FOUSFUJFO Comment Luis Patricio sait déplacer les montagnes

Le Courrier des addictions (10) – n ° 3 – juillet-août-septembre 2008
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Comment Luis Patricio sait déplacer les montagnes
Un entretien avec Luis D. Patricio*
Propos recueillis par Didier Touzeau et Patricia de Postis
Wim Wenders aurait sûrement aimé poser sa caméra sur
les toits du Bairro Alto, sil avait su ce qui se construisait
en dessous, du rez-de-chaussée aux étages. Ou du moins,
au “mur de support”, das Taipas en traduction “portugue-
se”. C’est dans cette petite Rua das Taipas du Lisbonne
typique que le Centro du même nom, justement, a ouvert
ses portes en 1987. Un centre d’accueil et de soins, un
atelier, une ruche, une maison, un home. Bref, une “struc-
ture intégrée” qui s’est vite imposée comme un modèle de
structure de prise en charge des héroïnomanes, offrant
toute la palette des soins, depuis ceux de “premre ligne
jusqu’à la communauté thérapeutique. Elle a très vite tissé
sa toile dans la ville, créant un réseau de réponses gra-
des à l’explosion de toxicomanie à l’rne dans le
pays, allant du programme d’échanges de seringues, à la
boutique avec hébergement de très courte durée installée
au pied de l’une des scènes de drogue les plus sinistres
du continent, en passant par le travail en réseau avec
les pharmaciens et médecins de ville. Et comme l’hôte de
ces lieux n’a jamais vu pourquoi, pour arriver à ses fins,
il ne déplacerait pas des montagnes, plutôt que de les
contourner, comme le Min Lo de la tradition chinoise, das
Taipas est devenu régulièrement un centre de rencontres
européennes et internationales. Le Dr Luis Duarte Patricio,
psychiatre, psychanalyste, directeur médical du Centro,
toujours monté sur ressorts et jamais démonté par aucune
difficulté, fut-elle posée par des décalages horaires, a reçu,
échangé, pris en stage des centaines de collègues, pro-
fessionnels de san et travailleurs sociaux dans ces murs
(de support), Il s’est, en retour, bien souvent déplacé pour
continuer à apprendre, comprendre, améliorer la prise
en charge de ces patients marginalisés, stigmatisés, par-
tant toujours avec d’autres collègues et emmenant avec lui
un nombre conséquent des membres de son équipe. Un
harmonica dans la poche, une guitare dans sa chambre,
un piano dans le salon, mais aussi un ordi sous le bras
plein de Power Point illustrés, Luis informe, communique,
échange. Et anime ! Pas besoin d’aller chercher un pro de
la chose : il joue du fado, ouvre la danse, fait des gags,
blague, monte une soie en un tour de main… Et Maria
Lsa, sans jamais separtir d’un sourire quon ne peut
oublier, reçoit tout de suite les collègues et amis venus
de France, Belgique, Italie, Angleterre, dans son bijou de
jardin, grand comme un mouchoir de poche...
Luis Patricio, clinicien et communicant, est aussi un scienti-
fique qui a participé à diverses expérimentations de médi-
caments qui ont compté dans l’histoire des prises en char-
ge. Il a été le représentant portugais au comité scientifique
de l’Observatoire européen des drogues et des toxicoma-
nies, en 2006 et 2007, consultant et formateur en préven-
tion et traitement des addictions pour le gouvernement ré-
gional des Açores. Il est membre de la société espagnole
Socidrogalchool, de l’Europad. Il est aussi le cofondateur
des associations Anit Portugal, T3E (Toxicomanies Europe
Échanges Études) et ERIT, fédération européenne des as-
socions d’intervenants en toxicomanie, dont il a me été
le président élu en 1998 et 1999.
Moteur Action !
Un parcours
de soignant citoyen
Le Courrier des addictions :
Comment êtes-vous devenu
le spécialiste en toxicomanie,
connu tant au Portugal qu’au
niveau international ? Quel est
votre parcours professionnel ?
