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La Lettre du Pharmacologue - Volume 20 - n° 1 - janvier-février-mars 2006
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Pharmacovigilant industriel et expert judiciaire :
une rencontre de plus en plus probable
Industrial safety officer and legal expert: an expected meeting
J.P. Demarez*
RÉSUMÉ.
Le pharmacovigilant industriel est chargé, dans ses fonctions définies par la réglementation, européenne comme nationale, d’une
mission de santé publique. L’apparition du droit relatif à la responsabilité pour produits défectueux l’implique de plus en plus dans l’infor-
mation délivrée par son entreprise sur les effets indésirables des spécialités pharmaceutiques qu’elle commercialise.
Conséquences : en même temps qu’il est le producteur de ce type d’informations, il peut être conduit à en rendre compte,dans un processus
de réparation, face à la demande d’une éventuelle victime. Dans ces affaires de “santé privée”, il lui appartient de bien connaître les ambi-
guïtés et les limites de sa fonction.
Mots-clés :
Expertise judiciaire - Effets indésirables - Produits défectueux - Pharmacovigilance.
ABSTRACT.
The industrial safety officer, in the functions defined by the European and national legislation, has been given a public health
mission. The appearance of the law concerning the responsibility for defective products increasingly involves the information transmitted by
the company about the adverse events of the pharmaceutical specialities that it markets.
As a consequence, at the same time as he produces this type of information, he may be made to take it into account, in a process of compen-
sation, when confronted with the demand of an eventual victim. In these “private health” affairs, it is up to him to be fully aware of the ambi-
guities and limits of his function.
Keywords:
Legal expertise - Adverse events - Defective products - Drug monitoring.
* Service de pharmacologie, faculté de médecine Saint-Antoine, 75012 Paris.
D
é butons par un para d oxe : un médicament
n’ayant pas d’effets secondaires n’a sûrement
pas d’effet principal. L’effet indésirable est
inhérent au concept même de médicament,
“substance ou
composition présentée comme possédant des propriétés cura-
tives ou préventives à l’égard des maladies”
(article L 5111-1
Code de la santé publique [CSP]).
L’effet indésirable,
“réaction nocive et non voulue se produi-
sant”
(article R 5121-153 CSP) éventuellement lors de la
prise d’un médicament, est un inconvénient, parfois grave.
En conséquence, le lab o r at o i r e pharmaceutique doit “ p h a r m a c o-
v i g i l e r ” , c ’ e s t - à - d i r e
“ s u r veiller le risque d’effet indésirable résul-
tant de l’utilisation des dicaments”
quil commercialise (art i c l e
R 5121-150 CSP). Il doit info rmer les pre s c ri p t e u rs et les
p a tients des inconnients du dicament. S’il ne l’a pas fait et
quun accident s’est pro d u i t , l ’ e f fet insirabl e ,d ’ i n c o nv é n i e n t ,
va devenir un défaut. Est faut ce qui permet d’indemniser la
v i c t i m e , car alors le produit n’off r ait pas (au consommateur)
“ l a
s é c u r ité à laquelle (il pouvait légitiment) s’at t e n d re ” .
Raisonnement simple, voire simpliste,lié à la confusion de
deux façons de considérer le même fait, selon que l’on contri-
bue à la meilleure connaissance d’une spécialité pharmaceu-
tique, du point de vue de la santé publique,ou que l’on se pré-
occupe de réparer un événement dommageable, du point de
vue des règles de responsabilité.
L’augmentation du nombre de litiges, issus d’effets indési-
rables graves présumés en relation avec l’une des spécialités
qu’il surveille, conduira de plus en plus le pharmacovigilant
“Il est deux façons d'évoquer le fromage de gruyère,
selon que l'on parle des trous ou de la pâte.”
Alexandre Sanguinetti
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industriel à se déplacer dans ces deux dimensions (santé
publique et
“santé privée”
) face à un expert judiciaire, avec la
nécessité de se tenir exactement dans son rôle,tout en
connaissant celui de son interlocuteur.
