
Le Courrier des addictions (10) – n ° 3 – juillet-août-septembre 2008
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ou moins exceptionnellement du
cannabis. On avait entendu parlé
de ces jeunes soldats, de retour
des colonies africaines, qui
consommaient de l’herbe (ap-
pelée Soruma au Mozambique
et Boi en Angola). Ou encore de
ces jeunes qui avaient été étu-
diants en France, en Angleterre
ou dans d’autres pays du nord
de l’Europe, ou des exilés poli-
tiques, qui avaient expérimenté
l’herbe, le haschich, l’opium,
les amphétamines, le LSD…
Certains s’en enorgueillissaient,
mais rares étaient ceux qui en
étaient vraiment dépendants.
Reste que le produit de loin de
plus consommé était l’alcool, et
surtout le vin, dont le Portugal
était un gros producteur et dont
la consommation était promue
partout.
Le Courrier des addictions :
Problèmes de générations :
les enfants des migrants de
“1952”, de la grande crise
économique, ont été les “lais-
sés-pour-compte”, proies faci-
les de la drogue ?
L.P. : On ne peut pas dire que les
enfants des Portugais migrants
des années cinquante aient posé
véritablement des problèmes
spécifiques. En revanche, les
enfants des années soixante et
encore plus certains des enfants
des émigrés des années soixan-
te-dix (au Luxembourg ou
même à Macau), vivant avec des
grands-parents sous-valorisés,
ont connu des difficultés plus
grandes : abondance de l’argent,
éloignement des familles, sans
véritablement de figures de ré-
férence, ils ont connu de vraies
difficultés pour se construire.
L’offre et les consommations
de substances ont progressé des
centres villes, où il y a plus d’ar-
gent, vers leurs périphéries où
viennent habiter les immigrés
de la province, des colonies, les
minorités marginalisées. Elles
ont gagné également les vil-
les de bord de mer, plus riches,
concernant les pêcheurs, en par-
tie désœuvrés lors de leurs sé-
jours à terre, ou qui disposaient
par à-coups de grosses som-
mes d’argent et des jeunes peu
avertis des risques de toxicodé-
pendance. Ainsi, on a noté des
prévalences de consommations
significatives parmi les jeunes
de certaines régions transfronta-
lières avec l’Espagne, surtout au
sud et au nord. Peu à peu l’usage
des substances illicites s’est dif-
fusé depuis le littoral jusqu’à
l’intérieur du pays. Il a gagné
également les îles des régions
de Madère et des Açores. Ajou-
tez à ce tableau, un chômage
important, une insuffisance de
qualification et formation pro-
fessionnelles, la dépendance de
certains, au-delà de trente ans, à
des parents hyperprotecteurs les
déficits d’éducation parentale
et, pour finir, ceux qui consom-
ment, non seulement de l’alcool
et du tabac, mais aussi du can-
nabis... en famille ! En ce qui
concerne les consommateurs
dépendants de l’héroïne, ils ont
vieilli, comme en France et dans
de nombreux pays occidentaux :
l’âge moyen de ceux que nous
recevons en traitement est 34
ans et plus. Nous connaissons
des fils et des filles adultes qui
nous amènent leurs parents en
consultation !
Le Courrier des addictions :
Avez-vous connu également
l’explosion des consommations
“festives” ?
L.P. : La Révolution des œillets
d’avril 1974 a créé un mouve-
ment d’échanges internationaux,
culturels, politiques, mais aussi
d’offre et de demande de subs-
tances psychoactives. La déco-
lonisation s’est faite de façon
abrupte. Il est devenu d’autant
plus facile de se procurer du can-
nabis et de l’herbe, que les Portu-
gais, de retour définitif ou épiso-
dique des colonies africaines, en
ramenaient. On a vu arriver aussi
sur le marché, à cette époque du
speed, du LSD, de l’héroïne et
même de l’opium. La cocaïne
existait, mais sa consommation
restait circonscrite aux couches
sociales les plus riches. C’est
aussi à ce moment-là que les abus
de médicaments analgésiques,
amphétaminiques, hypnotiques,
tranquillisants, métaqualone et
équivalents, benzodiazépines
(BZD) et barbituriques ont com-
mencé à devenir des problèmes
réels de santé publique et de sé-
curité. Pour faire face aux agres-
sions fréquentes, les pharmacies
ont été obligées de prendre des
mesures de sécurité et le gou-
vernement de modifier la classi-
fication des médicaments. Bref,
dans les années 1980, les abus
d’héroïne, Buprex® (buprénor-
phine) de para-amphétamines,
de certaines BZD (Rohypnol®,
Lexotam® 12), et même de mé-
dicaments avec effets anticholi-
nergiques ont grimpé ainsi que
l’offre de cocaïne, après 1985.