Luis Patricio : J’ai commencé
mes études de médecine à l’uni-
versité de Coimbra, et je les ai
terminées à Lisbonne en 1976. Je
suis parti ensuite dans la province
de l’Alentejo, à Portalegre, où
j’ai passé mon internat de méde-
cin généraliste. C’est que j’ai
rejoint le Centre de santé men-
tale où j’ai commencé à travailler
avec des adultes, des personnes
âgées et des jeunes débiles men-
taux. C’est aussi que j’ai é
confronté pour la première fois
à la problématique clinique avec
des usagers de cannabis, et un pa-
tient dépendant de la morphine,
un decin. En même temps,
j’assurais une permanence bi-
mensuelle dans le service Ado-
lescence et toxicomanies” de
l’hôpital universitaire Santa Ma-
ria. J’ai également fait un stage
de six semaines au Crisis Inter-
vention du Napsbury Hospital de
Londres.
J’ai regagné ensuite Lisbonne,
en 1981 et rejoint l’équipe de
psychiatrie de Santa Maria où
j’ai réussi le concours pour spé-
cialiste en psychiatrie. Enfin, j’ai
également fait une formation per-
sonnelle en psychanalyse et, sept
ans plus tard, en psychodrame
psychanalytique de groupe.
Le Courrier des addictions :
Vous avez toujours voulu exer-
cer cette profession ? Pourquoi
et quand avez-vous pris cette
orientation de la prise en char-
ge des toxicodépendants ?
L.P. : Je dois déjà à l’influence de
mon milieu familial de m’avoir
très t orienté vers le soin, la
psychologie, la prise de respon-
sabilité sociale par rapport aux
autres… Petit cadet d’une fra-
trie de dix, mon père, médecin
de ville pendant 40 ans, m’a fait
lire des ouvrages de psy ts t,
pendant mon adolescence. Lors-
que j’ai eu plus de seize ans, il
m’a permis d’être en contact et
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de communiquer avec certains
de ses patients “fous”, les plus
marginalisés. J’avais alors é
très vite sensibilisé aux problè-
mes humains, et notamment à
ceux de l’adolescence. Lorsque
j’étais moi-me adolescent,
j’organisais des activités sporti-
ves, surtout pour mes copains, et
des actions d’aide pour des jeunes
des familles les plus pauvres. J’ai
même joué au rugby pour l’asso-
ciation Academica de Coimbra,
de débutant à ran. J’en ai été
le premier junior membre du co-
mité de direction.
Mais les options dans une vie
sont très souvent faites d’une
ou de quelques rencontres “for-
tuites” (mais le sont-elles vrai-
ment ?), marquantes (assuré-
ment…). Après le début de mon
internat en médecine générale,
un jour, j’ai rencontré à Portale-
gre l’un des psychiatres, le Dr
Francisco Pólvora, directeur du
Centre de santé mentale, ancien
étudiant lui aussi de Coimbra,
qui se trouvait être le confrère
de l’un de mes frères, chirur-
gien, membre de l’Académie de
chirurgie de Paris : le lendemain,
je jouais déjà au foot avec des
membres de l’équipe et des ma-
lades. Quelques semaines plus
tard, j’ai commencé à travailler
dans ce centre de soins pour
adultes, personnes âgées, débiles
et (quelques) jeunes.
Les moments forts
de Das Taipas
Le Courrier des addictions :
Votre histoire professionnelle
se confond avec celle de das
Taipas : quels en ont été les mo-
ments forts ?