L’EFFET INDÉSIRABLE EN SANTÉ PUBLIQUE
L’actuelle rédaction de l’article L 5121-9 du Code de la santé
publique relatif à l’autorisation de mise sur le marché (AMM)
d’une spécialité pharmaceutique dispose :
“L’autorisation (de
mise sur le marché) est refusée lorsqu’il apparaît que le médi-
cament ou le produit est nocif dans les conditions normales
d’emploi, ou qu’il n’a pas la composition qualitative et quanti-
tative déclarée, ou que l’effet thérapeutique annoncé fait défaut
ou est insuffisamment justifié par le demandeur.
Une rédaction future, transposant en droit interne les direc-
tives 2004/27/CE et 2004/24/CE, pourrait changer certains
mots, ce qui donnerait :
“L’autorisation de mise sur le marché
est refusée lorsqu’il apparaît que le rapport bénéfice/risque du
médicament n’est pas considéré comme favorable… ou que
l’effet thérapeutique annoncé fait défaut ou est insuffisamment
justifié par le demandeur.
Dans les références aux différents textes relatifs à l’effet indé-
sirable et à la pharmacovigilance, lues du point de vue du
droit, il convient de s’attacher au sens des mots et aux
contextes dans lesquels ces mots sont utilisés. On peut ainsi
passer du global à l’individuel, de la santé publique à la santé
privée, de l’intérêt général à l’intérêt personnel, du droit de la
santé publique au droit civil, de la mise à disposition d’une
population d’une spécialité pharmaceutique à la réparation
d’un préjudice subi par une personne.
N o c i vité ou risques ? Lorsque lon parl e, à propos de lAMM, d e
“ n o c iv i t é ”
, il s’agi t , à n’en pas douter, d’une pro p riété défavo-
rabl e ,d é l é t è r e, rendant le produit impro p r e à l’usage en médecine
h u m a i n e , et justifiant par conséquent le refus de l’AMM, q u e l
que puisse en être l’intérêt thérap e u t i q u e. De me, l ’ A M M
s e r ait re f u s é e,a u t r e condition non nécessairement liée à la pré-
c é d e n t e , si l’effet thérapeutique annoncé faisait défaut. Mais dès
l o rs que le produit est autori s é , la possibilité d’un danger là son
u t i l i s a tion (comme par exemple un effet insirable rieux) ne
constitue pas en soi un défa u t , au sens de la loi sur la re s p o n s a -
bili du fait des produits défectueux. Celapend de la manière
dont les inconvénients du produit ont été présens. Laquelle peut
s ’ a v é r er insuffi s a n t e,et c’est là le défaut.
Lorsque l’on parle,concernant l’AMM, de rapport
“bénéfice/
risque considéré comme défavorable”
,le sens à donner à l’ex-
pression n’est pas le synonyme de
“nocivité”
. Le risque dont
il est question est un élément apprécié au regard d’une popu-
lation (de même que l’est le bénéfice) et mis en rapport avec
un bénéfice. Le concept diffère de celui de
“nocivité”
, puis-
qu’il ne s’agit plus de l’éventuelle propriété négative d’un
produit, mais de faits péjoratifs observés sur des sujets ou des
groupes de sujets, faits susceptibles de découler de l’usage du
produit.
R a ppelons que, pour les pharm a c o - é p i d é m i o l ogi s t e s , il existe
( 1 )
:
Le risque : probabilité qu’un sujet (exposé ou non à un
médicament) présente un événement à un moment donné,
sachant qu’il ne le présentait pas dans l’intervalle de temps
antérieur. C’est ce risque que considèrent la victime présumée
et son avocat, devant le juge.
Le risque
“taux exprimé sous forme d’incidence”
: nombre
de cas apparus dans une population au cours d’une période
donnée, rapporté au nombre de sujets à risque dans cette
population. Le pharmacovigilant est plus volontiers porté,
concernant la sécurité de ses produits, à retenir cette notion.
La confusion entre l’estimation populationnelle (taux d’inci-
dence) et l’estimation individuelle peut aboutir à des erreurs
d’interprétation, si l’on ne tient pas compte de la notion de
“ r isque instantané”
( p ro b abiliqu’un sujet, jusque-là indemne,
présente l’événement étudié au cours d’un intervalle de temps
très court) et d’une éventuelle variation du risque d’un sujet à
l’autre.
