M I S E A U P O I N T Quoi de neuf en rééducation dans la sclérose en plaques ? What is new in rehabilitation for multiple sclerosis patients? ● L. Mailhan*, A. Fontaine*, C. Terbèche*, I. Monteil* R ÉSUMÉ RÉSUMÉ La rééducation des personnes atteintes de sclérose en plaques a prouvé son efficacité, y compris à des stades précoces et quel que soit le mode évolutif de la maladie. Contrairement aux idées reçues, qui la voulaient néfaste et génératrice de fatigue, elle permet de stabiliser, voire d’améliorer, les performances des patients. Elle s’appuie sur les bases classiques de la rééducation neurologique, en y associant un reconditionnement à l’effort adapté à l’état neurologique du patient, et surtout une gestion de la fatigue, seule spécificité et garantie du maintien des capacités à moyen terme. Elle se fait au mieux en service spécialisé, au sein d’une équipe pluridisciplinaire associant kinésithérapeutes, ergothérapeutes, orthophonistes et psychologues. Mots-clés : Rééducation – Sclérose en plaques. a rééducation des personnes atteintes de sclérose en plaques (SEP) est relativement récente. Elle a longtemps effrayé à la fois les patients et les équipes paramédicales, élevés dans le mythe de l’exercice néfaste car générateur de fatigue. De plus, la prise en charge de ces patients a souvent été considérée comme complexe et peu gratifiante pour les équipes du fait du caractère évolutif de la maladie, rendant a priori toute progression impossible, et de la nécessité d’un suivi au long cours reconnu comme peu motivant par les professionnels. Enfin, la méconnaissance de cette pathologie, qui touche pourtant plus de 60 000 personnes en France, tend à la réduire à l’image négative longtemps médiatisée d’une personne sévèrement handicapée, voire grabataire, à l’espérance de vie réduite et dont la rééducation ne peut être que coûteuse en temps, complexe et inutile. Et pourtant… L * Service de médecine physique et de réadaptation, hôpital Léopold-Bellan, Paris. 122 SUMMARY SUMMARY Rehabilitation in multiple sclerosis (MS) has proved to be effective, at early stage and in all forms of MS. Contrary to commonly held opinion, rehabilitation does not cause fatigue but can stabilize and even improve patients’ abilities. Rehabilitation is supported by classical technics, associated with training and fatigue management. It may occur in specialized rehabilitation units, with physiotherapists, occupational therapists, speech therapists and psychologists. Keywords: Rehabilitation – Multiple sclerosis. POURQUOI RÉÉDUQUER ? La commercialisation de thérapeutiques efficaces dans les formes rémittentes, la meilleure connaissance de la maladie, la prévention et la prise en charge des complications infectieuses (en particulier urinaires) des personnes atteintes de SEP ont permis d’améliorer leur espérance de vie, qui est à l’heure actuelle la même que celle de la population générale en France, toutes formes de SEP confondues. La SEP est, de ce fait, à ce jour la deuxième cause de handicap neurologique du sujet jeune. Le développement de services de médecine physique et de réadaptation (MPR) spécifiquement dédiés à ces patients au cours des dix dernières années permet de mesurer l’efficacité des prises en charge rééducative et réadaptative proposées. Ainsi, la rééducation permet une amélioration analytique et fonctionnelle ainsi qu’une amélioration de la qualité de vie des patients. Amélioration analytique L’étude de Cantalloube et al. (1) a évalué 21 patients atteints de SEP avant et après un séjour de 3 à 4 semaines en service de MPR spécialisé. Les patients avaient un score à l’échelle de Kurtzke inférieur ou égal à 6,5. La prise en charge était pluridisciplinaire et comportait 8 séances de kinésithérapie hebdomadaires (45 minutes par séance). L’évaluation faite avant et après le séjour comportait une estimation de la force musculaire des quadriceps et des ischio-jambiers, en concentrique et en excentrique, sur appareil d’isocinétisme, une mesure de la vitesse de marche rapide et spontanée, une mesure de l’équilibre statique sur plate-forme La Lettre du Neurologue - vol. X - n° 4 - avril 2006 d’équilibre (yeux ouverts [YO] et fermés [YF]). L’analyse des résultats obtenus mettait en évidence une amélioration de la force musculaire du quadriceps le plus faible et des ischio-jambiers les plus forts en concentrique ainsi qu’une amélioration de l’équilibre statique YO et YF. L’étude de Robineau et al. (2) confirmait la possibilité d’un renforcement musculaire des ischio-jambiers en excentrique sur appareil d’isocinétisme chez 28 patients atteints de SEP avec des EDSS de 3 à 6 après 12 séances de kinésithérapie, mais sans maintien