L.P. : Le Centre das Taipas, ins-
tallé dans la rue de Lisbonne du
me nom, a été créé en 1987
par le ministère de la Santé. Un
nom de lieu et d’établissement
prédestiné puisqu’il signifie “mur
de support”. Avant, il n’y avait au
Portugal que trois centres dépen-
dants du ministère de la Justice
(CEPD) et deux consultations
dans des hôpitaux universitaires :
la plus ancienne a été créée par
le Pr Dias Cordeiro en 1973
à l’hôpital Santa Maria. Le Dr
Nuno Miguel l’a rejoint en 1975,
moi, en 1979, et à plein temps en
1981. En 1986, j’ai également
travaillé dans un centre CEPD
de la Justice. Pour pouvoir ouvrir
Das Taipas, la ministre Mme Leo-
nor Beleza a constitué un groupe
de travail, piloté par le Dr Nuno
Miguel, dont je suis le plus an-
cien collaborateur. C’est lui qui
en a éle directeur pendant cinq
ans et j’ai pris la relève jusqu’à
aujourd’hui.
La pratique de ce centre a beau-
coup changé la façon de prendre
en charge les toxicomanes au
Portugal. Il a me fabriqun
“modèle Taipas”, projet intégré
qui offre aux professionnels, dans
le même bâtiment, une palette
d’outils pour mieux aider le pa-
tient dans son parcours thérapeu-
tique. Le but : fidéliser le patient
au traitement pour limiter la rup-
ture des prises en charge, quelles
qu’elles soient. L’offre de soins,
en un me lieu, est modulable
et complémentaire : consultation
externe, centre de jour avec cinq
ateliers, services de thérapies
dicamenteuses (gestion de
dicaments), d’hospitalisation
pour sevrage et traitement des
comorbidités (20 lits).
Pendant dix ans, nous avons fait
fonctionner un service télépho-
nique permanent, une Hot Line
animée par un médecin et un in-
firmier, ainsi qu’un service d’ur-
gence permanent (7 jours sur 7),
un médecin et une infirmière de
garde, et trois places en “Centre
de nuit”. Nous avons introduit à
Taipas les consultations ouvertes,
anonymes et gratuites, du lundi
au vendredi, de 9 h à 21 h, sans
liste d’attente. Il nous était apparu
comme une évidence qu’il fallait
avant tout faciliter au maximum
l’accès aux soins de tous les toxi-
comanes et de leur famille.
Depuis le début, nous avons tra-
vaillé en articulation avec des
communaus thérapeutiques et
des appartements de insertion.
Pendant plusieurs années, nous
avons construit un réseau d’an-
tennes de prise en charge autour
de Lisbonne. Nous avions alors
une grande équipe de 20 psychia-
tres, 20 psychologues cliniciens,
5 assistants sociaux, 2 physiothé-
rapeutes, 4 thérapeutes occupa-
tionnels, thérapeutes familiaux,
des infirmières, des éducateurs,
et aussi un médecin interniste et
infectiologue temps partiel).
Nous faisons de la formation :
des stages pour toutes les pro-
fessions de santé et travailleurs
sociaux, et plus particulièrement
pour les médecins néralistes.
Notre centre de documentation a
publié pendant 14 ans les Actes de
Taipas.
Les moments qui ont compté le
plus dans l’histoire de l’institu-
tion ont été, en vrac, l’ouverture,
dix ans après sa création, de huit
antennes Taipas dans la banlieue
de Lisbonne, l’autonomisation
de sept, la sortie de profession-
nels pour faire un autre centre, la
conséquente duction de léquipe
de base, la fermeture de notre ser-
vice d’urgence et centre de nuit
et aussi l’élargissement des pro-
grammes de substitution opiae
avec méthadone pour 100 per-
sonnes (nous avons actuellement
plus de 500 places). Je compte
aussi parmi eux, la mise en route
d’un projet de traitement des -
roïnomanes avec le LAAM en
1994, les implants de naltrexone
en 1996, la buprénorphine haut
dosage en 1999 et la buprénorphi-
ne/naloxone (BNX) l’an passé.
Moments forts encore, tous les
nombreux liens internationaux
que nous avons pu nouer : à Paris,
avec le Pr Aimé Charles Nicolas
et le Dr Didier Touzeau au Centre
Pierre-Nicole, avec Jean-Pierre
Demange du Service d’aide aux
toxicomanes de l’Oise (SATO).