Mais ce n’est pas parce qu’un produit présente des risques
qu’il est nécessairement affecté d’un défaut. Cela dépend de
la manière dont les risques sont présentés ; celle-ci peut
s’avérer insuffisante, ce qui constitue le défaut. La validation
de cette présentation des risques par la commission d’AMM,
l’approbation de cette présentation par l’autorité administra-
tive compétente n’écartent pas le risque que la présentation
soit jugée défectueuse par un tribunal. En effet, la commis-
sion et l’autorité se prononcent sur les éléments du dossier de
demande d’enregistrement du produit fournis par le labora-
toire, qui peuvent conduire à la validation d’une appréciation
inexacte, les éléments présentés étant en fait incomplets.
Quant à savoir si le risque est individuel ou populationnel, la
directive 2004/27/CE instituant un code communautaire rela-
tif aux médicaments à usage humain
(2)
désigne comme
risques liés à l’utilisation d’un médicament
“tout risque pour
la santé du patient ou de la santé publique lié à la qualité, à la
s é c u r ité ou à l’efficacité du médicament
, enjoignant le titulaire
de l’AMM de
“communiquer immédiatement à l’autorité com-
pétente toute information nouvelle qui pourrait influencer
l’évaluation du bénéfice et des risques du médicament”
présent
sur le marché. Ce qui englobe l’individu et la population dans
les mêmes considérations sécuritaires.
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En matière d’identification de risques et de possibilités de
défaillance des systèmes de détection, du début des essais cli-
niques en passant par l’AMM, jusqu’à la fin de l’exploitation
commerciale, le développement d’une spécialité pharmaceu-
tique parcourt plusieurs étapes impliquant peu ou prou la
pharmacovigilance. Au cours de ces différentes étapes peu-
vent être réalisées des évaluations non pertinentes, partiales,
voire même mensongères, ne serait-ce que par omission. La
qualité de ces évaluations dépend grandement des moyens et
des systèmes mis en place pour la détection des risques et de
leur compatibilité avec les dispositions réglementaires. Le
respect strict des dispositions réglementaires n’est toutefois
pas exonérateur en soi et ne garantit en rien l’efficacité des
systèmes, laquelle repose beaucoup sur des facteurs humains.
D u rant les essais cl i n i q u e s , le promoteur va décl a r er à l’autori t é
c o m p é t e n t e, dans les quinze jours suivant leur notifi c ation par
l ’ i nve s t i g at e u r , les é v é n e m e n t s et e ffe t s i n d é s i r ables
“ d é f i n i s
comme décl a rab l e s ”
, et tout fait nouveau intéressant la
re ch e rche ou le produit faisant l’objet de la re c h e rche et suscep-
t i b le de porter atteinte à la sécurité des personnes qui s’y prêtent.
Les événements
“ d é cl a rabl e s ”
dont il est ici question
( 3 )
s o n t
les événements indésirables grave s , type d’événement
“ q u i ,
quelle que soit la dose, e n t r ne la mort , met en danger la vie du
p a rt i c i p a n t , cessite une hospitalisation ou la pro l o n g ation de
l ’ h o s p i t a l i s a t i o n , p rovoque un handicap ou une incapacité impor-
tants ou durabl e s , ou bien se traduit par une anomalie ou une mal-
fo r m ation congénitales”
. De telles manife s t at i o n s , p u r ement fa c -
t u e l l e s , d o i vent être signalées aux autorités compétentes, s a n s
p r é j u ger de la re l ation de causalité avec le ou les produits utili-
sés. La situation thodologique du
“ d o u b le insu”
,p ro p re à
l’essai comparat i f,e m p ê che d’ailleurs , à ce stade de l’instru c-
tion du dossier du patient impliqué, d ’ i d e n t i f ier la nat u r e du tra i-
tement reçu par celui-ci. Dès lors que la re l ation de causali
peut être établ i e, l’événement peut devenir un effet indésirabl e ,
réaction nocive et non sirée reliée à un médicament ex p é r i-
m e n t a l , quelle que soit la dose administrée (l’événement grave
se tra n s fo rmant en effet insirable grave ) , ou demeurer un évé-
nement interc u rre n t , o b s e rvé de façon coïncidente au tra i t e m e n t ,
si la re l ation de causalité n’est pas établ i e.
