Cas clinique
Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume IV, n°4, août 2000
onsieur E., 47 ans, est sénégalais. Il
vit en France depuis dix ans, où il
est gardien de nuit pour une entreprise pri-
vée. Il se présente aux urgences de l’hôpital
Saint-Louis en mars 1996 car, depuis
quelques semaines, il se plaint d’une asthé-
nie intense, d’un syndrome polyuropolydip-
sique (il se lève quatre fois par nuit pour
boire et uriner) et d’un amaigrissement de
5kg. Il pèse 80 kg pour 1 m 74. Son poids
maximal était de 85 kg il y a six mois.
L’interne des urgences diagnostique immé-
diatement le diabète. La glycémie est à
34 mmol/l, il existe 4 croix de sucre et
3croix d’acétone dans les urines.
L’ionogramme sanguin est le suivant :
sodium 128 mmol/l, potassium 4,2 mmol/l,
bicarbonate 10 mmol/l, urée 14 mmol/l et
créatinine 110 µmol/l. Compte tenu de l’aci-
dose, une insulinothérapie à la dose initiale
de 10 U/h à la seringue électrique, associée
à une hydratation par voie intraveineuse est
entreprise immédiatement aux urgences.
Il n’y a aucun facteur de décompensation
du diabète : l’examen clinique est sans par-
ticularité, la température est à 37°4 C, la
pression artérielle est à 120/75 mmHg, la
radio pulmonaire et l’ECG de repos sont
normaux. La numération formule sanguine
est normale. Les hémocultures prélevées à
l’arrivée reviendront négatives. Il n’y a ni
nitrite ni leucocytes à la bandelette urinaire.
L’abdomen sans préparation et l’écho-
graphie abdominale ne mettent pas en
évidence de calcification pancréatique.
M. E. est rapidement transféré dans le
service de diabétologie de l’hôpital Saint-
Louis. Après correction complète de l’aci-
docétose, un relais par injections sous cuta-
nées d’insuline est entrepris, permettant un
contrôle glycémique satisfaisant. Le bilan à
la recherche de complications diabétiques
est normal. Le patient bénéficie d’un cycle
d’éducation et sort de l’hôpital 9 jours
après son admission bien équilibré, avec le
traitement suivant : insuline biphasique
comprenant 20 % d’insuline rapide et 80 %
de NPH, 22 U le matin et 18 U le soir. Une
alimentation équilibrée en cinq repas par
jour (trois repas et deux collations), com-
prenant 1 800 kcal et 220 g d’hydrates de
carbone lui est conseillée.
Un mois après sa sortie d’hôpital, il pèse
84 kg, il est en excellent état général. Il réa-
lise trois autosurveillances glycémiques par
jour. Les glycémies capillaires oscillent
entre 4,2 et 6,8 mmol/l sur son carnet. Les
doses d’insuline prescrites à la consultation
sont de 20 U le matin et de 16 U le soir.
Il est revu en consultation en juin 1996. Il
signale alors la survenue de nombreux épi-
sodes d’hypoglycémie (plus de trois par
semaine), raison pour laquelle il a sponta-
nément diminué ses doses d’insuline pro-
gressivement jusqu’à 6 U le matin et 6 U le
soir. Les glycémies capillaires inscrites sur
le carnet sont toutes inférieures à 6 mmol/l,
et l’hémoglobine glyquée est à 5,2 % (nor-
male < 6). Il pèse 85,5 kg. On décide d’ar-
rêter l’insulinothérapie et de prescrire de la
metformine à la dose de 850 mg trois fois
par jour. Les conseils diététiques usuels lui
sont de nouveau prodigués, et le patient est
revu en septembre 1996. La glycémie à
jeun est à 5,2 mmol/l et l’hémoglobine gly-
quée à 5,3 %. Les glycémies de son carnet
sont toutes inférieures à 6 mmol/l. Le trai-
tement oral est poursuivi et le patient est
régulièrement suivi dans le service.
En mars 2000, le patient pèse 85 kg et le
diabète est toujours bien contrôlé avec trois
comprimés de metformine 850, puisque
l’hémoglobine glyquée était à 5,4 %.
Commentaires
Le diabète que présente ce patient pose un
problème nosologique. Le début brutal,
associant un syndrome cardinal, des corps
cétoniques dans les urines et une acidose,
est très évocateur d’un diabète de type 1.
Cependant, l’âge du patient et la possibilité
d’arrêter l’insulinothérapie sur une période
prolongée n’est pas en faveur du diabète de
type 1. La recherche d’anticorps anti-îlots
de Langerhans et anti-GAD s’est avérée
négative, et le typage HLA du patient n’est
pas celui habituellement associé au diabète
de type 1. L’absence de calcification pan-
créatique sur l’ASP et sur l’échographie
abdominale rend également le diagnostic de
diabète pancréatique peu probable. Par
ailleurs, le patient ne boit pas d’alcool et ne
présente pas les stigmates biologiques d’in-
toxication alcoolique (VGM à 88µ3,γGT à
12 m U/l).
La présence d’un diabète “atypique” chez
les sujets de race noire est maintenant bien
documentée. D’abord observé chez les
sujets jeunes par Winter et al. (1),il a
ensuite été décrit chez les adultes. Les
principales caractéristiques de ce diabète
“atypique” sont les suivantes : au moment
du diagnostic l’âge moyen est de 40-45 ans
(2, 3),une minorité de patients présentent
une obésité marquée (2). Au stade du dia-
gnostic, les sujets ont un syndrome cardi-
nal avec acidocétose, sans facteur de
décompensation (infections), ce qui fait
d’abord suspecter un diabète de type 1.
Après un traitement initial par l’insuline,
Diabète “flatbush” :
l’acidocétose inaugurale
ne prédit pas l’insulinothérapie
au long cours
J.F. Gautier*, E. Sobngwi*
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* Service de diabétologie, hôpital Saint-Louis, Paris.
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