Toutes ces excellentes amitiés ne
se sont jamais démenties. Nous
avons pu construire un ritable
seau de professionnels, avec les
collègues d’une quarantaine de
pays. Nous avons reçu à Lisbonne
quelques centaines de profession-
nels et, en retour avec l’aide de
nos amis, des centaines de Portu-
gais ont pu participer à des stages
et conférences dans de nombreux
pays, surtout en Europe.
Enfin, je citerai toutes les Ren-
contres de das Taipas, et plus par-
ticulièrement les IIIes, organisées
en 1990 avec FIRST (Formation
intervention recherche sida toxi-
comanies, A. Charles-Nicolas, D.
Touzeau) et le SATO (J.P. Deman-
ge), qui a réuni 600 personnes.
Je rappellerai également que les
Ves Rencontres de 1992 ont réuni
pendant une semaine 1 200 pro-
fessionnels de 20 pays difrents,
coorganisées avec d’autres struc-
tures de France (FIRST, SATO,
et T3E [Toxicomanies Europe
Échanges Études]), d’Espagne,
Italie, Suisse, Belgique, Allema-
gne, Angleterre, Écosse, Royau-
me-Uni… Avec pour production
finale, un document éthique, la
“Déclaration de Lisbonne”. Les
Xes ont, pour leur part, rassemblé
1 300 personnes et les XXes, en-
fin, ont accueilli les représentants
de 18 pays.
Et puis, je ferai un autre “zoom”
sur le déménagement du Centre
das Taipas, en septembre 2006,
au “Parc de Santé” de Lisbonne.
Nous avons quitté le vieux bâti-
ment du Bairro Alto, au centre-
ville, et partageons maintenant
les jardins avec le Centre hospi-
talier psychiatrique de la ville.
Le contexte portugais :
le poids du vin
et de l’émigration
Le Courrier des addictions :
Quel était le contexte portugais
des toxicodépendances ?
L.P. : Dans le Portugal des an-
nées soixante, comme en Fran-
ce, on grandissait en buvant du
vin. Une partie des salaires des
paysans était encore payée avec
du vin (1 litre par jour en 1962).
Les soldats basés en Afrique
portugaise” recevaient un cer-
tain contingent de paquets de
cigarettes, au prix très bas ou
même gratuit, et des alcools
moins taxés. En fait, à la fin
1960-début 1970, on ne connais-
sait pas grand-chose sur les dro-
gues illicites et les consomma-
teurs étaient rares : on savait bien
que dans certains milieux uni-
versitaires, avec la venue d’étu-
diants du Brésil, on fumait, plus
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ou moins exceptionnellement du
cannabis. On avait entendu parlé
de ces jeunes soldats, de retour
des colonies africaines, qui
consommaient de l’herbe (ap-
pelée Soruma au Mozambique
et Boi en Angola). Ou encore de
ces jeunes qui avaient été étu-
diants en France, en Angleterre
ou dans d’autres pays du nord
de l’Europe, ou des exilés poli-
tiques, qui avaient expérimenté
l’herbe, le haschich, l’opium,
les amphétamines, le LSD
Certains s’en enorgueillissaient,
mais rares étaient ceux qui en
étaient vraiment dépendants.
Reste que le produit de loin de
plus consommé était l’alcool, et
surtout le vin, dont le Portugal
était un gros producteur et dont
la consommation était promue
partout.
Le Courrier des addictions :
Problèmes de générations :
les enfants des migrants de
“1952”, de la grande crise
économique, ont été les “lais-
sés-pour-compte”, proies faci-
les de la drogue ?
