans plusieurs
autres endroits.
Inuencé par le savoir d’Hippocrate, Ibn Nas insista sur les
conditions de réussite d’un acte chirurgical, il distingua trois
temps : le premier est le temps de « consentement », où le ma-
lade ore son corps sans réserve pour le traitement. Le 2ème
temps est « le temps du travail » où le chirurgien doit corriger ce
qui est anormal. Le 3ème temps est celui de la « conservation »,
ou le maintien de la guérison, avec l’aide des inrmiers et des
servants. Ibn Nas expliqua avec précision les trois étapes du
traitement auquel participe le malade, le chirurgien et l’équipe
médicale. Il expliqua également comment nettoyer, utiliser et
conserver les instruments de chirurgie. Tout ceci fut cité dans
son livre « Le précis dans l’industrie médicale ».
En Morale
La personnalité de Saladin laissa, tant en Orient qu’en Occi-
dent, une forte personnalité sunnite. Il essaya de redresser le
monde musulman en lui procurant de nouvelles forces mora-
les et matérielles. Ibn Nas enseigna la « Chariaa » de l’islam, à
l’école Al Masrouria construite par un des conseillers de Saladin
(Masrour Chams Alkhawassi); il fut considéré un des grands sa-
vants « Chaite », disciples de l’une des 4 écoles juridiques de
l’islam. Cette école dénit les 4 sources de droit étant, le Coran,
la tradition ou hadith, l’usage et l’analogie ou alkyas.
Ibn Nas écrivit en philosophie plusieurs ouvrages : l’explica-
tion du livre « Les signes » de Avicenne » et « Les feuillets » un
abrégé du livre « Organon » en logique d’Aristote. En sciences
religieuses, il écrivit « L’abrégé des principes du hadith » et « La
lettre complète de la vie prophétique », cet ouvrage ressemblant
aux lettres d’Avicenne et Ibn Toufayl (philosophe arabe) écrites
un siècle plutôt. Dans sa lettre Ibn Nas cherchait à donner un
éclaircissement de la pensée arabe dans son âge d’or; il cher-
chait également à réconcilier la théologie Musulmane avec
la philosophie, c’est-à-dire entre la « Chariaa » et les sciences
exactes. Dans son récit Ibn Nas relata l’histoire de son héros
nommé Kamel (le parfait), né dans une île déserte, qui par-
vint par sa raison à connaître toutes les vérités de l’univers et
accéder à la certitude morale, plus particulièrement celle de
l’existence de Dieu.