34141_1035.qxp 30.4.2009 15:17 Page 1 point de vue Du bovin et du séquençage de son génome A près six années de travail c’est fait : un consortium international (300 chercheurs de 25 pays) conduit par le Centre de séquençage du Baylor College of Medicine de Houston (Texas) vient de publier dans les colonnes de Science 1 la première analyse détaillée de la séquence du génome bovin (Bos taurus). «Ce travail apporte des informations considérables sur la biologie de cette espèce et sur l’évolution et l’analyse comparées des mammifères, souligne-t-on auprès de l’Institut national français de la recherche agronomique (Inra) qui a participé à ce gigantesque travail. Il aura des applications nombreuses pour les filières bovines, en élargissant les outils et les critères pour la sélection des animaux.» Après le poulet et le chien, la vache est le troisième animal domestique dont le génome est entièrement séquencé. Le séquençage du génome d’une vache femelle de race Hereford a été prolongé par diverses analyses des populations bovines (dans le cadre du projet «HapMap bovin») visant à produire une cartographie de la diversité génétique dans les différentes populations, entre grands rameaux taurins et zébus, et ce jusque dans les différentes races bovines.2 On sait désormais que le génome bovin est beaucoup plus proche de celui de l’homme que ceux de la souris ou du rat. «Il comprend au moins 22 000 gènes, dont la plupart se retrouvent chez l’homme, explique-t-on auprès de l’Inra. La majorité des chromosomes bovins correspondent à de grands fragments de chromosomes humains, parfois des chromosomes entiers.» Comment comprendre cette grande conservation du génome entre ces deux espèces ? En postulant l’existence d’un ancêtre commun à l’homme 1 Elsik CG, Tellam RL, Worley KC. The Bovine Genome Sequencing and Analysis Consortium. Le Consortium international a été conduit par différentes institutions nord-américaines. Il a été pour l’essentiel financé principalement par des fonds nord-américains (NHGRI, USDA, Etat du Texas, Genome Canada) ainsi que par quelques autres Etats (Australie, Nouvelle-Zélande, Norvège). Le Département de biologie structurale et bioinformatique, Centre médical universitaire, Faculté de médecine de Genève a participé à ce travail. La liste complète des auteurs et leurs appartenances est consultable à l’adresse suivante: www.inra.fr/presse/sequence_ genome_vache_decryptee 2 The Genome Sequence of Taurine Cattle: A window to ruminant biology and evolution. Science 2009;324:522-8. 3 Les personnes intéressées par l’histoire du lait et de sa consommation prendront connaissance avec le plus vif intérêt du très riche ouvrage «Le lait, la vache et le citadin, du XVIIe au XXe siècle» de Pierre-Olivier Fanica.Editions Quae (c/o Inra, RD 10, 78026 Versailles cedex, France) www.quae. com 00 et au bovin remontant à environ 95 milpourront être plus justement adaptées à lions d’années. Les réarrangements surla physiologie des animaux et de fait plus venus ultérieurement sont principalement durables. La connaissance du génome localisés dans les gènes impliqués dans va aussi faciliter l’identification des mul’immunité, le métabolisme et la digestion. tations responsables de pathologies chez Sans grande surprise, les auteurs de ce les bovins.» travail estiment que ces changements Pour plusieurs médias, la publication pourraient expliquer l’efficacité des rumide Science a donné lieu à diverses interprétations. «Des chercheurs sont parvenants à convertir des fourrages énergétinus à séquencer le génome de la vache, quement pauvres en viande et lait.3 ce qui devrait permettre de lever le voile Le projet «HapMap bovin» a quant à sur les secrets génétiques de la bonne lui dessiné une cartographie de la diverviande et du bon frosité génétique dans les mage et faire avancer différentes populations «… Les connaissances bovines. L’analyse de acquises ont des implica- la compréhension des près de cinq cents animaladies bovines et hutions considérables pour maux de dix-sept pomaines» s’est enthoules filières bovines …» pulations (y compris la siasmé l’Agence France-Presse. Un enthourace française Limousiasme il est vrai très largement partagé. sine), montre que les bovins constituaient «Le séquençage du génome bovin va initialement une population génétiquement permettre aux chercheurs de comprentrès diverse qui s’est structurée sous dre les causes génétiques des maladies l’effet de la domestication, la formation affectant le cheptel, de produire de la des races via la sélection. Depuis la domestication (il y a entre 8000 et 10 000 viande et du lait plus sains tout en réduians), les observations et les choix des sant pour les éleveurs la dépendance des éleveurs ont conduit à la stabilisation de antibiotiques utilisés pour préserver la plus de huit cents races aux aptitudes santé des animaux, a ainsi déclaré Tom très variées. Vilsack, ministre américain de l’AgriculLes auteurs de ces recherches ne se ture dont le ministère a financé une parsont pas bornés à publier de manière tie du projet. L’élevage est très important brute et sèche leurs résultats. Adoptant pour le secteur agricole aux Etats-Unis une politique de plus en plus suivie, ils avec un cheptel bovin de 94 millions de en ont vanté les mérites et développé les têtes estimé à 49 milliards de dollars.» nouvelles perspectives qu’ils ouvrent. «Les Et encore, selon le Dr Raynard Kington, connaissances acquises par ce séquendirecteur par intérim des Instituts natioçage ont des implications considérables naux américains de la santé qui ont piloté pour les filières bovines tant pour le lait et cofinancé cette recherche : «Le séquenque pour la viande mais aussi en matière çage du génome bovin ouvre aussi une de reproduction ou d’adaptation des esautre fenêtre sur notre propre génome car en comparant le génome humain à pèces (robustesse, bien-être), de techniques d’élevage et d’impacts environneceux de nombreuses autres espèces animales, nous pouvons mieux comprendre mentaux, assure-t-on auprès de l’Inra. La le mécanisme génétique des maladies.» sélection génomique des meilleures poPour Shirley Ellis (Institut britannique pour pulations pratiquée par les éleveurs sera la santé animale), «cette recherche pourainsi optimisée.» rait aboutir à une augmentation de la En d’autres termes, on devrait aller plus production de lait dans le monde, à une vite et plus loin dans une pratique qui amélioration de la qualité de la viande et à consiste à sélectionner des reproducteurs un cheptel résistant mieux aux malasur la base de leur valeur génétique prédies». Et pour Richard Gibbs, du Baylor dite à partir de marqueurs génétiques College de Houston et premier investigarépartis dans l’ensemble du génome. En teur, «il faut espérer que ces informations pratique, cette approche est rendue posgénétiques seront exploitées pour réduire sible par la fameuse technique des puces l’impact environnemental de l’élevage». à ADN. «Les données issues du séquenCertains ne manqueront pas de voir là çage permettent le développement d’un une forme de scientisme. très grand nombre de marqueurs génétiques et d’outils de génotypage à haut Jean-Yves Nau débit, renouvelant complètement les mé[email protected] thodes de gestion des populations pour une sélection de nouveaux caractères, dit l’Inra. Ainsi, les méthodes d’élevage Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 5 janvier 2009 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 6 mai 2009 1035