L.P. : On ne peut pas dire que les
enfants des Portugais migrants
des années cinquante aient posé
véritablement des problèmes
spécifiques. En revanche, les
enfants des années soixante et
encore plus certains des enfants
des émigrés des années soixan-
te-dix (au Luxembourg ou
même à Macau), vivant avec des
grands-parents sous-valorisés,
ont connu des difficultés plus
grandes : abondance de l’argent,
éloignement des familles, sans
véritablement de figures de -
férence, ils ont connu de vraies
difficultés pour se construire.
L’offre et les consommations
de substances ont progressé des
centres villes, où il y a plus d’ar-
gent, vers leurs périphéries
viennent habiter les immigrés
de la province, des colonies, les
minorités marginalisées. Elles
ont gagné également les vil-
les de bord de mer, plus riches,
concernant les pêcheurs, en par-
tie désœuvrés lors de leurs -
jours à terre, ou qui disposaient
par à-coups de grosses som-
mes d’argent et des jeunes peu
avertis des risques de toxicodé-
pendance. Ainsi, on a noté des
prévalences de consommations
significatives parmi les jeunes
de certaines régions transfronta-
lières avec l’Espagne, surtout au
sud et au nord. Peu à peu l’usage
des substances illicites s’est dif-
fusé depuis le littoral jusqu’à
l’intérieur du pays. Il a gagné
également les îles des régions
de Madère et des Açores. Ajou-
tez à ce tableau, un chômage
important, une insuffisance de
qualification et formation pro-
fessionnelles, la dépendance de
certains, au-delà de trente ans, à
des parents hyperprotecteurs les
déficits d’éducation parentale
et, pour finir, ceux qui consom-
ment, non seulement de l’alcool
et du tabac, mais aussi du can-
nabis... en famille ! En ce qui
concerne les consommateurs
dépendants de l’héroïne, ils ont
vieilli, comme en France et dans
de nombreux pays occidentaux :
l’âge moyen de ceux que nous
recevons en traitement est 34
ans et plus. Nous connaissons
des fils et des filles adultes qui
nous amènent leurs parents en
consultation !
Le Courrier des addictions :
Avez-vous connu également
l’explosion des consommations
“festives” ?
L.P. : La Révolution des œillets
d’avril 1974 a créé un mouve-
ment d’échanges internationaux,
culturels, politiques, mais aussi
d’offre et de demande de subs-
tances psychoactives. La déco-
lonisation s’est faite de façon
abrupte. Il est devenu d’autant
plus facile de se procurer du can-
nabis et de l’herbe, que les Portu-
gais, de retour définitif ou épiso-
dique des colonies africaines, en
ramenaient. On a vu arriver aussi
sur le marché, à cette époque du
speed, du LSD, de l’héroïne et
même de l’opium. La cocaïne
existait, mais sa consommation
restait circonscrite aux couches
sociales les plus riches. C’est
aussi à ce moment-là que les abus
de médicaments analgésiques,
amphétaminiques, hypnotiques,
tranquillisants, métaqualone et
équivalents, benzodiazépines
(BZD) et barbituriques ont com-
menà devenir des problèmes
réels de santé publique et de -
curité. Pour faire face aux agres-
sions fréquentes, les pharmacies
ont été obligées de prendre des
mesures de sécurité et le gou-
vernement de modifier la classi-
fication des médicaments. Bref,
dans les années 1980, les abus
d’héroïne, Buprex® (buprénor-
phine) de para-amphétamines,
de certaines BZD (Rohypnol®,
Lexotam® 12), et même de -
dicaments avec effets anticholi-
nergiques ont grimpé ainsi que
l’offre de cocaïne, après 1985.
Au début des années 1990, on la
fumait sous la forme de base ou
de free-base avec une pipe à eau.
Puis, comme chez vous, sont ar-
rivées les drogues de synthèse,
l’ecstasy. Parallèlement, l’offre
de résine s’est accrue et les prix
d’autres drogues, en particulier
ceux de “la brune”, l’héroïne de
rue, et même de la cocaïne, ont
baissé et se sont stabilisés. -
sormais, dans certaines régions,
on est obligé d’acheter de “la
coca” si on veut de l’héroïne ou
un cocktail des deux.