Déjà observé précédemment dans d’autres circonstances, un
effet indésirable sera réglementairement considéré comme
“attendu”.
Mais il existe des effets indésirables réglementai-
rement dénommés
“inattendus”
,
“ceux dont la nature ou la
gravité ne concorde pas avec les informations relatives au pro-
duit”
[par exemple l’information contenue dans la brochure
pour l’investigateur
(3)
]. Lors des essais cliniques réalisés
postérieurement à l’AMM, les effets indésirables gra ves
“inattendus”
prennent ce caractère au regard de la rédaction
du résumé des caractéristiques du produit (RCP).
Les effets identifiés comme
“inattendus”
car ne figurant pas
dans la version en cours de la brochure d’investigateur ont
vocation à figurer dans sa version postérieure mais il n’y a pas
ici d’automatisme. Le choix vise à sélectionner ceux qu’il est
p e r tinent de fa i re connaître aux inve s t i g at e u rs pour la sécuri t é
des personnes participant aux essais. Parallèlement, lors de
chaque essai clinique,un document d’information préalable
au consentement est rédigé à l’attention des personnes à qui
l’on propose de se prêter à la recherche biomédicale. Ce
document d’information présente notamment à ces personnes
“les bénéfices attendus, les contraintes et les risques prévi-
s i b l e s ”
s u s c e p t i bles de découler de leur part i c i p a t i o n , y
c o mpris en cas d’arrêt de la recherche avant son terme (article
L 1122-1 CSP). Dans ce document d’information, qui va
connaître plusieurs versions évolutives au cours du dévelop-
pement de la future spécialité vers l’AMM, en fonction des
connaissances acquises, figurent, naturellement, les effets
identifiés (graves ou non) que le promoteur juge nécessaire ou
pertinent de porter à la connaissance des patients, afin qu’ils
se déterminent quant à leur acceptation ou leur refus de parti-
ciper à la recherche. Il peut même être modifié au cours d’un
même essai si des effets indésirables nouveaux le nécessitent,
le Comité de protection des personnes (article L 1123-10
CSP) s’assurant, le cas échéant, que les personnes participant
à la recherche ont été informées de ces effets indésirables et
qu’elles confirment leur consentement. La liste de ces effets
peut différer de celle dressée à l’attention des investigateurs,
qui tend, elle, vers l’exhaustivité, du moins en matière de
risques graves.
Au moment de la composition du dossier de demande de
l’AMM d’un produit, toutes les connaissances relatives à sa
tolérance découlent de l’analyse de l’ensemble des effets
indésirables, graves comme non graves, collectés au cours des
essais cliniques. Ces éléments vont permettre la rédaction, par
le laboratoire pharmaceutique,d’un projet de RCP et de la
notice d’information, destinée à figurer dans le conditionne-
ment à l’attention des consommateurs, documents soumis à
l’approbation du directeur général de l’Agence française de
sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS).
Un guide de rédaction
(4)
du RCP recommande une présenta-
tion des effets indésirables fondée sur les taux d’incidence, et
propose des équivalents sémantiques :très courant ( 1/10),
courant ( 1/100 à < 1/10), peu courant ( 1/1 000 à 1/100),
rare ( 1/10 000 à 1/1 000), très rare ( 1/10 000), inconnu
(la fréquence ne pouvant être estimée à partir des données dis-
ponibles), cela à titre indicatif.