Au début des années 1990, on la
fumait sous la forme de base ou
de free-base avec une pipe à eau.
Puis, comme chez vous, sont ar-
rivées les drogues de synthèse,
l’ecstasy. Parallèlement, l’offre
de résine s’est accrue et les prix
d’autres drogues, en particulier
ceux de “la brune”, l’héroïne de
rue, et même de la cocaïne, ont
baissé et se sont stabilisés. Dé-
sormais, dans certaines régions,
on est obligé d’acheter de “la
coca” si on veut de l’héroïne ou
un cocktail des deux.
Les consommations dites fes-
tives en discothèques, boîtes et
fêtes reflètent l’évolution de ce
marché, mais sont nettement do-
minées par “la coca”, sniffée,
l’ecstasy, l’alcool et le tabac.
Le Courrier des addictions :
Au Portugal, est-ce comme en
France ou en Espagne : avez-
vous beaucoup d’usagers in-
jecteurs, sniffeurs ?
L.P. : Les pratiques de consom-
mation ont beaucoup changé au
Portugal. L’injection est passée,
chez les héroïnomanes, de 75 %
à 25 %, mais il faut dire qu’un
grand nombre d’entre eux sont
entrés dans des programmes de
maintenance à la méthadone.
En revanche, nous avons de
plus en plus d’injecteurs parmi
les consommateurs de cocaïne,
surtout s’ils n’ont plus suffisam-
ment d’argent pour la sniffer ou
la fumer, ou s’ils consomment
des speed balls. Quant à l’in-
jection de buprénorphine, elle
a bien été repérée dans quel-
ques endroits, peu nombreux.
Mais elle ne pose pas les mêmes
questions qu’en France. Beau-
coup de médecins prescripteurs
ont bénéficié d’une formation
et ont décidé de passer très vite
tous leurs patients sous bupré-
norphine/naloxone (BNX) [sauf
les femmes enceintes], pour pré-
venir le mésusage et réduire le
marché de rue.
Corollaire de cette évolution
des pratiques d’injection, celle
de l’inhalation de la fumée de
l’héroïne, la chinoise ou chasse
au dragon, a progressé en sens
inverse : 75 % des usagers la fu-
ment, sachant tout de même que
l’usage de l’héroïne enregistre
une tendance forte à la stabilisa-
tion. Le fait de fumer s’applique
donc essentiellement au tabac, à
la résine de cannabis, beaucoup
moins à l’herbe, et, depuis les
années 1990, à la cocaïne base,
free base, préparée avec de l’am-
moniaque ou du bicarbonate ou,
de plus en plus souvent achetée
prête à fumer. Quant au sniff, il
est le fait des usagers de cocaï-
ne, rarement de solvants ou de
comprimés et d’héroïne, parfois,
sporadiquement, de kétamine et
poppers. Bien sûr, la consom-
mation de produits d’abus per
Au service de la communication et de la formation
A Publications : Os Profissionais de Saúde e a Droga, en 1991
(10 000 exemplaires) ; Face à Droga: como (re)agir?, en 1997 (8 000
exemplaires), distribués à des professionnels de santé ; Droga de Vida,
Vidas de Droga, en 1994, aux éditions Bertrand ; en 1999, Reflectir
para prevenir, outil de prévention édité à 250 000 exemplaires, fourni
avec des journaux ; Droga para que (se) saiba aux éditions Figueirin-
has en 2002 (3 000 exemplaires) ; Droga. Aprender para Prevenir (ed.
auteur) à Lisbonne en 2006 (1 500 exemplaires)
A Télévision et vidéo : Droga para que se saiba, pour TV Médecine,
en 2004 (8 x 25’) ; Droga: Educar para Prevenir, en 2006, DVD pour
les centres de santé et écoles. Édition pour le gouvernement régional de
Açores et programme télévision 2 fois par semaine RTP Açores (12 x
5’) ; DVD Droga Riscos e Dependências, en 2008 (80’) distribués à
des professionnels de santé (2000 exemplaires).
A Radio : Depuis 2007, auteur du programme hebdomadaire Depen-
dências (5-8’) à la radio nationale, RDP Antena 1.