Les consommations dites fes-
tives en discothèques, boîtes et
fêtes reflètent l’évolution de ce
marché, mais sont nettement do-
minées par “la coca”, sniffée,
l’ecstasy, l’alcool et le tabac.
Le Courrier des addictions :
Au Portugal, est-ce comme en
France ou en Espagne : avez-
vous beaucoup d’usagers in-
jecteurs, sniffeurs ?
L.P. : Les pratiques de consom-
mation ont beaucoup changé au
Portugal. L’injection est passée,
chez les héroïnomanes, de 75 %
à 25 %, mais il faut dire qu’un
grand nombre d’entre eux sont
entrés dans des programmes de
maintenance à la méthadone.
En revanche, nous avons de
plus en plus d’injecteurs parmi
les consommateurs de cocaïne,
surtout s’ils n’ont plus suffisam-
ment d’argent pour la sniffer ou
la fumer, ou s’ils consomment
des speed balls. Quant à l’in-
jection de buprénorphine, elle
a bien été repérée dans quel-
ques endroits, peu nombreux.
Mais elle ne pose pas les mêmes
questions qu’en France. Beau-
coup de médecins prescripteurs
ont bénéficié d’une formation
et ont décidé de passer très vite
tous leurs patients sous bupré-
norphine/naloxone (BNX) [sauf
les femmes enceintes], pour pré-
venir le mésusage et réduire le
marché de rue.
Corollaire de cette évolution
des pratiques d’injection, celle
de l’inhalation de la fumée de
l’héroïne, la chinoise ou chasse
au dragon, a progressé en sens
inverse : 75 % des usagers la fu-
ment, sachant tout de même que
l’usage de l’héroïne enregistre
une tendance forte à la stabilisa-
tion. Le fait de fumer s’applique
donc essentiellement au tabac, à
la résine de cannabis, beaucoup
moins à l’herbe, et, depuis les
années 1990, à la cocaïne base,
free base, préparée avec de l’am-
moniaque ou du bicarbonate ou,
de plus en plus souvent achetée
prête à fumer. Quant au sniff, il
est le fait des usagers de cocaï-
ne, rarement de solvants ou de
comprimés et d’héroïne, parfois,
sporadiquement, de kétamine et
poppers. Bien sûr, la consom-
mation de produits d’abus per
Au service de la communication et de la formation
A Publications : Os Profissionais de Saúde e a Droga, en 1991
(10 000 exemplaires) ; Face à Droga: como (re)agir?, en 1997 (8 000
exemplaires), distribués à des professionnels de santé ; Droga de Vida,
Vidas de Droga, en 1994, aux éditions Bertrand ; en 1999, Reflectir
para prevenir, outil de prévention édité à 250 000 exemplaires, fourni
avec des journaux ; Droga para que (se) saiba aux éditions Figueirin-
has en 2002 (3 000 exemplaires) ; Droga. Aprender para Prevenir (ed.
auteur) à Lisbonne en 2006 (1 500 exemplaires)
A Télévision et vidéo : Droga para que se saiba, pour TV Médecine,
en 2004 (8 x 25’) ; Droga: Educar para Prevenir, en 2006, DVD pour
les centres de santé et écoles. Édition pour le gouvernement gional de
Açores et programme télévision 2 fois par semaine RTP Açores (12 x
5’) ; DVD Droga Riscos e Dependências, en 2008 (80’) distribués à
des professionnels de san(2000 exemplaires).
A Radio : Depuis 2007, auteur du programme hebdomadaire Depen-
dências (5-8’) à la radio nationale, RDP Antena 1.
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os, BZD, drogues synthétiques,
se maintient, toujours associée
avec l’alcool : au Portugal aussi
prédomine aujourd’hui la poly-
consommation des substances
légales et illicites.
Un projet thérapeu-
tique intég
Le Courrier des addictions :
Vous traitez l’ensemble des ad-
dictions, tabac, alcool, canna-
bis, opiacés, cocaïne, etc. dans
les mêmes structures de soins ?