En même temps que les résultats des essais cliniques mis en
œ u v r e pour la monstration de l’effet trapeutique du pro d u i t
testé et de son absence de nocivité dans les conditions norm a l e s
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d ’ e m p l o i , le lab o r at o i re pharmaceutique doit désormais ex p o-
s e r, dans une étude spécifique
( 5 )
, les
“ r isques importants iden-
t i f i é s ”
, les
“ r isques importants potentiels”
que l’usage du pro d u i t
peut re r, et cara c t é r iser les info rm ations manquantes en
m a t i è re d’éva l u ation de ri s q u e s , que ce soit en termes de popu-
l ations exposées ou de pro p riétés pharm a c o l o giques non ex p l o -
rées. Ce document présentera ensuite les diff é rentes mesure s
visant à développer postéri e u rement la connaissance sur ces
p o i n t s , et à minimiser, le cas éch é a n t , le risque des risques. Il
s e r ait peu cohérent que les risques identifiés ne fi g u rent pas dans
le RCP. On peut compre n d r e que les risques potentiels puissent
at t e n d re d’avoir é mieux cara c t é r isés pour y accéder.
À l’issue des essais cliniques, le laboratoire a vu reconnaître
un effet thérapeutique jugé démontré par la commission com-
pétente, à partir des résultats observés sur les populations
ayant participé aux essais. Par extension, il est admis qu’il en
résulte pour le patient cible, à qui tel médecin va prescrire la
spécialité, une probabilité de bénéfice individuel, plus ou
moins forte selon la nature de la pathologie visée et la classe
thérapeutique concernée.
Parallèlement, la même commission a validé l’hypothèse :
soit que l’analyse des éléments disponibles re l atifs à la tolé-
rance ne met pas en évidence de risque signifi c a tif part i c u l i e r ;
soit que les risques identifiés peuvent être considérés
comme accep t ables au rega rd de l’intérêt thérap e u t i q u e
démontré, appelé alors bénéfice ;
étant entendu que la taille des effectifs inclus dans les
essais est trop petite pour que puissent être dépistés, notam-
ment, les risques de très faible fréquence de survenue, ou liés
à des facteurs spécifiques non pris en compte dans les essais,
car on ne peut pas tout prendre en compte.
Demeurent, par conséquent, un certain nombre de risques
inquantifiables et sur lesquels il n’existe pas d’information.
Mais on peut ultérieurement s’apercevoir qu’ils n’ont pas été
dépistés parce que l’on n’a pas cherché à le faire.
Postérieurement à l’AMM, au cours de l’exploitation com-
merciale, le laboratoire pharmaceutique va réaliser,sous la
responsabilité d’une personne qualifiée, le pharmacovigilant
re s p o n s abl e , la collecte, l ’ e n regi s t r e m e n t , l ’ a n a l y s e,l e s
d é c l arations administratives éventuelles, la conservation de
l’ensemble des effets indésirables présumés en rapport avec
les spécialités qu’il commercialise, ayant été portés à sa
connaissance
[a]
. Certains de ces effets vont permettre (rare-
ment) des estimations en termes de fréquence et de prévisibi-
lité. D’autres ne le permettront pas, et constitueront des acci-
dents repérés, analysés, isolés, non appréciables du point de
vue des statistiques.
Régulièrement, des rapports périodiques actualisés de phar-
macovigilance
(Periodic Safety Update Reports/PSUR)
sont
transmis par le laboratoire à l’autorité administrative compé-
tente, présentant les informations relatives aux effets indési-
rables susceptibles d’être dus aux spécialités pharmaceu-
tiques qu’il commercialise, chaque effet étant considéré indi-
viduellement, et dont il a pu avoir connaissance,de même que
toutes les informations utiles à l’évaluation des risques et des
bénéfices liés à l’emploi de ces spécialités. Les conclusions
de chaque rapport périodique doivent souligner les éléments
nouveaux identifiés en matière de sécurité d’usage au regard
des connaissances acquises sur la spécialité, identifier et jus-
tifier les suites recommandées, lesquelles peuvent être une
modification du RCP ou de la notice au regard des rubriques
concernant la pharmacovigilance. En effet, le pharmacovigi-
lant a à se prononcer sur le retentissement des éléments rap-
portés sur la balance bénéfice/risque de la spécialité (qui peut
être stable ou perturbée), et, en fonction de ses observations,
faire des propositions d’action. Dans les conclusions des rap-
ports périodiques, sauf à compromettre sa crédibilité, le phar-
macovigilant responsable, quoi qu’il en soit, se doit de faire
son métier,de façon sincère et véritable, dans le respect des
méthodes en usage. Et les écrits restent.