de ce gain en force à 3 mois. Amélioration fonctionnelle et amélioration de la qualité de vie L’étude de Cantalloube et al. (1) montrait, outre l’amélioration des paramètres analytiques, un gain en vitesse de marche et une corrélation positive entre vitesse de marche et force du quadriceps et des ischio-jambiers. La mesure d’indépendance fonctionnelle (MIF) était également déterminée à l’entrée et à la sortie chez les 21 patients, et l’on observait une amélioration significative de 4 points sur la MIF. Cette amélioration correspond à un gain d’autonomie moyen de 15 minutes par jour, un point en MIF correspondant à 3,7 minutes d’autonomie par jour dans la SEP (3). Wiles et al. (4) décrivent également un gain significatif sur les indices de mobilité. Dans cette étude contrôlée randomisée en cross-over, l’effet de la kinésithérapie sur la mobilité a été évalué chez 40 patients avec un score à l’échelle de Kurtzke inférieur ou égal à 7,0 (déambulation de plus de 5 mètres avec ou sans aide technique). Ces patients ont bénéficié de 3 périodes de 8 semaines de traitement : kinésithérapie au domicile, kinésithérapie en externe à l’hôpital (2 séances de 45 minutes par semaine), pas de kinésithérapie, ces périodes étant séparées par un intervalle de 8 semaines. L’ordre des périodes de traitement était déterminé de façon randomisée. Les évaluations étaient faites la semaine précédant et la semaine suivant la période de traitement, puis 8 semaines après la dernière période, et portaient sur le critère principal (index de mobilité Rivermead) et les critères secondaires (équilibre, marche, fonction du membre supérieur, cognition, humeur). Le patient et son entourage donnaient également leur opinion quant aux effets sur la mobilité, la détresse relative aux conséquences de la mobilité, les chutes. Cette étude mettait en évidence un effet significativement positif d’une période de 8 semaines de rééducation (2 séances par semaine) sur la mobilité, le bien-être subjectif et l’humeur, par rapport à l’absence de kinésithérapie, sans différence entre les prises en charge à l’hôpital ou en libéral. Enfin, une communication récente de Lassalle et al. (5) a mis en évidence l’effet positif d’un séjour de rééducation en centre spécialisé sur les sous-scores physiques de la SEP-59. QUAND ET OÙ RÉÉDUQUER ? La rééducation est indiquée dès l’apparition de symptômes gênants persistants. Romberg et al. (6) ont ainsi mis en évidence l’efficacité de la prise en charge rééducative pour des patients La Lettre du Neurologue - vol. X - n° 4 - avril 2006 avec des scores de 1 à 5,0 sur l’échelle de Kurtzke. Elle est également indiquée au décours immédiat d’une poussée (7) ; la seule limite alors sera la fatigue, qu’il conviendra de respecter en adaptant le programme de rééducation. Dans ce dernier cas, la prise en charge par une équipe pluridisciplinaire a montré sa supériorité sur une hospitalisation en milieu neurologique classique (7). En dehors des poussées, il ne semble pas y avoir de différence significative entre une prise en charge par un kinésithérapeute libéral et une prise en charge en externat ou en hospitalisation de jour (4). Dans notre expérience, cependant, les déplacements hors du domicile peuvent être source de fatigue ; néanmoins, ils peuvent, dans certains cas, être indispensables au maintien d’une vie sociale a minima, en particulier pour les patients les plus isolés. En pratique, le nombre réduit d’unités spécialisées et de cabinets de kinésithérapie se disant aptes à prendre en charge ces patients, en dehors de tout problème d’accessibilité, rend aléatoire toute tentative de systématisation de la prise en charge. COMMENT RÉÉDUQUER ? Techniques classiques Les techniques de rééducation utilisées sont les techniques classiques, applicables dans toutes les pathologies neurologiques. Des étirements des muscles spastiques doivent être réalisés afin d’éviter des complications musculo-tendineuses et de permettre aux muscles antagonistes de s’exercer. Les sollicitations motrices s’aident des séquences de redressement inspirées de Bobath : à quatre pattes, genoux dressés, en chevalier servant, debout, etc., chaque étape permettant le travail des muscles déficitaires et de l’équilibre, sur un mode de plus en plus complexe, et le travail des perceptions corporelles. Le renforcement musculaire se fait en concentrique (sens de raccourcissement du muscle) et en excentrique, mode qui permet d’éviter le renforcement de la spasticité, et uniquement contre résistance manuelle. Les muscles qui ont besoin d’être renforcés sont le plus souvent les fléchisseurs des membres inférieurs, et il convient d’insister sur les ischio-jambiers