L.P. : En effet, au Centre das
Taipas, on traite les addictions
aux produits légaux et illicites,
et conduites addictives et la co-
morbidité psychiatrique des pa-
tients, dont beaucoup sont des
polyconsommateurs. Il n’est pas
rare qu’après avoir été consom-
mateurs de cannabis, ils passent
à l’héroïne, la cocaïne, l’alcool,
aux jeux et/ou aux achats patho-
logiques. On accompagne la per-
sonne en souffrance au cours des
difrentes phases de son parcours
en la faisant bénéficier de ce pro-
jet thérapeutique intég, capable
d’offrir une palette d’outils de
soins complémentaires.
Le Courrier des addictions :
Quel est le cadre de la prise
en charge des addictions au
Portugal.
L.P. : La prise en charge des ad-
dictions au Portugal est essen-
tiellement publique, rée par
l’Institut de la drogue et de la
toxicomanie (IDT), institut public
(IP) du ministère de la Santé. En
hospitalisation et dans les com-
munautés thérapeutiques (CT)
de l’IDT-IP, à Lisbonne, Coim-
bra et Porto, les prises en charge
sont subventionnées à 100 %.
Mais l’état subventionne à 80 %
les prises en charge en CT et ap-
partements thérapeutiques gérés
par des ONG, agréés et conven-
tionnées. Les médicaments sont
sous des régimes de subvention
différents : ainsi la méthadone
est prise en charge à 100 %, mais
la naltrexone et la buprénorphi-
ne à 38 %.
Le Courrier des addictions :
Quelle est la part du secteur
privé, des communautés thé-
rapeutiques ?
L.P. : Les sociétés privées à but
lucratif proposent surtout des
programmes de sevrage ou des
CT. Mais il faut savoir qu’au
Portugal nous avons des dizai-
nes de CT de long séjour. J’en
ai moi-même créé et appula
fondation. Quelques CT sont -
rées par des associations confes-
sionnelles, comme la Vida e Paz,
la Caritas et le Project Huomo,
catholiques. Les plus anciennes
sont tenues par les Évangéliques
du Teen Challenge. Toutes doi-
vent obtenir l’agrément préala-
ble de l’IDT-IP qui impose l’ap-
plication de règles précises de
construction et de composition
d’équipes. D’autres associations
sans but lucratif et des groupes
commerciaux proposent aussi des
programmes résidentiels courts
(trois mois) adaptés aux anciens
usagers et groupes d’auto-sup-
port. Elles disposent parfois de
lits conventionnés par l’IDT.
Le Courrier des addictions : Et
celle des médecins en ville ?
L.P. : Les decins libéraux,
généralistes et psychiatres, pren-
nent peu en charge des patients en
ville, car ils ne peuvent les faire
profiter du travail d’une équipe.
En revanche, des généralistes qui
travaillent au sein des réseaux de
l’IDT, et qui ont reçu une forma-
tion spécifique, peuvent s’oc-
cuper de toxicomanes dans des
centres de santé locaux apparte-
nant au service national de santé.
Depuis 1999, pour encadrer la
prescription et la dispensation
de la buprénorphine, nous avons
mis en place, un peu partout dans
le pays, des séances de formation
de 12 heures pour des groupes de
dizaines de généralistes.
Le Courrier des addictions :
Vous en avez été l’un des pion-
niers de la duction des risques
au Portugal. Pouvez-vous nous
raconter comment vous avez
mis en place toute une gamme
de “réponses” en ville ?