Les propositions d’actions émises par le re s p o n s able de la
p h a r m a c o v i gilance à la direction de son entrep rise p e u ve n t ê t re
présentées par celle-ci au directeur général de l’AFSSAPS.
Si les rapports peuvent être périodiques, l’activité de pharma-
covigilance est conçue pour être continue. Le pharmacovigi-
lant industriel doit déclarer sous quinzaine à l’AFSSAPS les
notifications qu’il reçoit rapportant des phénomènes indési-
rables entrant dans les cat é go r ies dites
“ g rave s ”
et qu’il estime
en relation avec l’une des spécialités pharmaceutiques qu’il
surveille.
Qu’il reçoit de qui ? Dans les débuts de la pharm a c ov i gi l a n c e,
les notifications vers les laboratoires pharmaceutiques éma-
naient principalement des médecins et des pharmaciens. Elles
sont de plus en plus le fait des patients eux-mêmes ou de leurs
proches. Les autorités compétentes recommandent que ne
soient déclarées que les notifications faites ou confirmées par
un pro fessionnel de santé. Dans une optique de san
publique, les motifs d’une telle restriction se conçoivent aisé-
ment en raison d’une meilleure qualité scientifique. Dans une
optique de
“santé privée”
,l’absence de déclaration de faits
graves signalés par un patient pourrait passer pour de la dissi-
[a]
Portés à sa connaissance, par qui ? En principe, par un professionnel de
santé. Qu'il nous soit permis ici de recommander aux pharmacovigilants
industriels d'inclure également dans leurs processus d'enregistrement et de
déclaration les notifications émanant d'autres expéditeurs (le patient ou un
proche), à plus forte raison si les faits rapportés sont “graves”.Cela permettrait
d'éviter tout malentendu en cas de litige.
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mulation et être la marque d’un fonctionnement
“sélectif”
du
processus de détection, en particulier si les faits concernent le
demandeur.
À partir de la décl a r ation de chacune de ces notifi c a t i o n s , i l
n’est bien r pas env i s agé qu’un réexamen du rap p o rt néfi c e /
risque du produit soit pratiqau coup par coup. De même, i l
s e rait scientifiquement contestabl e, la plupart du temps, q u e
sous le prétexte qu’on re t ro u ve dans la base de données de la
p h a rm a c ov i gilance du lab o rat o i re une ou quelques observa-
tions similaires à celle motivant la demande de la victime pré-
t e n d u e , il en soit conclu que le lab o rat o i re
“connaissait ou
d e vait connaître l’effet indésirable en question”
, et qu’il se tro u v e,
par conséquent, p r is en défaut d’info rm ation vis-à-vis de son
p r oduit. Excepté si ces quelques observations étaient de nat u re
à constituer une alerte concernant les populations tra i t é e s ,
nécessitant une mesure immédiat e .
Postérieurement à la rédaction d’un rapport périodique, mais
également à tout moment, le laboratoire pharmaceutique a
réglementairement le pouvoir de modifier immédiatement, si
nécessaire, l’information relative aux effets indésirables, à
destination des professionnels de santé comme des patients,
“pour des raisons de sécurité ou en cas de risque pour la santé
publique”.
Une décision prise en urgence s’accompagne
généralement de l’envoi de courriers groupés au corps médi-
cal
(DDL [Dear Doctor Letter])
,pour lui faire part immédia-
tement de cette modification.
Le directeur général de l’AFSSAPS détient lui aussi, et pour
les mêmes motifs, le pouvoir d’imposer au lab o rat o i re de
m e t t re en œuvre immédiatement des mesures de cette nat u re
[ b ]
.