et le tronc. L’utilisation de poids comme résistance est à proscrire car elle ne permet pas une adaptation fine aux signes de fatigue et peut conduire à un épuisement musculaire. La rééducation proprioceptive se fait sur des plans instables (mousses, plateau de Freeman, ballon de Klein), en charge (debout) ou en décharge (allongé ou assis), et peut s’aider d’un feed-back visuel (balances, par exemple, pour contrôler la symétrie de l’appui). Ces techniques sont utilisées à des fins fonctionnelles : travail des transferts, du schéma postural, de la marche. Techniques plus spécifiques La cryothérapie à visée antispastique, voire antitremblements et antifatigue, est souvent proposée aux patients SEP thermosensibles, dont l’état est aggravé par la chaleur (70 % des patients). Il existe différents modes d’application en services 123 M I S E A U P O I N T spécialisés (application locale sur les membres via un système de refroidissement à 4°, balnéothérapie froide de 18° à 5°). Son mode d’action est actuellement non élucidé, sa durée d’action limitée à 2 heures environ. Il n’existe pas encore de système commercialisé pour l’utilisation individuelle de cette technique par les patients. L’utilisation de pack glacé appliqué sur les muscles spastiques gênants (adducteurs, par exemple, avant un sondage) ou une douche froide peuvent en reproduire partiellement les effets. Chez ces patients thermosensibles, la balnéothérapie réalisée dans des eaux chaudes (32° à 34°) est fortement déconseillée. Le reconditionnement à l’effort correspond au réentraînement de l’organisme à des efforts d’intensité croissante. Il permet de diminuer la fatigue des patients (8). Il peut consister en une marche sur tapis roulant à une vitesse et avec une résistance croissantes, à faire du vélo sur une durée et avec une résistance croissantes, ou en une verticalisation sur appareil modulaire de verticalisation sur une durée progressivement croissante. La gestion de la fatigue est le seul élément spécifique à la SEP, et le plus difficile à mettre en place. Il s’agit pour le patient de reconnaître les signes avant-coureurs de l’épuisement et de s’arrêter juste avant, afin de récupérer mieux et plus rapidement. Très contraignante au départ, cette gestion permet à moyen terme de faire les mêmes efforts sans être épuisé, quitte à les faire en plusieurs étapes, puis d’en faire plus. Les signes “d’alarme” peuvent être l’apparition d’un steppage, d’un recurvatum du genou, de paresthésies. Lorsqu’il n’existe pas de signes repérables par le patient, la réalisation d’un “test” (marche sur tapis roulant, verticalisation) permet de chronométrer la durée d’apparition de l’épuisement, et d’interrompre systématiquement le patient quelques minutes avant ce temps. Il convient également pour le patient de détecter le mode de récupération optimal : debout, appuyé ou non (sur un mur, sur des cannes), assis, allongé. La gestion de la fatigue doit ensuite pouvoir être intégrée au quotidien et être appliquée lors des séances de kinésithérapie (alternance de travail actif et passif, pauses fréquentes à visée de récupération), mais aussi dans toutes les autres activités. Les techniques de désensitivation sont utilisées dans les cas de paresthésies gênantes (palmaires le plus souvent). Des stimulations extéroceptives par des haricots secs, des lentilles sèches ou des picots réduisent dans certains cas ces paresthésies, pour des durées variables. Les lests sont constamment essayés dans les syndromes cérébelleux des membres, sous réserve d’une absence de déficit moteur sous-jacent. Sous forme de bracelet, ils permettent de stabiliser le membre et de limiter le tremblement ou la dysmétrie. Ils peuvent également stabiliser un déambulateur à roues. PLACE DE L’ERGOTHÉRAPIE CONCLUSION Il s’agit d’une prise en charge neurologique classique sur un versant rééducatif et réadaptatif, dont la place va en augmentant avec le score d’EDSS du patient. Cette prise en charge permet par exemple d’évaluer les aides techniques pertinentes pour une autonomie maximale du patient dans sa vie quotidienne, en toute sécurité et avec une dépense énergétique minimale, ou d’adapter l’environnement aux difficultés du patient. Les ergothérapeutes utilisent les aides disponibles sur le marché, les confectionnent et/ou les adaptent au patient. Les limites sont le non-remboursement de certaines aides techniques existantes, la rareté et le non-remboursement de l’ergothérapie libérale, qui la réservent de ce fait au secteur hospitalier. Parmi les techniques et aides techniques régulièrement utilisées, citons les techniques de désensitivation et les lests. La rééducation est un traitement efficace dans