L.P. : J’avais beaucoup appris
auprès des colgues de France,
d’Espagne, d’Italie et d’autres
pays, et nous avons saisi l’oppor-
tunité du programme de dispari-
tion du bidonville sit presque
au centre-ville lancé par la mairie
de Lisbonne, pour construire, en
2000, un système de réduction des
risques “à géométrie variable” :
depuis l’accueil des sans-papiers
et sans-domicile-fixe, malades
du sida et tuberculeux, jusqu’aux
préparations aux traitements en
ambulatoire ou en CT, en passant
par un programme méthadone
bas seuil et un hébergement pro-
visoire. Ce dispositif, créé avec
l’aide de différents profession-
nels, plusieurs ONG, et aussi en
collaboration avec le Centre das
Taipas, a été piloté par le cabinet
de Casal Ventoso. Il a permis de
jeter un vrai pont entre l’exclu-
sion sociale, la misère, la maladie
et la récupération d’un peu de
dignité et d’acs au système de
soins. Nous avons pu créer, grâce
au soutien de la mairie de Lis-
bonne, du ministère de la Santé
et d’autres institutions, un centre
d’bergement de transition pour
trois mois, pour 50 personnes.
Nous avons créé ensuite un bus
d’intervention, c’est-à-dire un
point écoute, avec consultation
dicale etthadone bas seuil,
ouvert de 22 h à 2 h du matin, le
jeudi et le week-end en “noctur-
ne”. On y trouvait une informa-
tion, des outils de prévention sur
la drogue et la sexualité, des tests
(alcool, ecstasy...).
On a créé un bus prévention et
échanges de seringues destinés aux
prostitués, qui circulaient en ville,
au début de la nuit. Cette façon de
travailler a ouvert de nouveaux
chemins et modifié les mentalités.
Plusieurs équipes de duction
des risques se sont ensuite lancées
dans la même voie dans différents
endroits du Portugal.
Le Courrier des addictions :
Les médecins et les pharma-
ciens d’officine ont beaucoup
participé aux actions de ré-
duction des risques ?
L.P. : En effet, beaucoup de
pharmacies participent, soit pour
échanger des seringues usagées
contre des propres, soit pour ad-
ministrer de la méthadone, de la
naltrexone ou de la buprénorphi-
ne. Ces pharmaciens ont suivi la
formation spécifique, organisée
par l’Association nationale des
pharmaciens et l’IDT-IP.
Le Courrier des addictions :
Vous avez également été un
pionnier des traitements de
substitution. Quelles en sont
les perspectives et les problè-
mes ?
L.P. : Les premiers travaux aux-
quels nous avons participé au
Portugal concernaient les alfa-2
agonistes pour le sevrage en régi-
me ambulatoire avec la clonidine
(1985-86) et la guanfacine (1986-
87). En 1989, j’ai pu “réviser” la
naltrexone, avec le Pr A. Char-
les Nicolas et ensuite diffuser ce
traitement à Taipas ( présenté
par T. Vicente et A. Castro au
IIes Rencontres de Taipas). En
2004, nous avons commencé à
utiliser le levo-alpha-acétyl-mé-
thadol (LAAM), en Europe, avec
le soutien du Pr Robert Greens-
tein de l’équipe du Pr Charles
O’Brien de Philadelphie. Mal-
heureusement, ce médicament a
été suspendu aux États-Unis en
2000. On a pu également utili-
ser des implants de naltrexone,
un antagoniste opiacé. Quant à
la buprénorphine, nous l’avons
introduite en thérapeutique en
1999, seulement après avoir
mené à bien des dizaines de for-
mations circonstanciées sur son
utilisation. Enfin, dès 2007, nous
sommes passés à la BNX. Actuel-
lement, plus du quart (27 %) des
patients en substitution opiacée
sont sous buprénorphine, 73 %
sous méthadone.
Aujourd’hui, je voudrais amé-
liorer encore l’utilisation des
traitements de substitution, en
particulier en ajustant mieux les
doses, souvent insuffisantes, aux
besoins des patients, approfondir
nos connaissances sur la dépen-
dance à la cocaïne et à l’alcool
et à cette association. Et aussi
essayer de diminuer le coût de la
BNX, pour réduire des difficultés
d’accès au traitement.
n
P.d .P.
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