À l’issue de cet aperçu du panorama réglementaire de l’effet
indésirable, il est aisé de concevoir que l’incitateur des modi-
fications relatives à l’information en matière d’effets indési-
rables est, le plus souvent, au sein du laboratoire pharmaceu-
tique, la
“personne qualifiée responsable de la pharmacovigi-
lance”
. Encore faut-il, pour que les modifications proposées
soient effectives, que les organismes directeurs du laboratoire
concerentendent et comprennent l’incitation, et y donnent
suite. Toute modification des rubriques relatives à la pharma-
covigilance d’une spécialité dans le RCP et la notice-boîte a
en effet un coût, un retentissement en termes de communica-
tion promotionnelle et de possibles conséquences commer-
ciales, facteurs qui ont pu ou pourraient conduire des orga-
nismes directeurs à ne pas la retenir. Ce peut être aux dépens
de l’entreprise, du point de vue de sa responsabilité dans un
contexte de santé publique.
Tout ce qui précède s’inscrit en effet dans un contexte de san
p u b l i q u e, vis-à-vis des populations qui ont été, sont ou vo n t
ê t re traitées. L’ i n fo rm ation délivrée en mat i è re de pharm a c o-
v i gilance vise à perm e t t re aux pro fessionnels de bons ch o i x ,
du point de vue des strat é gies thérapeutiques. C’est pourq u o i
l ’ u s a ge préva u t , aussi bien dans les entrep rises et les commis-
sions concernées que pour les autorités administrat ive s , l o rs de
la rédaction du RCP, de ne pas fa i re fi g u rer l’ensemble de tous
les effets indésirabl e s , graves comme non grave s , i d e n t i f i é s
l o r s des essais cl i n i q u e s , c o m m e,p o s t é r i e u rem ent à la mise sur
le march é , tous les effets indésirabl e s , graves comme non
grave s , n o t i f iés au cours de l’usage en thérapeutique et jugés
i m p u t a bles à la spécialité. Seules sont intégrées les observa-
tions estimées de nat u re à représenter une info rm ation pert i-
nente a pri o ri , de façon pro s p e c t ive, à destination des futurs
p re s c ri p t e u r s et, à trave rs eux, aux futurs pat i e n t s .
L’ e x c e ptionnel est alors laissé de côté, car
“il est permis de se
demander ce que le patient gag n e r a à une telle info rm at i o n ” ( 6 )
.
Ces préoccupations didactiques sont, dans l’atmosphère juri-
dique contemporaine,aux risques de l’industriel, à qui il
pourrait être reproché, justement, de n’avoir pas fait figurer
sur le RCP tel effet indésirable grave présumé en rapport avec
une spécialité consommée par une victime prétendue, ou
d’avoir omis de porter, sur la notice boîte,une information
essentielle, surtout si cette information jugée a posteriori
essentielle était mentionnée dans un rapport périodique. Le
rapport périodique devient alors pièce à charge.
L’EFFET INDÉSIRABLE EN “SANTÉ PRIVÉE”
Dans l’application des règles de responsabilité spécifiques
aux produits affectés d’un défaut, le défaut peut trouver sa
matérialité dans
“la présentation du produit au regard de la
sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre”
(article
1386-4 CC). La logique sous-jacente peut être résumée ainsi :
le patient-consommateur, à la lecture de la notice présente
dans la boîte,ou après avoir entendu et compris l’information
intégrale relative à la sécurité d’usage du médicament que son
prescripteur* a tirée de la lecture du RCP :
choisit de suivre la thérapeutique, acceptant ainsi de courir
les risques qui lui ont été décrits, ou dont il a pu se rendre
compte préalablement ;
refuse de prendre le risque,et le médicament.
[b]
Dans le cadre des procédures d'AMM européennes, les autorités compé-
tentes peuvent également être à l'origine de modifications du RCP, à la lecture
des rapports périodiques, soit à partir de notifications figurant dans ces rap-
ports, soit encore à partir d'événements observés lors de l'usage de produits
voisins, qu'ils soient ou non relatés lors de l'usage de la spécialité considérée,
au titre de l’effet de classe thérapeutiquesusceptible d'être potentiellement
commun à tous les produits d'une classe.
* Nous laisserons de côté ici tous les aspects relatifs à la faute éventuelle du
prescripteur.
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