la SEP. Elle permet d’optimiser la récupération après une poussée, et de stabiliser les capacités des patients dans les formes progressives. Elle s’appuie sur des techniques de kinésithérapie neurologique classique mais s’associe à une gestion de la fatigue, garante du maintien des acquis à moyen terme. Sous réserve de la bonne compréhension de celle-ci, et surtout de son intégration dans la vie quotidienne, la rééducation ne fatigue pas le patient, mais améliore ses performances. Enfin, une rééducation efficace est une rééducation dont le patient est partie prenante. C’est pourquoi il est essentiel que les objectifs de la prise en charge soient clairement définis avec le patient et/ou son entourage. Ces objectifs se doivent d’être clairs, adaptés et réalistes, et surtout d’être identiques pour le patient et l’équipe qui le prend en charge. ■ 124 PLACE DE L’ORTHOPHONIE Elle prend en charge soit les troubles de la déglutition, soit les troubles cognitifs. Les troubles de la déglutition touchent 24 à 34 % des patients atteints de SEP, et leur prévalence augmente avec l’EDSS. L’atteinte de la phase orale, volontaire, est constante et justifie une prise en charge par un orthophoniste spécialisé. Notons toutefois que les stratégies compensatoires posturales (position menton-sternum lors de la déglutition) permettent la résolution de 94 % des fausses routes. Les troubles cognitifs concernent 40 à 65 % des patients atteints de SEP. Ils sont principalement de type frontal, avec une atteinte de la mémoire, de l’attention et des fonctions exécutives. Ils sont associés dans 50 % des cas à un syndrome dépressif, ce qui rend le diagnostic parfois peu aisé. La rééducation de ces troubles est non spécifique de la pathologie. LA PRISE EN CHARGE PSYCHOLOGIQUE Elle est indispensable du fait du caractère évolutif de la pathologie, qui ne permet pas au patient de se projeter dans l’avenir et qui l’oblige à s’adapter constamment à un handicap changeant. Elle est cependant difficile à instaurer en externe et reste actuellement non remboursée. La Lettre du Neurologue - vol. X - n° 4 - avril 2006 R É F É R E N C E S 5. Lassalle A, Durufle A, Le Tallec H et al. Impact de la prise en charge rééducative en centre de rééducation sur la qualité de vie des patients atteints de SEP : étude prospective. Ann Readapt Med Phys 2005;48(7): 529. B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Cantalloube S, Monteil I, Lamotte D et al. Évaluation préliminaire des effets de la rééducation sur les paramètres de force, d’équilibre et de marche dans la sclérose en plaques. 2006 (Sous presse). 2. Robineau S, Nicolas B, Gallien P et al. Renforcement musculaire isocinétique excentrique des ischio-jambiers chez les patients atteints de sclérose en plaques. Ann Readapt Med Phys 2005;48:29-33. 3. Granger CV, Cotter AC, Hamilton BB et al. Functional assessment scales: a study of persons with multiple sclerosis. Arch Phys Med Rehabil 1990;71:870-5. 4. Wiles CM, Newcombe RG, Fuller KJ et al. Controlled randomised crossover trial of the effects of physiotherapy on mobility in chronic multiple sclerosis. J Neurol Neurosurg Psychiatry 2001;70:174-9. A A U U T T O O - É É V V I. La rééducation des muscles déficitaires chez les patients atteints de SEP fait appel à : a. un renforcement contre résistance manuelle b. un renforcement contre résistance passive (poids) c. l’électrostimulation d. le renforcement est contre-indiqué chez ces patients 6. Romberg A, Virtanen A, Ruutiainen J et al. Effects of a 6-month exercise program on patients with multiple sclerosis. Neurology 2004;63:2034-8. 7. Craig J, Young CA, Ennis M et al. A randomized controlled trial comparing rehabilitation against standard therapy in multiple sclerosis patients receiving intravenous steroid treatment. J Neurol Neurosurg Psychiatry 2003;74:1225-30. 8. Petajan J, White A. Recommendations fort physical activity in patients with multiple sclerosis. Sports Med 1999;27:179-91. A A L L U U A A T T I I O O N N II. La prise en charge de la spasticité chez les patients atteints de SEP utilise : a. la toxine botulique b. le baclofène intrathécal c. les étirements et postures d’inhibition d. la cryothérapie Résultats : 1 : a (l’électrostimulation n’a aucun intérêt) ; II : c et d dans tous les cas ; a si la spasticité focale est fonctionnellement gênante ; b si la spasticité est diffuse et que le patient est non-marchant (EDSS > 7,0). ESC Satellite symposium on TIA Lundi 15 mai 2006, Maison de la Chimie, Paris. Informations : www.eurostroke.org – Inscription : 100 euros Chairs of the Symposium : Pierre Amarenco and Michael G. Hennerici La Lettre du Neurologue - vol. X - n° 4 - avril 2006 125